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Reflux gastro-oesophagien : Le lien entre la suppression de l’acidité gastrique et la cicatrisation des lésions

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Point de vue sur la publication suivante : Alimentary Pharmacology and Therapeutics 2007;25:617-28

mai 2007

Revue éditoriale conjointe par :

Marc Bradette, MD, FRCPC Professeur de clinique en médecine Département de gastro-entérologie Université Laval Québec, Québec

Naoki Chiba, MD, MSc, FRCPC Chef de la médecine interne Guelph General Hospital Guelph, Ontario

Professeur agrégé de clinique en médecine McMaster University Hamilton, Ontario

Il est communément admis que le reflux du contenu gastrique acide dans l’œsophage est une composante pathologique essentielle au développement d’une œsophagite érosive. Il a aussi été démontré que les agents les plus efficaces pour inhiber la sécrétion acide gastrique sont également les plus efficaces pour contribuer à la cicatrisation d’une œsophagite (Chiba et al. Gastroenterology 1997;112:1798-810). Même si un lien direct entre la suppression de l’acidité gastrique et la cicatrisation des lésions n’avait pas été démontré par le passé, la méta-analyse clé de Bell et al. (Digestion 1992;51(suppl 1):59-67) avait mis en évidence une corrélation indirecte entre la suppression de l’acidité gastrique et la cicatrisation d’une œsophagite par reflux. Cependant, les études colligées dans la méta-analyse de Bell ne visaient pas à évaluer le lien entre la suppression de l’acidité gastrique et la cicatrisation chez un même patient, de sorte qu’il était impossible de confirmer un lien direct entre la suppression de l’acidité et la cicatrisation de l’œsophagite. L’étude de Katz et al. (Alimentary Pharmacology and Therapeutics 2007;25:617-28), qui peut être qualifiée d’étude de validation de concept, est donc la première étude prospective à évaluer ce lien.

PLAN DE L’ÉTUDE

Le plan de cette étude à double insu avait été conçu expressément pour répondre à la question posée. Des adultes souffrant d’une œsophagite érosive modérée à sévère de grade C ou D selon la classification de Los Angeles (LA) ont été randomisés de façon à recevoir de l’esoméprazole une fois par jour, soit à la dose standard de 40 mg, soit à 10 mg, dose plus faible que la dose des schémas d’entretien usuels dans le reflux gastro-œsophagien (RGO). Chez tous les patients, on procédait à une pH-métrie sur 24 heures le jour 5 de l’étude de quatre semaines. La cicatrisation de l’œsophagite était évaluée par endoscopie au terme des quatre semaines de l’étude. Les symptômes du RGO, plus précisément le pyrosis, la régurgitation acide, la dysphagie et la douleur épigastrique, étaient évalués au départ et au terme de l’étude sur une échelle de quatre points, 0 indiquant l’absence de symptômes et 3, la présence de symptômes sévères. L’objectif premier de l’étude était d’évaluer le lien entre le pourcentage de temps où le pH gastrique était >4,0 sur 24 heures le jour 5 et la proportion des lésions œsophagiennes cicatrisées après quatre semaines. Un pH gastrique de 4,0 est considéré comme un seuil standard à partir duquel on évalue le lien entre la suppression de l’acidité gastrique et la cicatrisation de l’œsophage.

Les données étaient évaluables pour 103 patients, dont l’âge moyen était de 48,7 ans (18 à 74 ans). Soixante-cinq pour cent des sujets étaient de sexe masculin. À l’endoscopie initiale, 92 % des patients présentaient une œsophagite érosive de grade C selon la classification de LA (érosion continue de la muqueuse sur au moins deux plis) alors que les autres (8 %) répondaient aux critères du grade D selon la classification de LA (érosions sur plus de 75 % de la surface de la muqueuse). Le reflux était symptomatique depuis environ neuf ans en moyenne. L’indice de masse corporelle (IMC) moyen des sujets était de 30 (19 à 51). La recherche d’une infection à H. pylori s’est révélée négative chez plus de 90 % des patients.

RÉSULTATS

Parallèlement à la durée du maintien d’un pH >4,0 qui est passée de 0 % à 75 % du temps, les taux de cicatrisation sont passés de 23,1 % à 89,2 %. Lorsque les données étaient reportées sur un graphique, le lien était presque linéaire. Selon l’analyse des données à quatre semaines provenant des sujets ayant terminé l’étude, le pourcentage de temps où le pH était >4,0 le jour 5 se chiffrait à 61 % chez les patients dont les érosions étaient cicatrisées vs 42 % chez ceux dont les érosions ne l’étaient toujours pas (p=0,0002). Selon l’analyse en intention de traiter, ces pourcentages relatifs étaient respectivement de 65 % et 48 % (p=0,0003). Selon l’analyse de régression logistique, les probabilités de cicatrisation augmentaient de 4 % pour chaque point de pourcentage de temps où le pH était >4,0. Le rapport de cotes (odds ratio) et la corrélation globale entre la suppression de l’acidité gastrique et la cicatrisation des lésions demeuraient inchangés lorsqu’on tenait compte de l’âge, du sexe, de la race, de l’IMC, de l’infection par H. pylori et du grade de l’œsophagite érosive selon la classification de LA. Comme dans les études antérieures, on a observé une corrélation significative entre une suppression plus marquée de l’acidité gastrique et la diminution des symptômes diurnes (p=0,003) et nocturnes (p=0,003).

CONCLUSIONS DES INVESTIGATEURS

Les auteurs ont conclu à l’existence d’un lien direct entre la suppression de l’acidité gastrique et la cicatrisation de l’œsophagite érosive. Fait digne de mention, les chercheurs qui ont évalué la cicatrisation à l’endoscopie ignoraient le traitement administré, le niveau de suppression de l’acidité gastrique et l’évaluation des symptômes. De même, les patients n’étaient pas informés des résultats de la pH-métrie et l’endoscopie finale était effectuée après l’évaluation des symptômes afin que l’état de la muqueuse n’influence pas l’évaluation des symptômes. Même si l’effectif se composait de seulement 103 patients, ce nombre était suffisant, selon les calculs antérieurs à la conduite de l’étude, pour faire ressortir des différences significatives. Ces hypothèses de travail, comme les taux de cicatrisation escomptés, étaient assez exactes.

Il importe de souligner que l’étude était conçue pour déterminer le lien entre la cicatrisation des lésions et la suppression de l’acidité gastrique. Bien qu’il soit logique de supposer que l’inhibition de l’acidité gastrique était plus prononcée chez les sujets qui recevaient la dose plus forte d’esoméprazole, la proportion du temps où le pH excédait 4,0 le jour 5 de l’étude était évaluée indépendamment de la dose de l’inhibiteur de la pompe à protons (IPP). En raison du plan de l’étude, les différences relatives de cicatrisation selon la suppression de l’acidité gastrique peuvent être appliquées globalement à toute stratégie de suppression de l’acidité et non uniquement aux IPP.

ÉTUDES CORROBORANTES

Bien qu’il ait été démontré que l’esoméprazole supprime l’acidité gastrique de façon plus durable que d’autres IPP lors d’une étude croisée (Miner et al. Am J Gastroenterol 2003;98:2616-20) et qu’il ait procuré, lors d’études multicentriques à l’insu, une meilleure cicatrisation que l’oméprazole (Richter et al. Am J Gastroenterol 2001;96:656-65), le lansoprazole (Castell et al. Am J Gastroenterol 2002;97:575-83) et le pantoprazole (Labenz et al Aliment Pharmacol Ther 2005;21:739-46) aux doses standard, l’étude de Katz et al. n’avait pas pour objectif principal d’évaluer la cicatrisation de l’œsophagite, mais bien d’établir une corrélation entre la suppression de l’acidité gastrique et la cicatrisation de l’œsophagite.

En confirmant l’importance de la suppression de l’acidité pour la cicatrisation de l’œsophagite érosive, cette étude a des retombées cliniques sur le traitement, surtout en raison de la proportion très élevée de patients traités empiriquement pour un RGO. Bien que seulement le tiers environ des patients présentant un RGO montrent des signes d’œsophagite érosive à l’endoscopie (Shaheen et al. Am J Med Sci 2003; 326:264-73), on ne peut pas prédire la présence ou l’absence de lésions d’après les symptômes. Cela est vrai même quand on compare des patients présentant un RGO sans érosion avec des patients souffrant d’une œsophagite très sévère.

En présence d’un pyrosis symptomatique n’ayant jamais été exploré, on ne peut pas savoir si le patient souffre d’œsophagite ou non. De plus, la sévérité du pyrosis ne dénote pas nécessairement la présence d’une œsophagite ni ne permet d’en prédire le grade si œsophagite il y a. Le traitement doit donc avoir pour but de supprimer l’acidité gastrique de façon optimale si l’on souhaite obtenir une cicatrisation appropriée de l’œsophagite et soulager les symptômes. Cette étude a révélé que plus la suppression de l’acidité gastrique est marquée, plus les probabilités de cicatrisation sont élevées, et que le traitement optimal doit comporter un antisécrétoire tel qu’un IPP.

pH CIBLE

Lors de cette étude, le taux de cicatrisation à quatre semaines, intervalle dont la durée a été déterminée expressément pour accroître la probabilité de faire ressortir une disparité entre les effets de différents niveaux de suppression de l’acidité gastrique, a grimpé à près de 90 % chez les patients dont le pH était >4,0 pendant 50 % à 75 % du temps où il était évalué. Cependant, les chercheurs n’ont pas observé d’augmentation supplémentaire du taux de cicatrisation chez les sujets dont le pH gastrique avait été >4,0 pendant plus de 75 % du temps où il avait été évalué. Certes, il serait logique de croire que l’on aurait pu obtenir de meilleurs taux de cicatrisation à tous les niveaux de suppression de l’acidité gastrique si l’étude avait duré au moins huit semaines, mais le plafonnement des taux de cicatrisation observé à quatre semaines malgré la suppression quasi-complète de l’acidité gastrique invite à penser que l’acidité gastrique n’est pas le seul facteur déterminant de l’œsophagite; d’autres facteurs, comme le reflux non acide, les réservoirs d’acide gastrique résiduels près du cardia ou les acides biliaires, pourraient contribuer au développement et à la persistance de l’œsophagite érosive. Cette observation n’infirme pas l’importance critique de la suppression de l’acidité gastrique dans la cicatrisation de l’œsophagite érosive, mais elle indique que même une suppression optimale de l’acidité gastrique ne se traduit pas par une cicatrisation complète.

Dans cette étude ainsi que dans d’autres études, on a noté une variabilité interindividuelle considérable de la suppression de l’acidité gastrique par rapport à la dose d’IPP administrée. Là encore, c’est la suppression de l’acidité gastrique plutôt que la dose du traitement qui a été le principal facteur déterminant de la cicatrisation. Selon cette perspective, le but du traitement semble être de porter le pH au-delà de 4,0 pendant 50 % à 75 % de chaque période d’administration, sans égard à la dose. Compte tenu des différences interindividuelles dans la réponse aux IPP, l’individualisation du traitement pourrait être la stratégie la plus fiable pour obtenir ce degré de suppression de l’acidité gastrique. Cela dit, la seule façon de documenter ce degré de suppression de l’acidité gastrique est la pH-métrie, examen peu pratique en raison de son coût élevé et des contraintes qu’il impose au patient. La solution de rechange à l’individualisation du traitement est de faire une endoscopie au terme de chaque traitement pour vérifier la cicatrisation, autre stratégie dont les coûts et les inconvénients sont inacceptables. À défaut de pouvoir effectuer ces examens, la meilleure solution est de choisir le traitement qui offre la suppression la plus durable de l’acidité gastrique. Bien que cette étude indique qu’aucun degré de suppression de l’acidité ne peut garantir la cicatrisation, les agents les plus efficaces pour maintenir un pH >4,0 sont les plus susceptibles d’induire la cicatrisation. En pareil cas, il est plus approprié d’administrer la dose quotidienne standard de 40 mg d’esoméprazole plutôt qu’une dose de 10 mg pour obtenir la cicatrisation.

SOULAGEMENT DES SYMPTÔMES DU RGO

Les symptômes étaient aussi surveillés dans le cadre de cette étude, mais les données soulignent principalement la corrélation limitée entre les symptômes et la cicatrisation. Bien qu’il y ait une corrélation significative entre, d’une part, une suppression plus marquée de l’acidité gastrique et, d’autre part, la résolution des épisodes de pyrosis diurnes (p=0,003) et nocturnes (p=0,003) et de régurgitation acide (p=0,032), la corrélation entre un pH gastrique >4,0 le jour 5 et la résolution complète des symptômes après quatre semaines n’a pas atteint le seuil de signification statistique (60 % vs 52 %; p=0,078). Ce phénomène pourrait toutefois tenir au fait que le protocole de l’étude autorisait les antiacides de secours pour le soulagement des symptômes. Chez les patients dont l’œsophagite avait cicatrisé au terme des quatre semaines, la consommation de médicaments de secours, mesurée en nombre de comprimés par jour, était environ la moitié de celle des patients dont l’œsophagite persistait (0,45 comprimé vs 0,91 comprimé; p=0,0098). Malgré la faible corrélation entre la présence et la sévérité de l’œsophagite et la sévérité des symptômes, cette étude et d’autres études ont montré que la suppression de l’acidité gastrique est étroitement liée aux deux. Dans l’ensemble, les résultats concordent avec ceux de la série de méta-analyses effectuées dans les années 1990 qui portaient sur les antiacides, les anti-H2 et les IPP. Selon ces méta-analyses, la cicatrisation et le soulagement des symptômes étaient tous deux fortement corrélés avec la suppression de l’acidité gastrique (Bell et al. Digestion 1992; Chiba et al. Gastroenterology 1997; Hunt RH. Arch Intern Med 1999;159:649-57).

RÉSUMÉ

Près de 20 ans après l’arrivée du premier IPP dans la pratique clinique, on a finalement fait une étude pour confirmer le lien entre la suppression de l’acidité gastrique et la cicatrisation des lésions. Quoique le plan de cette étude ait été simple et que ses résultats aient été prévisibles en raison de la multitude d’études cliniques et expérimentales qui l’avaient précédée, elle permet de boucler la boucle en confirmant qu’une meilleure suppression de l’acidité gastrique, sans égard à la dose administrée et, vraisemblablement, à l’agent utilisé, augmente les chances de cicatrisation de l’œsophagite. Les résultats de l’étude ont révélé que l’acidité gastrique n’est pas le seul facteur en jeu dans la cicatrisation de l’œsophagite, mais que c’est de loin le plus important. Ils confirment également que les agents les plus efficaces pour maintenir un pH >4,0 sont ceux qui donnent les meilleurs taux de cicatrisation.

Les résultats de cette étude ne bouleverseront peut-être pas la pratique clinique, mais ils viennent renforcer l’objectif d’une suppression optimale de l’acidité gastrique. Chez les patients aux prises avec une œsophagite érosive, la suppression la plus marquée de l’acidité gastrique était associée aux meilleures chances de cicatrisation. Ces résultats montrent que l’acidité n’est pas le seul facteur pathogène contribuant à l’apparition de lésions dans l’œsophage distal, mais ils confirment que c’est le plus important. Même après seulement quatre semaines, un taux de cicatrisation de près de 90 % a été atteint chez les patients dont l’acidité gastrique était le mieux contrôlée. Il importe ici de souligner, de plus, que la probabilité accrue de cicatrisation sous l’effet d’un traitement à la dose complète dans le cadre d’une stratégie empirique ne s’obtient pas au prix de problèmes d’innocuité.

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