Comptes rendus

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Traitement de la leucémie lymphoïde chronique : nouvel algorithme pour le stade précoce

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

48e Assemblée/Exposition annuelle de l’American Society of Hematology

Orlando, Floride / 9-12 décembre 2006

Plusieurs essais présentés au congrès ont fait ressortir une amélioration importante de l’issue dans la leucémie lymphoïde chronique (LLC). Lors de l’étude de phase III CAM 307 sur la LLC à cellules B progressive, l’utilisation en première intention de l’alemtuzumab, un anticorps monoclonal (AcM), a permis d’augmenter les taux de réponse objective d’environ 50 % par rapport au chlorambucil, mais l’AcM s’est aussi révélé plus actif lorsque les patients étaient stratifiés en fonction de marqueurs moléculaires et génétiques de la résistance. L’objectif de l’absence de maladie résiduelle minimale (MRM) a été atteint chez seulement une petite proportion de patients, tous du groupe AcM. Ce dernier paramètre revêt une importance croissante, car les chercheurs aspirent maintenant à la guérison plutôt qu’à une simple prolongation de la survie sans progression (SSP).

Absence de maladie résiduelle minimale

«Diverses études dans lesquelles on comparait les taux de récidive ont fait ressortir des différences très importantes quant au risque de récidive entre les patients ne présentant aucun signe de MRM et les patients ayant bénéficié d’une réponse complète [RC] [avec MRM]», explique le Dr Steven E. Coutré, division d’hématologie, Stanford University School of Medicine, Californie. Certes, «d’autres données s’imposent pour confirmer que l’absence de MRM est un paramètre approprié pour comparer les traitements ou guider l’intensification du traitement», mais de nombreuses études ont déjà associé l’absence de MRM à de meilleurs résultats, notamment une augmentation des taux de survie globale.

Lors d’une étude multicentrique de phase III réalisée dans 13 pays, 297 patients souffrant d’une LLC jamais traitée auparavant mais devant être traitée en raison de sa progression ont reçu aléatoirement l’alemtuzumab ou le chlorambucil, agent largement utilisé en monothérapie dans le traitement de première intention de la LLC. L’alemtuzumab était administré par voie intraveineuse à raison de 30 mg trois fois par semaine pendant un maximum de 12 semaines, tandis que le chlorambucil était administré par voie orale à raison de 40 mg/m2/jour pendant un maximum de 12 cycles de 28 jours.

Après un suivi d’une durée médiane de trois ans, le risque relatif approché (odds ratio) de progression de la maladie se chiffrait à 0,58 (IC à 95 %, 0,43-0,77; p=0,0001) dans le groupe AcM par rapport au groupe chlorambucil. Cette augmentation de 42 % de la probabilité de SSP s’est accompagnée d’une augmentation substantielle du taux de réponse objective : 83 % dans le groupe AcM vs 55 % dans le groupe chlorambucil; une RC a été obtenue chez 24 % vs 2 % des patients, respectivement.

Sur le plan de la SSP, l’avantage relatif en faveur de l’alemtuzumab a été confirmé par de nombreux paramètres secondaires. Par exemple, l’intervalle médian précédant la mise en route d’un autre traitement était de 23,3 mois vs 14,7 mois (p=0,0001). Bien que l’avantage modeste observé chez les patients porteurs d’une trisomie 12 qui recevaient l’AcM n’ait pas atteint le seuil de signification statistique (18,3 vs 12,9 mois; p=0,08), les chercheurs ont noté un net avantage chez les patients présentant une délétion de 17p (10,7 vs 2,2 mois; p<0,02). La SSP des patients présentant la délétion de 11q n’a pas varié (8,5 mois dans les deux groupes). Globalement, la période sans traitement a été significativement plus longue dans le groupe alemtuzumab.

Prolongation de l’intervalle entre les traitements

«L’intervalle sans traitement a plus que doublé dans le groupe alemtuzumab», souligne l’auteur principal, le Dr Peter Hillmen, service d’hématologie, Leeds General Infirmary, Royaume-Uni. «Vu son activité, l’alemtuzumab devrait être envisagé dans les associations de première intention plutôt que de rester cantonné dans le traitement de la maladie réfractaire ou chez les patients exposés à un risque élevé.»

Fait digne de mention, six patients du groupe AcM vs aucun du groupe chlorambucil sont parvenus à l’absence de MRM. Bien que la proportion de patients ne présentant aucun signe de MRM soit faible, il s’agit d’un résultat encourageant car cet agent sera associé à un nombre croissant d’agents anti-LLC puissants lors d’études futures. Plusieurs études l’ont déjà associé à l’absence de MRM selon la cytométrie en flux à quatre couleurs et d’autres techniques d’échantillonnage. Lors d’une étude citée par le Dr Coutré qui évaluait spécifiquement la MRM en tant que facteur prédictif du pronostic (Moreton et al. J Clin Oncol 2005;23:2971-9), le taux de survie à six ans chez les patients dont la LLC avait récidivé excédait 80 % en l’absence de MRM alors qu’il était inférieur à 40 % (p<0,0001) chez ceux qui avaient obtenu une RC avec MRM. La maladie n’a pas refait surface chez un grand nombre de survivants ne présentant aucun signe de MRM, ce qui dénote une possibilité de guérison, même si ces patients étaient traités pour une LLC réfractaire.

«L’absence ou la présence de MRM fait-elle une différence? D’après les données, oui», affirme le Dr Coutré, mais d’autres études s’imposent si l’on souhaite établir la pertinence de la MRM en tant qu’outil clinique, surtout la nécessité d’avoir recours à des techniques très sensibles comme la réaction en chaîne de la polymérase (PCR) plutôt qu’à une technique plus simple mais moins sensible comme la cytométrie en flux à quatre couleurs. C’est grâce à de nouveaux agents comme l’alemtuzumab que l’absence de MRM devient réalité, rappelle-t-il.

Effets indésirables traitables et prévisibles

Le Dr Hillmen a qualifié les effets indésirables de l’alemtuzumab dans l’étude de phase III sur l’utilisation en première intention de «traitables et prévisibles». Les effets indésirables de classe 3 ou 4 les plus fréquents comprenaient la lymphopénie (97 % vs 3 %), la fièvre (8 % vs 0 %), la réactivation du cytomégalovirus (CMV) (8 % vs 0 %) et les frissons (3 % vs 0 %). Les chercheurs n’ont pas noté de différence significative quant à l’incidence de la neutropénie fébrile malgré la suppression aiguë plus marquée des leucocytes. Lorsqu’ils étaient en proie à une cytopénie aiguë, les patients recevaient en prophylaxie antimicrobienne l’association triméthoprime/sulfaméthoxazole et le famciclovir. On mettait fin au traitement prophylactique lorsque le nombre de cellules CD4+ dépassait le seuil de 200/mm3. Dans 21 des 23 cas d’infection à CMV repérés à la PCR, le traitement par l’AcM a été arrêté, à tout le moins temporairement, mais 17 de ces 21 patients ont repris le traitement une fois l’infection maîtrisée.

L’activité et la tolérabilité de l’alemtuzumab administré en première intention dans la LLC sont compatibles avec de nombreuses données ayant associé ce dernier à une activité marquée aux stades avancés de la maladie. Une nouvelle étude de phase III visait à l’évaluer comme traitement de consolidation chez des patients qui avaient obtenu une RC ou une réponse partielle (RP) à un traitement d’induction par la fludarabine ou par la fludarabine associée au cyclophosphamide. Son ajout a réduit le risque de progression de manière substantielle. Les chercheurs ont mis fin au recrutement après la randomisation de 21 patients en raison du nombre élevé d’infections dans le groupe alemtuzumab, mais le suivi de ce groupe a maintenant atteint une médiane de 48 mois.

«Après 48 mois, la maladie a progressé chez 25 % des patients qui ont reçu l’alemtuzumab vs 80 % de ceux du groupe attente sous surveillance», précise la Dre Carmen Schweighofer, Clinique médicale I, Hôpital universitaire, Cologne, Allemagne. Si la médiane de SSP est de 20,6 mois dans le groupe observation, elle n’a pas encore été atteinte dans le groupe de traitement actif. Bien que la randomisation ait été arrêtée prématurément, les effets indésirables de l’AcM s’apparentaient aux effets indésirables rapportés dans d’autres essais. Un seul cas possible d’effet toxique différé a été signalé. De nouvelles stratégies sont en cours d’évaluation, ajoute la Dre Schweighofer.

En quête d’un schéma de consolidation optimal dans la LLC

«Le schéma de consolidation optimal par l’alemtuzumab reste à définir», rapporte la Dre Schweighofer, mais l’activité substantielle observée dans cette étude justifie la quête d’un schéma mieux toléré. Le médecin a passé en revue le plan d’une nouvelle étude qui comparera l’administration par voie intraveineuse et l’administration par voie sous-cutanée de diverses doses d’alemtuzumab après un traitement d’induction à base de fludarabine.

Il semble que le dépistage et le traitement précoces d’une infection survenant pendant le traitement par l’AcM puissent réduire les conséquences de cette infection. Selon le rapport final d’une étude de phase II sur l’alemtuzumab sous-cutané associé à la fludarabine dans le traitement de la LLC réfractaire à la fludarabine, la réactivation du CMV était fréquente, mais l’infection a cédé au traitement antiviral dans tous les cas.

«Les infections et les autres effets indésirables ont pu être traités, et le taux de réponse est très encourageant pour un groupe à mauvais risque», souligne le Dr Hazem A. Sayala, Leeds General Infirmary. Chez les 49 sujets évaluables de cette étude, le traitement a été amorcé par l’alemtuzumab administré par voie sous-cutanée à raison de 30 mg trois fois par semaine pendant un maximum de 24 semaines. Chez les non-répondeurs, on ajoutait la fludarabine orale à raison de 40 mg/m2/jour pendant trois jours toutes les quatre semaines. On a obtenu 22 réponses objectives en monothérapie, y compris cinq RC sans MRM et deux RC avec MRM de même que 15 RP. L’administration de la fludarabine chez 17 patients s’est traduite par une RC avec MRM et une RP de plus, ce qui revient à un taux de réponse globale de 49 % (24 patients sur 49). La médiane de survie se chiffrait à 25 mois chez les répondeurs vs 13 mois chez les non-répondeurs.

Chez les patients souffrant de LLC à risque élevé, l’association de l’alemtuzumab et du rituximab, un autre AcM, est une autre possibilité. Si le premier cible les récepteurs CD52 à la surface des cellules B, le second cible plutôt les récepteurs CD20. L’idée d’associer les deux AcM pour mieux cibler les cellules cancéreuses découle de l’analyse partielle d’un petit essai dont l’effectif visé est de 30 patients souffrant d’une LLC précoce jugée à risque élevé selon des marqueurs moléculaires comme la délétion de 17p13, la délétion de 11q22-3 et l’expression de ZAP-70. L’analyse des 11 premiers patients recrutés a mis en évidence autant de réponses objectives : quatre RC sans MRM, une RC avec MRM et six RP. Seulement deux effets indésirables considérés comme graves ont été signalés : une réactivation du CMV qui a répondu au traitement et une réaction fébrile au sulfaméthoxazole/triméthoprime.

À quels patients à risque élevé un traitement énergique peut-il bénéficier?

«Dans la LLC, la norme est de traiter uniquement lorsque la progression clinique est évidente. Cependant, la découverte de marqueurs moléculaires d’une forme plus agressive de la maladie pourrait changer ce paradigme», fait remarquer l’auteur principal de l’étude, le Dr Clive S. Zent, professeur adjoint de médecine, division d’hématologie, Mayo Clinic College of Medicine, Rochester, Minnesota. «Les AcM sont efficaces tout en étant moins toxiques que la chimiothérapie, et leur efficacité est probablement maximale au stade précoce de la LLC.»

L’association de l’alemtuzumab et du rituximab présente un intérêt particulier en raison des modes d’action compatibles de ces deux agents et surtout du fait que ces agents sont actifs même chez les patients atteints de LLC considérés comme à risque élevé en raison de leur profil moléculaire. L’association de l’alemtuzumab avec n’importe lequel des autres agents actifs dans la LLC, y compris le rituximab, les analogues des purines et les agents alkylants, est intéressante, car cet agent, contrairement aux autres, peut exercer son effet antitumoral malgré une mutation ou une délétion de p53.

«La présence d’une anomalie de p53, qui joue un rôle important dans l’apoptose, pose problème dans la LLC. L’alemtuzumab est l’un des rares agents à demeurer actif en présence de cette anomalie, mais il n’est pas efficace chez tous les patients. Les associations semblent donc essentielles», estime le Dr Ben Kennedy, hématologue consultant, University Hospitals of Leicester, Royaume-Uni. En raison de données montrant qu’au fil de la progression de la LLC, apparaissent généralement des délétions qui augmentent la résistance aux traitements actuels, le Dr Kennedy est l’un des quelques experts à prôner une intervention plus précoce, voire à traiter en l’absence de progression active.

Redéfinir les objectifs du traitement de la LLC

Nous avons maintenant à notre disposition plusieurs traitements qui peuvent prolonger la SSP, que ceux-ci soient utilisés en première intention ou lors d’une récidive après un premier traitement. Cependant, les jalons changent. Les nouveaux traitements semblent prometteurs pour augmenter les taux de RC, surtout les RC sans MRM. Par rapport à la SSP, l’atteinte de ce paramètre pourrait nécessiter une intervention plus précoce et plus énergique afin d’éliminer les cellules de la LLC lorsqu’elles sont les plus vulnérables au traitement. Si le traitement énergique demeure réservé aux cas où le risque est considéré comme élevé en raison du profil moléculaire, les démarches prudentes, comme l’observation, ne seront probablement plus appropriées si l’on dispose de traitements dotés d’une innocuité acceptable qui peuvent prolonger la survie. Les associations sont particulièrement prometteuses du fait de leurs modes d’action indépendants, mais les associations optimales restent à définir, qu’il s’agisse d’un traitement de première intention, d’un traitement de consolidation ou d’un traitement faisant suite à une récidive.

«Les agents dotés d’un mode d’action novateur pourraient être particulièrement utiles dans le traitement de la LLC et de l’ensemble des hémopathies malignes», fait valoir le Dr Thomas S. Lin, division d’hémato-oncologie, Ohio State University, Columbus. À la lumière d’essais de phase I et II prometteurs sur des agents comme la lénalidomide, le flavopiridol, le lumiliximab et l’ofatumumab, il est d’avis que les progrès récents observés dans le traitement de la LLC se poursuivront. L’association avec la chimiothérapie traditionnelle ou les nouveaux agents permettra peut-être d’améliorer non seulement la SSP ou le taux de réponse objective, mais également la survie globale.

Résumé

Les résultats publiés récemment de l’étude de phase III CAM 307 – dont l’objectif était de comparer l’alemtuzumab et le chlorambucil dans le traitement de première intention de la LLC – sont cliniquement pertinents. Fait digne de mention, le taux de réponse objective a augmenté d’environ 50 % sous l’effet de l’AcM par rapport à l’agent alkylant, et la SSP a essentiellement doublé. L’absence de MRM a été obtenue chez six sujets de l’étude, tous du groupe AcM. En outre, les taux de réponse étaient plus élevés chez les patients présentant des anomalies cytogénétiques, surtout la délétion de 17p. Bien que les infections, y compris l’infection à CMV, aient été plus fréquentes chez les patients sous alemtuzumab, elles répondaient au traitement en général et ne nuisaient pas à l’efficacité du traitement de la LLC. Aucun décès imputable au traitement n’a été signalé, et le nombre de cas d’anémie, de thrombocytopénie, de neutropénie fébrile et d’infections symptomatiques était comparable à ce que l’on observe avec l’agent alkylant. L’étude CAM 307 témoigne d’une évolution des schémas de traitement au stade précoce de la LLC. Les agents récents semblent effectivement plus actifs et pourraient donner lieu à des stratégies que l’on comparera sur le plan de la survie globale plutôt que du délai de progression. Les schémas qui associent les agents traditionnels et les agents novateurs pourraient venir compléter ces résultats.

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