Comptes rendus

Le point sur les stratégies de traitement antifongique dans les greffes de cellules souches
Traitement de la leucémie lymphoïde chronique : nouvel algorithme pour le stade précoce

Héparines de bas poids moléculaire et mécanismes de coagulation chez les patients à risque élevé

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

La 48e Assemblée/Exposition annuelle de l’American Society of Hematology

Orlando, Floride / 9-12 décembre 2006

On compte maintenant plusieurs études sur la prophylaxie primaire ou secondaire de la thromboembolie veineuse (TEV) qui, prises individuellement et collectivement, donnent à penser que les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) peuvent améliorer le devenir des patients cancéreux. Certaines des études comparatives avec placebo les plus rigoureuses – telles que l’étude menée sur la daltéparine (HBPM) chez des patients atteints d’un cancer du poumon à petites cellules (CPPC) – ont démontré un effet favorable sur la survie globale (Altinbas et al. J Thromb Haemost 2004;2[8]:1266-71). Selon la dernière d’une série de méta-analyses qui regroupait 9914 patients provenant de huit essais, les HBPM ont autorisé une réduction globale significative du risque de TEV, par rapport au placebo ou à une héparine non fractionnée (HNF). La protection conférée tant aux patients cancéreux qu’aux patients atteints d’une maladie aiguë est rassurante, mais semble reposer sur des mécanismes distincts. Chez les patients cancéreux, plutôt que de prévenir uniquement la TEV liée à l’immobilité, les HBPM s’opposent également aux effets prothrombotiques du cancer et de ses traitements.

Message ultime : les HBPM favorisent la survie

Comme l’indique le professeur Ajay Kakkar, Centre Lead for Surgical Science, Institute of Cancer, Barts and The London, Queen Mary’s School of Medicine and Dentistry, Royaume-Uni, les résultats de la méta-analyse s’ajoutent aux nombreuses données démontrant le rôle central des HBPM dans la prévention des TEV. Selon ce dernier, le recours aux HBPM pour la prévention et le traitement des thromboembolies en situation de maladie aiguë ou de cancer est «bien validé aux points de vue de l’efficacité et de l’innocuité». Bien qu’une large part des données proviennent de populations de malades aigus qui n’incluaient pas seulement des patients cancéreux, les études ciblant les patients cancéreux atteints de tumeurs de types histologiques et de stades divers plaident aussi en faveur de la prophylaxie, note-t-il. «En gros, les études ont toutes fait ressortir un avantage sur le plan de la survie qui est apparu plus marqué chez les patients exposés aux HBPM dont le pronostic était meilleur.»

Dans la nouvelle méta-analyse, on a tenu compte de tous les essais réalisés entre 1981 et 2006 sur l’utilisation des HBPM en prophylaxie de la TEV chez des sujets malades, à condition que ces essais soient randomisés et comportent l’incidence des thromboses veineuses profondes (TVP) ou des embolies pulmonaires (EP) comme paramètre d’évaluation principal. Une HBPM était comparée à un placebo dans quatre des huit essais inclus, et à une HNF, dans les quatre autres. Par rapport au placebo ou à l’HNF, le risque relatif approché (odds ratio) associé à l’HBPM était de 0,58 pour la TVP (intervalle de confiance [IC] à 95 %, 0,45-0,75; p=0,001) et de 0,64 pour l’EP ou la TVP (IC à 95 %, 0,49-0,82; p=0,01).

Composantes de la méta-analyse

Les auteurs de la méta-analyse estiment que le supplément de protection contre l’EP ou la TVP qui se dégage de la comparaison avec l’HNF tient en grande partie aux résultats des études randomisées PREVENT (Prospective Evaluation of Dalteparin Efficacy for Prevention of VTE in Immobilized Patients Trial) – au cours de laquelle 3706 sujets malades ont reçu la daltéparine ou un placebo – et PRIME (Prophylaxis in Internal Medicine with Enoxaparin) – au cours de laquelle 959 sujets malades ont reçu l’énoxaparine (autre HBPM) ou un placebo.

Globalement, les composés se sont révélés sûrs, aucune augmentation des saignements majeurs n’ayant été associée à l’HBPM comparativement au placebo (p=0,18) ou à l’HNF (p=0,42), indique l’auteur principal, le Dr Abir O. Kanaan, Massachusetts College of Pharmacy and Health Sciences, Worcester. Selon celui-ci, on a constaté un accroissement du risque d’événement hémorragique toutes catégories confondues qui était principalement «imputable à une augmentation de la fréquence de saignements mineurs sous énoxaparine» dans l’essai MEDNOX (Medical Patients with Enoxaparin).

Bien que cette méta-analyse n’ait pas fait ressortir de gain associé aux HBPM au chapitre de la survie globale, plusieurs études individuelles ont apporté cette preuve. Cela est significatif puisqu’il s’ensuit que les diverses HBPM ne sont probablement pas interchangeables en raison de différences de poids moléculaire et de profil pharmacocinétique. Le Dr Kakkar a cité quatre de ces études, dont l’étude FAMOUS (Fragmin Advanced Malignancy Outcome Study) qui a été réalisée sous sa direction (Kakkar et al. J Clin Oncol 2004;22[10]:1944-8). FAMOUS était la première étude comparative avec placebo à double insu à évaluer une HBPM chez des patients atteints d’un cancer avancé ne présentant aucun signe de thrombose sous-jacente. L’avantage conféré par l’HBPM au chapitre de la survie était modeste et non significatif après un an (46 % vs 43 %), mais il tendait à s’accentuer après trois ans (21 % vs 12 %). De plus, une analyse rétrospective a montré que la médiane de survie avait presque doublé (43,5 mois vs 24,3 mois). L’avantage relatif au point de vue de la survie était encore plus prononcé chez les patients ayant un bon pronostic. «La différence entre les médianes de survie était vraiment frappante; bien qu’il s’agisse d’une étude rétrospective, cela a mis en lumière l’intérêt d’identifier les sous-groupes les plus susceptibles de tirer un bénéfice», souligne le Dr Kakkar.

Le potentiel avantageux des HBPM sur le plan de la survie est apparu encore plus nettement lors de l’essai CLOT (Comparison of Low Molecular-weight Heparin and Oral Anticoagulant Therapy), lequel comparait la daltéparine à un traitement actif, à savoir un anticoagulant oral de la famille des dérivés coumariniques, et comportait la randomisation de patients cancéreux (Lee et al. N Engl J Med 2003;349[2]:146-53). Cette étude sur la prévention de la récurrence des TEV chez des patients ayant subi une TVP proximale symptomatique ou une EP n’a pas démontré de différence significative quant au taux de mortalité globale à un an, sauf dans le sous-groupe sans métastases. Chez ces patients, le taux de survie à un an était de 80 % dans le groupe daltéparine vs 65 % dans le groupe anticoagulant oral (p=0,03).

CLOT était une étude de prévention secondaire, mais l’étude réalisée chez des patients soumis à une chimiothérapie pour traiter un CPPC portait sur la prévention primaire. Lors de cette étude, 84 patients atteints d’un CPPC ont été randomisés dans un groupe chimiothérapie seule ou dans un groupe chimiothérapie et daltéparine. La médiane de survie sans progression s’est chiffrée à 10,0 mois dans le groupe HBPM vs six mois dans le groupe chimiothérapie seule (p=0,01); de plus, la médiane de survie globale était de 13 mois dans le premier groupe vs huit mois dans le second (p=0,01). Une amélioration relative similaire était observée indépendamment de l’extension de la maladie.

Lors de l’essai MALT (Malignancy and Low Molecular-weight Heparin Therapy), 302 patients atteints d’une tumeur solide ont été randomisés en vue de recevoir une HBPM, soit la nadroparine, ou un placebo pendant six semaines (Klerk et al. J Clin Oncol 2005;23[10]:2130-5). Le risque de mortalité a diminué de 25 % (p<0,05) dans le groupe HBPM. Dans le sous-groupe de patients qui avaient une espérance de vie supérieure à six mois au moment de l’admission, le risque de mortalité a diminué de 36 %, et la médiane de survie associée à l’HBPM était de 15,9 mois vs 9,4 mois pour le placebo (p<0,01).

Prophylaxie du cancer

Au départ, on considérait que la protection contre la TEV chez les patients cancéreux relevait des mêmes mécanismes qu’en situation de maladie aiguë, et consistait donc principalement à réduire la coagulabilité du sang chez les patients immobilisés pour une longue période. Toutefois, de nouvelles données substantielles laissent maintenant supposer que le traitement par une HBPM a des effets à la fois directs et indirects sur l’état prothrombotique causé par de nombreux cancers et des traitements fréquemment utilisés, tels les alkylants, qui peuvent provoquer la formation de thrombine, et les cathéters veineux, qui peuvent causer des lésions endothéliales de nature prothrombotique. Les données les plus récentes portent à croire que les HBPM pourraient même inhiber la progression du cancer qui se trouve facilitée par un état d’hypercoagulabilité. Citant les études publiées, le Dr Kakkar souligne que les protéases de la coagulation inhibées par les HBPM ont été incriminées dans la promotion de la prolifération et de la migration des cellules malignes, de l’angiogenèse et de la dissémination métastatique. En outre, plusieurs études expérimentales ont établi un lien entre les HBPM et l’accroissement de l’apoptose des cellules malignes.

Comme en témoignent les nombreuses études en cours ou projetées, les chercheurs s’intéressent activement au potentiel du traitement par les HBPM pour améliorer le pronostic, en particulier chez les patients cancéreux. Les HBPM tiennent déjà une place importante dans le traitement de ces patients lorsqu’ils présentent une TEV symptomatique, mais on a tout lieu de croire que leurs indications en prophylaxie pourraient être élargies. Plutôt que d’être axées uniquement sur la prévention des TEV liées à l’immobilité, les nouvelles études ont pour objectif d’évaluer l’effet des HBPM sur les mécanismes de la progression du cancer. D’un point de vue pratique, on aspire non seulement à mieux identifier les patients à qui le traitement par les HBPM peut bénéficier, mais aussi à déterminer la durée du traitement associée à un bénéfice optimal chez les patients cancéreux.

Résumé

Les HBPM protègent contre les TEV tant en situation de maladie aiguë que de cancer, mais cette protection semble mettre en jeu des mécanismes différents. Bien que le traitement puisse protéger les deux groupes contre la formation d’un thrombus secondaire à l’immobilité, il se pourrait que les patients cancéreux en retirent en outre une protection contre l’état d’hypercoagulabilité induit par leur maladie et par les traitements anticancéreux. De plus, de nouvelles données évoquent l’existence de mécanismes de protection indépendants de ceux qui permettent de prévenir la formation de caillots potentiellement fatals. L’amélioration de la survie par la daltéparine chez les patients atteints d’un CPPC et dans d’autres sous-groupes de patients cancéreux, en particulier ceux qui ont un bon pronostic, a stimulé les recherches pour découvrir d’autres bienfaits allant au-delà de la prophylaxie de la TEV. Bien que les HBPM doivent, de façon courante, être utilisées pour traiter les TEV et prévenir les récidives, les études en cours sur la prévention primaire dans le cancer pourraient déboucher sur un élargissement considérable des indications de ces agents.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.