Comptes rendus

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Diabète de type 2 et antihyperglycémiants : point de vue rénal

Nouvelles données comparatives sur les agents anti-VEGF dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - l’Assemblée annuelle de l’Association for Research in Vision and Ophthalmology (ARVO)

Seattle, Washington / 5-9 mai 2013

Seattle - Une comparaison directe n’a pas réussi à montrer que le bévacizumab était aussi efficace et sûr que le ranibizumab dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) néovasculaire. L’évaluation des deux agents en fonction du paramètre principal de l’étude – qui a été présentée au congrès – a révélé que le bévacizumab n’avait pas atteint le critère de non-infériorité. Les analyses d’innocuité n’ont objectivé aucune différence significative entre les deux agents quant au taux d’effets indésirables graves (EIG), mais ces résultats viennent contredire ceux d’une étude antérieure ayant révélé que les EIG étaient significativement plus fréquents sous bévacizumab. Selon une méta-analyse pour laquelle on a colligé les données de l’essai le plus récent intitulé IVAN2 (Inhibition of VEGF in Age-related choroidal neovascularization 2) et celles de l’essai antérieur, le bévacizumab a atteint le seuil de non-infériorité, mais le risque accru d’EIG persistait. La tendance vers une différence entre les deux agents qui se dégage de l’évaluation comparative selon plusieurs paramètres secondaires de l’essai IVAN2 remet en doute l’équivalence des deux agents selon le calcul du rapport bénéfice:risque.

Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec

De nouvelles données peu éclairantes

Le ranibizumab est devenu un agent de première intention dans le traitement de la DMLA lorsque des essais de phase III d’envergure l’ont associé à la prévention de la cécité. Les effets indésirables systémiques ont été peu fréquents. Le bévacizumab, comme le ranibizumab, inhibe aussi le VEGF, mais il est indiqué pour la suppression de la croissance des cancers. Certains médecins l’utilisent néanmoins pour traiter la DMLA parce que son prix d’acquisition est souvent plus bas, mais cette utilisation hors indications est controversée, car ces deux agents diffèrent sur le plan pharmacologique et le rapport bénéfice:risque est incertain. L’essai antérieur CATT (Comparison of AMD Treatments Trial), qui avait objectivé des différences entre le bévacizumab et le ranibizumab sur le plan de l’innocuité, n’a pas mis fin à la controverse au sujet de l’utilisation hors indications. Lors de l’essai le plus récent, IVAN2, la non-infériorité sur le plan de l’efficacité n’a pas été démontrée.

«L’intervalle de confiance à 95 % de la différence entre les groupes ranibizumab et bévacizumab – dont les sujets étaient répartis également – franchit le seuil de non-significativité de même que le seuil de non-infériorité, la différence moyenne atteignant 1,37 lettre [en faveur du ranibizumab]», souligne le Dr Simon Harding, St. Paul’s Eye Unit, Royal Liverpool University Hospital, Royaume-Uni. De plus, la comparaison en parallèle de l’utilisation mensuelle et de l’utilisation discontinue d’un anti-VEGF a révélé que la différence entre les deux agents en fonction du paramètre principal n’avait pas réussi à prouver la non-infériorité du bévacizumab, de sorte qu’aucune des deux hypothèses de l’essai IVAN2 ne s’est vérifiée «selon une interprétation statistique stricte».

Le Dr Harding insiste sur cette «interprétation statistique stricte» parce qu’une méta-analyse des essais IVAN2 et CATT – qui a ramené le bévacizumab à l’intérieur des seuils prédéfinis de non-infériorité malgré un avantage numérique toujours présent pour le ranibizumab sur le plan de l’acuité visuelle – est venue contrebalancer l’absence de non-infériorité qui s’était dégagée de l’essai IVAN2. Le regroupement des données aux fins de la méta-analyse a associé le bévacizumab à une augmentation substantielle et statistiquement significative du risque d’EIG (35,6 % vs 29,6 %; p=0,01), de sorte que l’équivalence des deux agents sur le plan du rapport bénéfice:risque demeure douteuse selon l’une et l’autre évaluation (Figure 1).

Résultats de l’essai IVAN2 à 2 ans

Lors de l’essai multicentrique IVAN2 réalisé au Royaume-Uni, 628 patients atteints de DMLA ont été randomisés de façon à recevoir 0,3 mg de ranibizumab ou 1,25 mg de bévacizumab par injection intravitréenne. Après une première série de trois injections mensuelles dans les deux groupes, environ la moitié des patients de chaque groupe recevait aléatoirement l’injection 1 fois/mois tandis que l’autre moitié recevait les injections à la demande (prn). Dans le sous-groupe recevant les injections en discontinu, le besoin d’une injection de ranibizumab ou de bévacizumab était déterminé par la perte d’acuité visuelle ou l’apparition de signes cliniques comme une exsudation active. Les données à 2 ans au terme de l’essai IVAN2, présentées au congrès, englobaient les résultats des analyses d’efficacité et d’innocuité du bévacizumab et du ranibizumab, y compris les résultats obtenus dans les sous-groupes recevant l’injection 1 fois/mois ou de manière discontinue.

 

Figure 1.  Méta-analyse sur l’innocuité (CATT+IVAN2)

 

La comparaison des anti-VEGF a révélé que la meilleure acuité visuelle corrigée (MAVC), le paramètre principal, avait augmenté en moyenne de 67,8 lettres sous ranibizumab et de 66,1 lettres sous bevacizumab (p=0,26). Les intervalles de confiance (IC) à 95 % étaient étendus, ce qui autorisait une diminution de >3 lettres de l’acuité visuelle sous bévacizumab par rapport au ranibizumab (Figure 2). L’IC de la différence s’est donc trouvé à franchir le seuil de non-infériorité prédéterminé. Deux des trois paramètres fonctionnels secondaires et deux des trois échelles de qualité de vie favorisaient le ranibizumab, mais aucune de ces différences n’a atteint le seuil de significativité statistique.

Dans le cadre de l’essai IVAN2, les analyses d’innocuité ont révélé qu’en fonction de chacun des trois paramètres majeurs – à savoir, la mort, la survenue d’un événement athérothrombotique et la survenue d’un EIG –, les deux anti-VEGF ne différaient pas de manière significative. L’évaluation des EIG touchant les principaux systèmes organiques a révélé que le taux plus élevé d’EIG digestifs sous bévacizumab avoisinait le seuil de significativité statistique (p=0,06), mais les taux d’autres EIG étaient généralement similaires. Le taux d’atrophie géographique (AG) était plus faible sous ranibizumab (28,0 % vs 31,2 %), mais la différence n’était pas significative (p=0,46).

La comparaison des injections continues et des injections discontinues a révélé que l’avantage de 1,37 lettre en faveur du schéma continu n’avait pas atteint le seuil de significativité statistique (p=0,26), mais, là encore, le schéma discontinu n’a pas pu être qualifié de non inférieur parce que l’IC à 95 % ouvrait la porte à un désavantage moyen de plus de 3 lettres, ce qui excédait l’écart permissible. Le schéma continu était aussi significativement supérieur au schéma discontinu selon deux des paramètres fonctionnels secondaires (acuité visuelle de près et sensibilité différentielle).

 

Figure 2. IVAN2 : Meilleure acuité visuelle corrigée

 

Selon les analyses d’innocuité des schémas continu et discontinu, le traitement continu a une significativité limite sur le plan de la mortalité (paramètre) avec un risque relatif approché (OR) de 0,47 (p=0,05), soit une diminution relative >50 %. Le taux d’événement athérothrombotique était au-delà de 40 % plus faible, quoique l’écart n’ait pas atteint le seuil de significativité statistique (OR 0,56; p=0,13). Le taux d’EIG était également moindre dans le groupe recevant le schéma continu (OR 0,77; p=0,16), mais l’écart n’a pas atteint le seuil de significativité statistique. Cependant, le taux d’AG était significativement plus faible chez les sujets qui recevaient des injections discontinues (25,7 % vs 33,3 %; p=0,033). La tendance vers une plus grande innocuité du traitement continu – que les chercheurs de l’essai IVAN2 ont qualifiée de contraire à la logique – fait maintenant l’objet d’une évaluation plus poussée.

Méta-analyse des essais CATT et IVAN2

Afin d’approfondir la comparaison, les chercheurs de l’essai IVAN2 ont combiné leurs données à celles de l’essai CATT, et le fruit de cette comparaison a été présenté au congrès annuel 2012 de l’ARVO, puis publié (Martin et al. Ophthalmology 2012;119:1388-98). Dans le cadre de l’essai CATT, dont le plan était similaire, mais dont l’envergure était beaucoup plus importante, 1185 patients ont été randomisés de façon à recevoir du ranibizumab ou du bévacizumab et, au sein de ces groupes, les patients étaient randomisés de façon à recevoir le schéma en continu ou à la demande. L’avantage de 1,4 lettre associé au ranibizumab qui s’est dégagé de cet essai par rapport au bévacizumab n’a pas atteint le seuil de significativité statistique (p=0,21), mais l’IC à 95 % (-3,7 à +0,8 lettres) autorisait un désavantage de >3 lettres en faveur du bévacizumab. Dans le cadre de l’essai CATT, le risque d’EIG était significativement plus élevé avec bévacizumab (OR 1,3; p=0,009).

Comme les résultats des essais étaient similaires sur le plan de l’efficacité, la méta-analyse a aussi fait ressortir un avantage similaire et non significatif du ranibizumab selon le paramètre de l’acuité visuelle; l’IC à 95 % (-2,82 à +0,52) a toutefois rétréci au point où la borne inférieure s’est retrouvée en deçà du seuil de non-infériorité prédéfini. Dans le cadre de la comparaison des schémas continu et discontinu, l’IC plus étroit en raison de données plus nombreuses a rendu l’avantage associé au schéma continu statistiquement significatif (-2,23 lettres; p=0,01). Les données colligées ont permis aux chercheurs de l’essai IVAN2 d’avancer que le bévacizumab était non inférieur sur le plan de l’efficacité, mais le ranibizumab s’est avéré mieux toléré selon ces données.

GEFAL : Évaluation du ratio bénéfice:risque

Il était déjà compliqué de déterminer si le rapport bénéfice:risque du ranibizumab et celui du bévacizumab étaient similaires; la présentation au congrès d’un autre essai de non-infériorité multicentrique est donc venue brouiller les pistes. L’essai intitulé GEFAL (Groupe d’évaluation français Avastin Lucentis) regroupait 501 patients atteints de DMLA qui avaient été randomisés de façon à recevoir à la demande un schéma de ranibizumab ou de bévacizumab. Tous les patients ont d’abord reçu trois injections mensuelles. Les injections subséquentes étaient administrées à la demande, selon la perte visuelle ou des critères cliniques prédéterminés. Le paramètre principal – la variation de l’acuité visuelle – était mesuré à 12 mois, et la non-infériorité dépendait d’un écart d’au plus 5 lettres.

Les résultats de l’essai GEFAL ont compliqué la comparaison ranibizumab-bévacizumab en raison de multiples disparités par rapport aux données antérieures. Dans cette étude, contrairement aux autres études, le gain en nombre de lettres sous bévacizumab était plus marqué, quoique les patients sous ranibizumab aient été plus susceptibles de bénéficier d’une amélioration de 15 lettres (21,3 % vs 20,4 %) et d’obtenir une vision 20/20 (17,5 % vs 15,2 %). De plus, le nombre moyen d’injections était plus faible sous ranibizumab (écart non significatif), et la plupart des résultats anatomiques, comme la variation de l’épaisseur de la choroïde et la fuite de colorant à l’angiogramme, favorisaient le ranibizumab. Les deux agents ont été bien tolérés, mais les auteurs de l’essai GEFAL se disent préoccupés par le risque global plus marqué d’effet indésirable sous bévacizumab.

«Si l’on inclut les données de l’essai GEFAL dans la méta-analyse, les EIG sont plus nombreux sous bévacizumab, mais le risque de décès ou d’événement athérothrombotique n’est pas plus élevé», souligne le Dr Laurent Kodjikian, Centre hospitalier universitaire, Lyon, France, qui présentait les données de l’essai GEFAL. Au vu de ce signal d’alarme, conclut-il, le bévacizumab «devrait s’inscrire dans un plan de gestion du risque»; autrement dit, on devrait surveiller et évaluer les effets indésirables de manière prospective.

Lors de l’essai GEFAL, le bévacizumab était préparé en conditions stériles dans des laboratoires hospitaliers, et la portion inutilisée du flacon de 100 mg était jetée en vertu du protocole. Cet aspect du protocole de l’étude a été vivement critiqué du fait que cet essai et d’autres essais ne reflètent pas la pratique clinique. La reconstitution du bévacizumab, qui n’est pas offert en doses ophtalmiques, introduit un risque supplémentaire de contamination, comme en témoignent des cas d’endophtalmie. On ne sait pas avec certitude si le faible taux d’endophtalmie enregistré lors de l’essai GEFAL et d’autres essais est représentatif de la pratique clinique.

Regard sur la pertinence
des taux circulants de VEGF

C’est en raison de leurs modes d’action similaires que l’on remplace le ranibizumab par le bévacizumab bien que ce dernier n’ait pas d’indication en ophtalmologie, mais les résultats des essais réalisés à ce jour remettent le bien-fondé de cette démarche en question. Sur le plan de la spécificité d’action, le risque accru d’effet indésirable sous bévacizumab s’expliquerait par la pénétration plus marquée de ce dernier dans la grande circulation après une injection intravitréenne. Lors de l’essai IVAN2, le taux sérique de VEGF des patients sous ranibizumab avait chuté en moyenne d’environ 15 % après 12 mois de traitement et de 5 à 8 % de plus après 24 mois.
En revanche, le taux sérique de VEGF des patients sous bévacizumab avait chuté en moyenne de >50 % après 12 mois et de 5 à 8 % de plus après 24 mois (Figure 3).

 

Figure 3. IVAN2 : Taux sérique médian de VEGF

 

«L’administration intraoculaire d’un anti-VEGF entraîne une chute des taux circulants de VEGF. La baisse était plus marquée sous bévacizumab. Nous ne savons pas si ce phénomène est imputable à la dose ou à la plus grande taille de la molécule, ajoute l’un des chercheurs de l’essai IVAN2. Ce que cela veut dire sur le plan de l’innocuité, nous n’en avons aucune idée!»

On prévoit analyser les données à 5 ans de l’essai IVAN2, mais le ranibizumab demeure le traitement de référence et continuera d’être utilisé chez les patients ayant besoin d’un traitement anti-VEGF supplémentaire, explique la Pre Usha Chakravarthy, Queen’s University, Belfast, Royaume-Uni, qui faisait aussi partie de l’équipe des chercheurs de l’essai IVAN2. Aucune étude pivot de phase III n’est en cours en prévision de l’homologation prochaine du bévacizumab en ophtalmologie.

Conclusion

Un essai de 2 ans visant à comparer le bévacizumab au ranibizumab quant à la maîtrise de la DMLA n’a pas réussi à objectiver la non-infériorité du premier agent. Cette étude était la deuxième étude multicentrique à avoir pour objectif de déterminer si le bévacizumab est aussi efficace et sûr que le ranibizumab dans la DMLA. L’analyse groupée des données des deux études a objectivé des différences cliniquement significatives sur le plan de l’innocuité. D’autres données de ces études, dont l’inhibition plus marquée du VEGF en dehors de l’œil, étayent la conclusion voulant que ces agents ne soient pas interchangeables. 

 

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