Comptes rendus

Tour d’horizon des essais cliniques : Nouvelles données en perspective
Sclérose en plaques : le traitement précoce est bénéfique dès les premiers signes

Nouvelles options thérapeutiques dans les pneumonies nosocomiales et les pneumonies sous respirateur

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

18e Congrès européen sur la microbiologie clinique et les maladies infectieuses (ECCMID)

Barcelone, Espagne / 19-22 avril 2008

Commentaire éditorial :

Ethan Rubinstein, MD, LLB

Professeur-chercheur Titulaire de la chaire H.E. Sellers

Chef, division des maladies infectieuses Département de médecine interne University of Manitoba Winnipeg, Manitoba

Des divers agents pathogènes pouvant déterminer une pneumonie nosocomiale (PN), Staphylococcus aureus préoccupe particulièrement les cliniciens. Lors d’une étude récente menée à l’aide de bases de données sur des patients hospitalisés dans des établissements américains prodiguant des soins de courte durée, on a constaté que seul cet agent était en corrélation avec la mortalité (Kollef et al. Chest 2005;128:3854-62). Récemment, on a observé une brusque hausse de l’incidence des infections par des souches de S. aureus résistant à la méthicilline (SARM). Or, SARM provoque habituellement plus de décès que les autres microorganismes; quant à la résistance, non seulement à la méthicilline mais également à d’autres antibiotiques, c’est un problème qui s’accentue. Cet état de choses complique le traitement des infections et restreint les options thérapeutiques. Bien que la vancomycine soit l’antibiothérapie de référence en cas d’infection à SARM depuis bon nombre d’années, elle présente quelques inconvénients. Ainsi, elle pénètre plus ou moins bien dans le tissu pulmonaire, et on craint que ne se répandent dans les hôpitaux des souches extra-hospitalières de SARM plus résistantes encore. Les souches de S. aureus associées à une concentration minimale inhibitrice (CMI) plus forte (le fameux «glissement des CMI») sévissent probablement depuis quelques années déjà. C’est ainsi que sont nées des souches de S. aureus de sensibilité intermédiaire à la vancomycine en raison d’une résistance hétérogène (hVISA, pour heterogeneous vancomycin-intermediate S. aureus) ou non (VISA, vancomycin-intermediate S. aureus). Le risque que certaines souches de S. aureus acquièrent le gène vanA d’autres bactéries, ce qui engendrerait une diminution soudaine de la sensibilité et l’apparition de souches résistantes à la vancomycine (VRSA, vancomycin-resistant S. aureus), est également préoccupant. En effet, un nombre croissant d’observations témoignent de l’effet défavorable de cette sensibilité diminuée sur l’évolution de l’état de santé des patients. À titre d’exemple, Fridkin et son équipe (Clin Infect Dis 2003;36:429-39) font état d’un taux de mortalité de 63 % chez des sujets infectés par une souche de S. aureus moins sensible à la vancomycine, comparativement à 12 % pour l’ensemble des infections à SARM. À n’en pas douter, de nouvelles options de traitement s’imposent dans la PN.

Nouvelle option de traitement contre les bactéries à gram positif

La télavancine, nouveau lipoglycopeptide antimicrobien, fait actuellement l’objet d’essais cliniques. Cet agent possède un double mode d’action, atout non négligeable pour assurer une sensibilité soutenue. À l’instar des glycopeptides, la télavancine perturbe la synthèse du peptidoglycane, inhibant du coup celle de la paroi bactérienne. En outre, le composé interagit directement avec le lipide II membranaire, empêchant la membrane bactérienne de jouer son rôle de barrière. Rapidement bactéricide, la molécule est efficace contre de nombreux agents pathogènes sévissant en clinique, dont SARM. Son profil pharmacocinétique linéaire et prévisible devrait favoriser sa mise à contribution en clinique, vraisemblablement sans surveillance des concentrations sériques dans la majorité des cas.

Afin d’évaluer la sensibilité de SARM à une gamme d’antimicrobiens, on a mené une étude sur 646 isolats uniques provenant de patients soignés dans 26 hôpitaux de 10 pays européens (y compris Israël et la Turquie); la CMI à 50 % et à 90 % de la télavancine s’est établie à 0,12 mcg/L et à 0,25 mcg/L, respectivement. À titre comparatif, notons que la CMI50 et la CMI90 de la vancomycine étaient toutes les deux de 1 mcg/L. Par ailleurs, la CMI50 de la daptomycine, antimicrobien récent, s’est chiffrée à 0,25 mcg/L et sa CMI90, à 0,5 mcg/L; quant au linézolide, autre agent d’emploi courant dans les infections à SARM, sa CMI50 se situait à 1 mcg/L et sa CMI90, à 2 mcg/L.

Études ATLAS

Le programme d’essais cliniques comprenait deux études randomisées de phase III identiques, ATLAS 1 et 2 (Assessment of Telavancin in Skin and Skin Structure Infections), obligatoires aux fins d’homologation. Le critère d’évaluation principal, à savoir la non-infériorité par rapport à la vancomycine, devait être satisfait dans les deux études. Par ailleurs, un regroupement des résultats des deux essais avait été exigé dès le départ. On a donc comparé l’efficacité et l’innocuité de la télavancine (10 mg/kg par voie intraveineuse [i.v.] toutes les 24 heures) à celles de la vancomycine (1 g i.v. toutes les 12 heures) en traitement d’infections compliquées de la peau et des tissus mous (IcPTM). On a admis 1867 patients au total. Les agents pathogènes à Gram positif le plus souvent isolés en cours d’étude ont été des souches de SARM (52 %), suivies par des souches de S. aureus sensibles à la méthicilline (SASM) (31 %). On a mis au jour des microorganismes à Gram négatif chez 17 % des patients.

Les résultats constituent une démonstration de non-infériorité, assortie de différences non significatives entre les deux agents. On a obtenu une guérison clinique chez 88,3 % des sujets du groupe télavancine et 87,1 % des sujets du groupe vancomycine. Quant aux taux de réponse thérapeutique globale, ils se sont chiffrés à 88,6 % et à 86,2 %, respectivement, dans l’ensemble de la population. Chez les patients atteints d’une infection à SARM, les taux de guérison clinique ont été respectivement de 90,6 % et de 86,4 %. La différence entre les traitements est plus prononcée dans le sous-groupe SARM, comme en témoignent les taux de réponse thérapeutique globale, soit 89,9 % vs 84,7 %. Cela dit, ces écarts ne sont pas significatifs sur le plan statistique.

Depuis environ cinq ans, on s’inquiète de la propagation du génotype USA300 et, en particulier, des souches porteuses du gène pvl. Ce gène code pour la leucocidine de Panton-Valentine, toxine qui peut provoquer une destruction leucocytaire et une nécrose tissulaire, augmentant ainsi possiblement la virulence du microorganisme. Les chercheurs du groupe ATLAS se sont donc livrés à une analyse d’efficacité chez les sujets porteurs de ces agents pathogènes. La présence du gène pvl n’a eu aucune incidence sur le taux de guérison.

À en juger par les résultats des études ATLAS, la télavancine pourrait se révéler utile dans les IcPTM, et les nouvelles souches de SARM y sont sensibles en clinique. Reste à savoir si on peut y recourir en présence d’infections plus graves, telles que la PN et la PSR, associées à une forte mortalité.

Études ATTAIN

Afin d’évaluer l’utilité de la télavancine dans la PN, on a entrepris les études ATTAIN (Comparison of Telavancin and Vancomycin for Hospital-Acquired Pneumonia Due to Methicillin-Resistant Staphylococcus Aureus). Lors d’une communication verbale tenue dans le cadre de l’ECCMID, on a présenté les premiers résultats de ces études multicentriques et multinationales de phase III, menées à double insu avec randomisation.

Il s’agit, comme dans le cas des études ATLAS, de deux essais, exigence réglementaire dont l’objectif était, une fois de plus, le regroupement ultérieur des résultats. Ici encore, on souhaitait vérifier la non-infériorité par rapport à la vancomycine, antibiothérapie de référence de la pneumonie causée par un microorganisme à Gram positif.

Pour être admis à l’étude, les patients devaient présenter un tableau clinique compatible avec la PN ou la PSR, et le principal agent pathogène soupçonné ou confirmé devait être à Gram positif. Les personnes sous antibiothérapie générale potentiellement efficace depuis plus de 24 heures ou dont la PN était causée uniquement, sur la foi de soupçons ou à coup sûr, par un agent à Gram négatif, ont été exclues. Toutefois, l’atteinte rénale avec ou sans hémodialyse ne constituait pas un motif d’exclusion.

On a administré aux patients de la télavancine à 10 mg/kg i.v. toutes les 24 heures (ajustement en fonction de la clairance de la créatinine) ou de la vancomycine à 1 g i.v. toutes les 12 heures (ajustement conformément aux façons de faire habituelles de chaque établissement). Le passage à une pénicilline antistaphylococcique était autorisé en présence d’une infection à SASM, mais la chose a été peu fréquente. Était également autorisé le traitement pour germe à Gram négatif en cas de co-infection. Les sujets ont été traités pendant sept à 21 jours.

Il y avait trois résultats cliniques possibles : guérison clinique (disparition des signes et des symptômes de la pneumonie avec amélioration ou absence de progression des observations radiographiques de départ); échec clinique (poursuite du traitement en raison de la persistance ou de la progression de la pneumonie, récidive post-thérapeutique ou mort causée par la primo-infection); ou résultat indéterminé (données insuffisantes pour juger de l’issue de la pneumonie).

Après randomisation, 749 patients ont reçu de la télavancine et 754, de la vancomycine. C’est là, croit-on, la plus vaste population soumise à un essai clinique à double insu avec randomisation sur la PN causée par un germe à Gram positif. Les patients étaient généralement âgés (au-delà de 50 % de la population avait plus de 65 ans et au-delà de 30 %, plus de 75 ans) et gravement malades (environ 25 % de la population était au service des soins intensifs [SSI] et 45 % était sous intubation). En outre, plus de la moitié des patients étaient sous respirateur et plus du quart souffraient d’une PSR dans les deux groupes. Enfin, de 13 à 14 % des sujets étaient considérés comme obèses (Tableau 1).

Tableau 1. Caractéristiques démographiques et portrait de départ de la population ATTAIN (ensemble des patients traités regroupés)


Le taux de guérison clinique après regroupement des résultats, établi lors de la visite d’évaluation de la guérison, se situait à 58,9 % (441/749) dans le groupe télavancine et à 59,5 % (449/754) dans le groupe vancomycine pour l’ensemble des sujets traités. Si l’on s’en tient à la population cliniquement évaluable, on obtient des taux de guérison clinique de 82,7 % (258/312) et de 80,9 % (280/346), respectivement. Dans tous les cas, les intervalles de confiance (IC) à 95 % témoignent d’une non-infériorité.

Il ressort de l’analyse de la réponse clinique dans certaines sous-populations que la télavancine semble plus efficace dans les infections les plus graves (Tableau 2). Ainsi, dans la PSR, la télavancine a autorisé un taux de guérison de 80,3 % et la vancomycine, un taux de 67,6 %, soit un écart de 13,2 %; cependant, celui-ci ne saurait être qualifié de significatif en raison des IC (-1,8 % à 26,8 %). Dans la pneumonie à SARM, les taux de guérison étaient plus élevés sous télavancine que sous vancomycine (81,8 % vs 74,1 %), mais cette différence n’est pas significative.

Tableau 2. Guérison clinique lors de la visite d’évaluation de la guérison dans les sous-
niquement évaluables

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Aucune observation préoccupante n’a été faite sur le plan de l’innocuité. Le pourcentage de sujets ayant éprouvé au moins un effet indésirable est comparable (82 % pour la télavancine et 81 % pour la vancomycine). Dans les deux groupes, les effets indésirables apparus le plus souvent pendant le traitement ont été la diarrhée (11 % vs 12 %), l’anémie (9 % vs 11 %), la constipation (9 % vs 9 %) et l’hypokaliémie (8 % vs 11 %).

Le principal critère du programme ATTAIN a donc été satisfait : la télavancine s’est montrée non inférieure à la vancomycine, tant chez l’ensemble des sujets traités que chez les sujets cliniquement évaluables des deux études, puisque les IC à 95 % se situaient bien à l’intérieur de la marge prédéfinie de 10 %.

Les résultats des analyses des sous-populations revêtent une pertinence clinique particulière. En effet, ils ont révélé que les patients les plus gravement atteints – ceux qui souffraient d’une PSR ou étaient porteurs d’un agent pathogène associé à des infections virulentes et difficiles à traiter, par exemple SARM – semblaient mieux s’en sortir sous télavancine. Bien que ces tendances ne soient pas statistiquement significatives, les écarts restent appréciables (13,2 % dans le cas de la PSR et 7,9 % dans celui de la pneumonie à SARM). Or, l’incidence des infections à SARM est en progression soutenue et les PSR sont associées à un fort taux de mortalité. Dans ce contexte, ces constatations valent donc leur pesant d’or, car elles ouvrent une nouvelle avenue thérapeutique.

Autre particularité digne de mention : les insuffisants rénaux ont pu participer aux études. Il est rassurant de savoir que l’on peut prescrire la télavancine à ces patients, car l’insuffisance rénale est monnaie courante au SSI et annonce souvent un sombre pronostic.

Résumé

L’évolution épidémiologique des infections causées par des germes à Gram positif complique le traitement de la PN, et en particulier de la PSR. L’arsenal du clinicien s’appauvrit vu l’émergence de staphylocoques moins sensibles aux armes actuelles. La pneumonie à SARM, tout particulièrement, est de sombre pronostic. Les études ATLAS ont démontré l’efficacité de la télavancine – nouveau lipoglycopeptide – dans les IcPTM causées par des microorganismes à Gram positif. Quant aux essais randomisés de phase III du programme ATTAIN, dont les résultats ont été présentés à l’ECCMID de 2008, ils mettent en lumière les espoirs que fait naître cet agent dans la PN. Selon les analyses de sous-populations, ce nouvel antibiotique pourrait se révéler particulièrement utile dans les cas les plus graves, tels que la PSR et les infections à SARM. En définitive, ce sera bien sûr la réalité épidémiologique régionale qui déterminera le choix de l’antimicrobien. Il n’en demeure pas moins que la télavancine pourrait se révéler un précieux atout pour le clinicien.

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