Comptes rendus

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Traitement de première intention de l’aspergillose invasive en présence d’une hémopathie maligne

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - 22e Congrès européen de microbiologie clinique et d’infectiologie (ECCMID)

Londres, Royaume-Uni / 31 mars – 3 avril 2012

Londres - La première étude avec randomisation à évaluer une association d’antifongiques dans l’aspergillose invasive (AI) a généré de nouvelles données objectives permettant d’orienter le traitement chez les patients en proie à une hémopathie maligne, y compris les patients ayant reçu une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Bien que l’utilisation empirique d’une association d’antifongiques soit déjà une pratique répandue dans les infections difficiles à traiter, les médecins peuvent maintenant l’envisager sur la foi de données objectives. Comme l’issue clinique de l’AI demeure souvent sous-optimale, même lorsqu’on a recours aux agents les plus efficaces, une intensification du traitement s’impose. Cette étude – qui visait à évaluer l’association d’un antifongique azolé et d’une échinocandine – a fait l’objet au congrès d’une séance de dernière heure. La tendance vers un bénéfice à laquelle ont conclu les chercheurs n’élimine pas la nécessité de la personnalisation des soins, mais cette étude multicentrique d’envergure est la première à mesurer l’impact d’une association d’antifongiques dans un contexte où l’efficacité de la monothérapie soulève des craintes. 


Certes, des antifongiques puissants ont franchi le cap de la commercialisation, mais nous avons tout de même besoin de nouvelles stratégies dans le traitement de l’aspergillose invasive (AI) en raison des taux de mortalité assez élevés que l’on enregistre chez les patients vulnérables, tels les patients atteints d’une hémopathie maligne et en particulier ceux qui reçoivent une greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH). La bithérapie antifongique est la suite logique des événements dans notre quête d’une maîtrise plus serrée des AI prouvées ou probables chez des patients à risque élevé d’issue défavorable.

La première étude multicentrique menée à double insu avec randomisation a porté sur le voriconazole, un antifongique de troisième génération, et l’anidulafungine, une échinocandine. Les sujets – qui recevaient tous du voriconazole – ont été randomisés de façon à recevoir de l’anidulafungine ou un placebo.

Malgré les preuves substantielles à l’appui d’un bénéfice, les résultats de l’étude sont ambigus, explique le Dr Johan A. Maertens, Universitair Ziekenhuizen Leuven, Université catholique de Louvain, Belgique, qui dirigeait l’équipe de recherche de l’un des établissements européens participants. La mortalité à 6 semaines – le paramètre principal – était plus faible dans le groupe recevant la bithérapie antifongique que dans le groupe recevant du voriconazole et un placebo (19,3 % vs 27,5 %). L’écart n’était pas significatif sur le plan statistique (p<0,09), mais on a tout de même observé une tendance à la baisse en faveur de l’association. Les analyses de sous-groupe ont également étayé une plus grande activité de la bithérapie. En particulier, une analyse post hoc a révélé que la baisse de la mortalité observée à 6 semaines chez les sujets qui recevaient l’association pour une AI probable (sur la foi du dosage du galactomannane) avait atteint le seuil de significativité statistique (15,7 % vs 27,3 %; p=0,037). 

L’essai comparatif, une réalisation en soi

Cet essai est considéré comme une réalisation en soi compte tenu des difficultés inhérentes à la collecte de données comparatives dans un contexte d’AI. Comme l’explique le Dr Maertens, «les études sur l’association d’antifongiques – tout comme les études sur la monothérapie – sont difficiles à concevoir et à analyser en raison de nombreux facteurs de l’hôte qui brouillent l’efficacité réelle du traitement et de la comorbidité qui pourrait avoir des répercussions majeures sur la mortalité dans l’étude». Entre autres, de nombreux patients sont aux prises en parallèle avec des infections bactériennes/virales ou fongiques mixtes et se remettent d’un traitement immunosuppresseur. L’absence d’un marqueur biologique fiable qui permettrait de surveiller l’efficacité fait aussi partie des obstacles. Nous avons besoin d’études d’envergure pour atténuer l’impact de ces variables.

Lors de cette étude dirigée par la Dre Kieren A. Marr, Johns Hopkins University School of Medicine, Baltimore, Maryland, 454 patients de 93 établissements ont été recrutés dans 24 pays. De ces patients, 277 ont été inclus dans l’analyse principale, laquelle se limitait aux AI prouvées ou probables selon l’évaluation d’un comité d’examen. La quasi-totalité souffrait d’une hémopathie maligne sous-jacente, mais seul le tiers avait reçu une greffe de CSH. Tous les sujets recevaient en mode ouvert 6 mg/kg de voriconazole par voie intraveineuse (i.v.) toutes les 12 heures le 1er jour, puis 4 mg/kg i.v. toutes les 12 heures. Après randomisation, ils recevaient soit 200 mg d’anidulafungine par voie i.v. le 1er jour, puis 100 mg/kg i.v. toutes les 24 heures, soit un placebo apparié. Les chercheurs étaient autorisés à passer au voriconazole oral (300 mg toutes les 12 heures) après au moins 7 jours de traitement i.v., mais tous les sujets devaient recevoir la bithérapie antifongique pendant au moins 2 semaines et tous devaient recevoir un traitement antifongique pendant au moins 6 semaines.

Le taux de réponse globale, qui inclut les réponses complètes, a été mesuré à 6 semaines. Bien que les taux de réponse globale (32,6 % vs 43 %) et de réponse complète (5,9 % vs 12 %) aient été plus faibles chez les patients sous bithérapie, l’écart n’était pas significatif. En outre, cet écart est difficile à interpréter, car le comité d’examen a considéré qu’une forte proportion de patients n’étaient «pas évaluables». Inversement, la mortalité imputable à l’AI (17,3 % vs 23,9%) et la mortalité à 12 semaines (29,3 % vs 39,4 %) étaient plus faibles sous voriconazole + anidulafungine. Là encore, ces différences n’étaient pas significatives, mais la bithérapie voriconazole + anidulafungine a été associée à une tendance à la baisse du deuxième paramètre d’évaluation (p=0,077). 

Les effets indésirables (EI) étaient fréquents dans les deux groupes de traitement, mais l’ajout de l’anidulafungine n’a pas semblé augmenter substantiellement le risque d’apparition d’EI, qu’on les considère dans leur ensemble ou par système organique. Par exemple, des EI considérés comme liés au traitement par le voriconazole ont été signalés chez 43,8 % des patients sous placebo et 46,5 % des patients recevant aussi de l’anidulafungine. Le taux d’EI graves toutes causes confondues s’élevait à 46 % sous voriconazole + placebo et à 50,4 % sous bithérapie antifongique. Des EI graves ont été attribués au voriconazole chez 5,3 % des sujets sous placebo vs 8,8 % des sujets recevant également de l’anidulafungine.

Bien-fondé de la bithérapie antifongique

L’étude sur l’association d’antifongiques dans le traitement de l’AI était la suite logique de notre quête de données. Le traitement de l’AI repose généralement sur les antifongiques azolés, les échinocandines et l’amphotéricine B (AmB), mais le voriconazole était tout de même un choix raisonnable comme traitement principal compte tenu des essais avec randomisation qui ont amené plusieurs organismes, dont l’IDSA (Infectious Diseases Society of America), à le recommander en première intention. Lors de l’étude dont on parle le plus, qui remonte à une dizaine d’années, le voriconazole avait été associé à des taux de réponse et de survie plus élevés à 12 semaines par rapport au traitement de référence antérieur, l’AmB désoxycholate (Herbrecht et al. N Engl J Med 2002;347:408-15). Des données plus récentes, dont celles de la base de données américaine TRANSNET (Transplant Associated Infection Network) (Baddley et al. Clin Infect Dis 2010;50:1559-67), ont confirmé son efficacité.

Les données chez l’animal étayent la pertinence de l’association d’antifongiques dans le traitement de l’AI, mais ce n’est pas une option recommandée dans la plupart des guides de pratique en raison du manque de données chez l’humain, explique le Dr Maertens. Nous avons un réel besoin de données chez l’humain, car on observe d’importants avantages chez l’animal, notamment une éventuelle augmentation de la vitesse et de l’ampleur de l’activité fongicide (synergie) de même qu’un spectre d’activité plus large. Une activité fongicide accrue est particulièrement utile chez les patients immunodéprimés et les autres patients dont l’issue clinique de l’AI laisse à désirer. Deux agents dotés de modes d’action différents ouvrent la voie à une activité fongicide plus marquée sans augmentation des EI.

Les études antérieures sur l’impact d’une bithérapie antifongique dans l’AI avaient certaines limites, en particulier des résultats ambigus. Ainsi, une évaluation rétrospective de l’association voriconazole + caspofongine avait fait ressortir un gain de survie à 3 mois par rapport au voriconazole seul, mais l’avantage avait disparu à 1 an (Marr et al. Clin Infect Dis 2004;39:797-802). Dans le seul essai avec randomisation antérieur – qui était une étude pilote regroupant seulement 30 patients –, la bithérapie AmB liposomale à la dose usuelle + caspofongine avait été associée à un taux de réponse globale plus élevé (67 % vs 27 %) de même qu’à une réduction de 20 % de la mortalité à 12 semaines (Caillot et al. Cancer 2007;110:2740-6), mais on n’a jamais fait d’essai d’ampleur suffisante pour confirmer ces résultats et en évaluer la pertinence clinique.

L’étude actuelle, qui porte sur un agent de première intention en association avec un agent doté d’un mode d’action antifongique distinct, est à ce jour l’essai le plus ambitieux qui ait permis de recueillir des données comparatives sur l’efficacité et l’innocuité de la bithérapie antifongique dans l’AI. L’avantage relatif de la bithérapie en présence d’une AI probable (selon le dosage du galactomannane) est encourageant, mais ne diminue en rien l’importance d’initiatives visant à accélérer le diagnostic de l’AI afin d’amorcer rapidement le traitement le plus efficace.

Résumé

Sur le plan conceptuel, la bithérapie antifongique demeure une stratégie séduisante. Même si le premier essai multicentrique comparatif d’envergure sur la bithérapie antifongique dans l’AI n’a pas objectivé de diminution significative de la mortalité selon les critères prédéfinis, il a généré pas mal de données à l’appui d’une augmentation cliniquement importante de la maîtrise de l’IA selon plusieurs paramètres. Les résultats donnent tout lieu de croire que l’on devrait envisager la bithérapie antifongique au cas par cas.  





















 

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