Comptes rendus

Inhibition de kinases multiples dans le traitement de l’hypernéphrome : le rôle de l’urologue
Modulation de la pression intraoculaire et du débit sanguin oculaire : retombées sur le traitement du glaucome à angle ouvert

Nouvelle orientation dans l’inhibition de la calcineurine

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

La 26e Assemblée et les Séances scientifiques annuelles de la Société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire

Madrid, Espagne / 5-8 avril 2006

Selon la base de données de la Société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire, le tacrolimus, un inhibiteur de la calcineurine (IC), était utilisé chez moins de 10 % des transplantés cardiaques en 1999 alors que son utilisation est passée à 46 % en 2003; les pourcentages correspondants pour la cyclosporine sont de 89 % en 1999 et de 48 % en 2003. Au dire du Dr David O. Taylor, service de cardiologie, Cleveland Clinic Foundation, Ohio, «ce changement de cap fait suite à une série d’essais cliniques d’envergure assez petite qui se sont déroulés durant la deuxième moitié des années 1990». Prises collectivement, ces premières études donnaient à penser que les taux de rejet et de survie étaient similaires pour les schémas à base de cyclosporine et les schémas à base de tacrolimus. Si le tacrolimus causait moins d’hypertension et d’hyperlipidémie, il était par contre plus souvent à l’origine de nouveaux cas de diabète.

Récemment, deux essais cliniques randomisés, ouverts et prospectifs de grande envergure ont été réalisés, aux États-Unis dans un cas, en Europe dans l’autre, et leurs résultats favorisent l’utilisation du tacrolimus en première intention chez les transplantés cardiaques. Dans l’essai américain, 343 transplantés cardiaques ont reçu aléatoirement des corticostéroïdes et l’association tacrolimus/sirolimus, tacrolimus/mycophénolate mofétil (MMF) ou cyclosporine/MMF pendant un an (Kobashigawa et al. Am J Transplant 2005;5[Suppl 11]:250). «Lorsqu’il était associé au MMF, le tacrolimus entraînait moins de rejets aigus, moins d’hypertension et moins d’hyperlipidémie que la cyclosporine», de conclure le Dr Taylor. Lorsqu’il était associé au sirolimus, le tacrolimus était très efficace, mais il augmentait le risque d’insuffisance rénale au même titre que la cyclosporine. De plus, la posologie optimale reste à déterminer.

Le Dr Mauro Rinaldi, division de chirurgie cardiothoracique, Azienda Sanitaria Ospedaliera Molinette San Giovanni Battista, Università di Torino, Italie, a discuté de l’étude multicentrique européenne sur la cyclosporine et le tacrolimus, dont les résultats seront publiés incessamment dans l’American Journal of Transplantation. Après un traitement d’induction (corticostéroïdes suivis de la globuline antithymocyte ou du muromonab-CD3), 314 patients ont été randomisés de façon à recevoir soit le tacrolimus, soit la cyclosporine, en association avec l’azathioprine et des corticostéroïdes.

Le taux de survie à 18 mois était de 92,9 % chez les patients traités par le tacrolimus et de 89,8 % chez les patients traités par la cyclosporine. Après six mois, une différence significative était apparente entre les deux groupes quant au taux de rejet de grade élevé : 72 % des patients n’ont pas eu de rejet aigu de grade ³3A confirmé par biopsie dans le groupe tacrolimus vs 58 % dans le groupe cyclosporine [p=0,013]). Selon l’analyse des données d’innocuité, une hypertension est apparue chez un nombre significativement moins élevé de patients dans le groupe tacrolimus (65,6 %) que dans le groupe cyclosporine (77,7 %). De même, l’apparition d’une hyperlipidémie était significativement moins fréquente chez les patients du groupe tacrolimus (28,7 % vs 40,1 %, respectivement). Par contre, les nouveaux cas de diabète étaient significativement plus fréquents dans le groupe tacrolimus (20,3 %) que dans le groupe cyclosporine (10,5 %). Cela dit, explique le Dr Rinaldi, «les patients qui devenaient diabétiques étaient généralement plus âgés, et il ressort de certaines données qu’une diminution des doses de stéroïdes pourrait ramener le nombre de nouveaux cas de diabète à un niveau acceptable».

Au nombre des lacunes de l’étude, citons l’utilisation de l’azathioprine comme traitement adjuvant parce que le MMF, qui est maintenant d’usage plus répandu, n’était pas accessible au moment où l’étude a débuté. Le profil d’effets indésirables dépend du schéma immunosuppresseur global, mais les schémas sans IC ne réduisent pas nécessairement le nombre d’effets indésirables, de conclure le Dr Rinaldi.

Vers l’individualisation du traitement

Les essais cliniques sur les IC ont apporté d’importants éléments d’information sur les schémas à privilégier dans certaines situations cliniques, mais, comme le précise la Dre Patricia Uber, département de médecine, University of Maryland, Baltimore, «l’issue de la transplantation cardiaque varie énormément selon les caractéristiques du receveur». Les enfants et les Africains-Américains semblent particulièrement sensibles aux différences pharmacocinétiques et aux interactions médicamenteuses, d’où l’importance d’avoir un tableau exact de l’exposition au traitement (Mehra et al. Transplantation 2002;74[11]:1568-73). Il a été démontré que la mesure des concentrations de l’agent administré deux heures après l’administration, par opposition à la mesure de ces mêmes concentrations en fin d’intervalle posologique, donne une meilleure indication de l’exposition à la cyclosporine.

Il a aussi été démontré que la cyclosporine en microémulsion améliore les paramètres pharmacocinétiques de l’exposition à cet agent. Lors d’études dans lesquelles on comparait le tacrolimus à libération immédiate avec une préparation à libération modifiée, les aires sous la courbe étaient similaires. On n’a signalé aucun rejet aigu, aucune mort ni perte de greffon chez les patients qui sont passés à la préparation à libération modifiée, laquelle pourrait permettre une plus grande constance des paramètres de l’exposition chez les enfants et les Africains-Américains.

On a aussi exploré différentes voies d’administration afin de mieux contrôler les paramètres pharmacocinétiques de l’exposition au médicament. Chez quatre transplantés cardiaques (deux Noirs et deux Blancs), la concentration maximale (Cmax) de tacrolimus était légèrement moins élevée après l’administration sublinguale qu’après l’administration orale. Lorsque le tacrolimus est administré par voie sublinguale, on doit prendre des mesures pour neutraliser son goût désagréable. De l’avis de la Dre Uber, la préparation sublinguale ne remplacera pas le traitement par voie orale, mais cela pourrait être une option valable dans certaines situations. Une étude qui visait à comparer la cyclosporine administrée en inhalation avec un placebo chez des transplantés pulmonaires a mis en évidence un taux de survie sans bronchiolite oblitérante significativement plus élevé après trois ans, mais aucune différence significative n’a été signalée quant à la fréquence des rejets aigus histologiques. L’interprétation des résultats de cette étude commande toutefois la prudence à cause de déséquilibres entre le groupe placebo et le groupe de traitement actif, prévient la Dre Uber.

Variantes génétiques et activité des IC

Le Dr Steven Webber, directeur, transplantations cardiaques et cardiopulmonaires chez l’enfant, Children’s Hospital of Pittsburgh, Pennsylvanie, estime que les différences ethniques et d’autres différences démographiques n’expliquent probablement qu’en partie la variabilité importante des résultats obtenus avec les IC chez les transplantés d’organes solides. Pour comprendre à fond la réponse individuelle aux IC, il faudrait tenir compte des variantes génétiques. En définitive, pareille démarche pourrait nous aider à éviter une suppression systématiquement excessive et à atténuer les effets indésirables tout en maintenant une efficacité optimale.

Nous pourrions étudier un certain nombre de voies et de systèmes candidats sur le plan de la pharmacogénomique, dont les cytokines/chimiokines et leurs récepteurs ainsi que les molécules d’adhésion et les molécules costimulantes. «On estime qu’il y a environ 10 à 20 millions de polymorphismes génétiques chez plus de 5 % de la population générale, de sorte que nous devrions nous concentrer sur certains facteurs biologiques afin de restreindre la recherche», affirme le Dr Webber. Des gènes comme ABCB1/MDR1 (codant pour la glycoprotéine-P) et les isoenzymes de la sous-famille CYP3A4/5 semblent jouer un rôle dans la détermination de l’exposition aux IC et l’efficacité de ces derniers, et pourraient expliquer en grande partie les différences inter-raciales quant au devenir du médicament. Cependant, souligne le Dr Webber, «ce sont là des systèmes biologiques très complexes et il est extrêmement improbable qu’un seul polymorphisme ait un effet marqué». Certes, cette recherche n’aura probablement pas de retombées immédiates sur la pratique clinique, mais peut-être pourra-t-on un jour combiner des tests génétiques avec l’évaluation de facteurs cliniques traditionnels pour améliorer les résultats que nous obtenons avec les IC.

Transplantation pulmonaire

Les IC peuvent aussi être très efficaces dans le traitement immunosuppresseur chez les transplantés pulmonaires. Dans sa synthèse des études sur la cyclosporine et le tacrolimus, le Dr Walter Klepetko, département de chirurgie cardiothoracique, faculté de médecine, Université de Vienne, Autriche, a conclu dans ces mots : «Les données actuelles à l’appui de la supériorité de l’un ou l’autre médicament demeurent limitées. Lorsque les résultats d’une étude multicentrique en cours seront publiés l’an prochain, nous serons en meilleure position pour déterminer lequel des deux est supérieur à l’autre.» Les résultats de certaines études semblent toutefois indiquer une tendance vers une diminution des rejets aigus sous l’effet du tacrolimus, d’où la possibilité d’une incidence plus faible de la bronchiolite oblitérante.

Résumé

«Nous avons regroupé de nouvelles données provenant d’un grand nombre de patients et de pays, et ces efforts doivent se poursuivre», affirme la Dre Lori West, professeure de pédiatrie et de chirurgie, University of Alberta. Cela dit, nous devons approfondir la recherche afin de mieux comprendre comment la variabilité génétique individuelle influe sur l’issue clinique des transplantations. Le volet biologie est complexe, mais, de l’avis de la Dre West, «la possibilité d’individualiser le traitement en fonction des besoins propres à chaque patient est à notre portée».

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