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Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Congrès de la Société européenne de cardiologie de 2008

Munich, Allemagne / 30 août-3 septembre 2008

L’étude en deux volets GISSI-HF (Gruppo Italiano per lo Studio della Sopravvivenza nell’Infarto miocardico-Heart Failure) a généré de nouvelles données cliniques. Certes, aucun des deux volets ne devrait avoir d’énormes retombées sur la pratique clinique, mais les résultats jettent un éclairage nouveau sur la physiopathologie de l’insuffisance cardiaque (IC) et enrichissent nos connaissances sur les possibilités de traitement lorsqu’une maladie cardiovasculaire (CV) atteint la phase terminale.

Dans un volet de l’étude, la rosuvastatine a été comparée à un placebo chez des patients souffrant d’IC. La rosuvastatine, pourtant très efficace en monothérapie pour abaisser le taux de LDL, n’a pas réussi à améliorer l’issue clinique chez des patients souffrant d’IC chronique, ce qui montre de façon très convaincante que les événements liés à l’IC ne découlent pas de processus thrombotiques. Dans l’autre volet de l’étude GISSI-HF, les acides gras polyinsaturés (PUFA) oméga-3 ont réduit le risque d’événement par rapport à un placebo, mais les bénéfices ont été modestes.

«Bien que les statines abaissent le taux de C-LDL, qu’elles soient bien tolérées et qu’elles semblent raisonnablement sûres, elles n’améliorent pas la survie de façon marquée chez les patients souffrant d’IC chronique», affirme le Dr Gregg C. Fonarow, Ahmanson-UCLA Cardiomyopathy Center, Los Angeles, Californie. Dans un éditorial où il commentait les résultats de l’étude GISSI-HF publiés dans le même numéro du New England Journal of Medicine (Investigateurs de GISSI-Heart Failure. N Engl J Med 2008;359: publication en ligne avant impression), le Dr Fonarow a exprimé une opinion que partageaient plusieurs commentateurs présents au congrès de la Société européenne de cardiologie (SEC), où les résultats définitifs ont été divulgués en même temps que leur publication.

Résultats des études GISSI-HF et CORONA

Le bénéfice attendu s’appuyait sur des publications antérieures ayant démontré que le traitement hypolipidémiant fortement dosé avait amélioré la fonction ventriculaire, la progression de l’IC et l’issue clinique en présence d’IC. GISSI-HF est cependant la deuxième étude prospective, multicentrique et comparative de grande envergure à ne pas montrer que le traitement hypolipidémiant est associé à un bénéfice. Dans l’essai précédent, intitulé CORONA (Controlled Rosuvastatin Multinational Trial in Heart Failure), 5011 patients présentant une IC de classe II à IV selon la New York Heart Association (NYHA), une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) <40 % et des antécédents de maladie CV ischémique ont été randomisés de façon à recevoir 10 mg de rosuvastatine ou un placebo. Après un suivi d’une durée médiane de 33 mois, les auteurs n’ont observé aucun avantage significatif de la statine sur le plan du paramètre mixte, soit un décès d’origine CV ou un événement coronarien non mortel, comme un infarctus du myocarde (IM), ou un AVC non mortel.

Dans le cadre de l’étude GISSI-HF, 4574 patients souffrant d’IC de classe II à IV selon la NYHA, peu importe la cause de l’IC ou leur FEVG, ont reçu aléatoirement 10 mg de rosuvastatine ou un placebo (Figure 1).

Figure 1. Plan de l’étude GISSI-HF


Le suivi – d’une durée médiane de 3,9 ans – n’a objectivé aucune différence significative entre les deux groupes quant au paramètre principal, soit l’intervalle précédant le décès ainsi que l’intervalle précédant le décès ou l’hospitalisation pour cause d’événement CV. Les auteurs de cette étude, comme ceux de l’étude CORONA d’ailleurs, insistent sur l’innocuité et la bonne tolérabilité de la rosuvastatine, même chez les patients souffrant d’IC avancée, mais ils en sont néanmoins venus à la conclusion que l’IC ne pouvait pas être considérée comme une indication de traitement.

«Couplés aux résultats de l’étude CORONA, nos résultats prouvent que le traitement hypolipidémiant par la rosuvastatine à raison de 10 mg/jour n’améliore pas l’issue chez les patients souffrant d’IC chronique, quels que soient l’âge du patient, la cause de l’IC ou la qualité de la fonction systolique», souligne le Dr Gianni Tognoni, Consorzio Mario Negri Sud, Chieti, Italie. «Ces données semblent indiquer que les décès découlant de l’IC ne dépendent pas étroitement des mécanismes pathogènes que la rosuvastatine modifie» (Figure 2).

Plusieurs analyses rétrospectives d’essais d’envergure semblaient indiquer que les statines pourraient être bénéfiques chez les patients souffrant d’IC, mais ces analyses n’ont fait que générer des hypothèses. Les résultats de l’étude GISSI-HF montrent une fois de plus que les études d’observation et les analyses rétrospectives, quel qu’en soit le type, ne permettent pas de tirer de solides conclusions sur l’efficacité d’un médicament, peu importe les ajustements statistiques effectués.

Analyse des résultats

L’absence d’un bénéfice dans l’étude GISSI-HF est particulièrement concluante du fait que l’agent à l’étude était la rosuvastatine. Non seulement cette statine est-elle la plus efficace pour abaisser le taux de LDL, mais elle est aussi reconnue pour exercer un effet pléiotrope qui pourrait modifier le risque de progression de l’IC. Les effets antifibrotique, anti-oxydant et anti-inflammatoire pourraient à leur tour améliorer la fonction endothéliale, inhiber l’activation neurohormonale et prévenir les arythmies cardiaques. Dans le cadre de l’étude GISSI-HF, la rosuvastatine a abaissé, en moyenne, le taux de LDL de 32 % la première année et de 27 % au fil des trois années de suivi. Dans un sous-groupe où l’on a dosé la protéine C-réactive de haute sensibilité (hsCRP), on a enregistré une baisse significative de ce marqueur de l’inflammation chez les patients sous rosuvastatine, par rapport aux valeurs initiales et aux témoins sous placebo (p=0,0195). Malgré cette action anti-inflammatoire, par contre, on n’a observé aucune protection substantielle contre les événements par rapport au placebo.

Plusieurs experts présents au congrès ont dit craindre que les résultats du groupe rosuvastatine dans l’étude GISSI-HF soient perçus à tort comme le signe d’une faiblesse des statines. Le Dr Philip Poole-Wilson, professeur titulaire de cardiologie, Imperial College, Londres, Royaume-Uni, a principalement conclu de son évaluation formelle de l’étude GISSI-HF – qu’il a faite à la demande de la SEC – que malgré l’absence d’un bénéfice sur le plan de l’IC, «les patients coronariens doivent recevoir un traitement hypolipidémiant».

À la lumière de données probantes et irréfutables, nous pouvons affirmer sans l’ombre d’un doute que la rosuvastatine et d’autres statines sont très efficaces pour prévenir la progression jusqu’au stade où la fonction pompe est suffisamment altérée pour générer une IC, déclare le Dr Poole-Wilson. Les résultats de GISSI-HF ne diminuent en rien l’importance critique d’un traitement avant l’apparition de la pathologie terminale qu’est l’IC. Certes, concède le Dr Poole-Wilson, l’étude GISSI-HF ne nous dit pas s’il est approprié de mettre fin au traitement par une statine lorsque le patient développe une IC, mais les résultats des deux études – GISSI-HF et CORONA – confirment à tout le moins qu’il n’est pas justifié d’amorcer un traitement par une statine lorsque l’IC est déjà présente, conclut-il.

ASTEROID

Dans le cadre de l’étude ASTEROID (A Study to Evaluate the Effect of Rosuvastatin on Intravascular Ultrasound-Derived Coronary Atheroma Burden), les effets du traitement sur la régression des plaques étaient très fortement corrélés avec l’ampleur de la baisse des taux lipidiques. Les plaques se stabilisaient lorsque le taux de LDL atteignait 2,0 mmol/L, mais celui-ci devait baisser davantage pour qu’elles régressent. La rosuvastatine étant un agent hypolipidémiant très puissant, il est souvent possible d’obtenir une réduction de cette ampleur en monothérapie. L’absence de bénéfice associé à cette stratégie dans l’étude GISSI-HF est donc une base solide qui permet d’affirmer que le traitement hypolipidémiant n’est pas une efficace.

Si l’on en juge par les résultats des études GISSI-HF et CORONA, la dilatation du coeur résultant d’une activation neurohormonale – qui peu à peu diminue l’efficacité de la pompe et augmente le risque d’arythmies – semble indépendante du taux de LDL. Abaisser les taux lipidiques chez un insuffisant cardiaque, c’est comme fermer la porte de l’écurie après que le cheval s’est enfui, affirme le Dr Eugene Braunwald, Brigham and Women’s Hospital, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts, que la SEC avait invité à titre de conférencier.

Cette remarque portait spécifiquement sur les LDL, mais elle pourrait également valoir pour la hsCRP au vu de l’arrêt prématuré de l’étude JUPITER (Justification for the Use of Statins in Primary Prevention: an Intervention Trial Evaluating Rosuvastatin). JUPITER est un essai clinique dans lequel 15 000 patients ayant un taux de LDL plutôt faible et un taux de hsCRP élevé ont été randomisés de façon à recevoir, à double insu, la rosuvastatine ou un placebo. Le comité indépendant de surveillance des essais a mis fin à l’étude en mars 2008 sur la foi de «données prouvant sans équivoque une baisse de la morbi-mortalité d’origine CV» chez les sujets sous rosuvastatine, comparativement aux témoins sous placebo. Les baisses significatives des taux de LDL et de hsCRP observées lors de l’étude GISSI-HF donnent à penser que ni l’une ni l’autre n’est utile dans l’IC.

«L’étude GISSI-HF semble effectivement indiquer que l’on doit intervenir pour abaisser les taux lipidiques avant que le patient ne développe une IC», réitère le Dr Poole-Wilson, qui estime qu’il est alors trop tard pour envisager un agent hypolipidémiant.

F
uses de mortalité CV

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L’autre volet de l’étude GISSI-HF

Dans l’autre volet de l’étude GISSI-HF, les patients ont été randomisés de façon à recevoir 1 g/jour de PUFA ou un placebo. Au terme du suivi d’une durée médiane de 3,9 ans, on a noté une baisse modeste de 9 % (taux de risque [HR, pour hazard ratio] de 0,91, IC à 95 % : 0,833-0,998; p=0,041) du même paramètre mixte que celui du volet rosuvastatine de l’étude GISSI-HF. Le traitement a été relativement bien toléré, quoique le nombre d’abandons pour cause de troubles digestifs ait été légèrement plus élevé dans le groupe PUFA.

«Le nombre moindre d’événements mortels et d’hospitalisations pour cause d’événement CV dans le groupe PUFA, par rapport au groupe placebo, semble indiquer que les PUFA exercent un effet favorable, quoique ténu, sur les mécanismes qui contribuent à l’IC», affirme le Dr Luigi Tavazzi, Hôpitaux de soins et de recherche, Cotignola, Italie. Auteur principal de ce volet de l’étude GISSI-HF, il souligne que les bénéfices associés aux PUFA ont été obtenus en sus de ceux du traitement de référence, c’est-à-dire un inhibiteur de l’ECA ou un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine chez près de 95 % des patients, un bêta-bloquant chez 65 % des patients, et la spironolactone chez près de 40 % des patients.

Comme ce bénéfice n’a pas été obtenu au prix d’effets indésirables importants et qu’il s’ajoute à ceux des traitements de référence, le Dr Fonarow en conclut que les PUFA «devraient faire partie de la liste – fort courte – des agents éprouvés qui prolongent la survie en présence d’IC». Le Dr Michel Komajda, Université Pierre et Marie Curie, Paris, France, qui a été invité par la SEC pour discuter des résultats, insiste lui aussi sur ce point. S’il reconnaît que les bienfaits de l’huile de poisson chez l’insuffisant cardiaque «relèvent un peu du mystère», force lui admettre que les huiles de poisson constituent un traitement approprié chez les patients qui peuvent les tolérer si l’on en juge par le bénéfice qui s’est dégagé de l’étude GISSI-HF.

Résumé

L’étude GISSI-HF a généré de nouvelles données importantes sur la prise en charge de l’insuffisant cardiaque, mais il est à prévoir que ses retombées sur la pratique clinique seront modestes. Dans l’un des deux volets indépendants avec randomisation et placebo, la statine n’a eu aucun effet sur l’issue clinique malgré une baisse significative des taux de LDL et de hsCRP. Bien que la rosuvastatine ait été bien tolérée durant l’étude, les résultats laissent entendre que les événements causés par l’IC ne dépendent pas des processus thrombotiques sur lesquels le traitement hypolipidémiant fortement dosé est réputé avoir le plus d’effet. Dans l’autre volet avec randomisation, les huiles de poisson ont été associées à une baisse significative du taux d’événements cliniques au cours du suivi de 3,9 ans, mais les données indiquent que l’on doit traiter plus de 50 patients pour prévenir un seul événement. Cela dit, pour les patients qui tolèrent les huiles de poisson, le bénéfice associé à cette stratégie s’appuie maintenant sur des données probantes.

Questions et réponses

Les questions et les réponses qui suivent sont tirées d’un entretien avec le Dr Jonathan Howlett, directeur médical, Cardiac Transplant and Heart Function Clinic, Queen Elizabeth II Health Sciences Centre, et professeur agrégé de médecine, Dalhousie University, Halifax, Nouvelle-Écosse; et le Dr Robert McKelvie, directeur médical, Heart Function Clinic and Medical Diagnostic Unit, Hamilton Health Sciences Corporation, et professeur titulaire de médecine, McMaster University, Ontario.

Q : Quelles conclusions tirez-vous des données sur la rosuvastatine dans l’IC? En quoi les deux essais diffèrent-ils? Doit-on mettre fin au traitement par une statine chez l’IC?

Dr Howlett : Il semble que l’étude CORONA s’applique davantage aux patients souffrant d’IC systolique d’origine ischémique et l’étude GISSI-HF, aux patients souffrant d’IC d’origine non ischémique, chez qui le taux d’événements vasculaires est plus faible. Il importe aussi de souligner que ces essais visaient à évaluer un nouveau traitement par une statine chez ces patients, et non l’arrêt du traitement. Et, malheureusement, l’effectif de l’étude GISSI-HF ne comportait pas beaucoup d’insuffisants cardiaques dont la fraction d’éjection était conservée.  

Q : Quelles seront les retombées de ces résultats sur les recommandations de traitement?

Dr Howlett : On recommandera peut-être d’administrer une statine chez les patients souffrant d’IC d’origine ischémique – population chez laquelle le taux d’événements ischémiques, comme un AVC ou un infarctus du myocarde, est plus élevé – en excluant les patients dont l’IC n’est pas d’origine ischémique.

  Q : Les statines jouent un rôle clé chez les patients à risque élevé, mais cesseriez-vous d’utiliser une statine chez tous les insuffisants cardiaques à la lumière de ces résultats?

Dr Howlett : Les données de l’étude GISSI-HF ne pèsent probablement pas assez lourd dans la balance pour justifier un remaniement en profondeur des recommandations actuelles sur l’utilisation d’une statine chez la moitié des insuffisants cardiaques dont la fonction systolique est conservée. À cet égard, les recommandations actuelles nous aiguillent mieux.

Q : En quoi les résultats de l’étude GISSI-HF modifieront-ils la prise en charge de vos patients souffrant d’IC?

Dr McKelvie : L’étude GISSI-HF est intéressante, mais, à mon avis, il n’y a pas lieu de modifier radicalement la prise en charge de ces patients. Les critères d’inclusion de cette étude étaient assez stricts. En effet, seuls les insuffisants cardiaques ne prenant pas de statine pouvaient être recrutés, puisque l’objectif était d’évaluer les effets de l’ajout de la rosuvastatine. L’étude ne portait pas sur les effets de l’arrêt du traitement par une statine chez un patient souffrant d’IC. 

Q : Quelles sont vos recommandations au chapitre des statines et de l’IC?

Dr McKelvie : Si j’avais un patient atteint d’IC – que celle-ci découle d’une myocardiopathie ischémique ou non – et que ce patient n’ait jamais reçu de statine, n’ait pas d’antécédents récents d’événement coronarien aigu et ait des taux lipidiques acceptables, l’ajout d’une statine me paraîtrait inutile parce que cette stratégie ne semble conférer aucun bénéfice supplémentaire. Par contre, je ne mettrais pas fin au traitement chez un insuffisant cardiaque à qui on a prescrit une statine pour une raison appropriée, par exemple un événement coronarien aigu ou une hyperlipidémie.

Q : Autrement dit, vous n’amorceriez pas un traitement par une statine chez un patient qui souffre d’IC?

Dr McKelvie : Je prescrirais une statine à un patient atteint d’IC qui vient de subir un événement coronarien aigu, comme ce serait le cas chez d’autres patients ayant subi un événement coronarien aigu, par exemple un IM aigu. En réponse à votre question, non, en effet, je n’amorcerais pas un traitement par une statine chez un insuffisant cardiaque stable qui, pour une raison quelconque, n’a jamais reçu de statine, personne n’y ayant vu de valeur ajoutée. Cela dit, je n’arrêterais pas le traitement par une statine chez un insuffisant cardiaque qui le reçoit depuis longtemps et chez qui d’autres facteurs ont motivé le traitement à juste titre. Bref, je prescrirais une statine à des patients atteints d’IC qui subissent un syndrome coronarien aigu de même que pour traiter une hyperlipidémie chez ces patients.

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