Comptes rendus

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Optimisation du traitement de la maladie de Crohn : le bon patient, au bon moment

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 18e Congrès de la Fédération européenne de gastro-entérologie

Barcelone, Espagne / 23-27 octobre 2010

Forts d’une dizaine d’années d’expérience avec les inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale alpha (anti-TNF) et de connaissances toujours plus complètes sur la maladie de Crohn (MC), les cliniciens aspirent maintenant à une prise en charge plus ciblée, leur objectif ultime étant d’utiliser le bon traitement au bon moment chez le bon patient.

Sélection des patients

«Dans la pratique clinique, nous sommes maintenant en mesure de sélectionner le bon patient et de déterminer le bon moment pour instaurer l’un ou l’autre des traitements à notre disposition, car nous pouvons maintenant différencier les patients à faible risque des patients à risque élevé, affirme le Pr Daniel Hommes, professeur titulaire de gastro-entérologie, Centre médical universitaire de Leyde, Pays-Bas. Il est essentiel de bien choisir les patients et le moment où l’on instaure le traitement si l’on veut modifier le cours de la maladie. Pour définir les paramètres qui nous aident à prédire l’issue clinique à court terme, nous pouvons examiner l’historique et l’évolution de la maladie et la qualité de vie. Nous pouvons aussi nous pencher sur les profils d’innocuité maintenant très fouillés des divers immunosuppresseurs et anti-TNF afin de choisir la stratégie thérapeutique appropriée. Par ailleurs, nous avons accès à l’endoscopie pour évaluer l’activité de la maladie, et nous pouvons intensifier le traitement au besoin. Enfin, nous avons appris à individualiser les soins que nous prodiguons aux patients.»

De l’avis du Pr Paul J. Rutgeerts, professeur titulaire de médecine, Université de Louvain, Belgique, la réussite du traitement anti-TNF repose sur la sélection appropriée des candidats au traitement. «Le bon usage des anti-TNF passe forcément par la sélection du patient et le moment où débute le traitement.»

L’infliximab est l’anti-TNF pour lequel nous avons le plus d’expérience et de données dans le traitement de la MC. Ce dernier s’est révélé efficace pour induire la rémission clinique et la cicatrisation complète de la muqueuse chez les patients atteints de MC modérée ou grave. Il est indiqué pour l’induction et le maintien de la rémission dans la MC luminale active, mais le clinicien doit s’assurer que le taux de protéine C-réactive est élevé avant d’amorcer le traitement.

Le Pr Rutgeerts a fait remarquer à l’auditoire que cet anti-TNF s’était révélé «efficace dans le traitement de la MC corticodépendante et fistulisante et des manifestations systémiques du syndrome de l’intestin irritable»

Tour d’horizon des risques du traitement

L’innocuité à long terme des anti-TNF, y compris le risque d’infection grave et le risque de cancer, est à l’étude et suscite des débats depuis un certain temps déjà. «Il y a maintenant une bonne dizaine d’années que nous traitons la MC avec des anti-TNF, et de nombreuses idées fausses ont circulé au sujet de l’immunogénicité, de l’innocuité à long terme et de la posologie de l’infliximab et d’autres anti-TNF», affirme le Dr Brian Feagan, directeur, Robarts Research Institute, London, Ontario.

Tous les anticorps monoclonaux sont immunogènes, poursuit le Dr Feagan. Il est ressorti d’études réalisées chez des patients sous infliximab ou adalimumab que la formation d’anticorps dirigés contre l’anti-TNF pouvait entraîner des effets indésirables, une baisse de la concentration sérique et, par conséquent, une perte d’efficacité.

Un traitement immunosuppresseur concomitant pourrait toutefois réduire la prévalence des anticorps et accroître l’efficacité de l’anti-TNF. Lors de l’étude SONIC (Study of Biologic- and Immunomodulator-Naive patients in Crohn’s Disease), des anticorps anti-infliximab ont été décelés chez 14,6 % des sujets recevant de l’infliximab seul vs 1 % des sujets recevant l’association infliximab+azathioprine (N Engl J Med 2010;362[15]:1383-95). La concentration sérique médiane d’infliximab chez les patients recevant l’association était environ deux fois plus élevée que celle des patients sous infliximab seul. Dans le cadre de l’étude COMMIT (Combination of Maintenance Methotrexate-Infliximab) réalisée au Robarts Institute, l’ajout du méthotrexate à l’infliximab a aussi permis de réduire la formation d’anticorps, souligne le Dr Feagan.

Le risque d’infection grave associé aux anti-TNF en inquiète plus d’un. Il est ressorti d’une étude cas-témoin de la Clinique Mayo (Gastroenterology 2008;134[4]:929-36) que la bithérapie, comparativement à la monothérapie, était associée à un risque plus élevé d’infection grave. De même, une analyse groupée des données d’innocuité par Sandborn et ses collaborateurs – qui a été présentée au congrès – a révélé que le nombre de patients atteints de MC à risque d’infection grave durant le traitement augmentait avec l’association immunomodulateur+adalimumab et que le risque était encore plus élevé lorsque des corticostéroïdes étaient ajoutés.

Pourtant, précise le Dr Feagan, «beaucoup de mes patients reçoivent une trithérapie temporaire, et je n’ai personnellement jamais observé d’augmentation du risque d’infection opportuniste grave».

Dans le registre TREAT (Crohn’s Therapy Resource, Evaluation and Assessment Tool), 3401 patients étaient sous infliximab et 2872, sous d’autres traitements. Si l’on en juge par une analyse des données de TREAT, le taux d’infection paraît effectivement plus élevé chez les patients sous infliximab, mais lorsqu’on ajuste les données pour tenir compte de la gravité de la maladie et de l’usage concomitant d’un immunomodulateur et de la prednisone, la différence n’est pas significative. De même, l’essai phare SONIC n’a objectivé aucune différence entre la monothérapie et la bithérapie quant au taux d’infections graves.

La gravité de la MC est un facteur prédictif indépendant d’infection grave, fait valoir le Dr Feagan. «Ce sont les patients affaiblis aux prises avec de multiples problèmes de santé qui contractent des infections graves. Si vous pouvez opter pour l’association, qui est plus efficace, vous pourrez remettre sur pied un plus grand nombre de ces patients, vous les protégerez et vous réduirez leur risque. Pour prévenir les infections, vaccinez et n’administrez pas ces médicaments à des patients aux prises avec un sepsis pelvien», insiste-t-il.

La question du risque accru de lymphome associé aux anti-TNF dans la MC demeure entière. Bien que certaines études aient établi un lien, le signal associé à l’azathioprine, plus fort que le signal associé à l’infliximab, a brouillé les pistes. Quelques études sur l’infliximab réalisées chez des patients polyarthritiques ont aussi mis en évidence une faible corrélation, mais d’autres études n’ont pas retrouvé ce lien. «Il est rassurant de constater qu’on ne puisse toujours pas, après 10 ans, affirmer avec certitude qu’il existe un lien véritable», poursuit le Dr Feagan.

Changer ou ne pas changer de traitement?

N’importe lequel des anti-TNF peut être associé à une réponse primaire incomplète ou à la perte d’une réponse secondaire, note le Dr Feagan. La formation d’anticorps ou d’autres processus pourraient y être pour quelque chose. Dans l’éventualité de faibles concentrations sériques de l’anti-TNF, quelques choix s’offrent au clinicien : augmenter la dose, raccourcir l’intervalle entre les perfusions ou passer à un autre agent.

L’homologation de nouveaux anti-TNF a enrichi notre expérience. L’un de ces agents, l’adalimumab, s’est révélé efficace pour cicatriser la muqueuse lors de l’étude EXTEND (Extend the Safety and Efficacy of Adalimumab Through Endoscopic Healing). Lorsqu’un patient cesse de répondre à l’infliximab ou y devient intolérant, le passage à un autre agent peut être une option, comme on l’a vu lors de l’essai GAIN (Gauging Adalimumab Effectiveness in Infliximab Nonresponders), 52 % des patients ayant répondu au traitement après être passés à l’adalimumab (Figure 1).


Le passage prospectif à un autre agent n’est toutefois pas une stratégie justifiée lorsqu’un patient répond au traitement. Comme l’a montré l’étude SWITCH (Switch from infliximab to adalimumab in CD patients in remission), souligne le Pr Pierre Michetti, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Lausanne, Suisse, 47 % des patients qui sont passés à l’adalimumab ont eu besoin d’une augmentation de la dose ou ont dû mettre fin à leur traitement, alors que cette proportion était de 16 % chez les sujets s
0057) (Figure 2).

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«Les anti-TNF ne sont pas tous d’égale efficacité. Les données cliniques semblent indiquer qu’il ne faut pas conclure à un effet de classe et que nous devrions [faire notre choix] en fonction de l’effet recherché, de l’indication, voire des effets indésirables», souligne le Pr Michetti avec insistance.

Dans le cas du traitement de la MC, note ce dernier, les données sur la cicatrisation de la muqueuse sont plus solides pour l’infliximab que pour n’importe quel autre agent évalué. «[C’est l’agent] le plus solidement étayé dans la MC sur le plan de l’efficacité et de l’innocuité et il devrait être notre premier choix parmi les anti-TNF, seul ou en association, si l’on en juge par les données les plus récentes.»

Optimisation du traitement

Même en cas de perte de réponse au traitement, les données de SWITCH montrent qu’il est préférable d’optimiser le traitement en cours en augmentant la dose avant de changer de traitement. Dans la majorité des cas, estime le Pr Rutgeerts, l’augmentation de la dose du traitement initial permet un retour de la réponse. Il vaut mieux envisager cette mesure avant de changer de traitement. «En général, ce n’est pas une bonne idée de changer de traitement dès que la réponse disparaît; il faut commencer par optimiser le traitement», dit-il.

«Selon des données recueillies chez des patients qui ont d’abord répondu à 5 mg/kg d’infliximab, mais dont la réponse a ensuite disparu, l’augmentation de la dose ou la diminution de l’intervalle entre les perfusions permettent au patient de répondre à nouveau à son traitement; les deux mesures semblent d’égale efficacité», affirme le Pr Rutgeerts.

Certains patients exprimeront peut-être le désir d’opter pour un traitement plus facile à administrer, mais, précise-t-il, «ce n’est pas une bonne idée de changer de traitement uniquement pour des raisons de commodité, car on risque alors de perdre la maîtrise de la maladie».

Augmentation de la dose et retour à la dose antérieure

Une fois qu’il a recouvré sa réponse au traitement après une augmentation de la dose de l’anti-TNF, le patient peut souvent revenir à la dose initiale ou au calendrier initial.

Par exemple, lors d’une étude de cohorte nationale qui visait à évaluer l’adalimumab chez 720 patients atteints de MC, on a dû augmenter la dose chez 34 % des patients après une médiane de 7 mois de traitement; et cette stratégie s’est révélée efficace dans 62 % des cas. Un retour à la dose initiale a été tenté chez 52 % des patients et s’est révélé efficace dans 62 % des cas.

De même, dans un groupe de 273 patients chez qui on a augmenté la posologie en raccourcissant l’intervalle entre les perfusions, 29 % des patients ont pu revenir à la posologie antérieure, explique le Pr Rutgeerts. Parmi les patients chez qui on avait augmenté la dose 1 ou 2 fois, 70 % ont pu revenir à la dose initiale. Parmi les patients chez qui on a utilisé les deux stratégies, 62 % ont pu revenir à leur schéma initial une fois la réponse rétablie.

Des chercheurs ont également évalué la réponse à une augmentation de la dose d’adalimumab ou d’infliximab à partir d’une vaste base de données de réclamations d’assurance maladie. On a dû augmenter la dose chez 28 % des 3866 sujets sous infliximab (99 % l’utilisaient pour la première fois) et chez 24 % des 935 patients sous adalimum
pour la première fois, 35 % avaient déjà reçu de l’infliximab).

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Fait digne de mention, il s’est écoulé en moyenne, avant l’augmentation de la dose, 10,4 mois sous infliximab, 3 mois sous adalimumab chez les patients qui recevaient cet agent pour la première fois et 1,8 mois chez ceux qui étaient passés de l’infliximab à l’adalimumab (Figure 3). De même, il s’est écoulé, en moyenne, moins de temps avant l’arrêt du traitement chez les patients sous adalimumab que chez ceux sous infliximab : 3,7 mois chez ceux qui recevaient l’adalimumab pour la première fois et 4,7 mois pour ceux qui avaient reçu de l’infliximab en premier lieu vs 12,6 mois chez les patients sous infliximab. Le taux de patients chez qui on avait augmenté la dose et qui poursuivaient toujours leur traitement après 12 mois était semblable dans tous les groupes.

Ces résultats soulignent la nécessité d’optimiser le traitement en augmentant la dose avant d’essayer de changer de traitement. Pour citer le Pr Rutgeerts et ses collaborateurs : «si la muqueuse cicatrise, il va de soi qu’on poursuit le traitement, mais si ce n’est pas le cas [...], on devrait peut-être augmenter la dose afin d’optimiser le traitement».

Résumé

La cicatrisation de la muqueuse est associée à plusieurs bénéfices, notamment une réduction du nombre d’hospitalisations et de chirurgies, une rémission durable sans corticostéroïdes, et la prévention des récidives endoscopiques après la chirurgie. Compte tenu de ces bénéfices, l’optimisation du traitement est absolument essentielle à la prise en charge de la MC à long terme. Des données montrent que, pour recouvrer la réponse, on doit envisager d’optimiser le traitement – soit en augmentant la dose, soit en raccourcissant l’intervalle entre les perfusions – avant d’essayer de changer de traitement.

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