Comptes rendus

Forces relatives et utilisation clinique des inhibiteurs de l’entrée par le corécepteur CCR5
Stratégies et solutions simples pour remédier aux carences nutritionnelles courantes chez les nourrissons et les enfants

En quête de l’association d’INTI optimale dans le traitement de première intention de l’infection à VIH : le pour et le contre des choix actuels

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

NOVELLES FRONTIÈRES - La XVIIIe Conférence internationale sur le SIDA (IAS)

Vienne, Autriche / 18-23 juillet 2010

Les associations d’inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) les plus utilisées en première intention sont l’abacavir plus la lamivudine (ABC+3TC) et le ténofovir plus l’emcitrabine (TDF+FTC). Dans la plupart des guides de pratique, les deux sont recommandées dans le cadre d’un schéma auquel se greffe un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI), tel l’éfavirenz, ou un inhibiteur de la protéase, tel l’atazanavir, potentialisé par le ritonavir. Cela dit, les INTI diffèrent considérablement quant à leurs effets sur le fonctionnement à long terme des systèmes d’organes maintenant reconnus comme étant les plus vulnérables au vieillissement accéléré, notamment l’appareil cardiovasculaire (CV), l’appareil rénal, les os et le cerveau.

«La parution des résultats d’une étude portant sur des sujets infectés par le VIH qui avancent en âge risque de centrer toute l’attention sur le problème évalué dans le cadre de cette étude, mais il faut en fait soupeser l’ensemble des risques», souligne le Dr David Hardy, UCLA AIDS Institute, University of California, Los Angeles. Ayant participé à l’un des nombreux symposiums du congrès sur la question, le Dr Hardy ne doute plus que l’évolution des maladies CV soit accélérée chez les sujets infectés par le VIH, tout comme celle de la dysfonction rénale, de la perte osseuse menant à l’ostéoporose et du déclin cognitif, mais ces risques ne sont pas identiques chez tous les patients.

Le même argument a été mis de l’avant lors d’un symposium intitulé «Double-Edged Sword», qui visait à démontrer que les schémas anti-VIH sauvent peut-être des vies mais qu’ils exposent aussi les patients à des risques variables d’atteinte d’organes spécifiques. Lors de ce symposium, on a demandé à quatre experts d’évaluer le risque de maladies CV, d’ostéoporose, d’insuffisance rénale et de démence. Dans chaque cas, les données indiquent sans l’ombre d’un doute que l’infection à VIH est un facteur de risque indépendant de dysfonction progressive et que les antirétroviraux (ARV) exercent une influence variable sur le risque.

Maladies cardiovasculaires et insuffisance rénale

De ces maladies, les maladies CV sont celles qui ont généré le plus d’attention, probablement parce qu’elles viennent au deuxième rang des causes de mortalité chez les patients infectés par le VIH, derrière les maladies du foie. En présence du VIH, comme en son absence, le vieillissement est un important facteur de risque des maladies CV, mais la survenue beaucoup plus précoce d’événements CV chez les sujets infectés par le VIH est probablement multifactorielle. À des taux plus élevés de facteurs de risque comme le tabagisme s’ajoutent un état inflammatoire associé à l’infection à VIH ainsi que l’utilisation d’ARV qui exacerbent le risque en perturbant le métabolisme lipidique. L’état pro-inflammatoire résultant d’une non-maîtrise de l’infection montre clairement que le traitement ARV est une arme à double tranchant.

«Les ARV diminuent la charge virale et, ce faisant, ils atténuent probablement l’inflammation, ce qui devrait réduire le risque CV, mais chez certains patients, le traitement peut aussi exercer des effets indésirables comme une hyperlipidémie ou une hyperinsulinémie et un diabète, de sorte que le bénéfice net pourrait être moindre, voire nul», explique le Dr Georg M. N. Behrens, Division d’immunologie clinique, Medizinische Hochschule Hannover, Allemagne. Notant que l’insuffisance rénale est également un facteur de risque CV, le Dr Behrens indique qu’aucun risque relatif (RR) ne devrait être considéré isolément.

Il s’agit là d’un virage important, car les risques possibles des INTI ont souvent été évalués isolément. La décision controversée du Department of Health and Human Services (DHHS) aux États-Unis – à savoir, de conférer au duo ABC+3TC le statut de solution de rechange au duo TDF/FTC – n’a pas été reprise par d’autres organismes importants, dont l’EACS (European AIDS Clinical Society). Cette décision était fondée en partie sur la base de données européenne D:A:D, selon laquelle l’ABC est associé à un risque CV accru. Pourtant, l’incidence accrue d’événements CV n’a pas été observée systématiquement dans toutes les études, et ce changement dans les recommandations ne tient pas compte de certains effets toxiques des INTI de rechange, dont le TDF, qui ont aussi un impact sur le risque CV. Chez les patients qui avancent en âge, la progression de l’insuffisance rénale est un autre facteur de risque CV, pour ne citer que cet exemple.

Dans son analyse du risque d’insuffisance rénale en présence de l’infection à VIH, le Dr Mohamed G. Atta, directeur, DaVita Health Care Dialysis Center, Johns Hopkins University, Baltimore, Maryland, indique que le risque initial est un facteur clé à considérer. Bien que le TDF soit reconnu pour être une cause importante d’insuffisance rénale, les données de son centre ont objectivé «un déclin beaucoup plus marqué chez les patients sous TDF après l’âge de 45 ans». Soulignant par ailleurs que le risque d’insuffisance rénale est plus élevé chez les patients ayant déjà un faible taux de filtration glomérulaire, il est lui aussi revenu au concept de l’arme à double tranchant : le risque d’insuffisance rénale associé à la progression d’une infection à VIH non traitée est probablement plus élevé que le risque associé au traitement.

Il en va de même pour les maladies CV. Si le Dr Atta qualifie le TDF de toxine pour les tubules rénaux proximaux, aucun mécanisme clair ne sous-tend un risque CV dans le cas de l’ABC. Comme le souligne le Dr Behrens, au moins quatre études n’ont pas réussi à associer cet agent à une exacerbation de l’inflammation, et l’ABC ne perturbe pas le métabolisme lipidique de manière significative. Si l’ABC augmente effectivement le risque CV, les facteurs de risque initiaux sont peut-être aussi très importants. En fait, ce ne sont pas toutes les études qui ont montré un lien. Ainsi, aucun lien n’est ressorti de la méta-analyse récente qui portait sur 29 essais comparatifs avec randomisation (N=9611), ce qui soulève des questions sur la prise en compte des biais dans des études de cohorte comme D:A:D.

«Certains ont fait état de facteurs de confusion possibles qui n’avaient pas été pris en compte dans l’étude D:A:D, notamment le fait que l’ABC avait surtout été prescrit à des patients présentant un syndrome métabolique, une lipoatrophie, une dyslipidémie, une insuffisance rénale et une maladie coronarienne», fait remarquer l’auteur principal de la méta-analyse, le Dr Mario Cruciani, Clinique ambulatoire pour l’infection à VIH, Vérone, Italie. Le RR d’infarctus du myocarde était plus faible chez les patients sous ABC que chez les patients recevant un autre INTI ou un placebo, quoique l’écart n’ait pas été significatif (RR de 0,74; IC à 95 % : 0,39-1,42; p=0,36), souligne-t-il. Ces résultats devraient être plus fiables qu’une analyse de cohorte, car les patients ont été assignés aléatoirement aux groupes de traitement.

Ostéoporose et déclin cognitif

Cependant, le risque global d’issue indésirable associée à l’infection à VIH ou à ses traitements pourrait ne pas être aussi important que le RR. Dans son analyse du risque d’ostéoporose, le Dr Paddy Mallon, expert-conseil en maladies infectieuses, Mater Misericordiae University Hospital, Dublin, Irlande, estime à la lumière des études publiées que 50 % des patients infectés par le VIH présentent une faible densité minérale osseuse (DMO) et que le risque accru de fracture osseuse semble fortement lié à l’âge. C’est aussi le cas dans la population générale, mais l’âge est beaucoup moins avancé chez les patients infectés par le VIH.

«En l’absence d’infection à VIH, la prévalence des fractures monte en flèche vers l’âge de 60 ou 70 ans, alors qu’en présence de l’infection, cette augmentation survient beaucoup plus tôt», enchaîne le Dr Mallon. Là encore, le VIH semble à lui seul contribuer à la perte de DMO. La maîtrise de l’infection à VIH est donc une priorité, mais certains traitements peuvent exacerber le problème, ce qui, de nouveau, fait du traitement une arme à double tranchant.

L’un des problèmes réside dans le fait que les changements indésirables du remodelage osseux sont exacerbés par l’insuffisance rénale, laquelle est liée à la résistance des os à l’action calcémiante de la parathormone, à la perturbation du métabolisme de la vitamine D et à la rétention de phosphates. Ici encore, le risque d’ostéopénie cliniquement significative varie largement d’un patient à l’autre selon la DMO initiale, les habitudes de vie comme la sédentarité et la présence d’une maladie rénale.

Au chapitre du déclin cognitif, l’infection à VIH en tant que telle semble être un facteur de risque clé, mais la capacité des agents actuels de pénétrer dans le liquide céphalorachidien pourrait influer grandement sur le risque d’apparition de symptômes cliniques, explique le Dr Victor Valcour, Département de neurologie, University of California, San Francisco. Bien que le choix du traitement ne soit pas un dilemme à double tranchant à ce chapitre, le déclin cognitif associé à l’infection à VIH est à son avis une «épidémie silencieuse». Le risque initial de chaque patient et le choix du traitement pourraient de nouveau être d’importants déterminants des manifestations cliniques.

Résumé

Lorsque vient le moment de choisir une association d’INTI, le RR d’atteinte des systèmes d’organes doit être évalué chez chaque patient. La maîtrise de l’infection à VIH étant essentielle à la survie, un traitement efficace est LA priorité. Cela dit, on doit aussi tenir compte du risque cumulatif à long terme d’effets indésirables lorsqu’on choisit le traitement. Côté INTI, le rôle relatif des duos ABC+3TC et TDF+FTC repose sur la compréhension de la fonction initiale des divers systèmes d’organes. Les deux associations sont efficaces et bien tolérées, mais elles ne sont pas interchangeables. Si les données présentées récemment par la CANOC (Canadian Observation Cohort Collaboration) ont confirmé que le duo ABC+3TC était aussi efficace que le duo TDF+FTC dans le traitement de première intention de l’infection à VIH encore jamais traitée, le choix de l’association d’INTI devrait être individualisé en fonction de son innocuité globale pour chacun des systèmes d’organes à risque.

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