Comptes rendus

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Élargissement de l’éventail d’options chez les patients infectés par le VIH au lourd passé thérapeutique

Propriétés cardioprotectrices des anesthésiques volatils

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Euroanaesthesia 2006 Assemblée annuelle de la Société européenne d’anesthésiologie

Madrid, Espagne / 3-6 juin 2006

Stratégies contre les lésions ischémiques

«La mort cellulaire et la dysfonction myocardique sont les conséquences de l’ischémie myocardique qui survient pendant la chirurgie lorsque la reperfusion n’est pas obtenue dès les premières minutes», affirme le Dr Stefan De Hert, directeur adjoint et professeur titulaire, département d’anesthésiologie, Université d’Anvers, Edegem, Belgique. «Cela dit, la reperfusion entraîne toujours, elle aussi, des lésions ou une sidération qui donnent lieu à des dysfonctions transitoires. À partir du moment où le myocarde est privé d’oxygène, que la reperfusion soit possible ou non, il y a toujours une dysfonction myocardique temporaire, et c’est précisément cette dysfonction myocardique que l’on veut prévenir ou atténuer.»

Le Dr De Hert a énuméré trois étapes clés où l’on peut intervenir dans le cœur à risque : avant l’ischémie, en modulant l’équilibre entre l’apport et les besoins en oxygène dans le myocarde, souvent au moyen d’un b-bloquant, d’un a2-agoniste ou d’un inhibiteur calcique, ou encore, au moyen du préconditionnement anesthésique; pendant l’ischémie, en administrant un agent anti-ischémique direct comme un anesthésique volatil; et après l’ischémie, en optant pour un postconditionnement anesthésique en début de reperfusion.

«Il est intéressant de noter qu’un anesthésique volatil pourrait être utilisé à chacune de ces trois étapes pour contribuer à la protection du myocarde, explique le Dr De Hert. Les anesthésiques volatils que nous administrons ont tous des effets vasodilatateurs, de sorte qu’ils sont bénéfiques et contribuent favorablement à l’équilibre entre l’apport et les besoins en oxygène dans le myocarde. Lorsqu’on administre un anesthésique volatil à des fins de préconditionnement, c’est-à-dire avant que l’ischémie ne se produise, son effet se prolonge au-delà de l’apparition de l’ischémie.»

Le Dr De Hert a défini le «préconditionnement ischémique» comme une réponse adaptative rapide à de brefs épisodes ischémiques qui permet de ralentir la mort cellulaire et la dysfonction myocardique pendant une ischémie subséquente. Ce préconditionnement semble être un mécanisme de défense intrinsèque et naturel que l’on retrouve dans la quasi-totalité des organes chez toutes les espèces. De brèves périodes d’ischémie myocardique passagère semblent protéger le cœur contre une atteinte importante lors de périodes d’ischémie subséquentes et plus longues. Sous physiologie normale, par exemple, une ischémie soutenue entraîne un infarctus du myocarde qui peut être très étendu, mais grâce à un protocole de préconditionnement ischémique, le résultat serait un infarctus de taille significativement plus petite que dans une population témoin.

D’abord, l’activation d’un récepteur déclenche des voies de signalisation intracellulaire qui entraînent l’activation et la translocation de la protéine kinase C. Celle-ci peut à son tour activer les canaux KATP au niveau de la mitochondrie et du sarcolemme, d’où une utilisation moindre d’énergie, qui est le facteur responsable de la protection dans le préconditionnement ischémique.

Apparemment, il y a une courte période ischémique qui précède la période plus longue et qui pourrait diminuer l’ampleur de l’atteinte myocardique associée à une ischémie myocardique prolongée, poursuit le Dr De Hert. C’est ce que l’on appelle le préconditionnement ischémique.

Préconditionnement anesthésique

De nombreuses études ont montré que les nouveaux anesthésiques volatils comme le sévoflurane et le desflurane sont capables de reproduire le préconditionnement ischémique, sans occlusion. Lorsqu’ils sont administrés avant le début de l’ischémie, ils peuvent atténuer l’étendue des lésions myocardiques associées à l’ischémie myocardique.

L’administration simultanée d’un inhibiteur des canaux KATP et de l’anesthésique volatil avant l’occlusion coronarienne annule la protection conférée par l’anesthésie, ce qui indique que les canaux KATP contribuent étroitement aux effets cardioprotecteurs des anesthésiques volatils, d’enchaîner le Dr De Hert. Les mécanismes qui interviennent dans le préconditionnement ischémique et le préconditionnement anesthésique se ressemblent beaucoup. C’est donc dire que les préconditionnements ischémique et anesthésique pourraient s’accentuer l’un l’autre, d’où un meilleur effet cardioprotecteur.

Le Dr Wolfgang Schlack, Hôpital universitaire de Düsseldorf, Allemagne, a récemment démontré que la combinaison du préconditionnement ischémique et du préconditionnement anesthésique – qui permettent tous deux d’obtenir des réductions statistiquement significatives de la taille de l’infarctus dans les modèles animaux – peut réduire la taille de l’infarctus du myocarde de façon plus marquée que l’un ou l’autre préconditionnement seul.

Postconditionnement anesthésique

Le Dr Schlack a aussi attiré l’attention de l’auditoire sur la possibilité de protéger le myocarde contre des lésions extrêmes au moyen du postconditionnement anesthésique, c’est-à-dire en administrant un anesthésique volatil au début de la reperfusion, donc après l’apparition de l’ischémie. Dans l’une des premières études à avoir démontré que le postconditionnement anesthésique protège contre les lésions de reperfusion, il a utilisé la pression diastolique du ventricule gauche pour évaluer la fonction myocardique et la libération de créatine kinase pour établir l’atteinte cellulaire dans des cœurs de rat isolés soumis à l’anoxie et à la réoxygénation.

Au moment de la réoxygénation, donc à un moment où l’on s’attendrait au mieux à un rétablissement lent et mineur de la fonction myocardique en situation de référence, l’administration de l’halothane au début de la reperfusion a amélioré significativement le rétablissement de la fonction ventriculaire gauche et atténué les lésions de reperfusion, précise le Dr Schlack.

Bien que les mécanismes de ces améliorations n’aient pas été totalement élucidés, expliquaient les conférenciers, la réoxygénation déclenche l’hypercontracture des cardiomyocytes, ce qui donne lieu à des altérations du cytosquelette et à des oscillations spontanées massives du calcium intracellulaire, le tout suivi de la libération des troponines et de la mort cellulaire.

Cependant, l’administration de l’anesthésique volatil au début de la reperfusion a entraîné significativement moins d’oscillations du calcium et une hypercontracture moins prononcée durant la réoxygénation. «Lorsqu’on administre un anesthésique volatil au début de la reperfusion, on peut prévenir ou à tout le moins atténuer l’ampleur des lésions myocardiques associées à l’ischémie du myocarde, disent-ils. Un autre groupe de chercheurs a montré que la combinaison du préconditionnement et du postconditionnement autorise un effet additif encore plus impressionnant. Ainsi, l’administration d’un anesthésique volatil avant l’ischémie et immédiatement après l’ischémie se traduit par une meilleure protection.»

Stratégies d’administration

Faisant remarquer que les agents halogénés sont habituellement administrés pendant de courtes périodes lors des essais cliniques, le Dr Vincent Piriou, Centre hospitalier universitaire Lyon-Sud, Pierre-Bénite, France, qui croit que les anesthésiques volatils ont effectivement des propriétés cardioprotectrices cliniques, doute qu’une période de 15 minutes suffise à induire un préconditionnement. Des études préalables ont montré que l’administration prolongée du sévoflurane avant, après et pendant la circulation extracorporelle avait diminué les taux postopératoires de troponines et amélioré le débit cardiaque.

Dans le cadre d’une étude randomisée qui a été réalisée par son équipe, 72 patients subissant des pontages aortocoronariens non urgents ont reçu aléatoirement soit du propofol et du sufentanyl comme anesthésiques (groupe témoin), soit du sévoflurane à 1 CAM pendant 15 minutes (groupe préconditionnement). Les patients ayant un faible indice cardiaque postopératoire (<2,0 L/min-1m-2) étaient moins nombreux dans le groupe préconditionnement : 10,7 % vs 35,3 % des témoins. Vingt-cinq pour cent des patients du groupe préconditionnement ont eu besoin d’agents inotropes pendant la période postopératoire, par comparaison à 36,1 % des patients du groupe témoin. Il n’y avait aucune différence entre les groupes quant aux taux de troponines ou d’enzymes tissulaires.

De l’avis du Dr Piriou, ces résultats signifient qu’une administration préalable de sévoflurane pendant 15 minutes ne suffit pas à induire un signal de préconditionnement dans un contexte clinique. «Une administration préalable plus longue est probablement nécessaire», conclut-il.

Administration d’un anesthésique volatil pendant toute la durée de la chirurgie

Le Dr De Hert et ses collègues ont tenté de déterminer si le choix d’un schéma anesthésique pouvait avoir un effet sur la fonction myocardique. Ils ont comparé une anesthésie intraveineuse totale (propofol/rémifentanil) avec une anesthésie à base d’un agent volatil (sévoflurane/rémifentanil) pendant toute la durée d’une intervention, c’est-à-dire pendant le préconditionnement, l’ischémie et la reperfusion en chirurgie cardiaque, avec ou sans circulation extracorporelle.

«Comme d’habitude, on a observé l’augmentation passagère de la libération de troponines à laquelle on s’attend après une intervention de même qu’une atteinte myocardique chez les sujets recevant une anesthésie intraveineuse totale, souligne-t-il. Il est toutefois intéressant de noter que cette augmentation passagère était significativement moins marquée lorsque les sujets recevaient un anesthésique volatil du début à la fin de l’intervention. C’est donc dire que l’administration d’un schéma comportant un anesthésique volatil pendant toute la durée de la chirurgie permet probablement ou possiblement d’atténuer l’ampleur des lésions myocardiques associées aux événements ischémiques de la chirurgie cardiaque.»

De plus, la diminution passagère usuelle de la fonction myocardique – la baisse du débit systolique qui accompagne la chirurgie coronaire – ne s’est pas améliorée sous l’effet des anesthésiques intraveineux sur une période de 12 heures, alors que la fonction myocardique a été préservée chez les patients qui avaient reçu l’anesthésique volatil pendant cette même période. Par conséquent, ce dernier schéma est capable non seulement d’atténuer l’ampleur des lésions myocardiques, mais aussi de préserver la fonction myocardique, même après une période d’ischémie myocardique, ajoute-t-il. «Cela est vrai à la fois pour les interventions à cœur battant et les interventions sous circulation extracorporelle et, dans notre cas, pour la chirurgie de remplacement de valvules aortiques.»

«Si l’on combine ces données comparant l’anesthésie intraveineuse et l’anesthésie par inhalation, on constate qu’elles montrent toutes une amélioration fonctionnelle et biochimique, explique le Dr De Hert. Si on administre l’anesthésique volatil pendant toute la durée de l’intervention, on obtient un meilleur rétablissement fonctionnel et des lésions myocardiques moins marquées. Cela donne à penser que le moment ou les modalités de l’administration peuvent contribuer nettement à l’ampleur de la protection du myocarde.»

Dans le contexte de la chirurgie cardiaque, il est particulièrement difficile de mettre un effet protecteur en évidence, car les complications de l’anesthésie sont très peu fréquentes. Il est donc très difficile de montrer qu’une action donnée peut se traduire par une amélioration clinique, explique le Dr De Hert. Par exemple, il faudrait une étude regroupant plus de 4000 patients pour montrer une baisse statistiquement significative de 1,2 à 0,6 de la mortalité périopératoire lors d’interventions cardiaques et plus de 1000 patients pour montrer une baisse de 4 % à 2 % de l’incidence des infarctus cardiaques périopératoires.

Raccourcir la durée du séjour à l’unité des soins intensifs

Supposant que les patients séjournent plus longtemps à l’hôpital et à l’unité des soins intensifs (USI) lorsqu’ils sont victimes de complications, les investigateurs d’Anvers ont évalué ces paramètres utilisés comme marqueurs de substitution de l’issue clinique chez 320 patients subissant une chirurgie coronaire non urgente. Ils ont constaté que la durée du séjour à l’hôpital et/ou à l’USI était significativement plus courte lorsqu’un anesthésique volatil comme le sévoflurane ou le desflurane était utilisé, par comparaison à une anesthésie intraveineuse totale à base de propofol ou de midazolam. Pour déterminer le seuil qui séparait un rétablissement sans complication d’un rétablissement avec complications, ils ont opté pour une période de 48 heures parce que les patients ayant des complications restent généralement plus longtemps à l’USI.

Le Dr De Hert indique que le nombre de patients ayant besoin d’un séjour à l’USI de plus de 48 heures était significativement plus faible (p<0,01) chez les patients qui avaient reçu un anesthésique volatil (propofol 31/80; midazolam 34/80; sévoflurane 10/80; desflurane 15/80). Trois variables indépendantes ont été identifiées pour expliquer la prolongation du séjour à l’USI : fibrillation auriculaire; concentrations postopératoires de troponine I >4 ng/mL; et administration nécessaire d’agents inotropes au-delà de 12 heures.

On n’a pas observé de différence significative entre les groupes quant à l’incidence de la fibrillation auriculaire et à celle de l’œdème pulmonaire, soutient-il. Cela dit, l’augmentation postopératoire passagère du taux de troponine I était significativement moins marquée chez les patients qui avaient été anesthésiés au moyen du sévoflurane ou du desflurane. Le nombre de patients subissant des lésions myocardiques importantes (troponine I >4 ng/mL) était aussi significativement plus faible dans les groupes recevant un anesthésique volatil. Le besoin d’agents inotropes était aussi significativement plus faible (p<0,05) chez les patients qui avaient reçu les agents halogénés.

«Cela donne à penser que l’utilisation d’anesthésiques volatils permet probablement une meilleur rétablissement de la fonction myocardique, d’où une meilleure perfusion précoce des organes et moins de complications dans les différents organes, fait valoir le Dr De Hert. Nous avons constaté que les dysfonctions hépatiques et rénales étaient significativement moins marquées sous l’effet des anesthésiques volatils. Ces données indiquent que la durée des séjours à l’USI et à l’hôpital était significativement plus courte chez les patients anesthésiés au moyen du sévoflurane et du desflurane.»

Les anesthésiques volatils exercent un effet cardioprotecteur indépendamment de l’oxygénation du myocarde, conclut-il. Le Dr De Hert souligne qu’il est important pour les cliniciens de savoir que les protocoles cliniques confèrent ces effets cardioprotecteurs et que ceux-ci sont des effets directs médiés par le préconditionnement et le postconditionnement pharmacologiques.

Les chercheurs doivent encore déterminer si tous les anesthésiques volatils offrent le même degré de protection et déterminer à la fois la dose optimale et le moment optimal de l’administration. Il est probablement préférable d’administrer l’anesthésique volatil pendant toute la durée de l’intervention chirurgicale, mais la fréquence de son utilisation comme stimulus de préconditionnement n’a pas été établie. De même, on ne sait toujours pas quelles sont les retombées de ces effets cardioprotecteurs sur la morbi-mortalité cardiaque. Les données présentées au congrès provenaient de patients ayant subi une intervention cardiaque, mais de nombreux patients qui subissent une intervention chirurgicale pour une autre raison souffrent d’une maladie cardiaque non traitée et tireraient probablement grand avantage d’une stratégie cardioprotectrice reposant sur des anesthésiques volatils.

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