Comptes rendus

Le grand débat sur le traitement antiplaquettaire : les essais, les données et les patients
Événements cardiovasculaires et dorsalgies en médecine de premier recours

Évolution des critères d’utilisation des agents biologiques dans la colite ulcéreuse

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - Le 18e Congrès de la Fédération européenne de gastro-entérologie (UEGW)

Barcelone, Espagne / 23-27 octobre 2010

Plusieurs études cliniques et épidémiologiques ont démontré que la cicatrisation de la muqueuse après une poussée aiguë de colite ulcéreuse (CU) offrait une meilleure protection contre les rechutes et les complications, dont les hospitalisations et les colectomies, que la seule maîtrise des symptômes. La cicatrisation de la muqueuse est toutefois un objectif ambitieux. Ces données sont source de confusion pour les cliniciens, qui ne savent plus à quel moment ils doivent intensifier le traitement lorsqu’ils ne parviennent pas à obtenir rapidement la cicatrisation de la muqueuse. Ce n’est pas la stratégie progressive qui est remise en question, mais la durée de chaque étape menant vers l’objectif thérapeutique.

Parvenir à la cicatrisation de la muqueuse par une démarche progressive accélérée

On note une «inadéquation dans la pratique clinique entre les objectifs thérapeutiques actuels et la vitesse à laquelle les patients devraient passer d’une étape à l’autre de l’algorithme de traitement», estime le Dr Manuel Barreiro De Acosta, Complexo Hospitalario Universitario de Santiago de Compostela, Espagne. Lors d’un symposium de l’UEGW consacré à l’importance de la cicatrisation de la muqueuse et à l’intensification du traitement pour atteindre cet objectif, le Dr De Acosta a précisé que «le passage plus rapide d’une étape à l’autre de l’algorithme permettait aux patients de recevoir le traitement approprié, condition sine qua non d’une réduction du risque de complications».

Les inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale alpha (anti-TNFa), pierre angulaire des biothérapies, ont démontré que la cicatrisation est aussi possible en présence d’une CU sévère. Les guides de pratique clinique recommandent généralement de recourir aux anti-TNFa après l’échec des autres traitements, mais selon le Dr De Acosta, la notion d’échec est mal définie. Bien que les participants au symposium aient reconnu le bien-fondé de la démarche de puissance progressive classique (préparations d’acide 5-aminosalicylique [5-ASA] suivies d’immunomodulateurs comme l’azathioprine [AZA] et la 6-mercaptopurine [6-MP] en association avec de courtes corticothérapies pour maîtriser la maladie à nouveau), ils estiment que l’hospitalisation n’est pas un critère définissant l’échec thérapeutique.

«L’infliximab (IFX) est perçu comme une solution devant être réservée à la CU sévère», note le Dr Paul Rutgeerts, Université catholique de Louvain, Belgique, qui s’oppose fermement à ce principe. Selon lui, l’emploi exclusif du premier anti-TNFa – et le plus utilisé – comme traitement de secours chez les patients hospitalisés est associé à un risque beaucoup plus élevé de complications, dont la colectomie, et va à l’encontre des conclusions d’essais cliniques qui portaient surtout sur l’utilisation d’agents biologiques chez des patients atteints de CU modérée à sévère plutôt que sévère.

Les données d’un essai récent (Seow et al. Gut 2010;59:49-54) révèlent que la proportion de patients sous IFX toujours en rémission clinique au bout de 54 semaines était plus élevée parmi ceux qui présentaient une CU modérée dont le traitement avait été amorcé en ambulatoire que parmi ceux atteints d’une maladie sévère dont le traitement avait commencé à l’hôpital (45 % vs 19 %; p=0,009). L’administration d’anti-TNFa au début de la maladie plutôt qu’à un stade avancé lorsque l’absence de maîtrise nécessite l’hospitalisation pourrait se traduire par des résultats optimaux, estime le Dr De Acosta.

Le Dr Geert D’Haens, Hôpital Imelda, Bonheiden, Belgique, abonde dans le même sens. À son avis, l’obtention et le maintien de la cicatrisation de la muqueuse figurent en tête de liste des objectifs thérapeutiques, puisque tous les autres (réduction des hospitalisations et de la morbidité, et amélioration de la qualité de vie) en découlent. Comme d’autres spécialistes, il estime que des données probantes ont maintenant démontré que la cicatrisation de la muqueuse permettait de réduire la morbimortalité, améliorant du coup la qualité de vie.

Données corroborantes

L’efficacité des anti-TNFa dans la CU a été démontrée dans ACT I (Acute ulcerative Colitis Trial), un essai clé de phase III comparatif avec placebo portant sur l’utilisation de l’IFX dans la CU modérée à sévère (Rutgeerts et al. N Engl J Med 2005;353:2462-73). Les deux doses d’IFX étudiées ont induit la cicatrisation de la muqueuse chez 60 % des patients environ au bout de 8 semaines (vs 33 % pour le placebo), mais cette dernière s’est maintenue jusqu’à la 54e semaine chez 46 % d’entre eux environ (vs 18 % pour le placebo). Une analyse a posteriori a objectivé une réduction du risque de colectomie chez les patients cicatrisés.

Tous les résultats à long terme ont été jusqu’ici corrélés avec la cicatrisation de la muqueuse à la fin du traitement d’induction, précise le Pr Jean-Frédéric Colombel, Centre hospitalier universitaire de Lille, France. Le score endoscopique après 8 semaines était prédictif de la survenue de symptômes après 30 et 54 semaines; ainsi, les patients ayant obtenu un score de 0 étaient moins susceptibles de présenter des symptômes lors du suivi que ceux dont le score était de 1, ces derniers étant eux-mêmes moins susceptibles d’être symptomatiques que ceux dont le score était de 2. Les différences étaient appréciables. Ainsi, 73,7 % des patients ayant obtenu un score de 0 et 47,3 % de ceux dont le score était de 1 étaient asymptomatiques au terme des 54 semaines, comparativement à 10 % des patients dont le score était de 3 (Figure 1).

Figure 1. Essai ACT I : Cicatrisation de la muqueuse à court terme chez des patients atteints de CU sous IFX


«La cicatrisation de la muqueuse est un objectif thérapeutique important», affirme le Pr Colombel. À son avis, ces résultats étayent les conclusions des Drs De Acosta, Rutgeerts et D’Haens selon lesquelles on aurait intérêt à administrer plus tôt dans l’évolution de la maladie les agents les plus susceptibles de cicatriser la muqueuse lorsque les lésions endoscopiques persistent sous immunomodulateur ou corticothérapie.

Les données de la cohorte de Louvain – 217 patients consécutifs atteints de CU et traités par l’IFX depuis 6 mois à près de 10 ans – étayent l’importance de la cicatrisation précoce de la muqueuse pour la maîtrise de la maladie à long terme. Soulignons que la majorité des patients présentaient une CU modérée plutôt que sévère. Au total, 49 % des patients sont parvenus à une cicatrisation complète après le traitement d’induction. Après un suivi de près de 7 ans, 50 % environ des patients non cicatrisés complètement ont subi une colectomie vs 10 % des sujets parvenus à la cicatrisation complète.

Inversement, si l’absence de cicatrisation de la muqueuse sous IFX était prédictive d’un risque accru de colectomie, les données de la cohorte de Louvain ont démontré qu’un taux sérique de protéine C-réactive (CRP) =5 mg/L était un prédicteur indépendant de la colectomie. L’aptitude de la CRP, marqueur sensible d’un état pro-inflammatoire, à prédire les taux de colectomie témoigne de l’importance des traitements qui exercent une activité anti-inflammatoire soutenue.

«L’IFX préserve le côlon», affirme le Dr Rutgeerts. Selon lui, la cohorte de Louvain «est représentative de la réalité et a démontré que l’efficacité de l’IFX se maintenait pendant au moins 4 ans». Il a toutefois fait allusion aux données d’ACT I et à la cohorte de Louvain pour affirmer que «l’IFX est aussi efficace dans la CU que dans la maladie de Crohn» et que «le traitement d’entretien périodique est indiqué chez les patients qui obtiennent une réponse clinique et endoscopique à la 8e semaine».

Les cliniciens demeurent confrontés à un dilemme, celui de savoir quand ils doivent constater l’échec du traitement et passer à un agent plus puissant. Il est raisonnable d’amorcer le traitement par l’AZA chez les patients dont les poussées nécessitent une corticothérapie, mais une évaluation s’impose après 12 semaines, estime le Dr De Acosta. Il recommande de passer directement à un anti-TNFa chez les patients réfractaires à la corticothérapie après une poussée sous AZA.

À son avis, la stratégie qui consiste à administrer plusieurs cycles de corticothérapie ou à différer l’administration d’IFX jusqu’à ce que l’état du patient évolue vers une CU sévère nécessitant une hospitalisation est une «faille importante» dans les modalités de traitement actuelles que l’on peut corriger en ayant recours plus rapidement à des agents plus efficaces.

Résumé

Les guides de pratique clinique recommandent d’utiliser les anti-TNFa après l’échec des autres traitements, sans toutefois définir clairement l’échec thérapeutique. Pour bon nombre de cliniciens, les agents biologiques doivent être réservés aux patients atteints de CU sévère, mais cette stratégie ne fait pas l’unanimité. Le degré de maîtrise de la poussée initiale semble influer considérablement sur les résultats thérapeutiques. La cicatrisation complète de la muqueuse permet de réduire le risque de corticodépendance, d’hospitalisation et de colectomie.

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