Comptes rendus

Le point sur les stratégies d’abandon du tabac traditionnelles et novatrices
Au-delà la maîtrise de l’hypertension, pour une diminution optimale du risque d’AVC

Hémorragie intracérébrale : progrès thérapeutiques réels en perspective

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

31e Conférence internationale sur les AVC

Kissimmee, Floride / 16-18 février 2006

Bien que nous ayons maintenant des stratégies pour le traitement en aigu des AVC ischémiques, il n’existe aucun traitement autre que les soins de soutien pour l’hémorragie intracrânienne aiguë. Cela représente une lacune importante dans le traitement des AVC, car le pronostic de l’hémorragie intracrânienne est pire que celui de l’AVC ischémique. Jusqu’à 50 % des patients meurent moins d’un mois après une hémorragie intracérébrale aiguë et seulement 20 % environ des patients se rétablissent au point d’être autonomes. Il n’y a pas si longtemps, on ne savait pas avec certitude si l’administration d’un traitement après une hémorragie intracérébrale pouvait prévenir ou atténuer l’incapacité. Comme de plus en plus de données montrent que les lésions s’aggravent pendant la phase aiguë, les chercheurs s’intéressent aux agents hémostatiques ou à d’autres agents qui pourraient prévenir ou atténuer l’incapacité en circonscrivant l’hémorragie rapidement.

Expansion de l’hématome, issue plus défavorable

«L’expansion de l’hématome et le volume initial de ce dernier sont des facteurs déterminants de première importance pour l’issue d’une hémorragie intracrânienne. L’expansion de l’hématome est donc une cible importante des interventions thérapeutiques», affirme le Dr Stephen Davis, Royal Melbourne Hospital, University of Melbourne, Parkland, Australie. «Comme l’issue dégénère lorsque l’hématome s’étend, la diminution ou la prévention de cette expansion est une stratégie importante pour le traitement de l’hémorragie intracrânienne.»

L’analyse des données colligées de quatre études a généré des preuves solides à l’appui de la progression continue de l’hémorragie intracérébrale pendant la phase aiguë et, partant, du risque accru de morbidité et de mortalité. L’une de ces études (n=103) était conçue pour évaluer le lien entre l’expansion précoce de l’hématome et la détérioration neurologique, alors que les trois autres études (n=115) s’inscrivaient dans la recherche clinique précoce sur le facteur VIIa recombinant (rFVIIa), agent hémostatique en développement pour le traitement de l’hémorragie intracérébrale. Ces dernières études avaient pour objectif premier d’établir une dose sûre et efficace de l’agent. Dans toutes les études, l’hémorragie intracrânienne était confirmée par la tomodensitométrie (TDM) dans les trois heures suivant l’apparition des symptômes. À l’aide des clichés de TDM subséquents, des neuroradiologues indépendants calculaient le volume de l’hématome selon des techniques numériques de planimétrie multicoupe. L’état fonctionnel était déterminé d’après le score de Rankin modifié et l’index de Barthel dans les protocoles de suivi, lesquels différaient légèrement d’une étude à l’autre. «L’hématome avait pris une certaine expansion chez 72,9 % des patients inclus. L’augmentation globale du volume de l’hématome par rapport au cliché initial de TDM se chiffrait à 41,3%», précise le Dr Davis.

Résultats de l’analyse des données colligées

La variation absolue du volume était en moyenne de 6,9 mL, et la variation relative du volume constituait un marqueur pronostique sensible. Plus précisément, chaque augmentation de 1 mL du volume de l’hématome par rapport au volume initial correspondait à une augmentation de 1 % du risque de mortalité, à une augmentation de 6 % de la probabilité de détérioration de 1 point sur l’échelle de Rankin modifiée (sur une échelle en six points, où 0 signifie l’absence d’incapacité et 6, la mort) et une augmentation de 6 % de la probabilité d’une diminution de l’autonomie selon l’index de Barthel. Certes, les mesures initiales étaient aussi prédictives de la mortalité et de la morbidité, mais l’expansion subséquente du volume de l’hémorragie intracérébrale contribuait de façon substantielle à l’issue finale.

Les piètres résultats observés dans cette analyse colligée soulignent la nécessité d’un traitement pour freiner la progression de l’hémorragie intracérébrale. La quasi-totalité des patients présentaient une certaine incapacité et 65,6 % avaient un score Rankin modifié de 4 (marche et fonctions corporelles impossibles sans aide) ou de 5 (alitement permanent et incontinence).

De l’avis du Dr Davis, cette analyse de données colligées semble indiquer que les décisions cliniques devraient tenir compte à la fois du volume initial et des signes d’expansion de l’hématome. Les résultats de l’analyse viennent aussi ajouter du poids aux données montrant que l’expansion de l’hématome pendant la phase aiguë de l’hémorragie intracérébrale est un facteur contributif indépendant d’une piètre issue clinique. D’un point de vue clinique, il estime que les résultats combinés de cette analyse sont importants parce qu’ils «montrent que l’hémorragie intracérébrale, tout comme l’AVC ischémique, est un processus dynamique continu et qu’un traitement précoce qui limiterait le volume de l’expansion améliorerait l’issue clinique».

Effets négatifs des complications sur l’issue

Dans le cadre d’une étude canadienne, des chercheurs ont tenté d’évaluer l’effet de complications survenant à l’hôpital sur l’issue clinique. L’étude visait à évaluer les données recueillies chez tous les patients hospitalisés pour une hémorragie intracérébrale dans 12 établissements de soins aigus en Ontario. Ces chercheurs ont fait une analyse rétrospective des données recueillies jusqu’à la sortie de l’hôpital pour identifier toutes les complications, dont une aggravation de l’AVC, un nouvel AVC, une ischémie cérébrale transitoire, des crises convulsives et des événements non neurologiques comme un infarctus du myocarde. Les complications évitables se définissaient comme une thrombophlébite profonde, une embolie, des chutes, des infections et des ulcères cutanés.

Parmi les 678 patients ayant reçu un diagnostic d’hémorragie intracérébrale, on a enregistré une aggravation neurologique dans 33,7 % des cas, des complications non neurologiques dans 8,1 % des cas et des complications évitables dans 22,1 % des cas. Lorsqu’on comparait ces patients, toutes complications confondues, aux patients n’ayant pas eu de complications, la différence – en faveur de l’absence de complications – entre les médianes du score neurologique canadien était hautement significative (6,0 vs 9,5; p<0,0001).

«L’analyse de régression a révélé que les complications prolongeaient la durée du séjour à l’hôpital de 11,3 jours. Chez les patients qui avaient eu des complications, on a noté des déficits neurologiques plus sévères à la sortie de l’hôpital, une probabilité moindre de retour à la maison après l’hospitalisation et un taux de mortalité plus élevé», explique la Dre Leanne Casaubon, University of Toronto, Ontario. Un grand nombre de ces différences étaient hautement significatives. Par exemple, seulement 9,8 % des patients ayant eu des complications vs 50,5 % des patients n’en ayant pas eu sont rentrés à la maison après l’hospitalisation (p<0,0001). Le taux de mortalité était environ trois fois plus élevé chez les patients ayant eu des complications (52,8 %) que chez les patients n’en ayant pas eu (16,8 %) (p<0,0001).

Prévention de l’aggravation neurologique

Outre les complications que l’on a définies comme évitables dans cette étude, la Dre Casaubon indique qu’au moins une partie de l’aggravation neurologique aurait pu être évitée si un traitement efficace pouvant freiner l’expansion de l’hématome avait été administré. Bien que l’on ne puisse pas déterminer avec certitude quelle proportion de ces patients dont l’état neurologique s’était aggravé auraient été aptes à recevoir un agent hémostatique comme le rFVIIa dans le cadre de cette étude, la Dre Casaubon précise que les efforts actuels pour mettre au point des agents hémostatiques sont prometteurs et qu’ils pourraient permettre de réduire le volume de l’AVC chez ces patients.

Dans les faits, les études cliniques sur le rFVIIa progressent rapidement. Les études de validation du concept et de détermination de la dose étant maintenant terminées, une étude de phase III est en cours. On aspire à recruter environ 675 patients pour l’étude multicentrique FAST (Recombinant Factor VIIa in Acute Intracerebral Hemorrhage). Tous les participants doivent se soumettre à un examen TDM au départ afin que l’hémorragie intracérébrale puisse être confirmée dans les trois heures suivant l’apparition des symptômes. Après randomisation, les patients reçoivent 20 µg/kg de rFVIIa, 80 µg/kg de rFVIIa ou un placebo. Le traitement doit être administré au cours de l’heure suivant l’examen TDM et au plus quatre heures après l’apparition des symptômes. Le critère de jugement principal de cette étude – qui regroupe des hommes et des femmes de plus de 18 ans – est le score Rankin modifié à 90 jours.

«Nous évaluerons plusieurs critères de jugement secondaires clés de l’efficacité, et ceux-ci devraient nous donner une bonne idée de l’ensemble du tableau clinique. Ces critères secondaires sont notamment la variation absolue et en pourcentage du volume de l’hématome telle que mesurée par des clichés de TDM au départ et à 24 heures, et la variation absolue et en pourcentage du volume lésionnel total», explique le Dr Stephan Mayer, Columbia University College of Physicians and Surgeons, New York, New York. Les autres critères secondaires sont l’index de Barthel à 90 jours et la mortalité. Enfin, l’innocuité du traitement sera surveillée jusqu’à 90 jours ou jusqu’à la sortie de l’hôpital, selon la première de ces éventualités. Données concluantes des premiers essais

Les essais qui ont précédé et étayé l’étude de phase III se sont avérés très encourageants. Résumant ces données, le Dr Mayer précise que l’augmentation du volume de l’hématome intracérébral par rapport au volume initial chez les patients qui recevaient des doses variant entre 40 µg/kg et 160 µg/kg n’était que de 4,2 mL vs 8,7 mL dans le groupe placebo (p=0,01). Cette protection relative contre l’expansion du volume de l’hématome a été associée à une amélioration de l’issue au cours du suivi de 90 jours. «À 90 jours, 69 % des patients du groupe placebo étaient morts ou présentaient une incapacité sévère, celle-ci étant définie par un score Rankin modifié de 4 ou plus, vs 53 % des patients qui avaient reçu le rFVIIa [p=0,004]. En outre, la probabilité d’atteindre un score Rankin modifié de 1 ou moins était 2,6 fois plus élevée chez les patients qui avaient reçu 80 µg/kg que chez ceux qui avaient reçu un placebo [21 % vs 8 %]», souligne le Dr Mayer.

Lors de ces essais, le traitement actif a été bien toléré, mais ces données ont récemment fait l’objet d’une nouvelle analyse après que plusieurs cas isolés de thrombo-embolie aient été signalés chez des patients ayant reçu le rFVIIa pour des indications non approuvées. En raison de leur mode d’action, les agents hémostatiques comme le rFVIIa peuvent généralement augmenter le risque de thrombose. Dans les cas cliniques isolés, par contre, l’analyse du lien entre l’effet indésirable et le rFVIIa a ses limites en raison du manque de données sur les autres causes possibles, les facteurs de confusion et le nombre de personnes exposées au rFVIIa pour une indication particulière non approuvée. Lorsque les données des essais comparatifs ont été analysées de nouveau, on n’a observé aucun risque accru de thrombo-embolie aux doses qui seront vraisemblablement utilisées cliniquement. Par exemple, le taux d’événements thrombo-emboliques était de 5,2 % dans le groupe placebo, de 7,3 % aux doses de 5 µg/kg à 40 µg/kg et de 5,7 % à la dose de 80 µg/kg. Le taux d’événements thrombo-emboliques grimpait à 11,3 % chez les patients qui recevaient 120 µg/kg à 160 µg/kg, ce qui semble indiquer un certain lien avec la dose, mais cet éventail posologique n’est pas inclus dans l’étude de phase III. De plus, la mortalité à 90 jours dans ces essais était de 27 % dans le groupe placebo, de 18 % chez les patients recevant le rFVIIa à une dose variant entre 5 µg/kg et 40 µg/kg, de 16 % à la dose de 80 µg/kg et de 20 % à une dose variant entre 120 µg/kg et 160 µg/kg. Lorsque les données sur le rFVIIa ont été regroupées, le taux de mortalité de 18 % dans les groupes de traitement actif était significativement plus faible que dans le groupe placebo (p=0,0264).

Comme le souligne le Dr Michael N. Diringer, Washington University School of Medicine, St. Louis, Missouri, «la fréquence des événements artériels était significativement plus élevée dans le groupe 160 µg/kg que dans le groupe placebo, ce qui donne à penser que, chez les sujets âgés présentant des facteurs de risque de l’athérosclérose, une dose plus élevée – bien qu’elle réduise la mortalité totale – pourrait augmenter le nombre d’événements thrombo-emboliques. Cependant, malgré ces risques théoriques, aucune différence significative n’a été signalée sur le plan des effets indésirables entre les patients recevant une dose plutôt faible de rFVIIa et les patients recevant un placebo. Au chapitre des thrombophlébites profondes et des embolies pulmonaires, on n’a signalé aucune différence entre les groupes, y compris entre la dose la plus élevée de rFVIIa et le placebo.»

Économies potentielles

Il est ressorti d’une analyse des coûts fondée sur une étude de phase IIb que le traitement actif offrirait non seulement un bon rapport coût-efficacité, mais aussi qu’il pourrait permettre des économies dans le cadre d’un régime public d’assurance maladie. «Les hémorragies intracérébrales sont extrêmement coûteuses en raison de la proportion élevée de patients qui en ressortent handicapés. Les traitements efficaces qui réduisent le risque d’incapacité offrent d’énormes possibilités pour ce qui est de diminuer l’utilisation des ressources du système de santé», affirme la Dre Stephanie R. Earnshaw, RTI Health Solutions, Research Triangle Park, Caroline du Nord.

La Dre Earnshaw, auteure principale de cette analyse de coûts, a évalué l’effet des doses de 40 µg/kg et de 80 µg/kg sur la prise en charge du patient en calculant les coûts de la pharmacothérapie, de l’hospitalisation, des visites en externe, de l’équipement médical durable, des soins à domicile et des soins infirmiers de réadaptation. Elle a établi que le coût par année-personne sans invalidité (QALY, pour quality-adjusted life-year) de traitement par le rFVIIa à 40 µg/kg, par rapport au placebo, était de 5769 $US, ce qui est bien inférieur au coût de 50 000 $ généralement considéré comme un point de repère pour déterminer si le rapport coût-efficacité est favorable. Pour la dose de 80 µg/kg, on a noté une économie de 5866 $. Ce dernier résultat est digne de mention, parce qu’il est assez inhabituel dans les analyses coût-efficacité qu’un traitement permette des économies.

«Une analyse de sensibilité des cas extrêmes a généré une borne supérieure de 17 585 $ par QALY pour la dose de 40 µg/kg et de 3094 $ par QALY pour la dose de 80 µg/kg», précise la Dre Earnshaw, qui insiste sur les bienfaits potentiels à long terme d’un traitement efficace pour l’hémorragie intracérébrale. Bien que nous ayons besoin d’autres données pour explorer plus à fond le potentiel du rFVIIa comme traitement médicamenteux initial dans l’hémorragie intracérébrale, cette étude de phase III a suscité beaucoup d’intérêt compte tenu des risques de ce type d’AVC et des options thérapeutiques actuellement fort restreintes.

Résumé

De nouvelles données ont confirmé que les hémorragies intracérébrales progressent après l’événement initial, ce qui augmente le risque de mortalité et d’incapacité. Un traitement efficace pourrait donc améliorer l’issue de façon substantielle s’il était administré assez tôt dans l’évolution du processus morbide. À l’heure actuelle, on ne dispose d’aucun traitement à part les soins de soutien pour traiter une hémorragie intracérébrale aiguë. Les résultats prometteurs que l’on a obtenus avec le rFVIIa lors des études de validation du concept et de détermination de la dose nous permettent d’espérer que l’étude de phase III en cours confirmera l’utilité clinique de cet agent hémostatique. En raison des coûts énormes de l’incapacité permanente secondaire à l’hémorragie intracérébrale, un traitement qui pourrait en limiter les dégâts représenterait un progrès clinique de taille.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.