Comptes rendus

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Regard sur l´adénocarcinome rénal et le carcinome hépatocellulaire

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

La 43e Assemblée annuelle de l´American Society of Clinical Oncology

Chicago, Illinois / 1er-5 juin 2007

L’identification et la caractérisation des voies moléculaires incriminées dans divers cancers ont pavé la voie à l’avènement des antitumoraux ciblés. Au nombre des réussites dignes de mention, soulignons le sorafenib et le sunitinib. En tant qu’inhibiteur oral de la Raf kinase agissant sur de multiples récepteurs des facteurs de croissance, dont le VEGF-2, le FLT-3, et le PDGF, le sorafenib agit aussi sur la voie Ras/Raf/MEK, tandis que le sunitinib inhibe le c-KIT, le FLT-3, les PDGF-alpha et bêta et le VEGF-2. Ces deux antitumoraux sont homologués dans le traitement de l’adénocarcinome rénal (ACR) avancé, et des études présentées au congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) donnent à penser que ces agents s’annoncent prometteurs dans le traitement d’autres types de cancers dont le carcinome hépatocellulaire (CHC) et le mélanome malin.

Une percée dans le cancer hépatocellulaire

L’investigateur principal, le Dr Josep Llovet, directeur de la recherche sur le CHC, Mount Sinai School of Medicine, New York, New York (nomination conjointe à l’Universidat de Barcelona, Espagne), a présenté les résultats de l’essai SHARP (Sorafenib HCC Assessment Randomized Protocol) lors duquel 602 patients atteints d’un CHC avancé ont reçu 400 mg de sorafenib b.i.d. ou un placebo. On a observé des différences hautement significatives entre le groupe de traitement actif et le groupe placebo sur les plans de la médiane de survie globale (SG) (10,7 mois vs 7,9 mois, respectivement) et de la médiane de survie sans progression (SSP) (5,5 mois vs 2,8 mois, respectivement). Le traitement actif s’est révélé efficace sans égard à l’indice fonctionnel de l’ECOG (Eastern Cooperative Oncology Group), à la présence de métastases extra-hépatiques et à la présence d’un envahissement vasculaire macroscopique.

Il importe toutefois de souligner que ces résultats ne s’appliquent pas aux patients qui diffèrent fondamentalement des sujets de l’essai SHARP, y compris les patients souffrant d’une maladie hépatique avancée ou d’une dysfonction hépatique. Comme la grande majorité des patients ont été recrutés en Europe, nous ne pouvons pas affirmer avec autant de certitude que les bénéfices observés dans SHARP s’appliqueront à d’autres groupes ethniques et à d’autres patients dont le cancer hépatique découle d’une autre cause. Treize pour cent des patients recevant le traitement actif ont manifesté des effets indésirables graves liés au traitement, vs 9% des patients du groupe placebo. L’effet indésirable le plus fréquent du traitement actif était la diarrhée, légère dans la plupart des cas.

Après plus de 30 ans de recherche, cette étude est la première à objectiver l’activité importante d’un agent systémique dans le CHC avancé et ouvre donc la voie à une nouvelle option de traitement. La prochaine étape sera d’évaluer le composé dans un contexte de traitement adjuvant, après une intervention chirurgicale ou un autre traitement local, afin de déterminer s’il exerce une activité encore plus marquée à un stade moins avancé.

Évaluation des biomarqueurs de TARGET

Selon les résultats déjà publiés de l’étude pivot de phase III TARGET (Treatment Approaches in Renal Cancer Global Evaluation Trial), le sorafenib est très actif dans l’ACR avancé réfractaire, la médiane de SSP ayant été de 5,5 mois vs 2,8 mois pour le placebo, ce qui représente une différence significative (N Engl J Med 2007;356[2]:125-34). Bien que la différence entre les deux groupes n’ait pas été significative sur le plan de la médiane de SG (17,8 mois dans le groupe de traitement actif vs 15,2 mois dans le groupe placebo) en raison du passage de certains patients au groupe sorafenib, elle a atteint le seuil de signification statistique dans l’analyse secondaire prévue au protocole qui excluait les patients ayant changé de groupe (17,8 vs 14,3 mois; p=0,0287).

La mise à jour des données sur les biomarqueurs de TARGET – qui a été présentée par le Dr Ronald Bukowski, directeur, programme de traitements expérimentaux, Taussig Cancer Center, Cleveland, Ohio – a montré que les taux plasmatiques de VEGF augmentaient alors que ceux de VEGF-2 solubles dans le plasma diminuaient sous l’effet du traitement actif. Aucune variation du taux de VEGF n’a été signalée chez les témoins du groupe placebo. La SSP était significativement plus courte chez les patients du groupe placebo dont le taux initial de VEGF était élevé que chez ceux dont le taux initial de VEGF était plus faible : 2,7 vs 3,3 mois, respectivement; et la tendance était similaire dans le cas de la SG. Le taux de VEGF semble avoir une valeur pronostique, et les variations des taux de VEGF et de sVEGFR2 associées au sorafenib évoquent une inhibition de la signalisation du VEGF. Les chercheurs en ont conclu que le sorafenib était efficace en présence d’un taux initial faible ou élevé de VEGF.

Analyse du programme d’accès élargi

Le programme d’accès élargi ARCCS (Advanced Renal Cell Carcinoma Sorafenib) permettait aux patients souffrant d’un ACR avancé d’avoir accès au sorafenib s’ils ne participaient à aucune autre étude clinique. En tout, 2502 patients – dont l’ACR était à cellules claires ou non – se sont inscrits au programme ARCCS. Les chercheurs ont enregistré une réponse complète (RC), 4 % de réponses partielles (RP) et 18% de RP non confirmées au sein de la cohorte ARCCS, mais le suivi n’a été que de 12,3 semaines en raison de la commercialisation du médicament. La maladie s’est stabilisée chez la vaste majorité des patients (80 %) et la durée médiane de la réponse était de 24,1 semaines en présence d’une RP, de 28,6 semaines en présence d’une RP non confirmée et de 27,1 semaines en présence d’une stabilisation du cancer. Des effets toxiques de classe 3 ou de classe supérieure ont été signalés chez au plus le tiers des patients de la cohorte ARCCS.

Ces résultats reflètent à la fois les données de toxicité et les données d’efficacité enregistrées dans l’étude de phase III TARGET et donnent à penser que les résultats de TARGET pourraient s’appliquer à une population de patients atteints d’un ACR répondant à des critères de sélection moins rigoureux. Lorsque le sorafenib a été homologué aux États- Unis en décembre 2005, les patients qui recevaient le traitement en première intention dans un centre américain ont pu participer à une phase de prolongation de six mois.

L’analyse distincte de la SSP chez ces participants qui recevaient le traitement en première intention durant la phase de prolongation – dont les résultats ont été présentés par le Dr Christopher Ryan, professeur adjoint de médecine, Oregon Health and Science University, Portland – a permis de constater que la médiane de SSP était de 35,1 semaines. On enregistré une RC, confirmée ou non, chez cinq patients et une RP, confirmée ou non, chez environ 21 % des sujets. Les taux de toxicité étaient très comparables à ceux qui avaient été rapportés dans l’essai de phase III sur le sorafenib. Les chercheurs ont conclu que les taux de réponse obtenus chez les patients traités en première intention et les patients atteints d’un ACR à cellules non claires étaient comparables aux taux enregistrés dans l’ensemble de la cohorte.

Cela dit, la prudence s’impose dans l’interprétation de la réponse au sorafenib chez les patients traités en première intention, car les résultats d’autres essais sont contradictoires. Un bénéfice général s’est dégagé de plusieurs autres sousgroupes de la cohorte ARCCS, y compris des patients porteurs de métastases cérébrales dont l’état neurologique était stable. L’analyse de ce petit sous-groupe (3 % de la cohorte ARCCS) n’a pas objectivé de risque supplémentaire ni de cas de toxicité inattendue ni de cas d’hémorragie du système nerveux central.

Tolérabilité de doses croissantes et séquence d’administration

Normalement administré à la dose approuvée de 400 mg b.i.d., le sorafenib administré à plus forte dose – sous réserve d’une bonne tolérabilité – pourrait exercer une activité antitumorale plus marquée. Comme le soulignait le Dr Robert Amato, directeur médical, programme d’oncologie génito-urinaire, The Methodist Hospital Research Institute, Houston, Texas, dans sa présentation, il est ressorti d’une étude qui visait à évaluer des doses croissantes chez 44 patients que la majorité de ces patients pouvaient tolérer entre 1200 et 1600 mg par jour.

À ces doses élevées, on a obtenu une RC chez 16 % des patients, une RP chez 39 % des patients et une stabilisation de la maladie pendant six mois ou plus chez 20 % des patients, pour un taux de réponse globale de 75 % dans cette petite série de cas. Ces réponses – qui ont été déterminées par les chercheurs – font maintenant l’objet d’un examen indépendant. La médiane de SSP était de 8,4 mois et la médiane de SG, de 11,5 mois. Ces résultats donnent à penser que des doses plus élevées pourraient maîtriser la tumeur plus efficacement et donc être bénéfiques chez certains patients, de sorte qu’une évaluation plus approfondie s’impose.

Le sorafenib et le sunitinib sont tous deux indiqués dans l’ACR avancé; cependant, une évaluation des taux de réponse obtenus a indiqué que le taux de réponse pourrait varier selon la séquence d’administration.

Selon une analyse rétrospective présentée par la Dre Marie-Pierre Sablin, Institut Gustave Roussy, Villejuif, France, 68 patients atteints d’un ACR ont reçu du sorafenib en premier lieu, alors que 22 autres ont d’abord reçu du sunitinib.

Lorsque leur cancer progressait malgré le traitement par le premier inhibiteur, les patients recevaient le deuxième agent. Après la progression du cancer sous sorafenib, les chercheurs ont noté un taux de RP de 20 % et un taux de stabilisation de 30 % sous sunitinib. Par contre, après la progression du cancer sous sunitinib, les chercheurs n’ont noté aucune RP, mais un taux de stabilisation de 60 %; il importe toutefois de souligner que cette dernière cohorte était beaucoup plus petite. Environ 30 % des patients de chaque groupe ont manifesté des signes de toxicité de classe 3 ou 4.

Une deuxième étude a fait écho à l’observation selon laquelle l’administration du sorafenib suivie de celle du sunitinib serait une meilleure séquence pour ralentir la progression de la maladie. Lors de cette deuxième étude, la Dre Anu Dham, Comprehensive Cancer Center, University of Minnesota, Minneapolis, a étudié, chez 23 patients, l’effet de l’administration du sorafenib suivie de celle du sunitinib sur la progression, et l’effet de la séquence inverse chez 14 autres patients.

Après le premier traitement, la médiane de SSP ne différait pas de manière significative d’un agent à l’autre. Cependant, lorsqu’on évaluait ce même paramètre après le deuxième traitement pour déterminer le taux de réponse globale, la médiane de SSP était de 69,4 semaines si le sorafenib avait été le premier traitement vs 36,1 semaines si le sunitinib l’avait été. La réponse globale était aussi plus durable lorsque les patients recevaient le sorafenib en premier lieu.

Ces deux études sur la séquence d’administration étaient des analyses rétrospectives de petite envergure, de sorte qu’on ne peut pas en tirer de solides conclusions, mais il serait intéressant de comparer les deux séquences dans le cadre d’un essai prospectif de plus grande envergure afin de déterminer si une séquence donnée est effectivement associée à une meilleure maîtrise de la tumeur.

Des études sur l’administration conjointe du sorafenib et de plusieurs agents cytotoxiques dans le traitement du mélanome métastatique ont aussi été présentées. On espère que l’association de divers chimiothérapeutiques et de cet inhibiteur multikinase prolongera la médiane de SG et améliorera le pronostic généralement sombre de ce cancer.

Résumé

Le sorafenib, nouvel inhibiteur multikinase, se révèle fort utile dans le traitement de plusieurs cancers avancés en raison de son activité antitumorale marquée. Il est aussi bien toléré et entraîne peu de signes de toxicité, la majorité étant de classe 1 ou 2. D’autres essais cliniques visant à évaluer cet agent à des stades moins avancés pourraient montrer qu’il exerce une activité antitumorale encore plus marquée lorsque le fardeau tumoral est moindre. Nous encourageons fortement les médecins à recruter des patients dans l’essai en cours sur l’ACR et l’essai à venir sur le CHC. D’ici là, en cette ère de traitements ciblés, nous nous réjouissons des progrès accomplis grâce au sorafenib dans le traitement de cancers avancés contre lesquels on ne pouvait rien il n’y a pas si longtemps.

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