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Prévention primaire des AVC : nouvelles données de JUPITER

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 34e Conférence internationale sur les AVC

San Diego, Californie / 18-20 février 2009

Au Canada, on enregistre annuellement à peu près 70 000 infarctus du myocarde (IM) et 50 000 AVC. L’AVC en soi occupe le troisième rang des causes de mortalité. En outre, seulement 10 % environ des patients se rétablissent complètement d’un AVC, et le risque d’un deuxième AVC dans un délai de deux ans suivant l’événement de référence se chiffre à environ 20 %. Si la prévention secondaire d’un AVC après un événement vasculaire, y compris un IM ou un AVC, doit reposer sur un traitement intensif, la prévention primaire reste la meilleure stratégie de réduction de la morbi-mortalité. L’hyperlipidémie compte parmi les principaux facteurs de risque cardiovasculaire (CV) que l’on peut traiter, mais à peu près la moitié de tous les IM et les AVC surviennent en présence d’un taux de C-LDL inférieur à la valeur-seuil thérapeutique actuelle.

Baromètre du risque d’AVC

Dans le cadre d’une étude intitulée JUPITER (Justification for the Use of statins in Prevention: an Intervention Trial Evaluating Rosuvastatin), qui visait à évaluer la pertinence d’un taux élevé de protéine C-réactive ultrasensible (hsCRP) en tant qu’outil servant à reconnaître les patients pouvant bénéficier d’un traitement hypolipidémiant malgré un taux normal de C-LDL, le traitement par rosuvastatine, par comparaison au placebo, a autorisé une réduction des premiers AVC presque aussi robuste que celle des premiers IM. Bien que les taux lipidiques de la population évaluée aient été optimaux si l’on en juge par la quasi-totalité des algorithmes de prévention en vigueur, le bénéfice relatif observé dans l’étude JUPITER au chapitre des AVC a été plus marqué que le bénéfice observé dans presque tous les essais antérieurs sur les statines.

«Les résultats ont été constants dans tous les sous-groupes évalués, sans compter que le bénéfice a été appréciable dans les groupes à risque élevé et que le risque d’AVC hémorragique n’a pas été majoré», rapporte le Dr Robert J. Glynn, Center for Cardiovascular Disease Prevention, Brigham and Women’s Hospital, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts.

Les principaux résultats de l’étude JUPITER ont été publiés il y a plusieurs mois (Ridker et al. N Engl J Med 2008;359:2195-207). Par contre, les AVC, paramètre secondaire prévu au protocole de l’étude JUPITER, commandent une analyse distincte pour plusieurs raisons, estime le Dr Glynn, l’une d’elles étant qu’un taux élevé d’hsCRP, principal critère d’admissibilité de l’étude JUPITER, s’est révélé un bon prédicteur des AVC dans des études antérieures.

«La réduction du risque d’AVC pourrait être particulièrement marquée chez les patients qui présentent un taux élevé d’hsCRP, car il est ressorti systématiquement de multiples études d’observation prospectives qu’un taux élevé d’hsCRP majore le risque d’AVC. Les données sont constantes, quels que soient le groupe d’âge, le sexe ou la région étudiée», fait valoir le Dr Glynn.

JUPITER en bref

Lors de l’étude JUPITER, 17 802 sujets provenant de 1315 centres participants répartis dans 26 pays, dont le Canada, ont été randomisés de façon à recevoir une dose plutôt modeste de rosuvastatine (20 mg 1 f.p.j.) ou un placebo. Apparemment tous en bonne santé, les participants étaient normolipidémiques (C-LDL <3,4 mmol/L) et n’avaient aucun antécédent de maladie CV. Les hommes devaient avoir au moins 50 ans et les femmes, au moins 60 ans. L’âge médian était de 66 ans. Certes, de nombreux participants présentaient des facteurs de risque CV, comme des antécédents familiaux de maladie CV (environ 12 %), le syndrome métabolique (environ 41 %) ou le tabagisme (environ 16 %), mais le diabète et une hypertension non maîtrisée étaient des critères d’exclusion. Au départ, la tension artérielle (TA) médiane était de 134/80 mmHg et le taux médian de C-LDL, de 2,79 mmol/L.

Les participants avaient un taux de C-LDL qui n’est pas, à l’heure actuelle, considéré comme élevé chez des individus par ailleurs en bonne santé, mais ils devaient présenter un taux élevé d’hsCRP, soit <u>></u>2,0 mg/L. Le taux médian d’hsCRP était de 4,2 mg/L au départ. Des études antérieures ont montré qu’un taux élevé d’hsCRP, marqueur de l’inflammation, est un facteur de risque indépendant des événements CV. Selon la version la plus récente des lignes directrices de traitement en vigueur au Canada, le dosage de l’hsCRP peut servir à l’évaluation du risque. L’étude JUPITER a toutefois été conçue expressément pour que l’on vérifie l’hypothèse selon laquelle des patients normolipidémiques présentant un taux élevé d’hsCRP pourraient bénéficier d’une baisse marquée du taux de C-LDL.

L’ampleur du bénéfice était inattendue. Si le protocole prévoyait un suivi de cinq ans après la randomisation, le comité indépendant de surveillance des essais a recommandé que l’on mette fin à l’étude après un suivi d’une durée médiane de seulement 1,9 an, les données ayant objectivé sans l’ombre d’un doute un imposant bénéfice en faveur du traitement actif. Outre la réduction de 44 % (HR de 0,56, IC à 95 % : 0,46 à 0,69; p<0,00001) du risque de survenue des événements ciblés par le paramètre mixte principal, on a observé d’importantes réductions de tous les paramètres secondaires, dont l’AVC (Figure 1). La réduction de 20 % (p=0,02) de la mortalité toutes causes confondues en a aussi surpris plus d’un, compte tenu de la brièveté du suivi.

Figure 1. Étude JUPITER : réduction des risques


La prévention primaire des AVC était exceptionnelle même dans le contexte des études antérieures sur les statines. Comme l’explique le Dr Glynn, le C-LDL n’est pas considéré comme un facteur de risque majeur de l’AVC, et l’AVC ne fait pas toujours partie des paramètres évalués, même en prévention secondaire. Par exemple, le traitement par statine a réduit le risque d’AVC de 29 % par rapport au placebo lors de l’étude 4S (Scandinavian Simvastatin Survival Study), mais cette étude était une analyse rétrospective. Bien que ce résultat soit compatible avec la réduction de 30 % du risque relatif d’AVC mise en évidence dans une méta-analyse d’essais de prévention secondaire, l’AVC ne figurait pas au nombre des paramètres prévus au protocole dans plusieurs de ces essais.

Au chapitre de la prévention primaire, les données sont encore moins probantes. Lors des essais WOSCOPS (West of Scotland Coronary Prevention Study) et AFCAPS/TexCAPS (Air Force and Texas Coronary Atherosclerosis Prevention Studies), la réduction du risque d’AVC a non seulement été moins marquée, mais aussi non significative, poursuit le Dr Glynn. Bien que les résultats soient difficiles à comparer en raison de différences entre les essais quant au recrutement et à la méthodologie, prévient-il, on ne peut pas exclure que les différences d’une statine à l’autre (pravastatine dans WOSCOPS, lovastatine dans AFCAPS/TexCAPS et rosuvastatine dans JUPITER) y aient également été pour quelque chose. Il est ressorti d’une méta-analyse d’essais de prévention primaire que la réduction du risque d’AVC sous statine, par rapport à un placebo, n’était que de 11 %. Là encore, la réduction n’a pas atteint le seuil de signification statistique.

C’est entre JUPITER et SPARCL (Stroke Prevention by Aggressive Reduction in Cholesterol Levels) que l’on observe la différence la plus frappante dans les résultats. Lors de SPARCL, essai de prévention secondaire, 4731 patients ayant été victimes d’un AVC ou d’une ischémie cérébrale transitoire (ICT) au cours des six mois précédant le recrutement ont reçu après randomisation 80 mg d’atorvastatine 1 f.p.j. ou un placebo. Les patients ayant des antécédents de maladie coronarienne étaient exclus. Le paramètre principal était un AVC mortel ou non mortel. Le taux initial médian de C-LDL, soit 3,5 mmol/L, était plus élevé dans l’étude SPARCL que dans l’étude JUPITER, mais il était tout de même assez faible. Un taux initial de C-LDL >4,9 mmol/L était au nombre des critères d’exclusion.

Le suivi de l’étude SPARCL, dont la durée médiane a été de 4,9 ans, a révélé que la réduction du risque d’AVC avait atteint 16 % (HR de 0,84; IC à 95 % : 0,71 à 0,99; p=0,03) sous atorvastatine, par comparaison au placebo, ce qui est nettement plus faible que la réduction de 49 % (HR de 0,51; IC à 95 % : 0,35 à 0,74; p<0,001) du risque d’IM non mortel, qui a aussi été mesurée sans pour autant être le paramètre principal. La réduction du risque relatif de tous les événements CV majeurs a atteint 20 % (HR de 0,80; IC à 95 % : 0,69 à 0,92; p=0,002). En outre, la diminution du risque d’AVC ischémique – qui a été neutralisée en partie par le nombre plus élevé d’AVC hémorragiques – n’a pas été significative (55 patients sur 2365 sous atorvastatine vs 33 patients sur 2366 sous placebo).

Lors de l’essai JUPITER, en revanche, on n’a observé aucun signe de risque accru d’AVC hémorragique. Le nombre d’effets indésirables graves chez les sujets de JUPITER – qui ont reçu une dose quotidienne plutôt modeste de rosuvastatine (20 mg) – était légèrement plus faible dans le groupe de traitement actif que dans le groupe placebo (15,2 % vs 15,5 %), mais l’écart n’était pas significatif. On n’a rapporté aucune augmentation significative du nombre de cas rapportés de faiblesse musculaire, de myopathie ou de rhabdomyolyse par rapport au placebo. Le taux de mortalité par cancer a été un peu plus faible dans le groupe rosuvastatine, et il s’en est fallu de peu pour que l’écart entre les deux groupes atteigne le seuil de signification statistique (0,4 vs 0,7; p=0,02). Bien qu’on ait signalé une élévation significative du taux d’HbA1C après 24 mois de traitement par rosuvastatine, par rapport au placebo, on a néanmoins fait état d’une amélioration significative du débit de filtration glomérulaire à 12 mois, précise le Dr Glynn (Tableau 1).

Lors de l’essai JUPITER, la protection que le traitement actif a conférée contre les AVC a été perceptible presque immédiatement. Comme le souligne le Dr Glynn, les courbes d’événements ont divergé en faveur de la rosuvastatine dès le premier mois et ont continué de diverger pendant toute la durée du suivi. Si l’on tient compte uniquement des AVC ischémiques, la réduction du risque relatif atteint 51 % (p=0,004), «soit presque la même chose que pour les IM», précise-t-il.

Tableau 1. JUPITER : Effets indés
d’innocuité mesurés

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L’évaluation des sous-groupes a révélé que le bénéfice relatif se maintenait dans tous les sous-groupes, définis en fonction de l’âge, du sexe, de l’indice de masse corporelle, de l’hypertension, de la stratification des scores de Framingham, du syndrome métabolique ou de l’usage du tabac. Au sein de chaque sous-groupe, le bénéfice relatif n’a pas toujours atteint le seuil de signification statistique, mais il s’agissait d’un bénéfice dans tous les cas. Par exemple, même si JUPITER est l’étude qui a porté sur le plus grand nombre de femmes parmi tous les essais sur les statines, la réduction du risque d’AVC chez les femmes n’a pas été significative statistique en raison de l’intervalle de confiance étendu. Cependant, le Dr Glynn – à qui on a demandé de se prononcer sur le bénéfice relatif obtenu chez les femmes – a réitéré la constance des données.

«C’est la première fois qu’on recrute autant de femmes dans un essai avec randomisation. Il importe ici de souligner que si l’on considère le paramètre mixte dans son ensemble, le bénéfice est significatif chez les femmes, ce qui revient à dire que la rosuvastatine est efficace dans cette population particulière, ajoute le Dr Glynn. L’écart [non significatif sur le plan de la réduction du risque d’AVC] tient sans doute à la taille de l’échantillon, mais on peut, je crois, affirmer que les résultats s’appliquent aux femmes. Chose certaine, on n’a relevé aucune hétérogénéité significative.»

Baisse du C-LDL ou de l’hsCRP?

De l’avis de nombreux experts, la protection marquée que la rosuvastatine a conférée contre les AVC dans le cadre de l’essai JUPITER, comparativement à celle qu’ont conférée d’autres statines lors d’études antérieures, serait attribuable à la réduction de 50 % du taux de C-LDL, la médiane ayant atteint 1,42 mmol/L durant la période de traitement. Ce taux médian de C-LDL est le plus faible jamais atteint dans un essai d’envergure avec randomisation, bien que la dose de la statine ait été plutôt faible. Bien que les sujets recrutés n’aient pas été hyperlipidémiques selon les normes en vigueur, il semble qu’un taux élevé d’hsCRP permette de cerner un groupe de patients à risque élevé. Cependant, la rosuvastatine a également réduit le taux d’hsCRP de 37 %, si bien que la contribution réelle de l’effet anti-inflammatoire est actuellement débattue.

Le Dr J. David Spence, directeur, Stroke Prevention & Atherosclerosis Research Centre, University of Western Ontario, London – à qui on a demandé de commenter les résultats de JUPITER sur les AVC – a souligné l’importance du C-LDL et affirmé qu’il voit l’hsCRP comme un marqueur non spécifique. À son avis, l’hsCRP n’est pas un facteur de risque qui se traite, et les bénéfices associés à la rosuvastatine tiennent à la baisse des taux lipidiques.

Le Dr Ashfaq Shuaib, directeur de la division de neurologie, University of Alberta, Edmonton, voit au contraire l’inflammation comme un catalyseur de l’athérosclérose qui se solde par un AVC. Il est bien sûr d’accord pour dire que le C-LDL est un objectif clé du traitement, mais il voit l’hsCRP comme un marqueur indépendant du risque grâce auquel on peut reconnaître les patients normolipidémiques qui pourraient tout de même bénéficier d’un traitement hypolipidémiant exerçant également un effet anti-inflammatoire.

«Évidemment, on doit abaisser le C-LDL en présence d’hyperlipidémie, quel que soit le taux d’hsCRP, mais des données de JUPITER montrent maintenant que nous avons un bon outil pour repérer les patients pouvant bénéficier d’un traitement hypolipidémiant énergique, même en l’absence d’hyperlipidémie marquée», confirme le Dr Shuaib, qui ajoute qu’il mesure maintenant l’hsCRP de façon systématique lorsqu’il doit déterminer la pertinence de traiter un patient.

Contrairement au C-LDL, qui contribue activement à la croissance des plaques athéromateuses de même qu’à leur instabilité et à leur rupture, l’hsCRP est un marqueur de l’inflammation dont le rôle pathogène direct dans la formation du thrombus est incertain. En définitive, cependant, le débat sur la contribution éventuelle d’une baisse du taux d’hsCRP ne modifie en rien l’application des résultats de JUPITER. Que l’effet anti-inflammatoire de ce traitement contribue ou non aux bénéfices, il ne change pas la corrélation directe et robuste entre la baisse du taux de C-LDL et la diminution du risque d’événement CV. Le taux en deçà duquel une réduction supplémentaire du taux de C-LDL n’apporte pas une réduction supplémentaire du risque CV n’a pas encore été atteint. Par contre, JUPITER a redéfini le taux minimum de C-LDL que l’on peut atteindre en toute sécurité et qui, à ce jour, a permis d’obtenir la réduction la plus marquée du risque. En outre, cette étude révèle que cette réduction du risque est possible chez les patients qui présentent un taux élevé d’hsCRP.

Résumé

L’étude JUPITER a démontré que des hommes de plus de 50 ans et des femmes de plus de 60 ans, normolipidémiques et apparemment en bonne santé, peuvent bénéficier – grâce à un traitement par rosuvastatine – d’une baisse du risque d’AVC qui avoisine celle du risque d’IM si leur taux d’hsCRP excède 2,0 mg/dL. Bien que le comité indépendant de surveillance des essais ait mis fin prématurément à l’essai JUPITER en raison de la réduction marquée du risque obtenue au cours des deux premières années de l’étude, les résultats ont associé la rosuvastatine à une réduction de 48 % de tous les AVC, à une réduction de 51 % des AVC ischémiques, à une réduction de 54 % des IM et à une réduction de 44 % du paramètre mixte principal qui regroupait divers événements CV, dont l’AVC et l’IM. En outre, la mortalité toutes causes confondues a baissé de 20 % sous l’effet du traitement actif. La contribution relative éventuelle de la baisse des taux d’hsCRP et de C-LDL aux bénéfices associés à la rosuvastatine dans le cadre de JUPITER n’est pas claire, mais on s’attend à ce que cette étude conduise à l’actualisation des recommandations quant à l’évaluation du risque d’AVC et au traitement de l’AVC et d’autres événements CV.

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