Comptes rendus

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Traitement de la douleur : le potentiel d’abus dans la mire

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - 28e Assemblée annuelle de l’American Academy of Pain Medicine

Palm Springs, Californie / 22-26 février 2012

Palm Springs - Le potentiel d’abus est l’un des plus grands obstacles à l’usage approprié des opioïdes. Le risque de dépendance est en fait très faible lorsque les opioïdes sont utilisés dans le cadre d’un protocole de prise en charge structurée de la douleur, mais une maîtrise insuffisante de la douleur ouvre la porte à la formation des voies de la douleur chronique. Le patient se trouve alors en quête constante de soulagement et devient vulnérable à la dépendance. Or, c’est précisément la crainte d’une dépendance – répandue chez les patients comme chez les médecins – qui sous-tend le soulagement inadéquat de la douleur et qui, ironiquement, alimente le risque d’abus. Cette crainte a pour corollaire la prise – ou la prescription – d’une dose insuffisante d’opioïdes qui ne vient pas à bout de la douleur. Il arrive en outre que les patients n’adhèrent pas au traitement ou, encore, qu’ils n’y adhèrent pas suffisamment bien pendant la brève phase critique de suppression de la douleur aiguë. Bien que les opioïdes de nouvelle génération semblent associés à un potentiel d’abus moindre, une maîtrise suffisante de la douleur demeure la meilleure défense contre l’abus dans le contexte d’une stratégie de réhabilitation.

Les analgésiques opioïdes jouent un rôle de premier plan dans la prise en charge de la douleur modérée ou sévère en raison de leur grande efficacité, car on reconnaît maintenant que l’absence de douleur durant la phase aiguë de récupération est essentielle à la récupération physiologique et psychologique après un trauma. On croit par ailleurs que le risque de dépendance est étroitement lié à la réticence du médecin à offrir un soulagement complet de la douleur et que cette réticence ne fait somme toute qu’alimenter le risque que l’on cherche à éviter.

«Certaines données montrent que la douleur aiguë non traitée ou mal traitée accroît la réponse inflammatoire et immunosuppressive qui peut léser le système nerveux indépendamment du trauma à l’origine de la douleur initiale», affirme le Dr Chester C. Buckenmaier, Walter Reed Army Medical Center, Washington, DC. La solution n’est pas d’éviter les opioïdes, mais bien de les utiliser judicieusement.

Diminution du potentiel d’abus : résultats de RADARS

Les opioïdes ne sont pas interchangeables. Par exemple, l’oxycodone s’est révélée plus efficace que la morphine contre la douleur viscérale, alors que l’hydrocodone, moins puissante que l’un ou l’autre opioïde, est souvent utilisée dans les formes moins sévères de douleur aiguë. Le tapentadol, opioïde plus récent qui modifie aussi la douleur en inhibant le captage de la noradrénaline, s’est révélé aussi puissant que l’oxycodone lors de l’essai de phase III qui a mené à son homologation, mais il a été mieux toléré. De nouvelles données semblent indiquer que le tapentadol à libération immédiate (IR) pourrait également être associé à un potentiel d’abus moindre dans la pratique clinique, peut-être en raison de son double mode d’action.

«Les taux d’utilisation abusive et détournée associés au tapentadol IR ont été très faibles au cours des 18 mois qui ont suivi son lancement et n’ont pas varié de manière significative avec le temps, bien qu’il soit devenu de plus en plus accessible par les voies officielles», enchaîne le Dr Richard Dart, Rocky Mountain Poison and Drug Center, University of Colorado School of Medicine, Denver. Lorsqu’il a présenté les données du programme RADARS (Researched Abuse, Diversion and Addiction-Related Surveillance System), le Dr Dart a expliqué que contrairement à ce qu’on a observé avec les opioïdes établis, les courbes d’utilisation abusive et détournée de cet agent étaient demeurées plates depuis sa commercialisation.

Le programme RADARS vise à mesurer les taux d’utilisation abusive et détournée des substances contrôlées aux États-Unis. Pour ce faire, on collige des données de multiples sources, notamment un système de surveillance policière, des programmes de désintoxication et des registres de centres antipoison où sont consignées les plaintes de patients exposés à ces substances contrôlées. Bien que le programme RADARS ait été conçu expressément pour la surveillance post-commercialisation de l’abus de médicaments d’ordonnance, le tapentadol est le premier agent à faire l’objet d’une surveillance constante depuis son homologation. Le programme RADARS n’est pas une étude comparative des divers opioïdes sur le plan de l’usage abusif, mais il permet tout de même de suivre les tendances.

On a présenté au congrès les taux d’usage abusif et détourné du tapentadol pendant les 18 mois qui ont suivi sa commercialisation en juin 2009. Pendant cette période, le nombre d’ordonnances de tapentadol a augmenté d’environ 70 000 par trimestre, mais le taux d’utilisation détournée du médicament est demeuré stable, à environ 0,1 par tranche de 100 000 habitants. Pendant la même période, l’hydrocodone a été associée à un taux d’utilisation détournée stable, mais environ 2 fois plus élevé (0,2 pour 100 000) et l’oxycodone, à un taux environ 5 fois plus élevé (entre 0,4 et 0,6 par tranche de 100 000 habitants).

Des différences similaires ont été observées entre ces médicaments au chapitre des taux d’utilisation abusive. «Le taux d’utilisation non médicale du tapentadol IR par tranche de 100 000 habitants était extrêmement faible, et sa variation au fil du temps – de 0 à 0,0015 – n’était pas significative (p=0,867). À des fins de comparaison, le taux d’utilisation abusive est passé de 0,731 à 1,217 dans le cas de l’oxycodone et de 0,759 à 1,262 dans le cas de l’hydrocodone», explique le Dr Dart. Le pourcentage de patients admis à un programme de désintoxication pour usage abusif de tapentadol est resté stable et négligeable durant la période de collecte des données, ajoute-t-il.

«À en juger par toutes les données du programme RADARS utilisant la population générale comme dénominateur, le tapentadol IR est associé à un fardeau moins lourd pour la santé publique comparativement à l’oxycodone et à l’hydrocodone, que ce fardeau soit mesuré en arrestations, en admissions aux programmes publics de désintoxication ou en appels aux centres antipoison», conclut le Dr Dart.

Résultats chez des étudiants du collégial

On a observé des résultats similaires chez des étudiants du collégial, population qui forme un volet distinct du programme RADARS et qui est généralement connue pour des taux assez élevés d’utilisation non médicale de médicaments d’ordonnance. Des tendances particulièrement intéressantes se sont esquissées dans cette population : le pic post-homologation a été suivi d’une diminution hautement significative (p<0,001). Selon la base de données, la marijuana était la substance la plus utilisée – soit 21,7 % des individus sondés – et l’hydrocodone, l’opioïde de prescription le plus utilisé à des fins non médicales – soit 6,0 %. Le taux d’utilisation du tapentadol IR à des fins non médicales était de 0,8 %.

«Selon notre hypothèse, le pic initial d’utilisation non médicale du tapentadol IR correspond à une période d’expérimentation», affirme le Dr Dart. Plusieurs facteurs concourent à cette hypothèse, notamment le fait que la majorité des utilisateurs non médicaux ont aussi fait état de l’utilisation d’autres substances contrôlées.

La maîtrise de la douleur, un objectif en soi
pour l’optimisation de l’issue clinique

L’abus et l’utilisation détournée sont bien sûr des conséquences sérieuses pour les individus à risque de dépendance et la société en général, mais l’un des plus grands avantages cliniques des agents associés à un faible potentiel d’abus est le sentiment de sécurité qu’ils procurent aux médecins qui les prescrivent et aux patients qui les prennent à des doses thérapeutiques. C’est un aspect non négligeable, car le soulagement incomplet de la douleur aiguë est le plus grand facteur de risque d’apparition d’une douleur chronique menant à la dépendance aux analgésiques, précise le Dr Buckenmaier.

Comme les agents associés à un potentiel d’abus moindre ont l’avantage de rassurer les médecins et les patients quant à leur sûreté d’emploi, d’autres stratégies de diminution du risque d’abus sont à l’étude. Le NKTR-181, par exemple, est un agoniste des récepteurs opioïdes que l’on a conçu pour être capté plus lentement par le système nerveux central (SNC) et qui a fait l’objet d’une étude de phase I dont les résultats ont été présentés au congrès. Cette propriété est cruciale, car le potentiel d’abus d’un analgésique opioïde serait, croit-on, lié à la rapidité avec laquelle il pénètre dans le SNC. Comme l’explique la Dre Kathleen Gogas, chercheuse clinicienne, Nektar Therapeutics, San Francisco, Californie, les premières données cliniques étayent les résultats d’études expérimentales, à savoir que cet opioïde exerce un effet analgésique comparable tout en étant associé à un potentiel moindre d’abus et à un risque moindre d’effets indésirables sur le SNC, comme la sédation.

D’une durée de 8 jours, l’étude de phase I sur le NKTR-181, qui regroupait 60 volontaires sains, a objectivé un profil pharmacocinétique favorable et un degré élevé de tolérabilité, même à la plus forte dose évaluée. Fait digne de mention, son activité dans le SNC – que l’on a évaluée par la mesure du myosis – a été significativement différée d’environ 2 heures par rapport à son activité dans le plasma. Ces résultats sont à ce point encourageants que l’on a déjà élaboré un programme complet de développement. Là encore, l’objectif sera de parvenir à la fois à une maîtrise de la douleur comparable à ce que l’on obtient avec l’oxycodone et à un profil d’innocuité rassurant pour les patients et les médecins.

Nous avons franchi un cap important, affirmait la Dre Laura Clark, University of Louisville, Kentucky, lors d’un symposium ayant eu lieu en marge du congrès. La réticence des médecins à offrir un soulagement complet de la douleur est un obstacle à l’optimisation des résultats, explique-t-elle. Il faudra bien sûr former les médecins, mais dans l’établissement où elle travaille, on a déjà mis sur pied un service de traitement de la douleur afin de standardiser le traitement. Elle a en outre cité des études publiées qui semblent indiquer qu’une maîtrise plus serrée de la douleur allège le fardeau de morbidité et diminue le risque d’apparition d’un syndrome douloureux chronique.

«La maîtrise de la douleur, c’est beaucoup plus qu’un avantage, c’est une nécessité thérapeutique. Une réorientation complète s’impose : nous devons considérer la maîtrise de la douleur comme un facteur indépendant de l’optimisation des résultats», poursuit la Dre Clark. Dans la plupart des établissements, c’est généralement le médecin traitant qui choisit le traitement contre la douleur, et il n’est pas rare que même les cas de douleur persistante ne fassent l’objet d’aucune demande de consultation. Notre schème de références doit changer, dit-elle.

«Un service de traitement de la douleur aiguë permet de voir ces patients sans que l’on doive attendre que le médecin fasse la demande. S’assurer que la douleur est bien analysée et traitée dès le départ pourrait être un pas dans la bonne direction», insiste-t-elle.

Résumé

Dans certains cas, la crainte d’abus est la cause directe ou à tout le moins indirecte de la dépendance aux opioïdes. Le risque d’apparition d’un syndrome douloureux chronique est beaucoup plus élevé lorsque la douleur n’est pas bien maîtrisée. Les opioïdes sont associés à un faible potentiel d’abus lorsqu’ils sont utilisés de manière appropriée, mais peut-être arriverons-nous à le diminuer davantage avec de nouveaux agents contre la douleur qui ne partagent pas complètement le mode d’action des opioïdes. Du point de vue de la sécurité publique, il est certes important d’utiliser des opioïdes qui incitent moins à l’utilisation détournée ou à un usage non thérapeutique, mais une meilleure compréhension de l’utilité d’une maîtrise serrée de la douleur pourrait être le meilleur moyen de combattre la dépendance chez le patient qui amorce un traitement contre la douleur.    

 

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