Comptes rendus

Second regard sur les tuteurs : données objectives provenant de vastes registres de patients
Étude CombAT : stratégies de traitement d’association pour une efficacité à long terme

TDAH et aptitude à conduire : peut-on améliorer la situation?

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

sur un article paru dans Pediatrics 2006;118:e704-10.

February 2008

Commentateurs :

Timothy S. Bilkey, MD, FRCPC Directeur, Bilkey ADHD Clinics Barrie (Ontario) Professeur adjoint de psychiatrie Schulich School of Medicine and Dentistry University of Western Ontario London (Ontario)

Derryck H. Smith, MD, FRCPC Directeur médical Programmes de santé mentale, Children’s Hospital

Chef Division de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent University of British Columbia Vancouver (Colombie-Britannique)

TDAH et accidents de la route : statistiques accablantes

De nombreux écrits – depuis les rapports compilés par les agences gouvernementales jusqu’aux comptes rendus d’études scientifiques – confirment que le risque d’infraction au code de la route et de collision est élevé chez les conducteurs de moins de 20 ans. Au cours des dernières années, maintes études ont mis au jour et élucidé un lien entre le trouble Déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) et les maladresses au volant, ce qui expliquerait, en partie du moins, le taux élevé d’accidents chez les jeunes conducteurs. (Passé un certain âge, les conducteurs atteints du TDAH ne sont pas à l’abri d’une piètre performance au volant, mais il semble, à la lumière de certaines données, que des mécanismes compensatoires se mettent en branle; de plus, la majorité des études portent principalement sur les jeunes conducteurs.)

Selon de récentes méta-analyses, la probabilité d’être impliqué dans un accident de la route est de 54 % à 88 % plus élevée chez une personne atteinte du TDAH que chez le commun des mortels (Truls, www.immortal.or.at/index.php; Jerome et al. Curr Psychiatry Rep 2006;8:416-26). Selon l’une de ces méta-analyses, qui regroupait six études, la probabilité de recevoir une contravention pour infraction au code la route est 35 % plus élevée, la probabilité de prendre le volant sans permis de conduire, 57 % plus élevée, et la probabilité de conduire en ayant les facultés affaiblies par l’alcool, 49 % plus élevée (Jerome et al. 2006). Diverses études ont aussi révélé que la probabilité, d’être responsable lorsque survient un accident de la route est quatre fois plus élevée que la normale et que la probabilité de voir son permis de conduire révoqué, jusqu’à huit fois plus élevée (Barkley et al. Pediatrics 1993;92:212-8;1996[6pt1]:1089-95). Il n’est peut-être pas étonnant de constater que la sévérité du TDAH durant l’enfance semble influer sur le risque d’une piètre performance au volant et la fréquence des accidents plus tard dans la vie. Les facteurs de comorbidité comme le trouble des conduites et le trouble opposition avec provocation exacerbent ce risque.

Les imprudences au volant pourraient tenir à l’inattention et à la distractibilité. Une perception erronée des risques de même qu’un manque de jugement et de discernement pourraient aussi être en cause (Jerome et al., 2006). Il ressort d’un certain nombre d’études que les conducteurs atteints du TDAH font plus d’erreurs causées par l’impulsivité et qu’ils s’adaptent moins bien à un environnement changeant. Par exemple, une étude récente avec simulation de conduite automobile qui portait sur 147 personnes atteintes du TDAH et 71 témoins a révélé qu’en présence du TDAH, les temps de réaction sont plus longs ou plus variables, la direction est moins stable et les collisions ou les frôlements d’obstacles qui longent la route sont plus fréquents (Fischer et al. Accid Anal Prev 2007; 29:94-105). Il semble aussi que les personnes atteintes du TDAH soient moins compétentes au volant du fait qu’elles se fâchent facilement et qu’elles sont agressives.

Pourquoi l’aptitude à conduire est-elle touchée?

Dans une revue de synthèse récente (J Safety Res 2007;38:113-28), Barkley et Cox expliquent que la conduite automobile est une forme de fonctionnement multitâche, car elle fait appel simultanément à des capacités fonctionnelles, tactiques et stratégiques. Dans ce modèle, une déficience fonctionnelle – par exemple, au niveau de la concentration, de l’attention, de la perception spatiale, du balayage visuel, de l’intégration visuo-motrice, du traitement cognitif ou des temps de réaction – aura un effet négatif sur les tactiques (décisions quant à la vitesse et aux dépassements, par exemple) et la stratégie (planification d’un itinéraire et conduite préventive). Toute déficience sur l’un de ces trois plans augmente le risque de comportement inapproprié au volant.

À l’adolescence, le fonctionnement exécutif du cerveau n’est pas encore parvenu à maturité, même en l’absence de TDAH. Les risques excessifs et les accidents découleraient, croit-on, de ce développement incomplet du jeune conducteur couplé à son inexpérience au volant. Des études récentes semblent indiquer que le risque élevé de conduite inappropriée chez les patients atteints du TDAH résulte d’une déficience d’origine neurobiologique plus marquée ou plus persistante dans les fonctions exécutives ou les capacités cognitives élémentaires. Ce déficit pourrait prendre plusieurs formes : inattention/distractibilité, impulsivité/manque d’inhibition ou observance/application médiocre du code de la route. Par exemple, les personnes atteintes du TDAH ont une capacité nettement moins bonne à demeurer concentrées longtemps lors d’une épreuve continue d’aptitude à conduire (Barkley et al. J Abnormal Psych 2002;111:279-89). De même, les sujets atteints du TDAH avaient une moins bonne connaissance du code de la route que les témoins (Barkley 1996), mais ce constat pourrait traduire une plus grande lenteur à traiter l’information au volant et à la mettre en application au volant

Efficacité de la pharmacothérapie

Au cours des dernières années, les chercheurs ont été nombreux à vouloir déterminer si les stimulants administrés dans le traitement du TDAH – dont l’efficacité pour améliorer l’inattention, la distractibilité et l’impulsivité ne fait plus de doute – améliorent l’aptitude à conduire un véhicule motorisé et, le cas échéant, dans quelle mesure. Dans la plupart de ces études, on comparait l’impression qu’a le sujet de sa propre performance au volant et un critère plus objectif comme l’aptitude à conduire en simulateur de conduite automobile (en mode virtuel). Dans la majorité de ces études, la principale lacune était le nombre restreint de patients, mais on a aussi reproché à certaines études un éventuel biais de sélection, la représentation excessive du sexe masculin, une durée trop courte, une randomisation insuffisante ou le peu d’importance accordée à l’observance du traitement. Dans l’ensemble, par contre, les résultats montrent avec éloquence l’efficacité du traitement médicamenteux chez un patient atteint du TDAH au volant.

La première de ces études a démontré que le méthylphénidate (MPH) à libération immédiate améliore l’aptitude à conduire en simulateur par rapport à un placebo chez des sujets de sexe masculin âgés de 19 à 25 ans (Cox et al. J Nerv Ment Dis 2000;188:230-4). Comme on pourrait s’y attendre, l’effet du MPH à libération immédiate a tendance à se dissiper. Dans une étude où l’on a comparé le MPH à libération immédiate (administré à 8 h, à midi et à 16 h) et le MPH à libération soutenue (OROS) (administré une fois par jour, à 8 h), six conducteurs adolescents de sexe masculin atteints du TDAH ont été évalués à quatre reprises en après-midi, en soirée et pendant la nuit. Sous l’effet du MPH à libération immédiate, l’aptitude à conduire s’est améliorée à 14 h, mais elle se détériorait à mesure que la journée avançait. À 20 h, le score dénotait une détérioration significative de l’aptitude à conduire, plusieurs erreurs ayant été commises : freinage inapproprié, stops ou feux brûlés, collisions et changements brusques de vitesse. Sous l’effet du MPH OROS, en revanche, le score dénotait une amélioration pendant toute la durée de la période d’évaluation (Cox et al. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2004;43:269-75). Dans une autre étude où l’on comparait la conduite réelle et la conduite en simulateur chez 12 adolescents de sexe masculin atteints du TDAH, il a été démontré que le MPH OROS réduisait le nombre d’erreurs imputables à l’inattention; cependant, il n’avait aucun effet sur les excès de vitesse et les erreurs dues à l’impulsivité (Cox et al. J Am Board Fam Pract 2004;17:235-9).

Globalement, les études comparatives MPH/placebo ont objectivé une amélioration de l’aptitude à conduire sous l’effet du traitement actif. Dans les lignes directrices de pédopsychiatrie publiées récemment (J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2007;46[7]:894-921), on cite les résultats de Cox et al., à savoir que le MPH à longue durée d’action pourrait exercer un effet plus favorable que la préparation à courte durée d’action sur la performance des adolescents au volant. L’avantage de la préparation OROS tient probablement à la constance des concentrations sanguines, bien que l’aptitude à conduire puisse se détériorer si l’effet du traitement commence à se dissiper vers la fin de l’intervalle posologique. Les effets bénéfiques des agents de courte et de longue durée d’action s’estompent probablement lorsque le médicament est métabolisé.

Les données sur l’efficacité des sels mixtes d’amphétamines à libération prolongée (SMA XR) par rapport à un placebo sont moins nombreuses. Lors d’une étude croisée de six semaines qui regroupait 15 patients âgés de 19 à 25 ans, le traitement a donné lieu à des améliorations notables de l’habileté au volant (Figure 1); on a noté, entre autres, moins de collisions, une meilleure prévention des accidents, moins d’excès de vitesse, moins de sorties de voie causées par un coup de volant et moins de talonnage.

Figure 1. Étude en simulateur de conduire : score de prudence au volant (chez les patients avec intention de traiter)


Cox et ses collaborateurs ont publié les résultats d’une comparaison des effets bénéfiques relatifs de deux stimulants à longue durée d’action, le MPH OROS et les SMA XR, sur l’habileté au volant dans un contexte de simulation de conduite (Pediatrics 2006;118:704-09). L’étude regroupait 19 jeunes hommes et 16 jeunes femmes, tous âgés de 16 à 19 ans, souffrant principalement d’un TDAH de type mixte (n=12) ou d’un TDAH de type inattention prédominante (n=21). Dans cette étude croisée, les sujets recevaient du MPH OROS dont la dose était portée graduellement à 72 mg/jour et des SMA XR dont la dose était portée graduellement à 30 mg/jour (doses efficaces, bien tolérées et à peu près équivalentes de l’avis des investigateurs), et chaque traitement durait 17 jours. L’aptitude à conduire était évaluée le 10e jour et/ou le 17e jour à 17 h, à 20 h et à 23 h. L’étude prenait en compte à la fois les autoévaluations des sujets et l’évaluation des investigateurs.

Bien que les deux traitements aient amélioré la performance au volant mesurée à plusieurs moments différents, les auteurs ont conclu que le MPH OROS était le traitement qui, en général, améliorait le plus l’habileté au volant selon un score de conduite dangereuse reposant sur de multiples variables, dont la vitesse, la direction et le freinage. Par analogie, ils ont affirmé que les conducteurs sous MPH OROS avaient une habileté comparable à celle de conducteurs de 55 à 59 ans, alors que les sujets sous placebo avaient une habileté comparable à celle de conducteurs de près de 80 ans.

Selon leur analyse, les résultats obtenus sous SMA XR n’étaient pas globalement meilleurs que les résultats sous placebo. Ce résultat n’est toutefois pas compatible avec les effets documentés des SMA sur les symptômes du TDAH. Les auteurs ont reconnu que la puissance statistique de leur étude était probablement insuffisante pour qu’un effet bénéfique notable soit mis en évidence par rapport au placebo; et que si les doses utilisées dans le cadre de l’étude n’étaient pas vraiment équivalentes, une dose plus forte de SMA pourrait se traduire par des effets plus marqués. Selon les lignes directrices de la CADDRA (Canadian Attention Deficit Hyperactivity Disorder Resource Alliance), 54 mg de MPH OROS équivaudraient à 30 mg de SMA XR, de sorte que les doses utilisées dans cette étude n’étaient pas comparables. (De plus, toujours selon ces lignes directrices, les doses appropriées atteindraient 108 mg dans le cas du MPH OROS et 60 mg dans le cas des SMA XR.)

Les effets bénéfiques d’un non-stimulant, l’atomoxétine, sur l’aptitude à conduire ont été évalués par comparaison à un placebo dans une seule étude pilote (Barkley et al. J Atten Disord 2007;10[3]:306-16). Contrairement à la majorité des études préalables, celle-ci portait sur 18 adultes âgés de 37 ans en moyenne. Si les sujets considéraient que leurs symptômes et leur habileté au volant s’étaient améliorés sous l’effet d’une dose de 1,2 mg/kg/jour, leur performance en simulateur ou selon l’évaluation des investigateurs n’était pas significativement meilleure que sous l’effet d’un placebo. Cet agent fera probablement l’objet d’autres études.

Conseils pratiques pour le patient qui souhaite conduire

Selon l’Association médicale canadienne (AMC), le médecin a le devoir de s’assurer que son patient est apte, médicalement parlant, à conduire un véhicule motorisé. L’idéal serait que le patient atteint du TDAH déjà titulaire d’un permis de conduire ou souhaitant en obtenir un se prête à une ou à plusieurs épreuves de dépistage permettant de prédire une piètre performance. La première étape, assez simple, consiste à faire remplir des questionnaires de dépistage. L’un de ces questionnaires, celui de Jerome, est une échelle en neuf points qui permet de recueillir de l’information sur l’impression qu’a le patient de sa propre performance au volant et d’autres données pertinentes, par exemple son attention, son impulsivité, sa vigilance et sa labilité émotionnelle. Le recours à un centre d’évaluation de la conduite automobile serait souvent approprié, mais peut être difficile.

Un permis de conduire est une source de fierté et d’autonomie pour la plupart des jeunes gens. Pour s’assurer qu’ils puissent obtenir ce privilège et le conserver, ces jeunes gens atteints du TDAH doivent être sensibilisés aux statistiques accablantes sur la conduite automobile sans médicament et savoir qu’ils auront moins tendance à courir des risques inutiles s’ils prennent leur médicament comme il se doit. En outre, il ressort d’études que de nombreux jeunes conducteurs voient clairement la différence entre leur aptitude à conduire quand ils prennent leur médicament et quand ils ne le prennent pas, ce qui pourrait aussi faciliter l’observance du traitement.

Selon les lignes directrices actuelles de l’AMC, «les stimulants contribuent fort probablement à réduire le risque d’infraction sur la route et d’accidents chez les conducteurs atteints de THADA, surtout au cours des cinq premières années de conduite». Conformément à la recommandation de l’AMC, le médecin traitant devrait recommander que toute personne atteinte du TDAH ne conduise que si elle a pris le médicament approprié qui atténue les symptômes et que ce médicament demeure efficace pendant toute la période où elle risque d’être au volant. Pour un jeune conducteur qui sera au volant après minuit, un schéma qui agit pendant les heures d’école ou de travail et dont l’effet disparaît vers 20 h ne ferait probablement pas l’affaire. Dans certains cas, on peut modifier l’horaire d’administration de la dose du stimulant de façon à refléter les besoins de conduite automobile. Les stimulants à longue durée d’action sont généralement préférables. Une réponse préalable aux stimulants est probablement annonciatrice de meilleures chances de succès pour la conduite automobile. De l’avis des auteurs de l’étude comparative, les adolescents chez qui les SMA sont très efficaces peuvent continuer de prendre cet agent, surtout s’ils ont déjà reçu du MPH et que leur réponse était sous-optimale.

Fait intéressant, une étude pilote a révélé qu’un véhicule à transmission manuelle pourrait être préférable pour les patients atteints du TDAH, car la conduite nécessite une attention plus dirigée (Cox et al. J Atten Disord 2006 10[2]:212-16). Cette conclusion demeure toutefois préliminaire. De simples mesures qui découlent du bon sens, comme éviter les distractions (musique forte, utilisation du téléphone cellulaire) et la consommation d’alcool ou de drogues, sont peut-être plus pratiques. Comme les adolescents sortant en groupe ont souvent l’habitude de désigner un conducteur, les amis du patient peuvent aussi faire en sorte que celui-ci ne conduise pas.

Autres mesures

Lorsque le patient atteint du TDAH est titulaire d’un permis d’apprenti ou de conduire, l’AMC conseille aux autorités et à ses parents de «porter une attention particulière aux excès de vitesse, aux feux rouges grillés et aux manoeuvres imprudentes». Le médecin doit aussi aborder la question de l’aptitude du patient à conduire dans toute discussion sur le traitement et doit par ailleurs tenter de demeurer à l’affût de la recherche et des recommandations visant à réduire le risque de conduite dangereuse chez ses patients atteints du TDAH.

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