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Prophylaxie des thrombo-embolies veineuses pour mieux protéger les patients gravement malades

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Forum canadien sur les soins intensifs 2007

Toronto, Ontario / 30 octobre-1er novembre 2007

À l’échelle mondiale, la prévention des thrombo-embolies veineuses (TEV) chez les patients gravement malades fait piètre figure, de sorte que la TEV est non seulement très fréquente chez les patients vulnérables hospitalisés à l’unité des soins intensifs (USI), mais aussi plus mortelle qu’on le croit en l’absence d’une confirmation par autopsie. Comme le précise le Dr Mark Crowther, professeur titulaire et directeur, division d’hématologie, McMaster University, Hamilton, Ontario, les patients de l’USI sont exposés à un risque élevé ou très élevé de thrombose veineuse profonde (TVP) pour diverses raisons, dont l’utilisation répandue d’un cathéter veineux central, en particulier dans la veine fémorale commune. Une TVP qui passe inaperçue peut aussi dégénérer en embolie pulmonaire (EP), cause de mortalité souvent non diagnostiquée chez les patients hospitalisés. On croit en fait qu’elle causerait jusqu’à 10 % des décès en milieu hospitalier.

Malheureusement, ni l’examen des antécédents du patient ni l’examen physique ne permettent d’exclure la TEV hors de tout doute, et nous ne pouvons pas non plus compter sur des biomarqueurs ou des tests comme le dosage des D-dimères, explique la Dre Deborah Cook, professeure titulaire de médecine, d’épidémiologie et de biostatistique, McMaster University. Les obstacles à l’administration d’un traitement thromboprophylactique à l’USI sont nombreux, l’un d’eux étant la nécessité de souvent interrompre l’anticoagulothérapie pour une intervention quelconque. Fait peut-être encore plus important, la crainte généralisée d’une augmentation du risque de saignement fait obstacle à l’utilisation d’anticoagulants à l’USI pour prévenir les TEV. Cette crainte doit toutefois être soupesée en regard du risque réel de mortalité par EP, le risque d’EP étant probablement 50 fois plus élevé que le risque d’hémorragie mortelle, estime le Dr Crowther d’après sa propre expérience.

La crainte de bioaccumulation d’une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) en présence d’une insuffisance rénale sévère constitue un autre obstacle à la thromboprophylaxie. Cependant, comme l’ont montré les résultats de l’étude DIRECT (Dalteparin’s Influence on Renally Compromised: Anti-Ten-A Study), cette crainte n’est pas fondée dans le cas de la daltéparine, même chez les patients dont la clairance de la créatinine est de 30 mL/min ou moins. Lors de l’étude DIRECT, 138 patients de l’USI qui présentaient une insuffisance rénale sévère et qui étaient évaluables ont reçu 5000 UI/jour de daltéparine. La durée médiane du séjour à l’USI était de neuf jours, et la vaste majorité des patients étaient sous ventilation mécanique.

Durant l’étude, les chercheurs ont mesuré l’activité minimale du facteur anti-Xa en réalisant 427 dosages 20 heures après l’administration de la dose. Les résultats de ces dosages ont révélé que l’activité minimale du facteur anti-Xa ne baissait jamais en deçà du seuil de 0,04 UI/mL qui était considéré comme un échec dans l’étude DIRECT. Des saignements mineurs sont survenus chez 17,4 % des sujets du groupe, alors que des saignements majeurs ont été signalés chez 7,2 % des patients. «À la lumière de ces résultats, nous ne pouvons pas conclure à un risque de bioaccumulation de la daltéparine chez ces patients gravement malades qui présentent une insuffisance rénale sévère, souligne le Dr Crowther, et l’activité anti-Xa n’était pas liée aux saignements.»

Même lorsqu’on administre systématiquement un traitement thromboprophylactique, on ne peut pas prévenir tous les événements. En effet, lors de l’étude VETEC (Venous Thromboembolism in Critical Care), la totalité des 261 patients gravement malades devaient recevoir le traitement prophylactique usuel, soit 5000 UI d’héparine non fractionnée (HNF) 2 fois par jour. Le traitement prophylactique devait absolument être administré à moins d’une bonne raison, note le Dr Crowther, auquel cas on avait recours à la compression pneumatique. L’objectif de l’étude était de déterminer la fréquence des TVP qui survenaient dans les 72 heures suivant l’admission à l’USI et celle des TVP qui survenaient au moins 72 heures après l’admission à l’USI.

Malgré la mise en application rigoureuse du protocole dans l’étude VETEC, «le traitement prophylactique a misérablement échoué chez près de 10 % des sujets de la cohorte, ce qui est inquiétant, de sorte que ces patients ont tout de même développé une TVP pendant leur séjour à l’USI», précise le Dr Crowther. En effet, sept patients (2,7 %) souffraient d’une TVP à leur admission à l’USI, ajoute-t-il.

Chez les patients qui ont eu une TVP durant l’étude VETEC, par comparaison à ceux qui n’en ont pas eu, on a observé une prolongation notable de la durée du séjour à l’USI et à l’hôpital de même qu’une augmentation du taux de mortalité intra-hospitalière : plus de 58 % vs environ 38 %.

Essai PROTECT

Pour déterminer s’il existe des différences entre la daltéparine (HBPM) et l’HNF quant à leur capacité de prévenir la TVP chez les patients gravement malades, des chercheurs ont entrepris l’essai PROTECT (Prophylaxis for Thromboembolism in Critical Care Trial). À ce jour, 936 patients ont été recrutés dans une quarantaine de centres du monde entier. Le paramètre principal est l’effet de l’un ou l’autre traitement sur l’incidence des TVP proximales de la jambe diagnostiquées par échographie avec compression, tandis que les paramètres secondaires sont l’incidence des EP ainsi que celles des saignements, de la thrombocytopénie induite par l’héparine et des TEV confirmées par une mesure objective sous l’un ou l’autre traitement, sans égard au site de la lésion. «Les chercheurs de l’essai PROTECT ont reçu l’une des plus importantes subventions jamais accordées par les Instituts de recherche en santé du Canada, rappelait le Dr Crowther à l’auditoire, et les résultats établiront une norme pour la prophylaxie des TVP et, chose encore plus importante, pour l’utilisation d’un traitement thromboprophylactique en regard du risque de saignement.»

En l’absence de données comparatives (ce que PROTECT nous fournira plus tard), les lignes directrices actuelles indiquent que les HBPM et l’HNF conviennent à la thromboprophylaxie chez les patients gravement malades. Cela dit, certains experts préfèrent les HBPM chez les patients de l’USI, notamment les Drs Crowther et Avery Nathens, directeur de la traumatologie et de la division de chirurgie générale, St. Michael’s Hospital, Ontario, et professeur adjoint de chirurgie, University of Toronto. «Généralement parlant, si vous avez recours à la prophylaxie pharmacologique à l’USI, vous devriez privilégier une HBPM», estime le Dr Nathens.

Le Dr Nathens insiste également sur l’importance pour le médecin de parvenir à «un meilleur équilibre» entre, d’une part, la crainte de provoquer des saignements en ayant recours à un traitement prophylactique pour prévenir une TEV et, d’autre part, le risque très élevé de TVP chez la quasi-totalité des patients de l’USI, mais surtout chez les patients ayant subi une blessure à la moelle épinière ou une fracture d’un os long de la jambe ou du bassin, chez qui le risque de TVP se chiffre à environ 40 % sans prophylaxie. Dans les lignes directrices, malheureusement, on ne dit pas à quel moment le médecin doit commencer à administrer le traitement prophylactique par l’HBPM, la seule précision étant «dès qu’on peut le faire sans risque».

Cela dit, le médecin doit tenir compte du fait que les TVP surviennent souvent peu de temps après l’arrivée à l’USI, de sorte que s’il attend trop longtemps (c’est-à-dire, plus de sept jours), «le risque de formation d’un caillot est plus élevé», note le Dr Nathens. Des sondages ont révélé que les médecins sont moins réticents à amorcer un traitement thromboprophylactique en présence d’une grave fracture du membre inférieur, mais beaucoup plus réticents en présence d’un grave traumatisme crânien et d’une transfusion sanguine massive préalable.

Inversement, si un caillot se forme chez un patient de l’USI, celui-ci doit recevoir un anticoagulant à la dose complète pendant plusieurs mois, avec tous les risques que cela comporte. «Nous ne connaissons pas le risque [de saignement] en présence d’un saignement intracrânien, mais il est probablement surestimé, fait valoir le Dr Nathens, et je pense qu’il est probablement sûr d’administrer une HBPM et le traitement prophylactique usuel dans la plupart des cas où la tomodensitométrie montre un état stable depuis 24 à 48 heures.»

Il importe enfin de souligner que, sur quelque 79 pratiques évaluées par l’Agency for Healthcare Research and Quality (États-Unis), l’utilisation plus répandue d’un traitement prophylactique approprié pour prévenir la TEV chez les patients à risque s’est révélée être la pratique qui offre la plus grande protection aux patients.

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