Comptes rendus

Renforcer la lutte contre les infections nosocomiales par Clostridium difficile dans le contexte de la prévalence croissante de souches hypervirulentes
Inhibition de la pompe à protons et activité antiplaquettaire : une question de voies métaboliques

Prévention secondaire des mycoses invasives chez les greffés de cellules souches hématopoïétiques

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 35e Assemblée annuelle de l’EBMT (European Group for Blood and Marrow Transplantation)

Göteborg, Suède / 29 mars-1er avril 2009

L’aspergillose invasive (AI), actuellement la plus courante des mycoses invasives (MI) en hématologie, représente plus de la moitié des infections rapportées chez les greffés de cellules souches hématopoïétiques (CSH). Comme le rappelle la Dre Maiken Cavling Arendrup, chef de l’unité de mycologie, Statens Serum Institut, Copenhague, Danemark, les allogreffés de CSH sont particulièrement exposés au risque de MI, tant à cause de la sévérité que de la durée de leur neutropénie.

Une étude menée auprès de 18 services d’hématologie – qui regroupait 11 802 patients hospitalisés entre 1999 et 2003 – a révélé que 538 patients avaient développé une MI avérée ou probable, ce qui correspond à un taux d’incidence global de 4,6 %. Environ les deux tiers de ces MI avaient été causées par des moisissures (Aspergillus dans 90 % des cas) et plus du tiers, par des levures (Candida dans 90 % des cas, majoritairement des espèces non albicans).

Lors d’une étude citée par la Dre Arendrup, on a enregistré un taux de mortalité de 38 % chez les patients atteints d’une leucémie aiguë myéloïde (LAM) qui présentaient une aspergillose vs 67 % chez les patients de la même cohorte qui présentaient une mycose à zygomycètes. Le taux de mortalité imputable à une MI à Fusarium était aussi élevé, atteignant 47 %. La majorité des patients souffrant d’une LAM qui ont développé une aspergillose dans cette série étaient en rechute.

La mortalité imputable aux MI en hématologie demeure élevée, mais elle pourrait être en baisse, fait remarquer la Dre Arendrup, qui a cité une étude multicentrique réalisée récemment aux États-Unis lors de laquelle on a rapporté un taux de mortalité de seulement 36 % après 12 semaines, comparativement à un taux de mortalité variant entre 50 et 80 % chez des témoins historiques. Au nombre des facteurs qui ont amené une baisse du taux de mortalité figurent l’introduction du dosage de l’antigène galactomannane permettant la détection plus précoce d’une MI ainsi que l’augmentation du nombre de lavages bronchoalvéolaires (LBA) et d’examens tomographiques (TDM) à des fins diagnostiques, qui permettent l’administration précoce du voriconazole.

Pharmacovigilance thérapeutique

De nombreux facteurs influent sur l’absorption des antifongiques azolés, notamment le polymorphisme génétique de l’isoenzyme CYP2C19, la fonction gastro-intestinale, les dysfonctions hépatiques ou rénales et les interactions médicamenteuses. Les concentrations sanguines peuvent donc être très variables, surtout lorsque l’antifongique est administré par voie orale. Le posaconazole, par exemple, doit être pris avec des aliments gras pour être bien absorbé et, chez un patient dont l’apport d’aliments gras serait insuffisant, les concentrations sanguines de posaconazole risqueraient d’être sous-optimales; en pareil cas, la pharmacovigilance thérapeutique est recommandée. Le polymorphisme génétique de l’isoenzyme CYP2C19 peut aussi influer sur le métabolisme du voriconazole, selon que le patient est un métaboliseur lent ou rapide.

Le Dr Peter Donnelly, Centre médical de l’Université Radboud de Nimègue, Pays-Bas, met en doute l’utilité d’un examen TDM du fait de l’«énorme variabilité», tant intra-individuelle qu’interindividuelle, des concentrations d’antifongiques azolés après leur administration. L’expérience de Pascual et al. (Clin Infect Dis 2008;46:201-11) a toutefois démontré l’utilité de la TDM. Chez 52 patients qui avaient subi un examen TDM, les concentrations minimales de voriconazole variaient entre <u><</u> 1 mg/L (la plupart des patients qui l’ont reçu par voie orale) et >5,5 mg/L (la plupart de ceux qui l’ont reçu par voie intraveineuse [i.v.]). Six patients dont l’infection persistait ou progressait et chez qui les concentrations minimales étaient faibles ont répondu au traitement lorsqu’on a augmenté la dose. Les auteurs en ont conclu que l’examen TDM avait amélioré l’efficacité et l’innocuité du traitement.

Au congrès de l’EBMT, Winterová et al. (affiche P 844) ont rapporté les résultats d’une analyse rétrospective portant sur 51 patients de leur établissement qui avaient reçu une allogreffe de CSH entre 2005 et 2008. De multiples échantillons de plasma ont été soumis à un dosage par chromatographie liquide à haute performance. La quasi-totalité des patients ont reçu par voie orale une dose quotidienne totale de voriconazole variant entre 200 et 800 mg.

Chez un pourcentage élevé de patients, l’administration de la dose quotidienne habituelle de voriconazole n’a pas permis d’atteindre des concentrations sanguines thérapeutiques suffisantes. Dans 8 % des échantillons de plasma de 20 patients, les concentrations du médicament étaient indécelables (<0,2 µg/mL) alors que dans 42 % des échantillons de 31 patients, elles demeuraient inférieures aux concentrations associées à une meilleure réponse au traitement malgré une dose de 400 mg/jour. Lorsqu’on a porté la dose quotidienne à 600 mg chez 11 patients, les concentrations plasmatiques minimales sont passées à >1,0 µg/mL chez quatre patients et à >0,5 µg/mL chez trois patients. Chez les quatre autres patients, les concentrations du médicament sont demeurées semblables ou ont baissé après l’augmentation de la dose.

Bien que les résultats semblent équivoques, les auteurs ont conclu que la mesure des taux plasmatiques facilite l’ajustement de la posologie et qu’elle peut améliorer la réponse au traitement antifongique chez les patients exposés à un risque élevé.

Traitement préemptif de l’aspergillose invasive

Le groupe d’étude des mycoses de l’Organisation européenne de recherche sur le traitement du cancer a récemment actualisé les définitions des MI (et plus particulièrement, de l’AI), et les critères mis à jour ont servi à reclasser les données de l’étude GCAS (Global Comparative Aspergillosis Study) publiée en 2002. Comme l’explique le Pr Raoul Herbrecht, directeur de l’hématologie, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, France, les principales différences entre les critères de 2002 et ceux de 2008 gravitent autour des signes du halo et du croissant gazeux, ceux-ci étant passés de signes d’une mycose probable à ceux d’une mycose possible. Les patients présentant un nodule sans signe de halo ou infiltrat focal ni preuve microbiologique ont été exclus de l’analyse initiale.

«Nous pouvons conclure à une infection possible chez ce type de patient, pour autant qu’il y ait des facteurs de l’hôte comme la persistance de la fièvre et d’autres signes malgré une antibiothérapie à large spectre», poursuit le Pr Herbrecht. Lors de l’analyse initiale, un résultat positif au LBA était considéré comme la preuve d’une infection; à l’heure actuelle, le même critère est seulement considéré comme un signe d’infection probable, et le taux de galactomannane est maintenant pris en compte.

Une fois toutes les AI reclassées, les chercheurs ont repéré 108 AI possibles – 54 traitées par le voriconazole et 54, par l’amphotéricine B. Les résultats à 12 semaines – dévoilés au congrès – ont montré que 64,8 % des patients sous voriconazole avaient eu une réponse favorable, soit environ 10 % de plus que dans la publication initiale, par comparaison à 38,9 % des patients sous amphotéricine B, soit environ 7 % de plus que dans la publication initiale. L’écart de 25,9 % entre les deux groupes dans l’analyse post-reclassement est demeuré significatif (p=0,012) (Figure 1).

Figure 1. Reclassement des cas d’AI


Parmi les patients atteints d’une AI possible, le taux de survie des patients sous voriconazole, à 80 %, était aussi environ 10 % plus élevé que le taux de survie qui s’était dégagé de l’analyse initiale en 2002; il en a été de même chez les patients sous amphotéricine B, dont le taux de survie a atteint 68,6 % selon l’analyse de 2008 (N Engl J Med 2002;347[6]:408-15). La différence entre les deux groupes selon l’analyse post-reclassement n’a pas atteint le seuil de signification statistique en raison du petit nombre de patients dans chacun des groupes, précise le Pr Herbrecht (Fig
éponse à 12 semaines

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Pour les 239 patients reclassés comme des cas d’AI probable/avérée, le taux de réponse a baissé, passant de 52,8 % à 50 % dans le groupe voriconazole et de 31,6 % à 25,2 % dans le groupe amphotéricine B. La différence entre les deux groupes était significative (24,8 %; IC à 95 %
01) (Tableau 1).

Tableau 1. 239 cas d’AI probable/avérée (2008)

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«À mon sens, nous pouvons maintenant affirmer que le traitement précoce de l’AI est associé à de meilleurs résultats, conclut le Pr Herbrecht, et je pense que nous pouvons aussi conclure que le voriconazole convient au traitement préemptif de l’AI, puisqu’il est associé à des taux de réponse très élevés et à un taux de survie très élevé à 12 semaines.»

Prophylaxie secondaire des mycoses invasives

Il ressort de revues de la littérature que le risque de récidive d’une MI ou d’acquisition d’une toute nouvelle MI après une allogreffe de CSH pourrait atteindre 20 à 50 % chez les patients ayant des antécédents de MI. En diminuant l’intensité du schéma de conditionnement et en s’assurant que la dernière infection s’est résorbée ou est en voie de l’être avant de procéder à la greffe, on réduirait probablement le risque de récidive, note la Pre Catherine Cordonnier, professeure titulaire d’hématologie, Hôpital Henri-Mondor, Créteil, France.

Dans le cadre de l’étude VOSIFI réalisée par la Pre Cordonnier et son équipe, 45 patients qui avaient des antécédents de MI avérée ou probable au cours des 12 mois précédant la greffe de CSH ont reçu du voriconazole par voie i.v. (4 mg/kg/12 h) ou orale (200 mg/12 h). «La prophylaxie débutait dans un délai de 48 heures suivant la chimiothérapie afin d’éviter toute interaction entre le voriconazole et la chimiothérapie, explique-t-elle. Le traitement prophylactique a été administré pendant les 100 jours qui ont suivi la greffe et pouvait être prolongé de 50 jours dans certaines conditions.» La prophylaxie par le voriconazole a duré 94 jours en moyenne, et la durée médiane du suivi a été d’environ un an.

L’analyse en intention de traiter modifiée (n=42) a révélé que seulement trois patients avaient développé une infection avérée ou probable durant l’étude, «ce qui revient à un taux d’incidence brut de 7 %», fait remarquer la Pre Cordonnier. Ces trois cas étaient deux mycoses récidivantes, l’une par Candida albicans, l’autre par Scedosporium prolificans, et une zygomycose, survenues les 3e, 16e et 66e jours, respectivement, après la greffe.

Onze patients (24 %) de la cohorte étaient décédés au terme de l’étude, mais un seul décès a été imputé à la mycose (scedosporiose). Évidemment, le taux d’effets indésirables était élevé dans cette cohorte, mais les résultats anormaux aux tests de la fonction hépatique ont motivé seulement deux retraits.

«La prophylaxie secondaire par le voriconazole est sûre et efficace pour protéger les patients contre les mycoses récidivantes après une allogreffe de CSH, conclut la Pre Cordonnier. Comme le taux de mycoses – récidivantes et nouvellement acquises – atteint typiquement 20 à 50 % dans cette population, le taux [d’incidence brut] de 7 % que nous avons obtenu dans notre étude est plus faible que ce à quoi nous nous attendions.»

Questions et réponses

Les questions et réponses qui suivent sont tirées d’entretiens avec le Pr Raoul Herbrecht, directeur de l’hématologie, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, France; le Dr Peter Donnelly, Centre médical de l’Université Radboud de Nimègue, Pays-Bas; et la Pre Catherine Cordonnier, professeure titulaire d’hématologie, Hôpital Henri-Mondor, Créteil, France, dans le cadre du congrès.

Q : Croyez-vous que les résultats de l’étude GCAS auraient été différents si le voriconazole avait été comparé à l’amphotéricine B liposomique?

Pr Herbrecht : On nous a reproché d’avoir opté pour l’amphotéricine B standard comme comparateur, mais au moment où l’étude a été conçue, l’amphotéricine B liposomique n’était pas homologuée pour le traitement de première intention de l’AI, de sorte que nous ne pouvions pas l’utiliser. Nous pouvons seulement dire [...] qu’à ce jour, aucune des études sur les monothérapies ou même sur les associations n’a donné de résultats supérieurs à ceux de notre étude sur le voriconazole. J’estime donc que ces données à l’appui du voriconazole dans le traitement de l’AI doivent être considérées comme du roc. Il va de soi que les résultats peuvent toujours être meilleurs, et une façon d’y parvenir serait d’opter pour un traitement préemptif, c’est-à-dire dès que l’on soupçonne la présence d’une mycose.

Q : Dans l’AI, un traitement par voie orale serait-il envisageable en première intention?

Dr Donnelly : Je ne pense pas que ce soit très brillant, et je suis même étonné de voir que certains médecins essaient de traiter une AI en première intention au moyen d’un antifongique azolé par voie orale. On administre du voriconazole par voie i.v. pendant 10 à 14 jours, après quoi on peut envisager la préparation orale pour le traitement d’entretien. On doit donner la dose optimale afin d’optimiser l’exposition du patient, car le passage au traitement oral signifie que le patient reçoit seulement les deux tiers de la dose i.v. Je pense que les recommandations seront probablement modifiées sous peu afin que l’exposition reste la même lorsqu’on passe au voriconazole oral.

Q : Si un patient ne répond pas à une prophylaxie primaire par le posaconazole, devrait-on éviter les autres dérivés azolés?

Pre Cordonnier : Si une aspergillose se développe malgré un traitement prophylactique par le posaconazole et que le dosage ne montre pas de concentrations circulantes, il ne s’agit probablement pas d’une résistance à la classe des antifongiques azolés et on peut alors administrer un autre dérivé azolé. Si, en revanche, les concentrations circulantes sont suffisantes, on devrait probablement changer de classe d’antifongique pour traiter l’infection.

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