Comptes rendus

Les antiplaquettaires réversibles, la clé d’une plus grande liberté d’action dans le traitement des syndromes coronariens aigus
Efficacité et constance des antimuscariniques dans l’hyperactivité vésicale

Nouveau regard sur la constance de la réponse aux antiplaquettaires à la lumière d’essais sur les anti-P2Y12

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - Congrès 2010 de la Société européenne de cardiologie (ESC)

Stockholm, Suède / 28 août-1er septembre 2010

Comparativement au clopidogrel, le ticagrelor et le prasugrel, deux antiplaquettaires de nouvelle génération, ont été associés à une réduction significative du risque d’événement thrombotique chez les victimes d’un syndrome coronarien aigu (SCA). Bien que le clopidogrel, le ticagrelor et le prasugrel inhibent tous le récepteur P2Y<sub>12</sub>, ils diffèrent quant à leur mode d’action, à leur biotransformation et à leurs propriétés pharmacodynamiques. Le métabolisme plus favorable du prasugrel et l’action directe du ticagrelor – et possiblement d’autres anti-P2Y<sub>12</sub> en développement comme le cangrelor et l’élinogrel –autorisent une plus grande rapidité d’action ou une plus grande activité, ou les deux, par rapport au clopidogrel. La constance de leur effet antiplaquettaire pourrait toutefois être leur avantage principal.

«Le récepteur P2Y<sub>12</sub> est la bonne cible, car il contribue étroitement à l’amplification de la réponse des plaquettes, peu importe le stimulus, mais la variabilité interindividuelle considérable de la réponse au clopidogrel, un promédicament, s’explique par la succession d’étapes de sa biotransformation en métabolite actif», explique le Dr Robert Storey, Département des Sciences cardiovasculaires, University of Sheffield, Royaume-Uni. La variabilité de la réponse au clopidogrel «résulte souvent d’une production insuffisante de métabolite actif, qui tient en partie à des facteurs génétiques».

Aspects génétiques

L’impact considérable du polymorphisme génétique sur le métabolisme du clopidogrel a récemment été objectivé dans le cadre d’une étude satellite importante dans le cadre de l’essai PLATO (PLATelet inhibition and patient Outcomes). L’essai principal a démontré que le ticagrelor était associé à une diminution de la mortalité cardiovasculaire (CV) par rapport au clopidogrel chez des victimes d’un SCA (Wallentin et al. N Engl J Med 2009;361:1045-57). Lors de la nouvelle étude satellite présentée au congrès et publiée simultanément (Wallentin et al. Lancet 2010; publié en ligne avant impression, le 29 août), le taux d’événements à 30 jours était 50 % plus élevé chez les patients sous clopidogrel porteurs d’un allèle perte-de-fonction du gène codant pour CYP2C19, enzyme clé dans le métabolisme hépatique du clopidogrel, que chez les patients non porteurs d’un tel allèle (5,7 % vs 3,8 %; p=0,028). En revanche, le polymorphisme génétique n’a eu aucun effet sur le ticagrelor, et ce dernier a été plus efficace que le clopidogrel pour protéger contre les événements défavorables, polymorphisme ou non (Tableau 1).

Tableau 1. Étude satellite de PLATO sur la génétique : résultats selon le génotype de CYP2C19


L’étude a par ailleurs démontré que ce polymorphisme de CYP2C19 n’était pas le seul facteur en cause dans la variabilité de la réponse au clopidogrel. Les risques associés au clopidogrel, comparativement au ticagrelor, étaient aussi influencés par la présence d’allèles gain-de-fonction de CYP2C19, le polymorphisme d’autres isoenzymes intervenant dans le métabolisme du clopidogrel, telles CYP3A4, CYP3A5 et CYP2C9, et le polymorphisme du gène ABCB1 codant pour une glycoprotéine intervenant dans le transport du clopidogrel.

Dans le cas de ABCB1, peu importe le génotype, le taux d’événements inclus dans le paramètre principal (mort CV, infarctus du myocarde [IM] ou AVC survenant dans les 12 mois) était systématiquement plus faible sous ticagrelor que sous clopidogrel (valeur p de l’interaction=0,39, 8,8 % vs 11,9 %; HR 0,71; IC à 95 % : 0,55-0,92 pour le génotype fortement exprimé). Dans le cas de CYP2C19, peu importe le génotype, le taux d’événements était également plus faible sous ticagrelor que sous clopidogrel : 8,6 % vs 11,2 % chez les porteurs d’un allèle perte-de-fonction (HR 0,77; IC à 95 % : 0,60-0,99; p=0,0380) et 8,8 % vs 10,0 % chez les non-porteurs d’un tel allèle (HR 0,86; IC à 95 % : 0,74-1,01; p=0,0608) (valeur p de l’interaction=0,46), souligne l’investigateur principal de l’étude satellite de PLATO, le Pr Lars Wallentin, professeur titulaire de médecine, Université d’Uppsala, Suède. Au sein du groupe clopidogrel, l’incidence des hémorragies majeures était plus élevée chez les porteurs d’un allèle gain-de-fonction de CYP2C19 (11,9 %) que chez les non-porteurs d’un allèle gain-de-fonction ou perte-de-fonction (9,5 %; p=0,022), mais l’interaction entre les groupes de traitement et les groupes de génotypes n’était pas significative, quel que soit le type d’hémorragie majeure.

L’essai TRITON-TIMI 38 (TRial to assess Improvement in Therapeutic Outcomes by optimizing platelet inhibitiON) a généré des données similaires quant à l’impact considérable du polymorphisme sur la variabilité de la réponse au clopidogrel. Cet essai a démontré que comparativement au clopidogrel, le prasugrel était associé à une réduction significative des complications thrombotiques chez les victimes d’un SCA ayant subi une intervention coronarienne percutanée (ICP) programmée (Wiviott et al. N Engl J Med 2007;357:2001-15). Selon les nouvelles données de cette étude sur le polymorphisme publiées dans le même numéro de The Lancet que l’étude satellite de PLATO sur la génétique, le polymorphisme de CYP2C19 et le génotype ABCB1 3435 TT étaient prédictifs d’un risque accru d’événement thrombotique chez les patients sous clopidogrel, mais pas chez les patients sous prasugrel (Mega et al. 2010; publié en ligne avant impression, 29 août). Selon l’étude satellite sur le génotype de l’essai TRITON-TIMI 38, qui s’apparentait à celle de l’essai PLATO, près du tiers des sujets étaient porteurs du génotype ABCB1 3435 TT.

Il y a cependant plusieurs différences importantes entre les essais PLATO et TRITON-TIMI 38. En particulier, toutes les victimes d’un SCA, qu’il y ait eu ou non sus-décalage du segment ST ou traitement antérieur par le clopidogrel, étaient admissibles à l’essai PLATO, alors que l’inclusion dans l’essai TRITON-TIMI 38 était restreinte aux patients devant subir une ICP programmée. En outre, lors de l’essai PLATO, les patients étaient randomisés de façon à recevoir du ticagrelor ou du clopidogrel le plus tôt possible après avoir été admis alors que dans l’essai TRITON-TIMI 38, le médicament était administré à n’importe quel moment entre la randomisation et une heure après la sortie de la salle de cathétérisme. D’importantes différences se sont aussi dégagées des résultats. Si le prasugrel a été associé à une diminution de 19 % (p<0,001) du risque relatif d’événement thrombotique majeur, il a aussi été associé à une augmentation de 32 % (p=0,03) du risque d’hémorragie majeure et n’a pas diminué la mortalité de façon significative. En revanche, le ticagrelor a été associé à une diminution de 16 % (p<0,001) du risque relatif d’événement thrombotique majeur (paramètre mixte) par rapport au clopidogrel et s’accompagnait d’une diminution de 22 % du risque relatif de décès toutes causes confondues (p<0,001) sans augmentation globale significative des hémorragies majeures.

Répercussions chez les patients diabétiques

La quête d’antiplaquettaires plus fiables a débouché sur le développement du cangrelor et de l’élinogrel, anti-P2Y<sub>12</sub> administrés par voie intraveineuse. Bien qu’un premier essai n’ait pas réussi à prouver la non-infériorité du cangrelor par rapport au clopidogrel et que l’on y ait mis fin prématurément, cet agent est encore à l’étude pour un relais antiplaquettaire de courte durée chez les patients incapables de prendre un agent oral. Quant à l’élinogrel, les résultats d’une étude de phase II présentés au congrès donnent à penser qu’il pourrait être plus puissant que le clopidogrel, et une étude de phase III est d’ailleurs envisagée. Là encore, c’est la constance de l’effet antiplaquettaire qui rend ce nouvel antiplaquettaire intéressant.

«Bien que le clopidogrel soit un agent efficace bien établi, son efficacité n’est pas universelle. Il est donc essentiel que nous trouvions des antiplaquettaires plus efficaces», souligne l’investigateur principal de l’essai de phase II sur l’élinogrel, le Dr Sunil Rao, Duke Clinical Research Institute, Durham, Caroline du Nord.

L’un des principaux objectifs de tout nouvel agent sera de réduire l’incidence des événements thrombotiques sans augmenter le risque hémorragique. Les anti-P2Y<sub>12</sub> réversibles comme l’élinogrel et le ticagrelor devraient contribuer à dissocier davantage effet antiplaquettaire et risque hémorragique parce que, contrairement aux anti-P2Y<sub>12</sub> antérieurs, y compris le clopidogrel et le prasugrel, ils quittent leur récepteur à l’arrêt du traitement et la fonction plaquettaire est alors rétablie. Il s’agit là d’une caractéristique importante dans les cas où une intervention chirurgicale s’impose d’urgence. Cela dit, ces agents pourraient aussi être dotés d’une marge thérapeutique plus vaste, indépendamment de leur action réversible. Lors de l’essai PLATO, le taux d’hémorragies majeures non liées à un pontage aortocoronarien (PAC) a augmenté de 19 % sous ticagrelor, mais il n’y avait globalement aucune différence entre les deux groupes quant aux hémorragies majeures, notamment sur le plan des hémorragies mortelles ou potentiellement mortelles. Les données de la nouvelle étude satellite réalisée chez les sujets diabétiques de PLATO (25 % de la population totale) ont montré que même si la présence du diabète augmentait à la fois le risque d’événement thrombotique et le risque d’hémorragie majeure, la diminution de l’incidence des événements sous ticagrelor, par comparaison au clopidogrel, s’apparentait aux résultats observés chez l’ensemble des sujets de PLATO et ne s’accompagnait pas d’une exacerbation du risque hémorragique.

«Dans l’ensemble, les résultats concordent avec ceux de l’essai PLATO, à savoir que l’incidence des événements inclus dans le paramètre principal d’évaluation de l’efficacité [mort CV, IM et AVC] est plus faible sous ticagrelor que sous clopidogrel, sans égard à la présence de diabète, au contrôle glycémique relatif, à la présence d’un traitement à l’insuline ou au type de diabète», rapporte le co-investigateur de l’étude satellite de PLATO, le Dr Stefan James, Centre de recherche clinique d’Uppsala.

Les événements défavorables ont tous été nettement plus fréquents chez les 4662 sujets diabétiques que chez les 13 951 sujets non diabétiques, peu importe le traitement qu’ils recevaient. Les chercheurs ont notamment observé une augmentation de 66 % (p<0,0001) du risque relatif d’atteinte du paramètre mixte, une augmentation de 84 % (p<0,0001) de la mortalité et une augmentation de 41 % (p<0,0001) des hémorragies majeures (Tableau 2).

Tableau 2. Association entre les variables liées au diabèt
d’évaluation points

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Traitement non invasif

Le ticagrelor prévient les événements thrombotiques majeurs sans augmenter l’incidence globale des hémorragies majeures, et c’est là un avantage digne de mention, car le second est généralement le corollaire du premier. Même si une plus grande activité antiplaquettaire s’accompagne généralement d’un risque hémorragique accru, on opte généralement pour un antiplaquettaire plus efficace; or, les données générées par les essais sur le ticagrelor, anti-P2Y<sub>12</sub> réversible, semblent indiquer pour la première fois que ce compromis n’est pas inéluctable. En présence d’un SCA, lorsque l’antiplaquettaire doit être prescrit d’urgence, l’utilisation d’un schéma antiplaquettaire optimal suscite des craintes si le prix à payer est un risque hémorragique accru chez les patients à risque relativement faible. Or, les résultats rassurants d’une autre étude satellite de l’essai PLATO, également présentés par le Dr James, donnent tout lieu de croire que les bénéfices relatifs associés au ticagrelor étaient comparables à ceux du clopidogrel, même chez les patients qui n’avaient pas subi d’intervention invasive programmée.

«Chez les victimes d’un SCA sans sus-décalage du segment ST dont le traitement prévu était non invasif, les bénéfices cliniques associés au ticagrelor, par comparaison au clopidogrel, concordaient globalement avec les résultats de l’essai PLATO», confirme le Dr James, qui présentait des données recueillies chez 5216 patients (28 %) devant subir un traitement non invasif. Ajoutant qu’il n’y avait aucune différence significative entre les deux groupes quant au taux d’hémorragies majeures parmi les patients qui devaient subir un traitement non invasif, il précise que même chez ces patients, on a observé une diminution statistiquement significative de la mortalité toutes causes confondues en faveur du ticagrelor (6,1 % vs 8,2 %; p=0,01).

Dyspnée

Lors de l’essai PLATO, la différence la plus significative entre le ticagrelor et le clopidogrel au chapitre de l’innocuité était l’incidence de la dyspnée (13,8 % vs 7,8 %; p<0,001). On ignore la cause exacte de cet effet indésirable, mais une nouvelle étude satellite menée par le Dr Storey, co-investigateur d’une autre étude satellite de PLATO, a confirmé que la dyspnée considérée comme liée au médicament était plus fréquente sous ticagrelor que sous clopidogrel (15 % vs 6,9 %; p<0,0001). Cependant, la dyspnée était le plus souvent légère ou modérée dans les deux groupes (99,6 % vs 99,7 %). Le taux d’abandons toutes causes confondues était plus élevé chez les patients ayant développé une dyspnée que chez les patients n’en ayant pas développé (26,2 % vs 23,2 %, respectivement). Cela dit, et c’est là un point très important, la dyspnée n’a rien changé aux principaux résultats ou conclusions de l’étude.

«La dyspnée survenant sous ticagrelor, comparativement à la dyspnée survenant sous clopidogrel, ne semble pas associée à des différences sur le plan de l’efficacité ou des hémorragies cliniques», poursuit le Dr Storey.

Dans les faits, c’est la variabilité de la réponse au clopidogrel qui motive les chercheurs à trouver de meilleures stratégies de prévention des événements thrombotiques, non seulement chez les victimes d’un SCA, mais aussi chez les patients ayant besoin d’un traitement antiplaquettaire au long cours, par exemple après la pose d’un tuteur intracoronarien. Comparativement au clopidogrel, le ticagrelor et le prasugrel – tous administrés aux doses habituelles – offrent une plus grande rapidité d’action et un effet antiplaquettaire maximal plus prononcé, mais c’est la constance relative de leur effet antiplaquettaire qui pourrait être leur plus grand atout.

«Lorsqu’il est ajouté à l’AAS, le clopidogrel est efficace, mais le ticagrelor et le prasugrel sont des agents de nouvelle génération plus puissants dont l’effet antiplaquettaire est plus constant chez l’ensemble des patients», fait remarquer le Dr Christopher Cannon, Brigham and Women’s Hospital, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts. À son avis, «les nouveaux traitements gagneront du terrain sur le clopidogrel» non seulement en raison de leur plus grande efficacité globale, mais aussi en raison de la variabilité moindre de leur effet antiplaquettaire, la variabilité associée au clopidogrel exposant certains patients à un risque accru d’événement thrombotique.

Résumé

Par comparaison au clopidogrel, le ticagrelor et le prasugrel, deux antiplaquettaires de nouvelle génération, protègent mieux les victimes d’un SCA contre un événement thrombotique majeur non seulement en raison de leur plus grande rapidité d’action et de leur activité antiplaquettaire plus puissante, mais aussi en raison de polymorphismes génétiques qui entraînent, chez une proportion substantielle de patients, une réponse moindre au clopidogrel, le métabolite actif de ce dernier étant alors moins biodisponible. Certes, des tests génétiques permettent de reconnaître les patients peu susceptibles de répondre au traitement par le clopidogrel, mais le recours aux agents de nouvelle génération, qui ne dépendent pas de ces voies métaboliques, apparaît comme une solution plus pratique.

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