Comptes rendus

Choix critiques dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique
Rénine et régulation de la tension artérielle : protection du rein et du cœur

Prise en charge des anomalies minérales et osseuses associées à l’insuffisance rénale chronique

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

39e Assemblée annuelle et scientifique de l’American Society of Nephrology

San Diego, Californie / 14-19 novembre 2006

Les anomalies des métabolismes osseux et minéral sont essentiellement synonymes d’insuffisance rénale (IR) chronique, surtout en phase terminale. «Les troubles osseux n’apparaissent pas avec la dialyse», explique le Dr Hartmut Malluche, professeur titulaire et chef de la néphrologie, University of Kentucky A. B. Chandler Medical Center, Lexington. Au contraire, les anomalies métaboliques apparaissent lorsque les patients ont perdu environ 50 % de leur fonction rénale. À cette étape, les patients demeurent exposés à la même quantité de phosphore qu’auparavant, mais comme l’organisme ne tolère pas bien l’hyperphosphatémie, «chaque néphron restant doit excréter deux fois plus de phosphore pour l’éviter», fait-il valoir.

Aux premiers stades de l’IR chronique, le rein doit déjà travailler davantage pour maintenir la phosphatémie dans les limites de la normale. Depuis quelques années, les néphrologues voient plus de cas d’ostéopathie adynamique, affection qui se caractérise par un renouvellement osseux lent et qui est maintenant clairement associée à un risque accru de calcifications vasculaires. «Si l’os ne se renouvelle pas, il ne peut absorber ni calcium ni phosphore, de sorte que les minéraux sont beaucoup plus susceptibles de se retrouver dans les tissus mous et les vaisseaux, ce qui prédispose le patient aux calcifications artérielles», explique le Dr Malluche.

Le Dr Stuart Sprague, professeur titulaire de médecine, Northwestern University Feinberg School of Medicine, Evanston, Illinois, est d’accord pour dire que l’IR chronique est un «terrain physiologique» très propice aux dépôts de calcium dans les sites vasculaires.

Selon plusieurs études citées par le Dr Sprague, les calcifications vasculaires sont très fréquentes chez les patients souffrant d’IR chronique et progressent rapidement. Selon que la dialyse est récente ou bien établie, la présence de calcifications vasculaires touche entre 40 % et 80 % des patients dialysés. Le traitement de l’hyperphosphatémie par un chélateur de phosphate à base de calcium semble aussi aggraver les calcifications vasculaires. Dans une autre étude dont il a fait mention, les chercheurs ont observé, sur une période de 76 semaines, une augmentation marquée des calcifications coronariennes chez les patients qui recevaient un chélateur de phosphate à base de calcium par rapport aux patients qui recevaient un chélateur de phosphate sans calcium.

On ne sait pas encore avec certitude si la présence de calcifications vasculaires augmente ou non la mortalité globale chez les sujets souffrant d’IR chronique, prévient le Dr Sprague. Lors de l’étude DCOR (Dialysis Clinical Outcomes Revisited), par exemple, la mortalité toutes causes confondues n’avait pas baissé de manière significative après deux ans chez les patients qui recevaient le sevelamer, par comparaison à ceux qui recevaient un chélateur de phosphate à base de calcium.

Les données ajustées de l’étude DOPPS (Dialysis Outcome Practice Patterns Study) – qui visait à comparer le sevelamer et des chélateurs de phosphate à base de calcium – sont similaires. En effet, aucun agent ne s’est révélé plus avantageux que l’autre sur les plans de la mortalité toutes causes confondues ou d’origine cardiovasculaire.

Néanmoins, rappelle le Dr Sprague, il est inévitable que les calcifications vasculaires existantes progresseront si le patient continue de prendre un chélateur de phosphate à base de calcium. «Ainsi, chez les patients porteurs de calcifications vasculaires ou à risque d’en présenter, il serait prudent de limiter l’exposition au calcium», poursuit-il.

La vitamine D, en revanche, semble prolonger la longévité chez les patients hémodialysés. Comme l’explique le Dr Dennis Andress, professeur de clinique en médecine, University of Washington, Seattle, une étude de Teng et al. (J Am Soc Nephrol 2005;16:1115-25) a comparé la survie de 173 patients qui recevaient de la vitamine D par voie intraveineuse (i.v.) à celle d’environ 14 000 témoins historiques qui n’avaient pas reçu de vitamine D activée par voie i.v.

La survie à deux ans était, après ajustement, 20 % plus élevée chez les patients qui avaient reçu la vitamine D par voie i.v. que chez les témoins historiques. Cet avantage a été mis en évidence même chez les patients qui présentaient de faibles taux de parathormone et chez ceux qui présentaient des taux élevés de calcium et de phosphore.

Recommandations de la K/DOQI

Le lien entre l’hyperphosphatémie et l’augmentation de la morbi-mortalité chez les patients souffrant d’IR chronique de stade V plaide fortement en faveur d’une surveillance étroite de la phosphatémie par l’alimentation, la dialyse et les chélateurs de phosphate. Selon les lignes directrices de la Kidney Disease Outcomes Quality Initiative (K/DOQI), le taux sérique de phosphore devrait se situer entre 1,13 et 1,78 mmol/L chez les patients dialysés, mais il est généralement admis que seulement 30 % à 40 % environ de ces patients atteignent les taux recommandés. Cet écart pourrait tenir au fait que les schémas posologiques des chélateurs de phosphate traditionnels comportent un nombre substantiel de comprimés.

Selon le Dr Rajnish Mehrotra, division de néphrologie et d’hypertension, Los Angeles Biomedical Research Institute, Harbor-UCLA Medical Center, Torrance, Californie, le patient souffrant d’IR terminale prend en moyenne une vingtaine de comprimés, «la majeure partie étant attribuable au chélateur de phosphate». Le nombre élevé de comprimés fait obstacle à l’observance du traitement. En effet, jusqu’à 40 % des patients admettent prendre moins de 80 % des doses requises; cela dit, quand on la mesure directement, l’observance est en fait beaucoup plus faible, note le Dr Mehrotra. La diminution du nombre de comprimés à prendre serait donc un avantage souhaitable pour tout nouveau chélateur de phosphate. Même dans sa préparation initiale, le carbonate de lanthanum – par comparaison à d’autres chélateurs de phosphate – nécessitait un nombre significativement moins élevé de comprimés. Lors d’une autre étude réalisée par le South Florida Nephrology Group, Coral Springs, la préparation initiale de carbonate de lanthanum administrée en doses de 250 à 500 mg – par comparaison au chélateur de phosphate administré antérieurement – a permis une réduction significative du nombre moyen de comprimés à prendre par jour et de la dose quotidienne totale tout en procurant une maîtrise comparable de la phosphatémie. Au terme de la période d’ajustement posologique de 12 semaines, 73 % des patients ont affirmé qu’ils préféraient le carbonate de lanthanum à leur chélateur de phosphate antérieur, tout comme 83 % environ des médecins. Environ 40 % des patients qui recevaient le carbonate de lanthanum ont continué d’atteindre la phosphatémie cible recommandée par la K/DOQI tout en ayant significativement moins de comprimés à prendre.

Aux États-Unis, le carbonate de lanthanum est maintenant offert en comprimés fortement dosés, plus précisément de 750 mg et de 1000 mg. Le nouveau comprimé de 750 mg, tout comme le nouveau comprimé de 500 mg, est plus petit que le comprimé initial de 500 mg. Le nouveau comprimé de 1000 mg est de taille identique à celle de l’ancien comprimé de 500 mg.

L’efficacité et l’innocuité des nouvelles préparations fortement dosées du chélateur de phosphate ont aussi été évaluées dans le cadre d’une étude multicentrique comportant deux cohortes de patients. Le groupe A était formé de patients qui avaient atteint la phosphatémie cible de la K/DOQI après quatre semaines de traitement à des doses de carbonate de lanthanum oscillant entre 1500 et 3000 mg/jour. Ce groupe a continué de recevoir la même dose pendant quatre autres semaines. La cohorte B était formée de patients qui n’avaient pas atteint la phosphatémie cible de la K/DOQI après quatre semaines et dont la posologie a été portée à 3000, 3750 ou 4500 mg/jour. Comme le rapportent le Dr Mehrotra et ses collaborateurs, 54 % des patients qui ont reçu la dose initiale du chélateur de phosphate avaient une phosphatémie <1,77 mmol/L après quatre semaines. Cette étude comportait aussi une phase de prolongation de 16 semaines, de sorte que le traitement a duré 24 semaines au total.

Chez les sujets du groupe A, la phosphatémie moyenne est demeurée à 1,77 mmol/L ou moins jusqu’à la semaine 24. Les patients qui n’avaient pas atteint les taux cibles de la K/DOQI après quatre semaines ont répondu après huit semaines aux posologies de 3000, 3750 et 4500 mg, leur phosphatémie ayant baissé respectivement de 0,07, 0,19 et 0,24 mmol/L. Environ 60 % des sujets de la cohorte ayant participé à l’étude avaient atteint les taux cibles de la K/DOQI au terme de l’étude. «Ce taux de réponse est considérablement plus élevé que ce que l’on obtient avec les autres chélateurs de phosphate», observe le Dr Mehrotra.

Fait digne de mention, le profil d’innocuité du produit était identique dans les deux groupes, sans égard aux doses administrées. Les effets indésirables les plus courants étaient les nausées, les vomissements et la diarrhée.

«Les comprimés de 750 mg et de 1000 mg de carbonate de lanthanum ont permis de simplifier le traitement. Chez la plupart des patients, le traitement se limitait à un comprimé par repas [ou trois comprimés par jour]», de préciser les investigateurs, ajoutant que pareille diminution du nombre de comprimés pourrait améliorer l’observance du traitement et, partant, la maîtrise de la phosphatémie.

Comme c’était le cas pour les préparations initiales de carbonate de lanthanum, les patients et les médecins ont exprimé une nette préférence pour les nouvelles préparations fortement dosées. Dans la même étude sur l’efficacité et l’innocuité, le Dr Mehrotra et ses collaborateurs ont compilé les scores de satisfaction des patients et des médecins au départ, puis à plusieurs reprises jusqu’à la semaine 24. Ces scores ont révélé que, lors de chaque évaluation, patients et médecins étaient plus satisfaits qu’au départ, et la satisfaction de la plupart des patients a été «systématiquement élevée» au cours des huit premières semaines de l’étude. «Les facteurs qui ont le plus augmenté la satisfaction à l’endroit des nouvelles préparations, par rapport aux chélateurs de phosphate antérieurs, étaient, en ordre décroissant, le nombre de comprimés, les doses rarement omises, puis le médicament facile à prendre, fait valoir le Dr Mehrotra. On a donc observé globalement un degré plus élevé de satisfaction globale.»

Innocuité à long terme

Il est rassurant de savoir qu’on n’a noté aucun signe d’effet délétère du traitement par le carbonate de lanthanum sur la fonction hépatique chez des patients qui l’ont reçu pendant une période pouvant atteindre six ans. Les voies biliaires constituent la principale voie d’élimination de cet agent. Dans une communication par affiche, le Dr Alastair Hutchison, maître de conférences honoraire en médecine, University of Manchester, UK, a présenté les taux d’enzymes hépatiques mesurés dans l’ensemble des études et de leurs phases de prolongation ouverte d’une durée maximale de six ans. Quelque 93 patients ont été suivis pendant six ans.

Une comparaison des taux médians d’enzymes hépatiques au sein de ce groupe a révélé que les taux d’AST et d’ALT – qui étaient respectivement de 15,0 U/L et de 12,0 U/L après six ans de traitement – ne différaient pas des taux initiaux de 17,0 U/L et de 14,0 U/L, respectivement. Des troubles touchant la fonction hépatique ou les voies biliaires ont été signalés chez neuf patients pendant la période de traitement d’une durée maximale de six ans, mais aucun cas n’a été considéré comme relié au traitement.

Un survol de la base de données post-commercialisation de la Food and Drug Administration (FDA) sur les effets indésirables du traitement a permis de repérer 154 cas d’obstruction ou de perforation des intestins pendant le traitement par le sevelamer, par comparaison à sept cas similaires pour le carbonate de lanthanum et aucun cas pour l’acétate de calcium. Des 59 patients du groupe sevelamer qui ont souffert d’une obstruction ou d’une perforation de l’appareil digestif, cinq en sont morts, 12 ont été victimes d’un événement potentiellement mortel, trois ont dû subir une intervention quelconque et quatre ont dû être hospitalisés; on ignore l’issue chez les 35 autres patients. «Nous ne savons pas exactement pourquoi le sevelamer cause ces complications, mais nous pensons que lorsque cette molécule anhydre se mêle aux liquides de l’intestin, elle est hydratée et augmente de volume, jusqu’à six à huit fois par rapport à son volume initial, ce qui entraînerait une obstruction mécanique et, partant, [une perforation]», fait remarquer le Dr Charles Nolan, professeur titulaire de médecine, University of Texas Health Science Center, San Antonio.

Chez de nombreux patients souffrant d’IR chronique, la motricité gastro-intestinale est altérée, et cela pourrait expliquer quelques-unes des complications gastro-intestinales associées au sevelamer. La molécule pourrait aussi déshydrater la paroi intestinale et causer une ischémie. «La base de données de la FDA sur les effets indésirables a pour but d’alerter la FDA quant à la nécessité de réaliser d’autres études pour mieux définir l’innocuité du médicament, mais les médecins doivent à tout le moins garder cette possibilité en tête s’ils observent des effets indésirables gastro-intestinaux inhabituels chez leurs patients», prévient le Dr Nolan. La FDA estime que sa base de données ne reflète qu’au plus 1 % du nombre réel d’effets indésirables.

Résumé

Les troubles osseux et minéraux expliquent une grande partie de la morbi-mortalité associée à l’IR terminale, et l’hyperphosphatémie compte parmi les plus importants. Malheureusement, la plupart des chélateurs de phosphate, qu’ils contiennent ou non du calcium, nécessitent un grand nombre de comprimés, ce qui rend l’observance du traitement difficile. Les nouvelles préparations fortement dosées de carbonate de lanthanum, chélateur de phosphate sans calcium, permettent de réduire significativement le nombre de comprimés à prendre, et il pourrait suffire d’un seul comprimé aux repas pour bien maîtriser la phosphatémie. Ce schéma posologique simplifié devrait faciliter l’observance du traitement et ainsi améliorer la maîtrise de la phosphatémie.

Questions et réponses

Les questions et les réponses qui suivent sont tirées de discussions avec le Dr Hartmut Malluche, professeur titulaire et chef de la néphrologie, University of Kentucky A. B. Chandler Medical Center, Lexington, durant les séances scientifiques.

Q : De quelle façon les médecins peuvent-ils optimiser leur utilisation des chélateurs de phosphate à base de calcium?

R : Nous avons suffisamment de données pour savoir que le patient à qui on administre un chélateur de phosphate à base de calcium doit recevoir la dose totale de calcium pour que sa phosphatémie soit maîtrisée. Malheureusement, cette quantité totale excède ce qu’on peut lui donner. Je demeure d’accord avec les lignes directrices de la K/DOQI selon lesquelles le patient peut recevoir 1 g ou 1,2 g de calcium par jour – incluant l’apport alimentaire de calcium – s’il reçoit de la vitamine D. Si le patient ne prend pas de vitamine D, on peut aller jusqu’à 2 g, toujours en tenant compte de l’apport alimentaire. Cela dit, si vous soustrayez 800 mg, [ce qui correspond à l’apport alimentaire], il ne reste que 1200 mg pour la chélation du phosphate et ce n’est pas suffisant. Nous avons alors besoin d’un chélateur de phosphate sans calcium. En outre, comme nous avons des patients diabétiques qui sont exposés à un risque très élevé de ralentissement du renouvellement osseux, on ne veut pas ralentir le renouvellement osseux davantage. Chez ces patients, on doit éviter d’emblée les chélateurs de phosphate à base de calcium.

Q : Les patients souffrant d’ostéopathie adynamique doivent-ils recevoir de la vitamine D?

R : Les cellules osseuses ont besoin de la vitamine D pour être actives, mais dans les cas d’ostéopathie adynamique sévère, aucune cellule ne peut répondre à la vitamine D. La vitamine D améliore l’absorption intestinale du calcium, mais si le calcium ne se rend pas aux os, il est acheminé vers les tissus mous. C’est pourquoi, si mon patient présente une ostéopathie adynamique, je préfère prendre des mesures pour accélérer le renouvellement osseux, à tout le moins temporairement, avant d’administrer de la vitamine D.

Q : Savons-nous si les chélateurs de phosphate améliorent l’équilibre osseux?

R : Dans une étude que nous avons faite sur le carbonate de lanthanum, nous avons étudié l’ostéodystrophie rénale pendant un an et deux ans et nous avons comparé nos données avec celles des chélateurs de phosphate standard. Sans égard aux pertes ni aux gains de tissu osseux, l’équilibre osseux s’est amélioré chez 54 % des sujets du groupe chélateur de phosphate sans calcium, par comparaison à seulement 33 % des sujets du groupe chélateurs de phosphate à base de calcium. Après deux ans – et c’est là une donnée des plus intéressantes – nous avons constaté une augmentation du volume osseux, et les signes biochimiques de l’ostéoformation accrue ont été confirmés à l’examen histologique. En maîtrisant la phosphatémie et en évitant une surcharge calcique, il est possible d’augmenter le volume osseux.

Nota : Au moment où le présent article a été mis sous presse, le carbonate de lanthanum n’était pas commercialisé au Canada.

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