Comptes rendus

Optimiser la santé de la prostate : implications des études PCPT et MTOPS
Faciliter la communication médecin/patient au sujet de la vaccination

Progrès récents en matière de curarisation

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Congrès annuel de 2007 de la Société canadienne des anesthésiologistes

Calgary, Alberta / 22-26 juin 2007

La pratique clinique du bloc neuromusculaire remonte à 1942, année où l’on a rapporté l’utilisation clinique d’un curare en anesthésie générale pour la première fois (Anesthesiology 1942;3:418-20). Depuis, les chercheurs en anesthésiologie tentent d’améliorer la curarisation par la mise au point d’agents qui offrent une efficacité supérieure et un risque moindre de complications, en particulier les problèmes découlant d’une curarisation résiduelle.

Effet plafond et délai de récupération

Depuis quelque temps, les antagonistes suscitent beaucoup d’intérêt pour la simple raison qu’ils sont efficaces; ils accélèrent la décurarisation dans toutes les circonstances, affirme le Dr François Donati, Hôpital Maisonneuve-Rosemont, et professeur titulaire d’anesthésiologie, Université de Montréal, Québec. «Les antagonistes actuellement à notre disposition ont toutefois un effet plafond : ils mettent du temps à agir et entraînent des effets indésirables.»

Le critère traditionnel de la décurarisation est un train de quatre (TOF) >0,7. Il ressort toutefois de certaines données qu’un TOF >70 % est associé à une récupération incomplète (Anesthesiology 1997;86:765-71) et qu’un TOF >0,9 pourrait être un seuil plus approprié pour la récupération complète (Anesthesiology 1997;87:1035-43).

À l’heure actuelle, les anticholinestérasiques sont les seuls antagonistes à notre disposition. L’inhibition de l’acétylcholinestérase se traduit par la dégradation d’une quantité moindre d’acétylcholine, d’où une plus grande compétition avec le myorelaxant non dépolarisant (p. ex., atracurium, mivacurium, vécuronium), explique le Dr Donati. L’inhibition à 100 % se traduit par l’apparition d’un effet plafond. Dans la pratique clinique, on ne mesure pas l’effet plafond parce que l’agent finit par être éliminé de l’organisme et on observe une forme quelconque de récupération spontanée, poursuit-il. La difficulté de la décurarisation réside dans le délai de récupération spontanée. Un bloc profond se traduit nécessairement par un délai de récupération plus long.

Par comparaison à la récupération spontanée, l’administration de néostigmine permet d’accélérer la récupération. Les doses généralement utilisées dans la pratique clinique sont toutefois voisines de celles qui sont associées à l’effet plafond, note le Dr Donati, et même aux doses maximales, la récupération est tout de même assez longue à partir d’une curarisation profonde.

Le moment de l’administration de la néostigmine soulève d’autres difficultés liées à la capacité du clinicien de détecter une curarisation résiduelle, comme on l’a démontré pour la première fois il y a près de 20 ans en comparant le test DBS (double-burst stimulation) et l’évaluation traditionnelle par le TOF pour la détection d’une curarisation résiduelle chez le patient opéré (Anesthesiology 1989;70:578-81). Les résultats ont révélé que l’absence d’épuisement (fade) au TOF est associée à une probabilité de 48 % de curarisation résiduelle importante vs une probabilité de 9 % dans le cas du DBS.

«Quand le rapport T4/T1 dépasse à 40 % au TOF, pratiquement personne ne peut reconnaître la présence d’une curarisation résiduelle importante, rappelait le Dr Donati à l’auditoire. Entre 0,4 et 0,9, il est impossible de déterminer, visuellement ou tactilement, si le patient est paralysé. Il peut y avoir une longue période pendant laquelle on ne sait pas si le patient a récupéré sa force musculaire.» Chez le patient qui reçoit un anesthésique halogéné, l’arrêt de l’administration n’a pas d’influence marquée sur le délai de récupération.

Considérations d’innocuité

Les antagonistes traditionnels comme la néostigmine ont aussi des effets cardiovasculaires; entre autres, ils augmentent la fréquence cardiaque et allongent l’intervalle QTc. Ces effets sont bien connus des anesthésiologistes et ne sont généralement pas une source d’inquiétude. Néanmoins, on doit les garder à l’esprit et ne pas oublier leurs retombées éventuelles chez chaque patient, fait remarquer le Dr Donati. Par comparaison à la néostigmine pour la décurarisation, l’édrophonium agit plus rapidement et demande une dose moindre d’atropine, mais il est moins efficace pour antagoniser un bloc profond. En général, la fréquence cardiaque demeure stable sous édrophonium, mais on observe parfois des augmentations et des diminutions, et des arythmies cardiaques ont été signalées chez certains patients.

Dans l’ensemble, les antagonistes actuellement à notre disposition améliorent la transmission neuromusculaire dans toutes les situations, conclut le Dr Donati. Ils semblent exercer une efficacité optimale à une récupération de 25 % du premier twitch (T1) et réduisent les probabilités de paralysie résiduelle. Cela dit, nous avons encore beaucoup à faire pour améliorer l’antagonisation de la curarisation profonde, accélérer la décurarisation et atténuer les effets indésirables.

Regard sur l’arsenal pharmacologique

Nous avons besoin de meilleurs antagonistes et myorelaxants. De l’avis du Dr Scott Groudine, professeur titulaire d’anesthésiologie, Albany Medical College, New York, le myorelaxant «idéal» posséderait les caractéristiques suivantes : court délai d’installation; durée d’action flexible (modifiable); absence de libération d’histamine ou d’autres effets cliniquement pertinents; faible coût; conservation facile; absence d’interactions médicamenteuses importantes; et utilité chez tous les types de patients, y compris les insuffisants rénaux ou hépatiques.

La succinylcholine se caractérise par un court délai d’installation et est peu coûteuse, mais elle entraîne plusieurs effets indésirables et comporte un risque de mortalité, note le Dr Groudine. En général, les agents non dépolarisants dont on dispose sont dotés d’un début et d’une fin d’action lents. La seule exception est le rocuronium, qui possède un court délai d’installation – selon la dose – et une fin d’action qui dépend de la dose de l’antagoniste utilisé et du moment où celui-ci est administré.

Au nombre des myorelaxants de nouvelle génération figure le gantacurium, le premier représentant d’une nouvelle classe d’isoquinolines. Il se caractérise par un court délai d’installation et son action – de courte durée – peut être neutralisée par l’édrophonium ou la cystéine, peu importe la profondeur du bloc. Son efficacité ne semble pas être influencée par le type de schéma utilisé pour l’anesthésie générale. L’élimination du gantacurium n’est pas dépendante d’une enzyme ni d’un organe. Ses effets indésirables sont notamment une augmentation de la fréquence cardiaque, l’hypotension et un lien avec la libération d’histamine (Anesthesiology 2004;100:768-73).

Antagonistes de nouvelle génération

Un antagoniste optimal améliorerait la prise en charge de la curarisation d’une autre façon. Au dire du Dr Steven Shafer, professeur titulaire d’anesthésie, Stanford University, Palo Alto, Californie, le sugammadex est le meilleur candidat en lice pour ce rôle. Premier chélateur sélectif d’un myorelaxant, il est doté d’une poche conçue expressément pour fixer le rocuronium. Lorsqu’il se fixe au rocuronium libre, il autorise une décurarisation rapide et complète, même si une perfusion de rocuronium est en cours. Les premiers tests cliniques ont révélé que le sugammadex administré à raison de 8 mg/kg pouvait antagoniser la curarisation dans un délai de une minute sans causer de toxicité apparente (Anesthesiology 2005;103:695-703; Anesthesiology 2006;104:667-74). «Si le sugammadex ne nous réserve aucune surprise sur le plan de la toxicité, il rendra la décurarisation pharmacologique traditionnelle désuète, fait valoir le Dr Shafer. Il ne sera plus nécessaire d’exposer les patients aux effets émétiques de la néostigmine ni aux effets tachycardiques de l’atropine et du glycopyrrolate.»

Le Dr Groudine a expliqué à l’auditoire que cet agent peut être administré à n’importe quel moment après le rocuronium, qu’il peut antagoniser un bloc neuromusculaire, si profond soit-il, et que son efficacité ne semble pas influencée par le schéma utilisé pour l’anesthésie générale.

Dans des conditions cliniques usuelles, il est plus long d’antagoniser l’effet du rocuronium en présence d’une anesthésie d’entretien par inhalation que par le propofol. L’évaluation clinique du sugammadex n’a mis au jour aucune différence quant à la récupération à un TOF >0,9, peu importe que le sévoflurane ou le propofol ait été utilisé (Anesth Analg 2007;104:563-8). «L’administration du sugammadex chez un patient curarisé se traduit par une encapsulation rapide du rocuronium, indique le Dr Groudine. Celui-ci déloge le rocuronium de son site d’action, d’où une décurarisation complète. Le complexe inactif résultant de la liaison du sugammadex au rocuronium est alors excrété par les reins. Nous avons observé des récupérations dans un délai de deux ou trois minutes après l’administration, et on parle ici de récupération complète et non seulement partielle.»

Une antagonisation par le sugammadex peut modifier la voie d’élimination du rocuronium, d’enchaîner le Dr Groudine. Le rocuronium est principalement excrété par voie hépatique, et on récupère seulement 14 % dans les urines. En revanche, le sugammadex est surtout excrété par les reins. Un examen de la littérature révèle que, lorsqu’on administre du sugammadex à un patient traité par le rocuronium, on récupère de 39 % à 68 % du rocuronium administré dans les urines (Anesthesiology 2005;103:695-703).

Ce nouvel agent semble bien convenir aux interventions dont la durée est variable ou imprévisible, comme le retrait d’un corps étranger obstruant les voies respiratoires, une dilatation de l’œsophage, une laparoscopie diagnostique, un trauma oculaire ou l’exérèse d’un cancer. Il a aussi une utilité évidente pour le monitorage de nerfs moteurs associé à une chirurgie de la parotide et du nerf facial, à une chirurgie mammaire ou à une chirurgie rachidienne, indique le Dr Groudine.

Les autres applications éventuelles pourraient être la substitution de la succinylcholine, l’évaluation au service des urgences ou en neurochirurgie après intubation sous curare en milieu extra-hospitalier et le relâchement musculaire profond pour la fermeture d’une incision chirurgicale. Le Dr Groudine ajoute qu’il pourrait même avoir un rôle à jouer dans le traitement de certains troubles neuromusculaires comme la myasthénie.

Nota : Au moment où le présent article a été mis sous presse, le sugammadex n’était pas commercialisé au Canada.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.