Comptes rendus

Atténuer les effets de l'inflammation secondaire à l'infection à VIH au sein d'une population vieillissante
Nouveau regard sur la constance de la réponse aux antiplaquettaires à la lumière d’essais sur les anti-P2Y12

Les antiplaquettaires réversibles, la clé d’une plus grande liberté d’action dans le traitement des syndromes coronariens aigus

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - Congrès 2010 de la Société européenne de cardiologie (ESC)

Stockholm, Suède / 28 août-1er septembre 2010

L’homologation récente du prasugrel au Canada pour usage chez les victimes d’un syndrome coronarien aigu (SCA) devant subir une intervention coronarienne percutanée (ICP) reposait en grande partie sur les résultats de l’essai TRITON-TIMI 38 (TRial to assess Improvement in Therapeutic Outcomes by optimizing platelet inhibitiON). Lors de cet essai, le prasugrel, inhibiteur du récepteur P2Y<sub>12</sub>, a été associé à une réduction plus marquée du pourcentage de patients atteignant le paramètre regroupant divers événements thrombotiques, comparativement au clopidogrel (Wiviott et al. N Engl J Med 2007;357:2001-15). La supériorité relative du prasugrel tient aux propriétés pharmacocinétiques de ce dernier. Les nouveaux antiplaquettaires de même classe offriront vraisemblablement des avantages similaires en termes de rapidité d’action et d’effet antiplaquettaire maximal, mais ils auront le mérite d’être réversibles, ce qui accélérera le rétablissement de l’activité plaquettaire. Les avantages potentiels par rapport au clopidogrel et au prasugrel sont substantiels.

Comme le souligne le Dr Claes Held, Centre de recherche clinique d’Uppsala, Suède, «l’un des désavantages du clopidogrel est sa biotransformation lente et inefficace en son métabolite actif. En outre, comme le clopidogrel inhibe la fonction plaquettaire de façon irréversible, cette dernière met 5 à 7 jours à se rétablir. Dans les guides de pratique, on recommande donc de mettre fin au traitement par le clopidogrel 5 jours avant un pontage aortocoronarien (PAC), mais cette mesure est souvent source de difficultés chez la victime d’un SCA à qui on a déjà administré d’urgence la dose maximale de l’association clopidogrel + ASA.»

Résultats d’études sur les anti-P2Y<sub>12</sub>

Trois anti-P2Y<sub>12</sub> réversibles en sont déjà à l’étape de la recherche clinique. Même si l’un d’entre eux, le cangrelor, injectable par voie intraveineuse, ne s’est pas révélé non inférieur au clopidogrel après un SCA lors d’essais avec randomisation (Harrington et al. N Engl J Med 2009;361:2318-29, et Bhatt et al. N Engl J Med 2009;361:2330-41), il pourrait avoir un rôle à jouer chez les patients incapables de prendre un agent par voie orale. Les deux autres, le ticagrelor et l’élinogrel, ont fait la preuve d’une efficacité et d’une innocuité encourageantes, et leur réversibilité pourrait figurer parmi leurs plus grands atouts. L’essai PLATO (PLATelet inhibition and patient Outcomes) a généré des résultats probants; en effet, le ticagrelor a été associé à une réduction significative du pourcentage de patients atteignant le paramètre mixte d’événements thrombotiques, comparativement au clopidogrel (Wallentin et al. N Engl J Med 2009;361:1045-57). Contrairement à ce que l’on a vu dans TRITON-TIMI 38, l’avantage relatif de l’antiplaquettaire expérimental valait pour toutes les victimes d’un SCA, qu’elles aient reçu un traitement médicamenteux ou subi un PAC.

«Lors de l’essai TRITON-TIMI 38, le taux d’hémorragies majeures chez les patients subissant un PAC était significativement plus élevé sous prasugrel que sous clopidogrel, affirme le Dr Held. Lors de l’essai PLATO, 1261 patients parmi les 18 624 sujets randomisés ont subi un PAC et ont reçu le ticagrelor au cours des 7 jours suivant l’intervention chirurgicale. De plus, on a observé chez les patients sous ticagrelor, comparativement aux patients sous clopidogrel, une réduction substantielle de la mortalité totale (4,7 % vs 9,7 %) et de la mortalité cardiovasculaire (CV) (4,1 % vs 7,9 %), mais aucune augmentation du risque d’hémorragie liée au PAC.»

Les antiplaquettaires pourraient viser de multiples cibles pour stopper l’activation des plaquettes, mais comme la fixation au récepteur P2Y<sub>12</sub> active les plaquettes sans égard au stimulus, c’est peut-être la meilleure cible pour un antithrombotique. Le clopidogrel, pionnier des anti-P2Y<sub>12</sub>, est très efficace, mais il doit passer par le foie pour être transformé en son métabolite actif. Le polymorphisme génétique étant monnaie courante, jusqu’à 30 % des patients ont une réponse sous-optimale au traitement par le clopidogrel. Lors de l’essai TRITON-TIMI 38, la supériorité du prasugrel a été attribuée à sa plus grande rapidité d’action, à une variabilité interindividuelle moindre de la réponse au traitement et à un effet antiplaquettaire maximal plus marqué. Même si cette activité plus puissante s’accompagnait d’un risque accru d’hémorragie majeure, elle a été associée à un ratio bénéfice:risque favorable chez la plupart des patients. Faisaient exception les patients de plus de 75 ans, les patients ayant des antécédents d’événement vasculaire cérébral et les patients ayant un poids corporel inférieur à 60 kg; d’ailleurs, ces caractéristiques sont maintenant considérées comme des contre-indications relatives à l’usage du prasugrel.

Si seules les victimes d’un SCA devant subir une ICP étaient admissibles à l’essai TRITON-TIMI 38, l’essai PLATO était ouvert à toutes les victimes d’un SCA, y compris celles qui avaient déjà reçu du clopidogrel avant d’être randomisées. Comme TRITON-TIMI 38, PLATO a objectivé une réduction significative des événements thrombotiques majeurs sous l’effet de l’antiplaquettaire expérimental, le ticagrelor en l’occurrence, comparativement au clopidogrel. Cependant, contrairement à TRITON-TIMI 38, PLATO n’a pas fait ressortir de différence entre l’antiplaquettaire expérimental et le clopidogrel quant aux hémorragies majeures tous types confondus. PLATO est le premier essai d’envergure à démontrer qu’une meilleure protection contre les événements thrombotiques ne s’accompagne pas forcément d’un accroissement du risque hémorragique. Cet avantage pourrait expliquer que PLATO ait aussi été la première étude à associer une stratégie antiplaquettaire à une diminution significative de la mortalité par rapport à une autre stratégie post-SCA.

Certes, une plus grande rapidité d’action et un effet antiplaquettaire maximal plus marqué pourraient expliquer l’efficacité supérieure du ticagrelor par rapport au clopidogrel, mais la réversibilité de l’action du ticagrelor pourrait aussi expliquer que son effet antithrombotique plus prononcé n’ait pas eu pour corollaire une augmentation des hémorragies. Les différences entre le ticagrelor et le clopidogrel quant au délai d’action antiplaquettaire et à l’arrêt de l’activité antiplaquettaire – c’est-à-dire le délai de rétablissement de la fonction plaquettaire – ont d’abord été objectivées dans l’essai ONSET/OFFSET, dont les résultats ont été publiés l’année dernière (Gurbel et al. Circulation 2009;120:2577-85). Il est ressorti, entre autres, que l’activité plaquettaire était inhibée à plus de 50 % 2 heures après la dose d’attaque chez 98 % des patients sous ticagrelor vs 31 % des patients sous clopidogrel (p<0,0001), et que la durée d’action avait aussi été plus courte. En effet, la diminution de l’activité antiplaquettaire au cours des 72 heures suivant la dernière dose était deux fois plus marquée sous ticagrelor que sous clopidogrel (p<0,0001). Une nouvelle sous-analyse de la même étude a révélé que l’avantage persistait même en présence d’une réponse optimale au traitement par le clopidogrel.

«Seuls les patients ayant eu une réponse robuste au traitement qui leur avait été attribué ont été inclus dans cette sous-analyse», précise l’auteur principal de l’étude, le Dr Robert Storey, Département des Sciences cardiovasculaires, University of Sheffield, Royaume-Uni. Plusieurs critères stricts définissaient une «réponse robuste», notamment une inhibition de plus de 75 % de l’agrégation plaquettaire dans les 4 heures suivant la dose d’attaque. Le pourcentage de patients répondant à ce critère s’élevait à 83 % dans le groupe ticagrelor vs 39 % dans le groupe clopidogrel. Les chercheurs ont eu recours à plusieurs méthodes pour mesurer la durée d’action des antiplaquettaires, et l’avantage du ticagrelor était significatif peu importe la méthode utilisée. Plus précisément, la fonction plaquettaire s’est rétablie beaucoup plus rapidement entre 4 et 48 heures, si bien que la réactivité plaquettaire était significativement plus marquée lors de chaque jalon temporel entre 48 et 168 heures (Figure 1).

Figure 1. Sous-analyse visant les bons répondeurs de l’essai ONSET/OFFSET Inhibition de l’agrégation plaquettaire induite par 20 µmol/L d’ADP (phase finale)


«Ces résultats pourraient avoir d’importantes retombées cliniques, enchaîne le Dr Storey. Le risque hémorragique pourrait être moins élevé après un traitement par le ticagrelor qu’après un traitement par le clopidogrel chez les patients opérés dans un délai de 48 heures à 7 jours après la dernière dose en raison du rétablissement rapide de l’activité plaquettaire initiale.»

De l’avis de plusieurs experts, dont le Dr Storey, la variabilité de la réponse au clopidogrel plaide en faveur d’une surveillance initiale lorsqu’on a recours à cet agent plutôt qu’à un nouvel antiplaquettaire associé à une réponse plus prévisible. Cette observation pourrait aussi s’appliquer à l’arrêt du traitement antiplaquettaire. À en juger par la sous-analyse de l’étude ONSET/OFFSET, la durée d’action pourrait être d’autant plus longue que la réponse au traitement par le clopidogrel est robuste. D’après le Dr Storey, la lenteur de l’arrêt de l’activité antiplaquettaire «influe sur le délai de rétablissement de la fonction plaquettaire et, par conséquent, sur le risque hémorragique, dans les cas où une intervention chirurgicale s’impose dans les 7 jours suivant l’arrêt du traitement par le clopidogrel».

Faible taux de forte réactivité plaquettaire

Une autre analyse récente, pour laquelle on a utilisé des données provenant à la fois de l’étude ONSET/OFFSET et de l’étude RESPOND, a révélé que le ticagrelor contournait également le risque de forte réactivité plaquettaire (FRP) durant le traitement, problème souvent rencontré chez les patients sous clopidogrel et facteur de risque établi d’événement défavorable après la pose d’un tuteur intracoronarien. L’étude visait à repérer une FRP au sein de l’effectif combiné des deux études qui regroupait 102 patients sous ticagrelor (dose d’attaque de 180 mg, puis dose d’entretien de 90 mg 2 fois/jour) et 99 patients sous clopidogrel (dose d’attaque de 600 mg, puis dose d’entretien de 75 mg 1 fois/jour). Selon plusieurs méthodes d’analyse, la prévalence d’une FRP pouvait s’élever jusqu’à 76 % dans le groupe clopidogrel vs 8 % dans le groupe ticagrelor (p<0,0001 pour toutes les méthodes d’analyse) (Tableau 1).

Tableau 1.
durant le traitement

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«On a observé une différence marquée très constante entre les taux de FRP associés à ces deux agents. Nous postulons que la faible prévalence de FRP sous ticagrelor pourrait avoir contribué à sa supériorité clinique sur le clopidogrel dans l’essai PLATO», affirme le Dr Kevin P. Bliden, Sinai Center for Thrombosis Research, Baltimore, Maryland. Ces résultats, poursuit-il, viennent par ailleurs s’ajouter aux données déjà fort volumineuses montrant que les anti-P2Y<sub>12</sub> diffèrent grandement quant à leurs effets dans le cadre du traitement d’un SCA.

L’individualisation du traitement des SCA gagne du terrain

On ignore si l’élinogrel, un autre anti-P2Y<sub>12</sub> réversible ayant récemment fait l’objet d’une étude de phase II, possède toutes les caractéristiques que le ticagrelor, mais cet agent a également le propre de se dissocier du récepteur P2Y<sub>12</sub> après s’y être fixé, ce qui lui permet, à lui aussi, d’élargir la marge thérapeutique entre effet antiplaquettaire et risque hémorragique. L’étude de phase II sur l’élinogrel, évalué en préparations orale et injectable par voie intraveineuse, avait pour objet de déterminer la posologie et non d’évaluer l’effet sur des paramètres cliniques majeurs comme les événements thrombotiques. Cependant, les résultats ont été à ce point prometteurs que l’on a décidé de concevoir un essai comparatif multicentrique, explique le Dr Sunil Rao, Duke Clinical Research Institute, Durham, Caroline du Nord.

Outre leur effet antiplaquettaire plus constant, l’élinogrel et le ticagrelor offrent un grand avantage potentiel, celui d’une plus grande liberté d’action dans la prise en charge du SCA. Les différences interindividuelles dans la réponse au clopidogrel ont attiré l’attention sur les différences entre les patients et la nécessité d’individualiser le traitement. La mesure de l’activité antiplaquettaire aux urgences est embêtante, si bien que divers agents ne nécessitant pas d’analyse de la réactivité plaquettaire pourraient être utiles chez des patients exposés à des risques variables d’hémorragie majeure ou d’événement thrombotique récidivant. Cette considération est pertinente non seulement en cas d’urgence, mais aussi dans un contexte de prise en charge du risque à long terme chez les survivants d’un IM, les patients chez qui un tuteur a été implanté ou les patients généralement à risque élevé de complications vasculaires.

«La principale difficulté de la prévention et de la prise en charge des SCA, tant à court qu’à long terme, sera d’individualiser le traitement en fonction des caractéristiques du patient, des autres affections dont il souffre, de ses facteurs de risque à court et à long terme et de sa réponse escomptée», fait remarquer le Pr Lars Wallentin, professeur titulaire de médecine, Université d’Uppsala, Suède.

En termes d’inhibition efficace et réversible du récepteur P2Y<sub>12</sub>, ces agents ne semblent avoir aucun désavantage par rapport au prasugrel ou au clopidogrel. Bien que le ticagrelor n’ait jamais fait l’objet d’une comparaison directe avec le prasugrel, des essais cliniques indépendants ont montré qu’il s’apparentait au clopidogrel quant au degré de protection qu’il offre contre les événements thrombotiques majeurs. Les deux agents semblent avoir l’avantage d’être associés à un risque moindre d’interactions médicamenteuses lorsqu’ils sont utilisés en concomitance avec un inhibiteur de la pompe à protons (IPP). L’absence d’interaction avec les IPP a été objectivée lors d’une analyse post-hoc de l’essai TRITON-TIMI 38 dans le cas du prasugrel et d’une nouvelle analyse satellite de PLATO dans le cas du ticagrelor. Dans cette dernière analyse, la fonction plaquettaire a été évaluée au sein de sous-groupes de patients sous clopidogrel et sous ticagrelor qui prenaient ou non un IPP. Chez les patients qui prenaient un IPP, comme le souligne l’auteur principal de cette étude satellite, le Dr Shankar B. Patil, University of Sheffield, la réactivité plaquettaire était significativement plus forte sous clopidogrel, mais pas sous ticagrelor selon plusieurs méthodes d’analyse. Ce résultat est logique du fait que le métabolisme du ticagrelor, comme celui du prasugrel, ne dépend pas des isoenzymes du cytochrome P450 hépatique, qui augmentent le risque d’interactions médicamenteuses, indique-t-il. Cette nouvelle donnée ne devrait qu’ajouter à la fiabilité et à la constance des nouveaux anti-P2Y<sub>12</sub>.

Résumé

Depuis de nombreuses années, la double inhibition plaquettaire par le clopidogrel et l’AAS est le traitement de référence pour la réduction du risque d’événement thrombotique récidivant après un SCA, mais les protocoles sont sur le point de changer. Le prasugrel est un anti-P2Y<sub>12</sub> irréversible comme le clopidogrel, mais il exerce une activité antiplaquettaire plus puissante et, bien qu’il augmente le risque d’hémorragie majeure, il est souvent associé à un meilleur ratio bénéfice:risque après un SCA. Les anti-P2Y<sub>12</sub> réversibles sont encore en développement clinique, mais l’un de ces agents, le ticagrelor, a déjà fait l’objet d’une étude de phase III comparative avec le clopidogrel lors de laquelle il a permis de diminuer la mortalité sans augmenter le taux global d’hémorragies majeures. D’autres anti-P2Y<sub>12</sub> réversibles en développement, notamment des préparations injectables par voie intraveineuse, devraient élargir substantiellement l’éventail d’options et, espérons-le, améliorer l’issue clinique des SCA.

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