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Traitement de la douleur : de nouveaux agents pour le soulagement de la constipation liée aux opioïdes

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - 7e Congrès mondial du World Institute of Pain (WIP 2014)

Maastricht, Pays-Bas / 7-10 mai 2014

Maastricht - L’incidence de la douleur chronique et l’usage d’opioïdes qui en résulte augmentent parallèlement au vieillissement de la population. Les opioïdes exercent un effet analgésique important, certes, mais leur effet bénéfique se paie souvent au prix d’effets indésirables. La qualité de vie de ces patients étant déjà compromise, la constipation qui s’ajoute peut rendre l’observance du traitement difficile. Le soulagement inadéquat de la constipation associé aux laxatifs classiques chez de nombreux patients a pavé la voie au développement d’agents qui neutralisent l’effet des opioïdes sur le transit intestinal tout en maintenant leur effet analgésique.

Rédactrice médicale en chef : DreLéna Coïc, Montréal, Québec

Le nombre de patients souffrant de douleurs chroniques augmente parallèlement au vieillissement de la population et àla duréede survietoujours plus longue des patients atteints d’un cancer. L’usage prolongé d’analgésiques opioïdes augmente en conséquence, tout comme leurs effets indésirables qui doivent être traités.

La constipation est un effet bien connu des opioïdes, mais le médecin sous-estime souvent le fardeau qu’elle impose au patient. «La constipation liéeaux opioïdes est un gros problème», affirme le Dr Andrew Davies, directeur clinicien des soins palliatifs et de soutien, Royal Surrey County Hospital, Guildford, Royaume-Uni. «La constipation s’ajoute au fardeau déjà lourd que doivent supporter les patients sous traitement opioïde au long cours et peut contribuer de façon substantielle à la morbidité et à la diminution de la qualité de vie», poursuit-il.

Prévalence et fardeau de la constipation liée aux opioïdes

Le médecin prescrit des opioïdes aux patients en proie à des douleurs chroniques seulement lorsque les autres stratégies échouent. L’analgésie que procurent les opioïdes s’obtient toutefois au prix d’effets indésirables chez de nombreux patients. Le SNC et l’intestin sont les principaux systèmes touchés en raison du nombre élevé de récepteurs opioïdes qu’ils comportent; au nombre des symptômes figurent la sédation, les étourdissements, la constipation, les nausées, les vomissements, la dépendance et l’accoutumance. Les estimations de la prévalence de la constipation chez les patients sous opioïde varient, en partie à cause des différentes définitions de la constipation. Le Dr Davies a cité les résultats d’un sondage mené auprès de 270 patients cancéreux sous opioïdes : seulement 15 % des répondants ont dit ne pas être constipés et ne pas prendre de laxatifs, et 13 % ont dit ne pas être constipés, mais ils prenaient des laxatifs. Il a aussi été question au congrès d’une enquête de Knezevic et al., Illinois Masonic Medical Center, Chicago, États-Unis, dont l’objectif était de déterminer la prévalence de la constipation chez les patients souffrant de douleurs chroniques non cancéreuses. Au total, 144 des 608 patients sous opioïdes (23,7 %) ont dit être constipés (≤3 selles spontanées par semaine). En revanche, la prévalence de la constipation était de11,3 % chez les patients ne recevant pas d’opioïdes et de 9,4 % chez les témoins sains appariés (p<0,001 pour les différences entre les groupes).

La constipation liée aux opioïdes(CLO) se manifeste par plusieurs symptômes, notamment : douleurs abdominales, anorexie, satiété précoce, nausées, distension abdominale, fausse diarrhée, flatulence, céphalées et malaise généralisé. Pyrosis, hémorroïdes et fissures anales sont monnaie courante. Une occlusion intestinale, une perforation de l’intestin et une embolie pulmonaire peuvent aussi survenir en présence d’une constipationsévère. La fréquence moindre des selles étant la manifestation la plus évidente de la constipation, elle définit la constipation et sert de paramètre principal aux essais cliniques. Cette manifestation n’est toutefois qu’un effet des opioïdes sur l’intestin parmi tant d’autres. «La constipation ne se limite pas au nombre de selles», affirme Asbjørn Mohr Drewes, Université d’Aalborg, Danemark. «Seul un petitsous-groupe de patients constipés se plaignent du nombre moindre de selles», ajoute-t-il. L’effort à la défécation, la flatulence, les selles dures, les ballonnements et la sensation de gêne peuvent être présents même lorsque la fréquence des selles n’a rien d’inquiétant pour le patient. De nombreux patients qui se rendent à sa clinique pour des nausées et des vomissements disent ne pas être constipés parce qu’ils vont à la selle régulièrement, note le Dr David, mais les clichés radiologiques montrent une accumulation de matièresfécales, et c’est ce qui explique leurs symptômes.

Adhésion au traitement difficile

Une constipation sévère et prolongée est un lourd fardeau à porter pour des patients sous opioïdes déjà bien malades et peut interférer avec le traitement de la douleur en nuisant à l’adhésion au traitement. «Il n’est pas rare que les patients souffrant de CLO réduisent ou ne prennent pas leur dose d’analgésique pour soulager leur constipation», poursuit le Dr Davies. Contrairement à d’autres effets des opioïdes, la CLO ne s’atténue pas avec le temps en raison de la tolérance acquise. «Il est important de distinguer la CLO de la constipation fonctionnelle ou idiopathique», souligne le Dr Drewes. L’intestin se caractérise d’un bout à l’autre par un réseau complexe de neurones et une forte densité de divers récepteurs opioïdes. Les opioïdes exogènes interfèrent avec la signalisation neuronale de l’intestin de multiples façons, et la CLO s’inscrit en fait dans un syndrome plus général de dysfonctionnement intestinal lié aux opioïdes. Leurs effets sur les muscles circulaires augmentent le tonus et diminuent la motilité. La sécrétion est aussi moindre, ce qui donne lieu à des selles dures et à un volume fécal moindre, ce qui vient diminuer la motilité, le péristaltisme étant influencé par le volume du bol fécal. Enfin, les opioïdes perturbent le fonctionnement du sphincter du fait qu’ils en augmentent le tonus, ce qui peut notamment émousser la sensation d’un intestin plein. Somme toute, les opioïdes affectent la fonction intestinale dans son ensemble.

La CLO est un effet de classe. Nombreux sont ceux qui croient que les opioïdes administrés par voie transdermique sont moins susceptibles d’entraîner une constipation; or, c’est faux, affirme le Dr Drewes. Même si l’ingrédient actif est acheminé par voie transdermique, il transite tout de même par le sang et l’intestin, où il agit de la même façon qu’une préparation injectable.

Options de traitement pour la CLO

«Il est rare que la CLO se règle d’elle-même; elle tend au contraireàs’aggraver avec le temps», précise le Dr Davies. Le traitement de première intention repose sur les trois catégories de laxatifs classiques : les émollients, les agents osmotiques et les stimulants. Ces laxatifs – peu coûteux et en vente libre – sont efficaces chez de nombreuses personnes souffrant de CLO; des études montrent toutefois que les laxatifs classiques ne procurent pas un soulagement adéquat chez 30 à 40 % des patients aux prises avec une CLO (Am J Surg Nov 2001;182 [5A Suppl]:11S-18S).

La grande difficulté du traitement se résume donc à atténuer les effets de la CLO tout en maintenant l’effet analgésique. Plusieurs approches ont été mises au point : la lubiprostone (Med Lett Drugs Ther 10 juin 2013;55[1418]:47-8), actuellement homologuée par la FDA pour le traitement de la CLO; la méthylnaltrexone (J Support Oncol Janv-fév 2009;7[1]:39-46), homologuée au Canada pour le traitement de la CLO dans un contexte de soins palliatifs; et le naloxegol (Pain Sept. 2013;154[9]:1542-50), dont le dossier a été soumis pour examen et homologation au Canada.

La lubiprostone est un activateur des canaux chlorure qui augmente la sécrétion passive d’ions sodium et d’eau dans la lumière intestinale, ce qui favorise le transit dans l’intestin grêle et le côlon. En 2013, après que deux essais de phase III avec placebo aient montré une augmentation de la fréquence des selles (augmentation moyenne globale de la fréquence des selles au cours des deux essais de 1,9 vs 1,3 sous placebo, p≤0,001), la lubiprostone a été le premier agent homologué expressément pour le traitement de la CLO. Les nausées – signalées par 89 % des patients – étaient l’effet indésirable le plus fréquent.

Il est aussi possible d’associer l’opioïde àun antagoniste qui bloque sélectivement l’action des opioïdes sur lesrécepteurs dans l’intestin tout en maintenant l’effet analgésique sur le SNC. Àen juger par une analyse groupéedes résultats de deux essais de phase III, l›associationàdose fixe d›oxycodoneàlibération prolongéeet denaloxone a permis une amélioration significative du fonctionnement de l’intestin (autoévalué par le patient) comparativement à l’oxycodone seule (BMC Clin Pharmacol 29 sept 2010;10:12).

Antagonistes des récepteurs aux opioïdes
mu àaction périphérique

Les antagonistes des récepteurs aux opioïdes mu à action périphérique (AROMAP) – une autre classe – bloquent les récepteurs aux opioïdes mu périphériques en s’y fixant avec beaucoup d’affinité, mais comme ils sont généralement incapables de traverser la barrière hémato-encéphalique, ils n’agissent pas sur le SNC. La méthylnaltrexone – administrée par voie sous-cutanée – est un AROMAP utilisé pour le soulagement de la CLO chez les patients dont la maladie est avancée (espérance de vie <3 mois en général). Elle agit très rapidement, typiquement en <1 heure. Lors d’études de phase III, ses effets laxatifs se sont concrétisés en <4 heures chez 52 à 62 % des patients.

Le naloxegol est un AROMAP oral dont le dossier était toujours àl’étude pour le traitement de la CLO au moment de la mise sous presse. C’est un dérivé pégylé de la naloxone. Du fait de l’augmentation de sa taille et de son poids résultant de la pégylation, la molécule ne peut pas traverser la barrière hémato-encéphalique, ce qui permet de maintenir l’effet analgésique central du traitement opioïde et l’action périphérique sur la constipation. Administré 1 fois/jour, le naloxegol exerce un effet prévisible qui pourrait contribuer à l’observance du traitement. Lors des essais de phase III avec placebo KODIAC-04 et KODIAC-05, le taux de répondeurs au naloxegol à 25 mg/jour s’élevait respectivement à 44,4 % et à 39,7 %, comparativement à 29,4 % et à 29,3 % pour le placebo. La réponse se définissait par ≥3 selles spontanées par semaine et il devait y avoir eu augmentation d’au moins 1 selle spontanée par semaine pendant au moins 9 des 12 semaines de traitement, dont au moins 3 des 4 dernières semaines. Cet effet s’est maintenu dans le sous-groupe des patients classéscomme de mauvais répondeurs aux laxatifs. Les douleurs abdominales et les nausées ont été les effets indésirables les plus fréquents sous traitement, mais elles ont touché moins de 20 % des patients.

Résumé

Le traitement de la CLO évolue rapidement. De nouvelles approches ciblées pourraient alléger le fardeau associé à ce grave problème qu’est la constipation chez les patients sous opioïdes sans pour autant compromettre l’effet analgésique. La meilleure adhésion au traitement qui en résulterait pourrait avoir l’avantage d’améliorer le traitement de la douleur.

 

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