Comptes rendus

Stratégies de traitement dans la MPOC sévère
Étude phare UPLIFT : atteinte de critères importants dans la MPOC

Contourner la polypharmacorésistance pour alléger la pression de sélection

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Le 21e Congrès annuel de l’ESICM (European Society of Intensive Care Medicine)

Lisbonne, Portugal / 21-24 septembre 2008

Traitement des infections par un germe Acinetobacter multirésistant

Comme l’explique la Dre Frantzeska Frantzeskaki, Service des soins intensifs (SSI), Hôpital général Hippokration, Athènes, Grèce, «Acinetobacter baumannii est l’un des micro-organismes qui provoquent le plus d’infections aux soins intensifs. Au total, 19 % des bactériémies par A. baumannii conduisent au sepsis et au choc septique, et les infections nosocomiales causées par ce germe sont associées à un taux de mortalité brut de 20 à 60 %. Le plus souvent, A. baumannii s’exprime cliniquement par la pneumonie sous respirateur (PSR); sa résistance de plus en plus grande aux carbapénèmes représente un grave problème pour les équipes des SSI.»

La tigécycline, première glycylcycline semi-synthétique homologuée aux fins d’utilisation clinique, s’est montrée très efficace contre de nombreux germes à Gram positif et négatif, y compris des souches multirésistantes. C’est pourquoi la Dre Frantzeskaki et ses collègues se sont livrés à une étude prospective sur l’efficacité de cet agent par rapport à celle d’un traitement ampicilline-sulbactame à forte dose dans la PSR causée par A. baumannii. L’association ampicilline-sulbactame fortement dosée s’est révélée active contre des espèces Acinetobacter.

Bien que la colistine soit, elle aussi, relativement efficace contre les souches multirésistantes d’A. baumannii, elle est assortie d’un taux de toxicité d’environ 36 %, sans compter qu’on a mis au jour des souches d’Acinetobacter résistantes à la colistine. Aussi cet antibiotique a-t-il été exclu de l’étude.

Ont été admis à l’étude 23 patients sous ventilation mécanique depuis plus de 72 heures qui ont développé une PSR et dont les sécrétions trachéales – obtenues par aspiration – contenaient A. baumannii. L’âge moyen de la population était de 70 ans (± sept ans). On estimait qu’il y avait confirmation étiologique lorsque A. baumannii était isolé dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire (LBA) à une concentration de 104 UFC/mL après mise en culture. Dix sujets ont reçu de la tigécycline à 50 mg 2 fois par jour (f.p.j.) par voie intraveineuse (i.v.) et 13, de l’ampicilline-sulbactame à 9 g 3 f.p.j., avec rectification en fonction de la clairance de la créatinine.

«Les signes et symptômes de la PSR sont disparus chez 70 % des sujets sous tigécycline et 77 % des sujets sous ampicilline-sulbactame; c’est un écart non significatif, rapporte la Dre Frantzeskaki. Il n’y a pas de différence significative non plus entre les taux d’échec clinique, soit 20 % et 23 %, respectivement, dans les groupes tigécycline et ampicilline-sulbactame. On a obtenu une guérison bactériologique chez 80 % des patients sous tigécycline i.v. en monothérapie contre 77 % des patients sous ampicilline-sulbactame, ce qui n’est pas significatif non plus.» Parmi les effets indésirables observés, notons une néphrotoxicité chez deux sujets et une éruption cutanée chez deux autres; les quatre patients visés faisaient tous partie du groupe ampicilline-sulbactame.

Conclusion des auteurs : les deux traitements sont aussi efficaces l’un que l’autre contre la PSR causée par une souche d’A. baumannii multirésistante, mais la tigécycline semble plus sûre. Ces antibiothérapies pourraient prévenir l’utilisation excessive des polymixines au SSI et l’apparition subséquente de souches panrésistantes.

La Dre Maria Theodorakopoulou a présenté une étude connexe, menée dans le même établissement, sur l’efficacité de la tigécycline par rapport à celle de la colistine chez des patients comparables aux précédents, également atteints d’une PSR causée par A. baumannii. Dix patients ont reçu de la tigécycline à 50 mg 2 f.p.j. i.v. en monothérapie (groupe A) et 15, de la colistine en monothérapie ou en association avec le céfépime (groupe B). «Le LBA a témoigné d’une guérison chez huit sujets du groupe A (80 %) et 10 du groupe B (66,6 %), signale le médecin. On a observé une guérison clinique chez sept (70 %) et neuf (60 %) sujets des groupes A et B, respectivement. Cinq (33 %) patients du groupe B ont montré des signes de néphrotoxicité. On n’a noté aucune manifestation toxique dans le groupe tigécycline.»

La colistine et la tigécycline, de conclure la Dre Theodorakopoulou, ont éradiqué avec une efficacité apparemment comparable la souche d’A. baumannii multirésistante présente dans les cultures du liquide de LBA provenant de sujets atteints d’une PSR, mais la tigécycline a offert, semble-t-il, une plus grande innocuité clinique.

Depuis quelques années, précise la Dre Theodorakopoulou, A. baumannii provoque beaucoup d’infections nosocomiales et est à l’origine d’une mortalité et d’une morbidité appréciables, colonisant volontiers 41 % des patients du SSI. «Ce germe force l’admiration par sa capacité de multiplier les mécanismes de résistance, à telle enseigne que de nombreuses souches multirésistantes ont acquis une panrésistance au cours des deux dernières années. Jusqu’à maintenant, nous avons isolé 100 souches multirésistantes qui présentent toutes une résistance de 90 % aux antibiotiques les plus utilisés au SSI et avons trouvé des souches qui affichent une résistance de plus de 75 % au sulbactame et de plus de 3 % à la colistine. Nous n’avons pas observé de résistance à la tigécycline, mais j’ai bien peur qu’elle soit inévitable, parce qu’A. baumannii est un petit malin.»

Les carbapénèmes : des armes à préserver

Le Dr Christoph Wenisch, Hôpital Kaiser Franz Josef, Vienne, Autriche, abonde dans le même sens : la prévalence croissante des infections par des germes multirésistants, dont les espèces Acinetobacter, au SSI s’impose aujourd’hui comme une cause importante de mortalité. De nombreux patients du SSI gravement malades et atteints d’infections éventuellement causées par des micro-organismes multirésistants doivent recevoir sans délai une antibiothérapie à large spectre. Malheureusement, l’éventail thérapeutique se rétrécit constamment, si bien qu’on doit souvent recourir à des agents tels que les carbapénèmes, normalement tenus en réserve, dans le cadre d’associations médicamenteuses. Cependant, on a signalé des cas de résistance aux carbapénèmes.

Comme le fait remarquer le Dr Wenisch, on utilise la tigécycline dans les infections compliquées de la peau et des structures cutanées ainsi que les infections intra-abdominales compliquées, indications fréquentes des carbapénèmes. «Bien que la tigécycline ne puisse échapper à la résistance par efflux des souches de Pseudomonas aeruginosa multirésistantes, on peut la substituer aux carbapénèmes lorsque P. aeruginosa est au-dessus de tout soupçon et, ainsi, alléger la pression de sélection et réduire les taux de résistance. C’est donc dire que dans certaines circonstances, la tigécycline pourrait constituer une solution de rechange intéressante tant aux antibiotiques largement prescrits qu’aux agents de réserve», affirme-t-il.

L’un des principaux moyens de défense de la bactérie est la résistance par efflux, assurée grâce à une pompe présente dans la membrane, explique le Pr Patrice Courvalin, Institut Pasteur, Paris, France. La pompe s’emploie à expulser l’antibiotique hors de la cellule au fur et à mesure qu’il y pénètre, si bien que la concentration intracellulaire du médicament demeure très faible. Les autres principaux mécanismes de résistance sont l’inactivation enzymatique directe de l’antibiotique, la modification de sa cible et l’inhibition de sa voie métabolique.

Le Pr Courvalin y va de ce constat : «La résistance, voire la multirésistance, aux antimicrobiens est inévitable et implacable. Nous ne pouvons que retarder l’apparition, puis la propagation, de bactéries résistantes ou de gènes de résistance.»

Expérience clinique

Le Dr Miguel Sánchez García, chef du SSI, Hôpital clinique San Carlos, Madrid, Espagne, a parlé de l’élargissement des indications de la tigécycline, les cliniciens espagnols la prescrivant, dans bien des cas à titre de traitement de secours, aux patients à risque élevé hospitalisés longtemps, qui présentent une dysfonction organique marquée par suite de diverses infections (poumons, septicémie, etc.). Les indications, homologuées ou non, sont étayées par une expérience clinique de plus en plus riche, que ce soit en contexte médical, chirurgical ou traumatique, fait-il remarquer.

«On a recours à la tigécycline d’abord et avant tout pour son large spectre d’activité, y compris contre les germes résistants aux carbapénèmes, mais également en raison des effets toxiques d’autres antibiotiques ou d’une allergie aux bêtalactamines, ou encore parce qu’un traitement de secours s’impose, souligne-t-il. Nous avons réussi à traiter à l’aide de tigécycline des infections par A. baumannii, Stenotrophomonas maltophilia, Klebsiella pneumoniæ productrice de carbapénémase, Enterobacter aerogenes, Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline et des entérocoques résistants à la vancomycine.»

En Espagne, ajoute le Dr Sánchez García, les intensivistes utilisent ce nouvel agent en antibiothérapie dirigée – c’est-à-dire lorsqu’ils savent exactement à quel micro-organisme ils ont affaire – dans environ 75 % des cas, et à titre empirique dans seulement 25 % des cas. Le traitement d’association est habituel dans les cas graves, car la tigécycline entre souvent en scène après l’échec d’autres antimicrobiens. «Les choses évoluent favorablement chez environ 63 % des patients dans un état critique; dans les autres cas, l’issue est indéterminée ou l’échec, patent. Le taux de mortalité atteint 41 % aux soins intensifs et grimpe à 54 % à l’échelle de l’hôpital», affirme le médecin.

Comme la tigécycline est actuellement prescrite à des patients grandement vulnérables et utilisée dans des conditions défavorables au SSI, «elle devrait se révéler utile chez les patients dans un état critique par suite d’infections causées par des germes multirésistants. Vu les taux élevés de résistance, elle peut également être considérée comme une solution de rechange à d’autres antimicrobiens et contribuer, dès lors, à diversifier la pression de sélection qu’exercent les antibiotiques», de conclure le Dr Sánchez García.

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