Comptes rendus

Les retombées cliniques de l’étude JUPITER

Réplication du VIH dans le SNC, pénétration des antirétroviraux dans le SNC et risque de déclin cognitif

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PERSPECTIVE PROFESSIONNNELLE Point de vue sur l’article suivant : Arch Neurol 2008;65(1):65-70.

Janvier 2009

Compte rendu de :

Scott Letendre, MD

Professeur agrégé de médecine, University of California, San Diego, La Jolla, Californie

Le recours aux associations d’antirétroviraux a permis de réduire considérablement les complications de l’infection à VIH, y compris le décès1, mais la persistance de la démence et du déclin neurocognitif est une exception notoire2. Depuis l’avènement des associations d’antirétroviraux, les complications neurocognitives s’étaient stabilisées, mais il semble qu’elles s’accentuent depuis un certain temps3. La persistance de la démence et du déclin cognitif chez les patients traités pourrait être imputable à des lésions nerveuses irréversibles survenues avant l’administration des associations d’antirétroviraux4, mais la réplication persistante du VIH dans le système nerveux central (SNC) pourrait être une autre raison plausible, même lorsque la virémie est bien maîtrisée5,6. Chez les patients qui reçoivent des associations d’antirétroviraux, on estime que la prévalence du déclin cognitif et d’autres complications touchant le SNC se situe entre 20 et 53 %7-9. Comme l’incidence semble augmenter avec l’ancienneté de l’infection à VIH10,11, il est à prévoir que le vieillissement de la population infectée par le VIH se traduira par des taux croissants de complications neurocognitives.

Mesure de la pénétration dans le SNC

Sur le plan de la suppression de la réplication du VIH, la corrélation imparfaite entre le SNC et le plasma a été attribuée à la pénétration variable des antirétroviraux, de même classe ou non, dans le SNC. Comme la corrélation entre la suppression du VIH et la concentration d’un antirétroviral paraissait implicite, la pénétration dans le SNC pourrait constituer un facteur de risque clé de l’apparition de complications touchant le SNC, notamment un déclin neurocognitif. D’autres facteurs de risque, comme la charge virale dans le SNC avant le traitement, la vulnérabilité du patient aux complications touchant le SNC et la présence d’infections concomitantes, comme une infection par le virus de l’hépatite C, peuvent influencer le risque de complications au niveau du SNC, mais la quantification de la pénétration des antirétroviraux dans le SNC est une étape importante vers la prédiction du contrôle de l’ infection par le VIH dans le compartiment du SNC et, possiblement, vers la diminution du risque de complications dans le SNC.

On a proposé plusieurs techniques pour quantifier la pénétration d’un antirétroviral dans le SNC, notamment : l’évaluation des propriétés chimiques de l’antirétroviral qui lui permettent de traverser la barrière hémato-encéphalique, comme la fixation aux protéines, la lipophilie et l’ ionisation; la quantification de la concentration de l’antirétroviral dans le liquide céphalo-rachidien (LCR); et l’évaluation de l’efficacité de l’antirétroviral contre les symptômes touchant le SNC dans les études cliniques comparatives. L’ information fournie par ces techniques n’étant pas toujours homogène, la pénétration des antirétroviraux a récemment été évaluée à l’aide de ces trois techniques.

Au sein de chaque classe d’antirétroviraux, comme les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) et les inhibiteurs de la protéase (IP), on a attribué un score de 0 aux médicaments qui pénètrent peu dans le SNC, de 0,5 aux médicaments dont la pénétration est modérée et de 1 aux médicaments dont la pénétration est marquée. Au sein de la classe des INTI, par exemple, les médicaments qui pénètrent peu dans le SNC sont le ténofovir, la didanosine et la zalcitabine. L’emtricitabine, la lamivudine et la stavudine se caractérisent par une pénétration modérée alors que l’abacavir (ABC) et la zidovudine sont associés à une forte pénétration. Au sein de la classe des INNTI, aucun agent n’est doté d’un faible coefficient de pénétration, alors que la pénétration est considérée comme modérée avec l’éfavirenz et forte avec la delavirdine et la névirapine. La majorité des IP sont dotés d’un faible coefficient de pénétration. Font toutefois exception l’indinavir, l’amprénavir/ritonavir (/r) et l’atazanavir (/r ou non), qui se caractérisent par une pénétration modérée, et le lopinavir/r et l’indinavir/r qui se caractérisent par une forte pénétration.

La pertinence clinique de cette classification a été testée chez 467 patients infectés par le VIH qui se sont prêtés à une ponction veineuse et à une ponction lombaire pour que l’on puisse quantifier le VIH à la fois dans le plasma et le SNC12. Si l’on en juge par les scores de pénétration cumulatifs des associations d’antirétroviraux que recevaient ces patients, un faible coefficient de pénétration dans le SNC et la présence d’une charge virale décelable dans le SNC étaient fortement corrélés. Plus précisément, la probabilité d’une charge virale décelable dans le SNC a été multipliée par un facteur de trois chez les patients recevant un schéma antirétroviral dont le coefficient de pénétration était de 1,5 ou moins. En revanche, le coefficient de pénétration dans le SNC n’influençait aucunement la probabilité de suppression du VIH dans le plasma.

Le facteur LCR

Des études rétrospectives ont déjà démontré qu’un meilleur contrôle du VIH dans le SNC peut exercer un effet favorable sur l’issue neurologique13, mais des études comparatives prospectives s’imposent si l’on veut confirmer ce bénéfice et analyser d’autres aspects importants de la prise en charge au quotidien. On a besoin, par exemple, de plus de données sur le risque relatif de complications neurocognitives et sur la pertinence de mesurer l’ARN du VIH de façon systématique dans le LCR. Il n’est pas encore clair que tous les individus infectés par le VIH soient exposés au risque de déclin neurocognitif, et il se pourrait que d’autres facteurs nous permettent de cerner les individus qui ont le plus besoin d’un schéma antirétroviral doté d’un fort coefficient de pénétration dans le LCR.

Plusieurs études cliniques récentes ont eu d’importantes retombées sur le traitement. Dans une étude multicentrique menée en collaboration, par exemple, on a mesuré les taux d’ARN du VIH chez 112 patients infectés par le VIH, dont 90 % recevaient une association d’antirétroviraux14. Cette étude, comme d’autres avant elle, a mis en évidence une disparité potentiellement importante entre la charge virale du plasma et celle du LCR, mais elle a aussi montré que la charge virale du LCR n’était pas corrélée avec la fonction immunitaire mesurée par le nombre de cellules CD4+. Lors de cette étude, les INTI jusque-là connus pour leur bonne pénétration dans le SNC, l’ABC et la zidovudine, ont été associés à des charges virales plus faibles dans le LCR que le ténofovir, INTI doté d’un coefficient de pénétration assez faible.

En outre, cette étude a révélé que parmi les 40 sujets qui avaient moins de 50 copies de l’ARN du VIH/mL à la fois dans le plasma et le LCR, 17 (42 %) présentaient une charge virale mesurable lorsqu’un test plus sensible était utilisé. Il y a donc lieu de s’inquiéter, car la réplication virale pourrait se poursuivre et comporter un risque d’atteinte neurologique même chez les patients dont la charge virale est indécelable dans le LCR selon les tests traditionnels.

Compte tenu de la possibilité de progression continue de l’atteinte du SNC imputable au VIH malgré un contrôle apparemment suffisant de la virémie selon les dosages usuels dans le plasma, nous devons réaliser des études comparatives pour évaluer les objectifs du traitement dans le compartiment du SNC. En définitive, la concentration du VIH qui est préjudiciable pour le cerveau pourrait différer de la concentration qui est préjudiciable pour la fonction immunitaire ou qui ouvre la porte à l’émergence de mutations de résistance.

Lorsqu’on évalue la pertinence clinique de l’administration d’antirétroviraux qui pénètrent dans le SNC, il est important de tenir compte de l’objectif, comme le traitement vs la prévention du déclin neurocognitif. Dans une étude où la reconstitution immunitaire a été possible chez des patients dont le SIDA était parvenu à un stade avancé, la prévalence du déclin neuropsychologique est passée de 20 % avant le début d’un traitement antirétroviral hautement actif à 14 % après 48 semaines de traitement et à 12 % après 96 semaines, ce qui dénote un certain degré de réversibilité15. Les auteurs de cette étude ont établi une corrélation entre une meilleure fonction neuropsychologique et un meilleur contrôle de la charge virale plasmatique, mais pas avec la fonction immunitaire telle que mesurée par le nombre de cellules CD4+. Cependant, une étude plus récente de durée moindre a permis de constater que près de la moitié des patients ayant reçu une association d’antirétroviraux qui présentaient un déclin neuropsychologique ne se sont pas rétablis après 24 semaines et les patients chez qui la fonction neuropsychologique était le moins susceptible de s’améliorer étaient ceux dont le minimum de cellules CD4+16 était le plus faible.

Outils permettant de détecter un déclin neurocognitif

Le déclin neurocognitif n’étant pas totalement réversible chez tous les patients, l’objectif ultime sera la prévention. Par contre, il ne sera pas aisé de démontrer qu’un schéma antirétroviral doté d’un coefficient élevé de pénétration dans le SNC confère une meilleure protection contre le déclin neurocognitif qu’un schéma antirétroviral pénétrant moins bien dans le SNC. Le suivi devra être long et on devra recruter suffisamment de patients pour compenser d’autres variables, dont une vulnérabilité relative au déclin du SNC, qui pourraient avoir des répercussions sur l’issue clinique. De telles analyses pourraient revêtir une grande importance clinique compte tenu du risque élevé de démence qui guette les patients infectés par le VIH avec l’âge, mais pour ce qui est de savoir si le choix du médicament peut influer sur le risque relatif, il y a loin de la coupe aux lèvres.

D’un point de vue pratique, il est logique d’évaluer et de suivre la fonction neurocognitive chez les patients infectés par le VIH. Il est possible d’utiliser des tests relativement brefs pour quantifier la fonction neuropsychologique au départ, puis au fil du temps. Dans le cas des patients qui présentent un déclin neurocognitif avant même de recevoir une association d’antirétroviraux, les bénéfices découlant du choix d’antirétroviraux qui pénètrent dans le SNC n’ont été confirmés qu’en partie, mais c’est une démarche qui demeure pratique. Pour les patients déjà sous traitement chez qui on note un déclin cognitif, la décision est plus difficile. Les cliniciens sont réticents, avec raison d’ailleurs, à modifier un schéma thérapeutique qui permet de bien contrôler la virémie. La modification du schéma antirétroviral pourrait néanmoins être une stratégie importante à envisager face à un déclin neurocognitif important ou progressif sur le plan clinique. L’ajout au schéma existant d’un agent qui pénètre bien dans le SNC serait une autre stratégie raisonnable.

À en juger par des études récentes, la mesure de la charge virale dans le SNC pourrait un jour faire partie de l’évaluation systématique du patient infecté par le VIH10. Vu les disparités entre les charges virales dans le plasma et le LCR, cette étape pourrait déjà influencer le traitement chez les patients qui présentent des symptômes d’un déclin neurocognitif. Par contre, la mesure de la charge virale dans le LCR n’est pas remboursée de manière systématique et son rapport risque-bénéfice n’a pas été établi, mais elle pourrait devenir d’autant plus utile que le taux cible se précisera, lequel pourrait être nettement plus faible que le taux cible de <50 copies/mL dans le plasma6.

Dans les années à venir, d’autres méthodes, surtout la neuro-imagerie, pourraient être utiles pour l’évaluation de la fonction neurocognitive et du risque de déclin. Malgré tout le travail qui se fait à ce chapitre, il est parfois difficile de distinguer les lésions neurologiques imputables au VIH d’autres causes comme une infection ou une tumeur. En outre, il n’existe pas de recommandations quant au diagnostic neuroradiologique de la démence associée au VIH. La quantification des anomalies dans la substance blanche ou toute autre mesure objective de l’atteinte neurologique sont des stratégies que l’on évalue actuellement pour mieux comprendre l’effet pathogène du VIH sur les structures nerveuses au fil du temps. De tels examens pourraient être utiles, par exemple, pour nous aider à déterminer la durée de la latence des lésions infracliniques cumulatives précédant l’apparition d’un déclin neurocognitif ou encore, pour surveiller la réponse neurologique aux associations d’antirétroviraux. Ces examens pourraient également contribuer à évaluer la vulnérabilité relative du sujet à une atteinte neurologique en fonction de son âge. Vu l’incidence accrue du déclin neurocognitif chez les patients âgés, on a souvent l’impression que le déclin est une complication de l’infection chronique par le VIH; or, la vulnérabilité à la démence semble tout aussi marquée chez les sujets âgés qui viennent d’être infectés par le VIH17 .

Des biomarqueurs pourraient également servir à confirmer la présence d’un déclin neurocognitif chez des patients qui présentent des symptômes précoces ou ambigus. Divers biomarqueurs sont à l’étude, y compris ceux qui signalent l’activation des astrocytes, comme la protéine MCP-1, l’activation des macrophages, comme la bêta-2 microglobuline, ou l’atteinte neuronale, comme les protéines neurofilamentaires18. La détection précoce d’une atteinte neurologique sera particulièrement importante si l’on souhaite maîtriser le déclin neurocognitif lié au VIH et si, comme on le soupçonne, les possibilités de régression sont restreintes.

La démence était une complication bien connue du SIDA avant l’avènement des schémas d’antirétroviraux. Il est toutefois assez récent que l’on s’intéresse au déclin neurocognitif persistant malgré un bon contrôle de l’infection à VIH. Des progrès substantiels ont été accomplis récemment. Les données à l’appui d’une disparité entre la charge virale dans le SNC et le plasma ont amené les chercheurs à se demander si la pénétration relative des antirétroviraux dans le SNC n’était pas un facteur qui pourrait contribuer au traitement ou à la prévention du déclin neurocognitif imputable au VIH.

Résumé

Chez les patients infectés par le VIH qui avancent en âge, le déclin neurocognitif – devenu un important problème de santé – persiste malgré un schéma antirétroviral stable et efficace. Diverses données semblent indiquer que le risque de complications neurocognitives augmente en fonction de l’ancienneté de l’infection par le VIH. Il ressort d’études cliniques préliminaires que le passage à des antirétroviraux qui pénètrent mieux dans le SNC pourrait réduire le risque de déclin neurocognitif. D’autres travaux s’imposent si l’on aspire à confirmer que l’usage précoce d’antirétroviraux dotés d’un coefficient élevé de pénétration dans le SNC peut effectivement réduire le risque de déclin neurocognitif. Des études cliniques en cours devraient nous aiguiller quant à la possibilité de modifier ce risque.

Références

1. Palella et al. J Acquir Immune Defic Syndr 2006;43:27-34.

2. McArthur et al. J Neurovirol 2003;9:205-21.

3. Sevigny et al. Neurology 2004;63:2084-90.

4. Robertson et al. AIDS 2007;21:1915-21.

5. Reddy et al. AIDS Res Hum Retrovir 2003;19:167-76.

6. Letendre et al. Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) de 2009, résumé 484b.

7. Langford et al. Brain Pathol 2003;13:195-210.

8. Heaton et al. Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) de 2009, résumé 154.

9. Robertson et al. AIDS 2007;21:1915-21.

10. McArthur J. J Neuroimmunol 2004;157:3-10.

11. Valcour et al. Neurology 2004;63:822-7.

12. Letendre et al. Arch Neurol 2008;65:65-70.

13. Letendre et al. Ann Neurol 2004;56:416-23.

14. McClernon et al. Conférence européenne sur le SIDA de 2007, résumé P6.11/01.

15. McCutchan et al. Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) de 2004, résumé 498.

16. Letendre et al. Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) de 2008, résumé 68.

17. Corder et al. Nature Med 1998;4:1182-4.

18. Brew BJ, Letendre SL. Int Rev Psychiatry 2008;20:73-88.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.