Comptes rendus

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Le point sur les schémas de préparation colique : le rôle de l’efficacité, de la tolérabilité et de l’innocuité de divers agents dans l’optimisation de l’observance

De nouvelles données sur les stratégies de prise en charge de la maladie de Crohn et de la colite ulcéreuse

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 9e Congrès de la European Crohn’s and Colitis Organisation (ECCO-IBD 2014)

Copenhague, Danemark / 20-22 février 2014

Copenhague - De nombreux essais cliniques ont montré l’utilité thérapeutique d’anticorps monoclonaux anti-TNF? comme l’infliximab et l’adalimumab dans la maladie de Crohn luminale et/ou fistulisante ou la colite ulcéreuse, tant en traitement d’induction qu’en traitement d’entretien. La possibilité de reproduire dans une pratique de gastroentérologie communautaire les bénéfices associés à ces traitements dans le cadre d’un essai clinique soulève toutefois des doutes. À en juger par une étude internationale menée en milieu communautaire et présentée au congrès ECCO-BID 2014, les résultats du recours à une démarche thérapeutique accélérée dans les centres universitaires peuvent effectivement être reproduits en conditions réelles. De nouvelles données provenant d’études de prolongation ont reconfirmé l’efficacité et l’innocuité à long terme des anti-TNF?, et il a été démontré qu’il était possible de repérer plus tôt les patients à risque accru de rechute durant le traitement d’entretien conformément aux recommandations cliniques actuelles.

Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec

 

Dans la maladie de Crohn (MC), les stratégies de traitement classiques – à savoir corticostéroïdes, antimétabolites et anti-TNFa – sont axées sur une intensification progressive et séquentielle du traitement en fonction des symptômes, mais elles se révèlent souvent inefficaces lorsque la maladie est modérée ou sévère. Il a été démontré chez des patients à risque élevé de rechute qu’en cas d’échec du traitement classique, une démarche reposant sur l’administration plus précoce d’une association d’immunosuppresseurs (démarche progressive accélérée) permettait d’induire et de maintenir la rémission, de faire une utilisation moindre de corticostéroïdes, et de favoriser la cicatrisation des ulcérations intestinales. Les gastroentérologues mettent toutefois un certain temps à adopter la démarche progressive accélérée, principalement parce qu’ils craignent que l’innocuité et l’efficacité des agents observées dans les essais cliniques ne soient pas représentatives de la réalité.

 

Démarche accélérée dans le traitement de la MC

 

L’un des faits saillants du congrès a été la présentation des résultats définitifs de l’essai REACT (Randomized Evaluation of an Algorithm for Crohn’s Treatment), ce dernier ayant montré que l’introduction plus précoce d’un traitement d’association en conditions réelles était possible, sûre et plus efficace que le traitement classique pour la prévention des complications de la maladie, des interventions chirurgicales et des hospitalisations (résumé OP004). Sous la direction du Dr Brian Feagan, président et directeur général de la recherche clinique, Robarts Research Institute, Western University, London, Ontario, l’essai communautaire avec randomisation par grappes réunissait 34 pratiques de gastroentérologie au Canada et 6 en Belgique. «Nous cherchions d’abord et avant tout à déterminer s’il était possible d’éliminer les craintes que suscite l’utilisation de ces médicaments en milieu communautaire», affirme le Dr Feagan. Les pratiques étaient randomisées de façon à appliquer une démarche progressive accélérée reposant sur le recours plus précoce à l’association de l’adalimumab et d’un antimétabolite (groupe expérimental) (Figure 1) ou la poursuite du traitement usuel dans la MC (groupe de traitement classique). Les patients pouvaient être inclus à n’importe quelle étape de l’algorithme de traitement accéléré. Les patients dont la maladie était active recevaient des corticostéroïdes et, contrairement aux patients recevant le traitement progressif usuel, ils recevaient l’association anti-TNFa (adalimumab en général) + azathioprine + méthotrexate si la maladie demeurait symptomatique après 4 semaines, selon le jugement du médecin. Dans chaque pratique, jusqu’à 60 adultes recrutés consécutivement étaient évalués pendant 24 mois. Au total, environ 900 patients ont reçu le traitement classique tandis qu’on a opté pour une intensification précoce du traitement immunosuppresseur chez plus d’un millier de patients.

Figure 1. Algorithme de traitement progressif accéléré

 

Les résultats de l’évaluation du paramètre principal – soit la proportion de patients en rémission sans corticostéroïdes (score Harvey-Bradshaw ≤4) à 12 mois – ont mis en évidence un léger avantage en faveur de la démarche progressive accélérée (66 %) comparativement à l’autre groupe (62 %). «Le pourcentage de patients a été systématiquement plus élevé dans le groupe expérimental pendant toute la durée du suivi, souligne le Dr Feagan. L’évaluation des paramètres secondaires, en revanche, fait ressortir un avantage très net.» Toujours dans le groupe recevant le traitement accéléré, les chercheurs ont enregistré une réduction statistiquement significative et cliniquement importante du risque relatif (HR) d’intervention chirurgicale (32 %) (Figure 2) et de complications (26 %) (Figure 3); de même, ils ont rapporté une réduction de 16 % du risque relatif (HR) d’hospitalisation. «L’évaluation des résultats selon le paramètre mixte regoupant les hospitalisations, les interventions chirurgicales et les complications a objectivé une différence nette entre les deux groupes», précise le Dr Feagan, le traitement accéléré ayant été associé à une réduction significative de 26 % du risque relatif (p<0,001). Ces résultats concordent avec ceux de l’essai CHARM, notamment la diminution du risque à 1 an d’hospitalisation et d’intervention chirurgicale sous adalimumab (vs placebo) dans une population beaucoup plus vulnérable, poursuit le Dr Feagan (Feagan BG et al. Gastroenterology 2008;135:1493-9).

Sur le plan de l’innocuité, question importante s’il en est, les deux groupes ne différaient pas, et le taux d’infections graves était faible, note le Dr Feagan. La quasi-totalité des décès ont été enregistrés chez des personnes âgées. «Il s’agit là d’un message important, enchaîne-t-il. «Il n’y a pas eu de décès chez les jeunes, et il n’y a pas eu beaucoup d’infections opportunistes. Tout cela est très positif.» Le recours à une démarche progressive accélérée en milieu communautaire soulevait justement des craintes quant au risque d’infection, dit-il. «Ces données laissent aussi entendre que la surveillance des symptômes n’est peut-être pas le meilleur moyen de suivre les patients et d’orienter le traitement dans la pratique, ajoute-t-il. Nous avons compris, je pense, que le traitement des symptômes est pure perte de temps dans cette maladie. Nous avons besoin de critères objectifs», affirme-t-il.

 

Un essai de suivi, REACT 2, de plan identique à celui du premier essai REACT et également dirigé par le Dr Feagan, regroupera un nombre moindre de pratiques et de patients : 15 pratiques et 40 patients par pratique. Dans ce nouvel essai, nous aurons recours à l’endoscopie pour évaluer le traitement accéléré. À notre avis, l’endoscopie permettra une différenciation beaucoup plus nette et objectivera un effet du traitement beaucoup plus marqué», enchaîne-t-il.

  

Figure 2.  Interventions chirurgicales chez les sujets de l’essai REACT

 

 

 

Figure 3.  Complications survenues chez les sujets de l’essai REACT

 

MC pédiatrique

 

Une nouvelle analyse de l’essai IMAgINE 1 présentée par la Dre Anne Griffiths, The Hospital for Sick Children, Toronto, a révélé que le tiers des enfants sous adalimumab qui prenaient des corticostéroïdes au début de l’essai étaient en rémission et n’en prenaient plus à 26 et à 52 semaines (résumé OP021). L’essai IMAgINE initial a été l’essai pivot qui a conduit à l’homologation de l’adalimumab pour le traitement de la MC chez l’enfant. Les patients dont le diagnostic de MC remontait à au moins 12 semaines et dont l’index PCDAI (Pediatric Crohn's Disease Activity Index) était >30 ont reçu en mode ouvert un traitement d’induction par l’adalimumab aux semaines 0 et 2 (dose en fonction du poids corporel) et ont été randomisés à 4 semaines de façon à recevoir à double insu soit une forte dose d’adalimumab (<40 kg, 20 mg toutes les 2 semaines (q2s); ≥40 kg, 40 mg q2s), soit une dose plus faible d’adalimumab (<40 kg, 10 mg q2s; ≥40 kg,  20 mg q2s), pendant 48 semaines. Parmi les 71 patients sous adalimumab qui recevaient des corticostéroïdes au départ, 26 % des sujets recevant la faible dose et 33 % des sujets recevant la dose plus forte sont parvenus à une rémission sans corticostéroïdes (PCDAI ≤10) à 26 semaines; à 52 semaines, ces pourcentages s’élevaient à 18 % et à 27 %, respectivement. La sévérité initiale de la maladie n’a pas semblé avoir d’effet sur les taux de rémission sans corticostéroïdes. «Les résultats ont été significativement meilleurs lorsque l’adalimumab était le premier anti-TNFa», note la Dre Griffiths. En effet, le pourcentage de patients en rémission parmi ceux qui recevaient de l’adalimumab à forte dose et qui n’avaient jamais été exposés à l’infliximab s’élevait à 52 % après  26 semaines et à 41 % après 52 semaines. L’intervalle précédant la rémission chez ces patients était inférieur à 3 mois. De l’avis de la Dre Griffiths, l’effet de l’adalimumab pourrait en fait avoir été plus marqué. «Du fait de problèmes liés au PCDAI, les résultats paraissent probablement plus modestes qu’ils ne le sont réellement, surtout dans le groupe déjà exposé à l’infliximab», fait-elle remarquer.

 

Innocuité à long terme dans la MC

 

Le suivi des sujets de l’essai IMAgINE 1 remonte maintenant à plus de 5 ans, et la plus récente analyse, présentée par le Dr Joel Rosh (Goryeb Children’s Hospital/Atlantic Health, Morristown, New Jersey, États-Unis), a révélé que l’adalimumab continuait d’être bien toléré chez les enfants aux prises avec une MC active modérée à sévère et qu’aucun nouveau problème d’innocuité n’avait été repéré (résumé P426). En date du 30 juin 2013, les chercheurs avaient accès aux données de 192 patients représentant 422,2 années-patients d’exposition, et la durée moyenne de l’exposition se chiffrait à 2,2 ans. Les effets indésirables (EI) et les effets indésirables graves (EIG) ayant mené à l’abandon étaient le plus souvent une aggravation de la MC. La plupart des infections opportunistes (7 cas) étaient des candidoses buccales non graves, et l’anémie était l’EI hématologique le plus fréquent (22 cas). Les chercheurs n’ont fait état d’aucun décès, d’aucune maladie démyélinisante, d’aucun cancer et d’aucun cas de tuberculose. Les taux d’EIG, d’EI et d’EI conduisant à l’abandon étaient significativement plus élevés chez les patients déjà exposés à l’infliximab que chez les patients n’y ayant jamais été exposés (p<0,001). Une infection grave a été signalée chez 22 (11,5 %) patients. Globalement, les taux d’EI corrigés en fonction de l’exposition étaient similaires chez les patients sous adalimumab, qu’ils aient reçu un immunomodulateur concomitant ou non, mais les EIG étaient plus nombreux parmi les patients qui recevaient des corticostéroïdes concomitants que chez ceux qui n’en recevaient pas, note le Dr Josh.

 

Prédiction de la rechute dans la MC

 

«Le dosage fécal de la calprotectine permet de prédire la rechute avec beaucoup d’exactitude chez un patient atteint de MC sous adalimumab», souligne la Dre Rocio Ferreiro, Hospital universitario Santiago de Compostela, Santiago, Espagne. À l’aide d’un test rapide (Quantum Blue®, Bühlmann), la Dre Ferreiro et ses collaborateurs ont mesuré la calprotectine fécale le jour de la première injection d’adalimumab chez 30 patients atteints de MC qui recevaient une dose standard continue de 40 mg q2s et qui étaient en rémission clinique depuis ≥6 mois (résumé P107). Après 4 mois de suivi, 70 % des patients étaient toujours en rémission clinique alors que 30 % avaient rechuté. La concentration initiale de calprotectine fécale était significativement plus élevée chez les patients qui avaient rechuté que chez ceux qui étaient demeurés en rémission (moyenne de 803 vs 95 μg/g; p<0,005). La possibilité de prédire la rechute à l’aide du dosage de ce biomarqueur non invasif pourrait ouvrir la porte à une intensification précoce du traitement chez ces patients, estime la Dre Ferreiro.

 

CU modérée à sévère

 

À en juger par une étude présentée par le Dr Walter Reinisch (département de médecine, McMaster University), on observe, parmi les patients sous adalimumab qui souffrent de CU active, des taux plus élevés d’hospitalisation subséquente liée à la CU chez ceux dont les sous-scores Mayo sont de 2 ou 3 comparativement à ceux dont les sous-scores Mayo sont de 0 ou 1 (résumé P552). L’étude regroupait plus de 400 sujets des études ULTRA 1 ou ULTRA 2 et dont les sous-scores Mayo étaient connus à 8 semaines. Dans ces deux essais d’envergure avec randomisation, l’adalimumab (160/80 mg aux semaines 0/2, puis 40 mg q2s) s’est révélé efficace pour induire et maintenir la rémission jusqu’à 52 semaines chez les patients atteints de CU active modérée à sévère (Reinisch W et al. Gut 2011; 60:780-7; Sandborn WJ et al. Gastroenterology 2012;142:257-65). Le traitement par l’adalimumab – comparativement au placebo – a été associé à une réduction significative du risque d’hospitalisation toutes causes confondues, d’hospitalisation imputable à la CU ou d’hospitalisation imputable à la CU ou au traitement médicamenteux (Feagan BG et al. Gastroenterology 2014;146:110-8). Selon la plus récente analyse des essais ULTRA 1 et 2, le risque d’hospitalisation imputable à la CU était significativement corrélé avec les sous-scores Mayo pour les rectorragies, l’évaluation globale du médecin et l’endoscopie. Des résultats similaires ont été observés pour le taux total d’hospitalisations imputables à la CU et d’hospitalisations toutes causes confondues.

 

Plus de la moitié (58 %) des sujets des essais ULTRA 1 et ULTRA 2 participent à l’étude de prolongation ouverte, ULTRA 3, dans laquelle ils reçoivent 40 mg d’adalimumab q2s ou 1 fois/semaine. La plus récente des analyses de l’essai ULTRA 3, présentée par le Dr Jean-Frédéric Colombel, Icahn School of Medicine, Mount Sinai Medical Center, New York, a montré que les taux de rémission et de cicatrisation de la muqueuse se maintenaient à 51 % et à 46 %, respectivement, pendant une période pouvant atteindre 4 ans, que le profil d’innocuité était stable et qu’aucun nouveau problème d’innocuité n’avait été signalé (résumé P571).

 

Résumé

 

Les données présentées au congrès montrent qu’une démarche progressive accélérée est une pratique optimale dans le traitement d’une MC active et devraient rassurer les gastroentérologues communautaires. Les études de prolongation sur les anti-TNFa dans la MC et la CU continuent de confirmer l’efficacité et l’innocuité à long terme du traitement par l’adalimumab.  

 

 

 

 

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