Comptes rendus

L’éducation, la clé de l’optimisation de la couverture vaccinale contre le VPH
Tendances actuelles et perspectives d’avenir dans le traitement du glioblastome multiforme - Tour d’horizon de la littérature

Traitement par les chélateurs de phosphate: Les besoins du patient hémodialisé - Tour d’horizon de la littérature

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

OPTIONS MÉDICALES dans l’insuffisance rénale chronique

Troubles du métabolisme minéral et osseux liés à l’insuffisance rénale chronique : pleins feux sur le KDIGO

Dr David Mendelssohn, University of Toronto, Toronto (Ontario)

Bien-fondé du besoin de chélateurs de phosphate sans calcium

Dr Anthony B. Hodsman, University of Western Ontario, London (Ontario)

Arguments en faveur d’un chélateur de phosphate non calcique puissant

Dr Denis Ouimet, Université de Montréal, Montréal (Québec)

Leçons pratiques pour le néphrologue praticien

Pr Rob Horne, University of London, Londres, Royaume-Uni

TROUBLES DU MÉTABOLISME MINÉRAL ET OSSEUX LIÉS À L’INSUFFISANCE RÉNALE CHRONIQUE : PLEINS FEUX SUR LE KDIGO

Commentaire éditorial :

David Mendelssohn, MD, FRCPC, FACC

Chef de la Division de néphrologie, Nephrolife: Complete Kidney Care Centre, Humber River Regional Hospital, Professeur agrégé de médecine, University of Toronto, Toronto (Ontario)

Tant au Canada qu’aux États-Unis, en Europe, en Grande-Bretagne et en Australie, des guides de pratique clinique ont été proposés pour éclairer la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique (IRC) et de ses complications. Inévitablement, ces guides, apparus à différents moments de l’évolution de la pratique, présentent certaines discordances.

Aux fins d’harmonisation, un organisme international appelé Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) a été créé en 2004, dans le but exprès de formuler des recommandations de pratique clinique fondées sur des preuves pour la prise en charge de l’IRC. L’une des premières initiatives du groupe a été d’examiner le corpus croissant de données associant les troubles du métabolisme minéral et osseux à une morbidité et à une dégradation de la qualité de vie importantes liées à la présence de calcifications vasculaires chez les patients en IRC.

Ces troubles comprennent cependant un ensemble d’anomalies plus vaste que ce que recouvre le terme classique «ostéodystrophie rénale», de sorte que les experts du KDIGO ont recommandé de réserver ce dernier aux altérations de la morphologie osseuse associées à l’IRC. Comme le note la Dre Sharon Moe, professeure titulaire de médecine, Indiana University School of Medicine, Indianapolis, en faisant référence aux conclusions du groupe1, les manifestations des déséquilibres minéraux et osseux sont diverses et englobent des anomalies biochimiques, une fragilisation osseuse favorisant les fractures ainsi que des calcifications extra-osseuses. Ces anomalies sont par ailleurs interdépendantes, et, après délibération, le groupe a jugé approprié d’en changer la dénomination pour «troubles du métabolisme minéral et osseux liés à l’insuffisance rénale chronique» (TMO-IRC), tout en conservant le terme «ostéodystrophie rénale» pour la composante osseuse de ces anomalies.

Les TMO-IRC peuvent se manifester par une ou plusieurs anomalies biologiques du métabolisme du calcium (Ca), du phosphore (P), de la parathormone (PTH) ou de la vitamine D; par des anomalies du remodelage, de la minéralisation, du volume, de la croissance linéaire ou de la résistance des os; et par la présence de calcifications vasculaires et des autres tissus mous.

Lors de la conférence de consensus, les membres du KDIGO s’étaient donné comme priorité d’élaborer des guides de pratique clinique pour le diagnostic, l’évaluation, la prévention et le traitement des TMO-IRC. Étant l’un des réviseurs pour ce projet, j’en ai reçu une ébauche. Malheureusement, le document actuel ne contient presque aucune recommandation, ne définit pas de cibles pour la correction des anomalies du métabolisme minéral — contrairement à nos propres lignes directrices — ni ne fait de recommandations quant à l’utilisation des chélateurs de phosphate actuellement sur le marché. Vu le caractère international de l’initiative KDIGO et le coût élevé de plusieurs des molécules apparues depuis cinq ou six ans pour le traitement des TMO-IRC, on doit peut-être imputer ces manques à l’obligation de tenir compte des coûts dans une perspective mondiale.

Que sont les TMO-IRC?

À mesure que la fonction rénale se détériore, le rein ne suffit plus à excréter la charge en phosphate quotidienne normale. L’accumulation de phosphate entraîne en retour une réduction du Ca sérique, provoquant elle-même une activation des glandes parathyroïdes. De plus, le métabolisme de la vitamine D est perturbé de telle manière que la synthèse de son métabolite actif, étape finale tributaire du rein, diminue et devient insuffisante. Le déficit en vitamine D sous sa forme active est un facteur contributif majeur et reconnu de l’hyperparathyroïdie secondaire.

L’élévation du taux de PTH contribue lourdement à la formation de calcifications dans les vaisseaux et les tissus mous. Les anomalies du taux de PTH interviennent également de façon importante dans les manifestations osseuses des TMO-IRC. De plus, les variations extrêmes du remodelage osseux qui peuvent survenir au cours de l’IRC accentuent gravement la fragilité osseuse et le risque de fracture, complications bien reconnues de l’IRC. Ainsi, comme le rappelle le Dr Jorge Cannata-Andia2 l’augmentation du remodelage osseux, qui accompagne l’hyperparathyroïdie secondaire, aussi bien que sa diminution, caractéristique de l’ostéopathie adynamique, peuvent accroître la formation anormale de dépôts phosphocalciques dans les tissus mous, les vaisseaux et les valves cardiaques, les deux phénomènes étant associés à des calcifications vasculaires et à une surmortalité.

Les calcifications vasculaires représentent la dernière composante des TMO-IRC (Figure 1). L’âge et l’ancienneté de la dialyse sont unanimement reconnus comme des facteurs de risque de calcifications coronariennes, mais l’hyperphosphatémie, l’élévation du produit phosphocalcique et une surcharge calcique liée à la prise de chélateurs de phosphate sont toutes reconnues comme des facteurs de risque additionnels dans la plupart (mais non la totalité) des études. De toutes les anomalies du métabolisme minéral susceptibles d’apparaître au cours des TMO-IRC, l’hyperphosphatémie est probablement celle qui contribue le plus aux calcifications vasculaires et représente, selon une opinion répandue, un facteur de risque non traditionnel majeur de maladie cardiovasculaire (CV) chez les patients atteints d’IRC.

Figure 1. Définition d’un trouble du métabolisme minéral et osseux lié à l’insuffisance rénale chronique (TMO-IRC)


Pourquoi l’hyperphosphatémie? Parce qu’en présence de concentrations élevées de P ou de Ca, ou des deux, les cellules musculaires lisses vasculaires peuvent se différencier en cellules de type ostéoblaste, déclenchant ainsi la transmission de signaux capables d’induire une minéralisation, laquelle aboutit aux calcifications vasculaires3. Il ressort d’un certain nombre d’études que l’hyperphosphatémie est en soi un facteur de risque de mortalité — principalement d’origine CV — chez les patients en dialyse, voire en prédialyse selon l’étude menée par Kestenbaum et al4. Dans cette dernière étude rétrospective, 7021 des 95 619 anciens combattants présélectionnés répondaient aux critères d’IRC établis par les investigateurs et, de ce nombre, 3490 sujets avaient eu un dosage de leur phosphatémie au cours des 18 mois précédents.

Après prise en compte de tous les facteurs de confusion, les investigateurs ont constaté qu’une phosphatémie >1,13 mmol/L (>3,5 mg/dL) était associée à un accroissement significatif du risque de mortalité, le risque augmentant de façon linéaire à chaque hausse supplémentaire de 0,16 mmol/L (0,5 mg/dL) de la phosphatémie. Block et al.5 ont à leur tour analysé les données de 40 538 patients en hémodialyse dont la phosphatémie et la calcémie avaient été mesurées au moins une fois au cours des trois derniers mois de 1997. Après prise en compte de la typologie des cas (case mix) et des variables de laboratoire, il est apparu qu’une phosphatémie >0,16 mmol/L (>0,5 mg/dL) était associée à une majoration du risque relatif de mortalité, ce risque augmentant de plus du double lorsque la phosphatémie dépassait 2,90 mmol/L (=9,0 mg/dL), catégorie la plus élevée définie dans l’étude. Selon cette étude, l’hypercalcémie (taux ajustés) et l’hyperparathyroïdie modérée à sévère (taux de PTH =63,18 mg/L [=600 pg/mL]) étaient également associées à une augmentation du risque relatif de mortalité (Figure 2).

Figure 2. Ph
elatif de mortalité

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Plus récemment, l’étude DOPPS (Dialysis Outcomes and Practice Patterns Study), qui se fondait sur des données recueillies pendant environ 10 ans dans 12 pays, a apporté des renseignements pertinents et actuels sur l’impact des troubles du métabolisme minéral. Comme le rapportent Tentori et al.6, les investigateurs ont analysé le risque de mortalité selon différents niveaux de la calcémie, de la calcémie corrigée en fonction de l’albuminémie, de la phosphatémie et du taux de PTH chez 25 588 patients en hémodialyse depuis plus de 180 jours. Lors de la phase la plus récente de l’étude (2005-2007), les taux de Ca et de P observés avaient diminué — ce qui reflète peut-être une amélioration de la prise en charge des troubles phosphocalciques et l’arrivée de nouveaux traitements. À l’aide de modèles de survie, on a déterminé que le risque de mortalité était le plus faible chez les patients dont les paramètres se situaient dans les limites suivantes : calcémie, 2,15-2,50 mmol/L (8,6-10,0 mg/dL); calcémie corrigée (albuminémie), 1,9-2,3 mmol/L (7,6-9,5 mg/dL); phosphatémie, 1,16-1,61 mmol/L (3,6-5,0 mg/dL); et taux de PTH, 10,63-31,59 mg/L (101-300 pg/mL).

À l’opposé, le risque de mortalité le plus élevé était associé aux valeurs suivantes : calcémie ou calcémie corrigée (albuminémie) >2,50 mmol/L (>10,0 mg/dL); phosphatémie >2,26 mmol/L (>7,0 mg/dL); et taux de PTH >63,18 mg/L (>600 pg/mL); ou combinaison de valeurs à risque élevé pour ces trois paramètres.

L’étude comparative randomisée HEMO (Hemodialysis) menée par Wald et al.7, avait en fait pour objet de déterminer si l’augmentation de la dose de dialyse ou l’utilisation de membranes de haute perméabilité améliorait l’issue clinique chez des patients traités de longue date par hémodialyse. Néanmoins, ses résultats viennent solidement étoffer les preuves en faveur d’une association entre les troubles du métabolisme minéral et une issue défavorable. Plus précisément, Wald et al.7 ont là encore constaté qu’une phosphatémie >1,94 mmol/L (>6 mg/dL) était en soi associée à une augmentation d’environ 25 % du risque de mortalité, comparativement à des valeurs comprises entre 1,32 et 1,61 mmol/L (4,1 et 5,0 mg/dL). De façon semblable à l’étude à long terme DOPPS, leur étude a fait ressortir une association indépendante entre une calcémie >2,74 mmol/L (>11 mg/dL) et une augmentation du risque de mortalité de 56 %, comparativement à un taux de référence se situant entre 2,27 et 2,50 mmol/L (9,1 et 10 mg/dL) — résultats qui dénotent qu’une hypercalcémie prolongée est particulièrement dangereuse, comme le soulignent les auteurs.

De même, l’élévation du produit phosphocalcique au-delà de 4 mmol2/L2 (>50 mg2/dL2) était un facteur indépendant de majoration du risque de mortalité; toutefois, la calcémie corrigée en fonction de l’albuminémie était associée à un mauvais pronostic seulement lorsqu’elle dépassait 2,74 mmol/L (>11 mg/dL) et seulement lorsque, du point de vue de l’analyse statistique, elle était considérée comme une covariable dont la valeur pouvait varier dans le temps ou une covariable dépendante du temps cumulative.

Ces données soulignent l’importance d’améliorer la réduction de la phosphatémie, la majorité des patients atteints d’IRC étant actuellement bien loin des cibles préconisées. Elles font également ressortir le besoin de chélateurs de phosphate plus efficaces, les agents qui sont généralement utilisés à l’heure actuelle n’étant manifestement pas à la hauteur chez un nombre déplorablement élevé de patients.

Surcharge calcique

Si le bilan calcique positif fréquemment observé chez les patients atteints d’IRC est surtout imputable aux fortes doses de chélateur de phosphate à base de calcium que ces derniers doivent prendre pour régulariser leur phosphatémie, il ne faut pas oublier que l’administration de doses élevées de stérols de la vitamine D pour le traitement de l’hyperparathyroïdie secondaire contribue elle aussi aux épisodes d’hypercalcémie et d’hyperphosphatémie, déséquilibres qui favorisent tous deux les calcifications vasculaires, selon Goodman et al.8. En fait, comme le note Goodman, chez les patients dialysés, le bilan calcique du corps entier peut être fortement positif sans qu’il y ait d’augmentation franche de la calcémie — ce qui laisse supposer que l’absence d’hypercalcémie ne garantit pas l’absence de toute rétention calcique.

Selon le résumé en ligne d’une étude menée par Danese et al.9, de l’American Society of Nephrology, la maîtrise constante des TMO était associée à une réduction marquée du risque de mortalité chez 24 803 patients en hémodialyse. Plus précisément, ce risque était 51 % moins élevé chez les patients qui atteignaient les cibles définies par la K/DOQI pour les taux sériques de PTH, de Ca et de P que chez les patients qui n’atteignaient aucune de ces cibles. Le risque de mortalité était de 35 à 39 % plus élevé lorsqu’une cible seulement était atteinte plutôt que trois, et de 15 à 21 % plus élevé lorsque deux cibles étaient atteintes plutôt que trois. Selon cette même étude, plus longue était la période pendant laquelle l’atteinte d’une ou de plusieurs cibles se maintenait, meilleurs étaient les résultats.

D’autre part, nous ne devons pas perdre de vue que la question du métabolisme minéral chez les patients atteints d’IRC ne représente qu’une parcelle de ce que doit être une stratégie globale de réduction du risque CV tout au long de l’évolution de l’IRC. Si nous aspirons à influencer réellement le devenir des patients, il faut que les médecins adressent leurs patients aux néphrologues dès le début de la maladie et pas seulement au stade de la dialyse. Il faut également que les patients atteints d’une IRC débutante bénéficient de stratégies globales et énergiques de réduction des facteurs de risque CV, ce qui suppose l’optimisation de l’équilibre des chiffres tensionnels, lipidiques et glycémiques ainsi que l’utilisation de médicaments connus pour exercer un effet protecteur sur le rein et le cœur. Nous devons également veiller à traiter l’anémie, qui est une complication fréquente de l’IRC de stade précoce comme avancé, et à maîtriser au mieux les troubles du métabolisme minéral comme l’hyperphosphatémie, l’hypercalcémie et l’élévation du taux de PTH en faisant appel à des médicaments appropriés et les plus sûrs possibles.

Au stade de dialyse, de nouvelles modalités de traitement telles que l’hémodialyse nocturne réalisée quotidiennement ou des hémodialyses courtes, répétées six jours par semaine, sont l’une et l’autre beaucoup plus efficaces que la dialyse classique basée sur trois séances par semaine pour maîtriser l’hyperphosphatémie. Malheureusement, on n’a pas encore réuni suffisamment de données pour établir sans équivoque que, si nous maîtrisons parfaitement les TMO-IRC, nous pourrons réduire significativement le risque CV et diminuer la mortalité chez nos patients atteints d’IRC.

Néanmoins, les résultats rapportés par Danese et al. donnent tout lieu de croire que la maîtrise optimale des principaux facteurs de mortalité précoce chez les patients atteints d’IRC — à savoir l’hyperphosphatémie, l’hypercalcémie et l’élévation du taux de PTH — peut en effet réduire significativement le risque de mortalité chez les patients en dialyse. Les résultats de cette étude viennent légitimer nos efforts et laissent entrevoir qu’une meilleure maîtrise des TMO-IRC prolongera la survie des patients en dialyse, progrès qui, on peut l’espérer, s’accompagnera peut-être d’une expansion des possibilités de transplantation, traitement optimal de l’insuffisance rénale terminale.

Résumé

Nombreux sont ceux qui considèrent aujourd’hui que les troubles du métabolisme minéral et osseux (qu’on appelle maintenant «TMO-IRC») sont au moins en partie responsables de l’augmentation de la prévalence des maladies CV chez les patients atteints d’IRC. L’hyperphosphatémie tient un rôle primordial dans ce dérèglement systémique. Maintenant que des études ont fait ressortir l’influence majeure probable de l’hyperphosphatémie, de l’hypercalcémie et de l’élévation du taux de PTH prolongées sur le risque de mortalité chez les patients en dialyse, il apparaît biologiquement plausible qu’une meilleure maîtrise des TMO-IRC puisse réduire ce risque et prolonger la survie des patients en IRC. D’autre part, il est impératif d’intervenir précocement et énergiquement, dès que le diagnostic d’IRC est porté et non pas seulement au stade de la dialyse. Au Canada, des démarches sont en cours pour élargir l’accès aux soins par la mise sur pied de cliniques prédialyse multidisciplinaires, dans l’espoir d’optimiser ainsi le traitement à un stade précoce, soit au moment où il devrait faire le plus de bien.

Références :

1. Moe S. Medscape Nephrology 2006;3(2), posted 11/30/2006.

2. Cannata-Andia J. Medscape Nephrology, posted 05/14/2007.

3. Jono et al. Circ Res 2000;87:E10-E17.

4. Kestenbaum et al. J Am Soc Nephrol 2005;16:520-8.

5. Brock et al. J Am Soc Nephrol 2004;15:2208-18.

6. Tentori et al. Am J Kidney Dis 2008;52(3):519-30.

7. Wald et al. Am J Kidney Dis 2008;52(3)531-40.

8. Goodman et al. Am J Kidney Dis 2004;43:572-9.

9. Danese et al. Clin J Am Soc Nephrol 2008;3(5):1423-9.

BIEN-FONDÉ DU BESOIN DE CHÉLATEURS DE PHOSPHATE SANS CALCIUM

Commentaire éditorial :

Anthony B. Hodsman, MD, FRCPC

Professeur titulaire, Département de médecine, Division de néphrologie, University Hospital, University of Western Ontario, London (Ontario)

À mon sens, le débat sur les agents à privilégier entre les chélateurs de phosphate calciques et les chélateurs sans calcium n’a guère de fondement médical. Si les chélateurs sans calcium étaient plus facilement accessibles, la plupart des néphrologues les préféreraient aux chélateurs calciques, à moins d’une contre-indication pertinente. Et cela, pour la simple raison que les chélateurs calciques tels que le carbonate de calcium, largement utilisé au Canada aujourd’hui, constituent un moyen très inefficace d’optimiser la phosphatémie. À l’origine, si l’on a fait appel à ces composés pour la chélation des phosphates, c’était pour éviter les chélateurs à base d’aluminium, qui sont associés à une toxicité cérébrale et osseuse chez une faible proportion de patients dialysés.

Comme de nombreux patients urémiques présentent une hypocalcémie, les chélateurs calciques sont en outre apparus comme un choix empirique logique. Bien que l’absorption fractionnelle du calcium (Ca) à partir de composés de Ca insoluble soit très faible, on supposait que des corrections modestes de la calcémie présenteraient en effet l’avantage supplémentaire de supprimer l’hyperparathyroïdie secondaire. Toutefois, la plupart des patients ont besoin de fortes doses de sels de Ca pour fixer suffisamment de phosphate alimentaire; étant donné que les chélateurs à base de calcium sont plus ou moins efficaces, une quantité excédentaire notable de calcium est absorbée et se dépose subséquemment dans les tissus mous. La plupart des patients en dialyse doivent recevoir de 4,5 à 6,5 g de Ca élément pour atteindre la phosphatémie cible recommandée par la K/DOKI (Kidney Disease Outcomes Quality Initiative) de la National Kidney Foundation, comprise entre 1,13 et 1,78 mmol/L (3,5 et 5,5 mg/dL) (Figure 1).

Qui plus est, la K/DOQI reconnaît qu’un apport excessif en Ca, sous quelque forme que ce soit, nuit à la santé osseuse et minérale des patients dialysés. Par conséquent, ses recommandations proposent aux médecins de limiter la prise de Ca élément à environ 1,5 g/jour.Malheureusement, sur le plan clinique, cette recommandation ne tient pas la route. Le coût plus élevé des chélateurs sans Ca est maintenant couvert par plusieurs régimes provinciaux d’assurance médicaments, mais seulement si une hypercalcémie constituant une manifestation de toxicité est démontrée. Les seules options de rechange inscrites sur les listes générales de médicaments remboursés sont les composés à base d’aluminium (en Ontario, une capsule de 500 mg d’hydroxyde d’aluminium coûte environ 0,10 $ à 0,12 $).

Implications du choix entre chélateurs de phosphate calciques et non calciques

Notre propos est ici d’examiner les implications de l’utilisation des chélateurs de phosphate calciques par opposition aux chélateurs sans Ca pour maîtriser l’hyperphosphatémie chez la majorité des patients souffrant d’une insuffisance rénale chronique (IRC) de stade 5. Il est notoire que la majorité des patients atteints d’IRC meurent d’une maladie cardiovasculaire (CV); or, les facteurs de risque CV traditionnels, notamment l’hypercholestérolémie, l’hypertension et le tabagisme, n’expliquent pas entièrement cette surmortalité1.

Une série d’études ont désigné l’hyperphosphatémie à titre d’acteur dans l’apparition de l’athérosclérose, ne serait-ce qu’en raison de la stimulation directe qu’exerce le phosphore (P) sur la parathormone (PTH) et l’hyperplasie des glandes parathyroïdes. Une hyperphosphatémie prolongée aboutit non seulement à une hyperparathyroïdie secondaire et à des taux élevés de PTH, mais favorise également la calcification progressive des tissus mous et des vaisseaux, processus là encore en partie causé par une élévation du produit phosphocalcique (Ca x P). (Il importe de noter que, quelles que soient les autres anomalies de minéralisation coexistantes, la calcification des tissus mous n’est en général observée qu’en présence d’hyperparathyroïdie.) L’élévation de la phosphatémie peut aussi avoir un effet direct de calcification des cellules musculaires lisses vasculaires, préparant ainsi le terrain pour la calcification des vaisseaux. Simultanément, l’hyperplasie parathyroïdienne et l’élévation du taux de PTH contribuent à l’accélération pathologique du renouvellement osseux et aux autres conséquences défavorables de l’excès de PTH.

On a établi une association directe entre une phosphatémie dépassant 2,10 mmol/L (6,5 mg/dL)— voire 1,94 mmol/L (6,0 mg/dL), selon de nombreuses séries — et un accroissement du risque de mortalité d’origine CV et totale chez les patients en hémodialyse. Des données indiquent même qu’une hyperphosphatémie légère, définie comme un taux de 1,62 à 2,10 mmol/L (5,01 à 6,5 mg/dL), serait en soi un facteur de risque de mortalité dans cette population. Dans une étude menée par Rodríguez-Benot et al.2, une phosphatémie dépassant 1,61 mmol/L (5,0 mg/dL)— limite supérieure de la normale — a été indépendamment associée à un doublement du risque de mortalité. Des travaux ont d’ailleurs démontré que, pour chaque hausse supplémentaire de 1 mg/dL de la phosphatémie moyenne, le risque relatif de mortalité augmente de 6 %3.

Figure 1. Chélat
eur non calcique : contribution à l’apport hebdomadaire de calcium

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Une surcharge calcique majore le risque d’événement coronarien

L’exposition au Ca contenu dans le dialysat est un facteur aggravant. Comme le fait observer le Dr Bryan Kestenbaum, University of Washington School of Medicine, Seattle, dans un éditorial, l’insuffisance rénale terminale (IRT) se caractérise par une rupture de l’homéostasie du Ca, ce qui perturbe la minéralisation du squelette et abolit l’excrétion urinaire du Ca4. Privés de tout moyen d’éliminer l’excès de Ca de leur organisme, les patients en dialyse courent un risque de surcharge calcique importante pouvant résulter à la fois d’un apport excessif en Ca et de l’exposition à une concentration élevée de Ca dans le dialysat.

Cette question pourrait n’avoir qu’un intérêt théorique si ce n’était des études qui indiquent qu’un score calcique très élevé (=1000) à la tomodensitométrie à faisceaux d’électrons (TFE) expose à un risque notable d’événement coronarien, même en l’absence d’une IRC. Comme le rapportent Wayhs et al.5, on a comparé prospectivement l’atteinte de paramètres cliniques majeurs, définis comme un infarctus du myocarde (IM) ou la mort d’origine coronarienne, chez 98 sujets asymptomatiques ayant subi une évaluation en TFE et chez des témoins historiques qui présentaient des anomalies sévères en imagerie de la perfusion myocardique.

Après un suivi d’une durée moyenne de 17 mois, 36 % des sujets de la cohorte asymptomatique avaient atteint un paramètre clinique majeur et il apparaissait que la présence initiale d’un score calcique élevé augmentait fortement la probabilité de tels événements. Le taux annualisé d’événements chez les sujets asymptomatiques ayant un score calcique d’au moins 1000 était aussi significativement plus élevé que chez les témoins historiques présentant des anomalies de perfusion sévères (25 % vs 7,4 %, respectivement; p<0,0001).

Raggi et al.6 ont pour leur part comparé des patients dialysés qui présentaient des signes cliniques d’athérosclérose avec d’autres qui en étaient exempts, et ont déterminé les corrélats de l’étendue des calcifications vasculaires et valvulaires à l’aide de techniques statistiques validées. Dans cette étude transversale, 205 patients poursuivant une hémodialyse d’entretien ont subi une évaluation initiale en TFE qui a mis en évidence un score de Ca coronarien médian de 595 — ce qui, dans la population générale, correspond à un risque élevé de maladie coronarienne, comme le notent les auteurs. Ce score s’est révélé directement et significativement lié à la prévalence de l’IM et de l’angine (p<0,0001 pour les deux paramètres), tandis que le score de Ca aortique était directement associé à la prévalence de la claudication (p=0,001) et de l’anévrisme de l’aorte (p=0,02).

Conformément au phénomène d’«épidémiologie paradoxale» observé dans l’IRC, ni la cholestérolémie totale, ni les taux de C-LDL et de C-HDL, ni la triglycéridémie n’étaient significativement liés à l’étendue des calcifications coronariennes dans cette cohorte de sujets hémodialysés. En revanche, la durée de la dialyse était significativement associée à la prévalence des calcifications valvulaires, ce qui laisse supposer que la calcification des artères coronaires est fréquente, sévère et significativement associée à la maladie CV ischémique chez les patients adultes en IRT, probablement du fait de la perturbation du métabolisme minéral provoquée par l’IRT, comme le pensent les auteurs.

Réduire la phosphatémie, le score de calcification et le risque d’événement

Les patients peuvent présenter des signes de calcification vasculaire avant le stade d’IRT. Selon Block et al.7, tel est le cas des deux tiers des patients qui amorcent une hémodialyse, et c’est également dans ce groupe que les calcifications sont le plus susceptibles de progresser par la suite. Fait intéressant, les investigateurs ont en outre observé que, tout au long de leur étude, il n’y avait pas eu de progression chez les patients qui ne présentaient pas de signes de calcification au début de l’hémodialyse.

Russo et al.8 ont également suivi 53 patients présentant une IRC de stade 3 à 5 mais n’ayant pas encore amorcé de dialyse. Après 24 mois de suivi, ils ont constaté que la phosphatémie était la seule variable associée à la progression des calcifications coronariennes, qui était importante chez ces patients en prédialyse. Le nombre d’événements CV mortels et non mortels était également plus élevé chez ces patients que chez des sujets témoins sans altération de la fonction rénale.

Retombée possible de ces résultats et de données connexes, l’utilisation de chélateurs de phosphate pour traiter l’hyperphosphatémie chez les patients présentant une IRC de stade 4 est recommandée depuis peu aux États-Unis. Dans les cas d’IRC de stade 3 et 4, la K/DOQI recommande de maintenir la phosphatémie entre 0,87 et 1,49 mmol/L (2,7 et 4,6 mg/dL).

D’autre part, on ne sait pas encore si la diminution des scores de calcification coronarienne obtenue sous l’effet des chélateurs de phosphate est associée ou non à une réduction de la mortalité, les données actuelles étant contradictoires. Par exemple, Block et al.9 ont constaté que le traitement au moyen d’un chélateur de phosphate non calcique était associé à un gain de survie significatif chez 127 patients qui avaient reçu du sevelamer, polymère anionique, plutôt qu’un chélateur à base de Ca.

Après un suivi d’une durée médiane de 44 mois, 34 décès étaient survenus au total :23 dans le groupe chélateur calcique et 11 dans le groupe chélateur non calcique (taux de mortalité : 5,3/100 années-patients vs 10,6/100 années-patients, respectivement, p=0,05). Là encore, les scores de calcium coronarien initiaux étaient un facteur prédictif significatif de la mortalité, la hausse de la mortalité étant proportionnelle aux scores calciques initiaux (p=0,002). En revanche, on n’a pas observé de gain de survie lors de l’étude DCOR (Dialysis Clinical Outcomes Revisited), au cours de laquelle plus de 2100 patients dialysés ont reçu un chélateur sans Ca ou un chélateur calcique10. Cela dit, le sevelamer a réduit la mortalité de 23 % chez les patients de l’étude DCOR qui étaient âgés de =65 ans, comparativement à ceux qui avaient reçu un chélateur calcique, et le nombre d’hospitalisations de même que la durée des hospitalisations tendaient à être moins élevés dans ce groupe sous chélateur non calcique. Le sevelamer a également freiné la progression des calcifications coronariennes et aortiques comparativement au chélateur calcique lors de l’étude Treat-to-Goal et de sa prolongation menées par Chertow
;/sup>(Figure 2).

Figure 2. Risque relatif d’hospitalisation toutes causes confondues et cause par cause

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Bien que les deux chélateurs de phosphate aient autorisé une réduction similaire de la phosphatémie lors de l’étude Treat-to-Goal, l’hypercalcémie était plus fréquente dans le groupe chélateur calcique que dans le groupe chélateur non calcique (16 % vs 5 %, p=0,04), et un plus grand nombre de patients du premier groupe que du second présentaient, au terme de l’étude, un taux de PTH intacte en deçà des valeurs cibles de 15,8 à 31,6 mg/mL (150 à 300 pg/mL) (57 % vs 30 %, p=0,001). Plus près de notre propos, notons également que les scores calciques absolus médians dans les artères coronaires et l’aorte ont augmenté significativement dans le groupe Ca, mais pas dans le groupe sevelamer (artères coronaires : 36,6 vs 0, p=0,03 et aorte : 75,1 vs 0, p=0,01, respectivement). De même, comparativement au chélateur sans Ca, le chélateur calcique était associé à une variation médiane en pourcentage du score de Ca coronarien (25 % vs 6 %, p=0,02) et du score de Ca aortique (28 % vs 5 %, p=0,02) significativement plus importante. Fait intéressant, Asmus et al.12ont par ailleurs constaté que, deux ans après la randomisation, la densité osseuse tant trabéculaire que corticale avait augmenté dans le groupe sevelamer alors que la densité osseuse avait diminué dans le groupe Ca (p<0,05).

La possibilité d’interrompre la progression des calcifications vasculaires en limitant l’utilisation des chélateurs de phosphate calciques n’est pas corroborée par toutes les études. Selon les résultats que viennent de publier Qunibi et al.13, les scores de calcification coronarienne mesurés à un an chez des patients dialysés qui présentaient des calcifications coronariennes connues au départ ont augmenté en moyenne de 35 % dans le groupe acétate de Ca vs 39 % dans le groupe sevelamer, même si les deux groupes recevaient par ailleurs un traitement hypolipidémiant intensif par une statine. Toutefois, le bien-fondé de cette étude précise apparaît comme discutable à Kestenbaum, auteur d’un éditorial relié à l’article; celui-ci invoque d’une part le peu de données indiquant que le taux de C-LDL contribue vraiment à la calcification des artères coronaires, qu’il y ait ou non IRC, et d’autre part, le fait que, au moins chez les patients en hémodialyse, les taux de C-LDL ne sont pas associés à l’apparition de calcifications coronariennes ni à leur progression. Comme il le souligne également, on n’a pas encore trouvé de traitement efficace contre les calcifications vasculaires et, en attendant, les néphrologues doivent continuer de tenter du mieux qu’ils peuvent de réduire la phosphatémie, tout en reconnaissant qu’une charge calcique excessive comporte le risque d’engendrer des calcifications dystrophiques.

Résumé

La K/DOQI recommande la réduction intensive de la phosphatémie chez les patients souffrant d’IRC, mais les études indiquent que moins de 30 % des patients dialysés parviennent à atteindre les valeurs cibles suggérées. L’éducation des patients pourrait aider à améliorer l’observance du traitement au moyen de chélateurs de phosphate. Cela dit, dans les conditions de la pratique actuelle, la majorité des patients doivent prendre un nombre élevé de comprimés pour obtenir une maîtrise suffisante de la phosphatémie, ce qui nuit à l’observance. Bien que certaines études laissent à penser que les chélateurs de phosphate — et notamment les composés sans Ca— peuvent réduire le risque CV découlant de la calcification des tissus mous et des vaisseaux, des mesures appropriées doivent parallèlement être prises en matière de réglementation pour garantir l’accès à des chélateurs plus efficaces et bien tolérés aux patients présentant une hyperphosphatémie.

Références :

1. Cheunq et al. Kidney Int 2000;58:353-62.

2. Rodríguez-Benot et al. Am J Kidney Dis 2005;46:68-77.

3. Kestenbaum et al. J Am Soc Nephrol 2005;16:520-8.

4. Kestenbaum B. Am J Kidney Dis 2008;51:877-9.

5. Wayhs et al. J Am Coll Cardiol 2002;39:225-30.

6. Raggi et al. J Am Coll Cardiol 2002;39:695-701.

7. Block et al. Kidney Int 2005;68:1815-24.

8. Russo et al. Am J Nephrol 2007;27:152-8.

9. Block et al. Kidney Int 2007;71:438-41.

10. St Peter et al. Am J Kidney Dis 2008;51:445-54.

11. Chertow et al. Kidney Int 2002;62:245-52.

12. Asmus et al. Nephrol Dial Transplant 2005;20:1653-61.

13. Qunibi et al. Am J Kidney Dis 2008;51:952-65.

ARGUMENTS EN FAVEUR D’UN CHÉLATEUR DE PHOSPHATE NON CALCIQUE PUISSANT

Commentaire éditorial :

Denis Ouimet, MD, FRCPC

Professeur agrégé de médecine clinique, Université de Montréal, Néphrologue, Hôpital Maisonneuve-Rosemont, Montréal (Québec)

Les études randomisées ouvertes créditent tous les chélateurs de phosphate d’une efficacité égale pour maîtriser l’hyperphosphatémie, bien que le nombre de comprimés à prendre pour atteindre les taux cibles puisse différer considérablement d’un agent à l’autre. Les premiers chélateurs contenaient de l’aluminium et sont effectivement de très puissants chélateurs du phosphore alimentaire. Malheureusement, ils augmentent notablement la quantité normale d’aluminium absorbée par l’intestin. Cette charge aluminique doit être éliminée par un rein fonctionnel, si bien que, chez les patients en dialyse, un excès d’aluminium s’accumule avec le temps, ce qui accroît le risque d’ostéomalacie et de démence. Bien que les chélateurs à base d’aluminium soient actuellement l’option la moins intéressante, les contraintes de remboursement nous forcent à utiliser encore assez souvent ces agents puissants, quoique à des posologies réduites. Les préoccupations concernant le risque de bilan calcique positif associé aux chélateurs à base de calcium ayant été discutées ailleurs dans la présente publication, nous nous intéresserons dans les lignes qui suivent à l’innocuité et à la commodité des deux chélateurs non calciques actuellement sur le marché : le chlorhydrate de sevelamer et le carbonate de lanthanum.

Effets gastro-intestinaux, hépatiques, rénaux et osseux

Premier chélateur de phosphate sans Ca ni aluminium introduit sur le marché, le sevelamer offre un profil de toxicité nettement plus acceptable que ses prédécesseurs calciques ou aluminiques. Toutefois, il ne fixe pas très bien le phosphate (P) et d’autant moins efficacement que le pH intestinal est faible, ce qui suppose un nombre élevé de comprimés à prendre pour maintenir la phosphatémie dans les valeurs normales. De plus, le HCl de sevelamer se lie aux sels biliaires, ce qui peut nuire à l’absorption des vitamines liposolubles, et est associé à un certain risque d’acidose métabolique ou d’exacerbation de cette anomalie.

Bien que l’aluminium et le carbonate de lanthanum soient tous deux des cations trivalents fixant des anions trivalents, dont le P, ce sont deux métaux très différents. Comparé à l’aluminium, le carbonate de lanthanum est cinq fois plus lourd, son absorption intestinale est 50 fois moins importante et ses concentrations sanguines normales sont également environ 20 fois moins élevées. La forte affinité du lanthanum pour les ions P se traduit par des interactions médicamenteuses minimes. Contrairement au sevelamer, l’action du carbonate de lanthanum n’est pas influencée par le pH gastro-intestinal1. Son excrétion se fait principalement par la voie endosomale-lysosomale hépatobiliaire et est donc indépendante de la fonction rénale. De ce fait, le lanthanum n’expose pas les patients atteints d’une insuffisance rénale chronique (IRC) plus ou moins sévère à une augmentation croissante de ses concentrations sanguines, comme le font les chélateurs aluminiques.

Le carbonate de lanthanum étant en grande partie éliminé par voie biliaire (80 %) [quelque 13 % du composé est éliminé par transport direct au travers de la paroi intestinale], les concentrations hépatiques augmentent durant les premières semaines du traitement. Toutefois, avec la poursuite du traitement, les concentrations atteignent un état d’équilibre dans le sang et le foie, du fait que la quantité de chélateur passant de la circulation sanguine aux hépatocytes est égale à la quantité ensuite excrétée dans les voies biliaires.

Selon Hutchinson et al.2, le traitement prolongé n’a été associé à aucune hépatotoxicité clinique ou biologique. Au total, 93 patients ayant reçu du carbonate de lanthanum pendant une période pouvant atteindre quatre ans lors d’études préalables étaient admissibles à une prolongation de deux ans. Aucun effet indésirable hépatique ni aucune variation des taux de transaminases ou de bilirubine d’importance clinique n’ont été observés au cours de cette utilisation d’une durée maximale de six ans.

Bien que les affections hépatiques sévères soient plutôt rares chez les patients dialysés, l’emploi du carbonate de lanthanum serait contre-indiqué en cas d’hyperphosphatémie et de cirrhose concomitantes.

Il se produit une certaine accumulation diffuse, aléatoire et limitée du carbonate de lanthanum dans les os, mais le lanthanum ne se loge pas spécifiquement dans la zone de la calcification, comme c’est le cas de l’aluminium qui se trouve ainsi à perturber la minéralisation et le remodelage osseux. Au cours de la minéralisation, le lanthanum s’intègre au réseau d’apatites d’une manière analogue au fluorure, et ne semble pas entraver le processus de minéralisation osseuse. Dans les modèles animaux, il est possible de guérir l’ostéomalacie et de prévenir l’ostéodystrophie rénale malgré la présence de lanthanum dans les os.

Chez l’humain, des études cliniques comportant la réalisation de biopsies osseuses appariées plaident en faveur d’un bénéfice thérapeutique du carbonate du lanthanum sur le plan osseux. D’Haese et al.3 ont ainsi montré que, comparativement au carbonate de Ca, le traitement par le carbonate de lanthanum pendant un an avait autorisé une amélioration significative de l’histologie osseuse, et notamment une réduction du nombre de cas évoluant vers une ostéopathie adynamique. Malluche et al.4 ont pour leur part constaté une augmentation du remodelage osseux après un an de même qu’une augmentation du volume osseux après deux ans de traitement par le carbonate de lanthanum, comparé au traitement standard. Cette amélioration s’est vérifiée malgré un accroissement de la teneur des os en lanthanum au fil du temps, de l’ordre de 1 µg/g/an5.

Selon les résultats des essais et de la prolongation ouverte couvrant un suivi maximal de six ans rapportés par Hutchinson et al.2, les concentrations sériques de Ca, de parathormone (PTH), de phosphatases alcalines osseuses et d’ostéocalcine sont en général demeurées stables tout au long du traitement.

Effets indésirables

L’exposition croissante au carbonate de lanthanum n’a entraîné aucun nouvel effet indésirable (EI) ni aucune augmentation inattendue de l’incidence des EI durant le suivi d’une durée maximale de six ans. Environ le quart des patients ont subi des EI considérés comme liés au traitement, les principaux d’entre eux étant les nausées, la diarrhée et la flatulence. L’intolérance digestive est un effet fréquent de tous les chélateurs de phosphate (Figure 1).

Contrairement aux chélateurs aluminiques, le carbonate de lanthanum ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique. Au vu des résultats d’une série de tests sur la fonction cognitive rapportés par Altmann et al.6, il n’a pas d’effet cognitif.

On peut donc dire que le carbonate de lanthanum possède un bon profil d’innocuité et semble être raisonnablement bien toléré par la majorité des patients ayant besoin d’un chélateur de phosphate.

Déterminants de l’adhésion au traitement

Le risque de morbimortalité associé à l’hyperphosphatémie au stade de dialyse et de prédialyse est bien documenté. Sa présence peut provoquer ou traduire une aggravation du processus morbide. Elle peut favoriser l’apparition de calcifications ectopiques néfastes au pronostic clinique et vital dans les tissus mous, les artères et les valves cardiaques, et peut aussi être un marqueur de substitution de l’inobservance de diverses com
de suppléance rénale.

Figure 1. Absence d’EI nouveaux ou inattendus en fonction de l’exposition croissante au composé au cours du traitement prolongé

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Lors d’une revue systématique de la prévalence et des déterminants de la non-adhésion au traitement par un chélateur de phosphate chez des patients atteints d’insuffisance rénale chronique (IRC) au stade terminal, Karamanidou et al.7 ont répertorié 34 études répondant aux critères d’inclusion; le taux de non-adhésion mis en évidence dans 13 d’entre elles variait entre 22 et 74 % (moyenne de 51 %), les écarts entre les études découlant en partie des différentes définitions et modalités d’évaluation de l’adhésion retenues.

Même si on ne s’est pas attardé sur les facteurs susceptibles d’expliquer ces taux élevés de non-adhésion dans ces études, la quantité de comprimés consommée par les patients dialysés apparaît comme un déterminant fondamental. Comme le font observer Hutchinson et al.8, les patients dont l’IRC est au stade 5 peuvent avoir plus de 10 médicaments différents à prendre chaque jour. Ordinairement, on peut s’attendre à ce que la charge de comprimés corresponde au double ou au triple du nombre total de médicaments prescrits par jour, ce qui peut non seulement être une source de confusion pour le patient, mais est de toute évidence accablant. Cela s’applique particulièrement aux chélateurs à base de calcium et au chlorhydrate de sevelamer que l’on doit prendre à raison d’environ trois comprimés par repas pour atteindre les cibles de la Kidney Disease Outcomes Quality Initiative (K/DOQI) de la National Kidney Foundation7. Il s’agit de la moyenne observée dans les essais cliniques, mais le nombre de comprimés est souvent beaucoup plus élevé.

La préparation actuelle de carbonate de lanthanum contient jusqu’à 1000 mg de chélateur actif par comprimé, de sorte que la plupart des patients abaissent leur phosphatémie et atteignent les cibles de la K/DOQI en prenant un seul comprimé à chaque repas. C’est ce qu’ont démontré Hutchinson et al.8 dans une étude qui visait à déterminer quelle dose de carbonate de lanthanum en monothérapie procurerait la même maîtrise que le chélateur ou l’association de chélateurs antérieur(e).

Lors de cet essai ouvert, le traitement a été amorcé à une dose de 1500 mg/jour répartie également entre les repas, puis augmentée de 750 mg/jour une fois par semaine en vue d’obtenir un équilibre optimal de la phosphatémie. Les patients pouvaient recevoir une dose maximale de 3000 mg/jour à compter de la troisième semaine et de 4500 mg/jour à compter de la cinquième semaine.

Le paramètre d’évaluation principal était le pourcentage de patients atteignant les cibles établies par la K/DOQI pour la phosphatémie. Au moment de la présélection, avant la période d’observation sans aucun chélateur, environ 35 % des patients atteignaient les cibles de la K/DOQI. Ce pourcentage est passé à 48 % en 12 semaines de monothérapie par le carbonate de lanthanum. Chez les patients dont la phosphatémie se situait entre 1,13 et 1,78 mmol/L à la 12e semaine, plus de 77 % recevaient une dose =3000 mg/jour du composé. Chez les patients dont l’hype
pas maîtrisée par le ou les chélateurs antérieurs, quelque 26 % ont atteint les valeurs cibles avec le carbonate de lanthanum (Figure 2).

Figure 2. Hyperphosphatémie après 12 semaines de monothérapie

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Comme Hutchinson et ses collègues l’ont indiqué, de nombreux néphrologues ont tendance à associer les chélateurs de phosphate pour essayer d’améliorer l’efficacité, mais cette stratégie pourrait être contre-productive dans la mesure où elle ne fait que compliquer le traitement et rendre l’observance plus difficile. Bien que cet aspect n’ait pas été évalué dans cette étude, la réduction du nombre de comprimés pourrait améliorer l’observance.

Dans le dessein d’éviter les effets toxiques bien documentés qui sont associés à la surcharge calcique, nous allouons actuellement des ressources financières considérables aux solutions de rechange aux chélateurs de phosphate calciques. Toutefois, si on opte pour un autre type de chélateur qui coûte cher, possède une faible activité et nécessite la prise d’un nombre élevé de comprimés, le risque d’inobservance est considérable. Un tel chélateur n’offrirait certainement pas un bon rapport coût-efficacité chez les patients qui ne peuvent se conformer au traitement. À l’inverse, un chélateur de phosphate aussi cher mais plus puissant — et donc beaucoup moins contraignant quant au nombre de comprimés — améliorerait les chances d’observance et serait, à terme, plus efficient.

Résumé

Dans la prise en charge de l’hyperphosphatémie, nous dépendons trop souvent des chélateurs de phosphate calciques ou du chlorhydrate de sevelamer en raison de contraintes de remboursement. Pourtant, nous n’atteignons que rarement les cibles de la K/DOQI, insuccès qui tient au moins en partie à la complexité des schémas posologiques de ces chélateurs. Avec un chélateur de phosphate plus puissant permettant de réduire le nombre de comprimés nécessaire, l’atteinte des cibles de la K/DOQI serait facilitée. L’ajout de l’option du carbonate de lanthanum, qui allège la posologie à un seul comprimé trois fois par jour, pourrait permettre d’améliorer l’adhésion et, par ricochet, le rapport coût-efficacité.

Références :

1. Autissier et al. J Pharmaceutical Sciences 2007; 96(10):2818-27.

2. Hutchinson et al. Nephron Clin Pract 2008;110(1): C15–C23.

3. D’Haese et al. Kidney Int 2003;63(suppl 85):S73-S78.

4. Malluche et al. Clin Nephrol 2008;70:284-95.

5. Bronner et al. Clin Pharmacokinet 2008;47(8):543-52.

6. Altmann et al. Kidney Int 2007;71:252-9.

7. Karamanidou et al. BMC Nephrol 2008;9:2.

8. Hutchinson et al. Nephrol Dial Transplant 2008; 23(11):3677-84.

LEÇONS PRATIQUES POUR LE NÉPHROLOGUE PRATICIEN

Commentaire éditorial :

Rob Horne, PhD

Professeur de médecine comportementale, Directeur, Centre for Behavioural Medicine, Département des pratiques et politiques, Faculté de pharmacie, University of London, Londres, Royaume-Uni

Une étude récente1 a confirmé l’hypothèse voulant que la maîtrise soutenue des troubles du métabolisme minéral et osseux chez les patients en hémodialyse améliore notablement l’issue, comme on l’a déjà indiqué dans la présente publication. Des traitements efficaces peuvent remédier aux déséquilibres minéraux et osseux accompagnant l’insuffisance rénale chronique (IRC). Toutefois, le bénéfice escompté est compromis par une mauvaise observance. Dans les lignes qui suivent, nous examinerons les raisons de l’inobservance et leur incidence sur les interventions pour aider les patients à retirer le maximum de bienfaits des médicaments.

Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (WHO «Adherence to long-term therapies — evidence for action». Genève : OMS, 2003), environ 50 % des médicaments prescrits pour le traitement d’affections chroniques ne sont pas pris correctement. L’IRC ne fait pas exception. Une revue récente de données sur l’adhésion au traitement par un chélateur de phosphate a fait ressortir un taux moyen de non-adhésion de 51 % dans 13 études2. Une disparité importante a toutefois été constatée entre les études (taux de 22 à 74 %), en partie à cause des différentes définitions et méthodes de mesure de l’inobservance utilisées. Si la prescription est appropriée, pareil taux d’inobservance est préoccupant à la fois pour ceux qui fournissent, reçoivent ou financent les soins de santé, car il implique non seulement un gaspillage de ressources mais également un bénéfice thérapeutique raté. Malheureusement, en dépit du coût élevé de l’inobservance pour le patient lui-même et la société, les interventions efficaces demeurent imprécises3, étant donné les lacunes inhérentes à leur élaboration et à leur évaluation4. Cela dit, les études menées au cours des dix dernières années nous ont aidés à mieux comprendre les raisons de la non-adhésion et les pistes à explorer pour concevoir des interventions plus habiles et plus efficaces, l’objectif ultime étant de fournir aux patients le meilleur traitement qui soit et que le patient adhère de façon optimale à des prescriptions appropriées5.

Causes de l’inobservance : déboulonnons les mythes!

Le type de maladie ou sa sévérité n’ont pas d’influence significative sur l’inobservance, dont le taux noté pour 17 affections se situait entre 25 et 30 %6. En outre, s’il est essentiel d’informer clairement le patient, cela ne garantit pas son adhésion au traitement. De même, une pléthore d’études n’ont pu établir d’association nette et constante entre l’observance et des variables sociodémographiques telles que le sexe et l’âge chez des adultes7. L’observance est directement corrélée avec le revenu lorsque le patient paie pour le traitement8,9,10,11, mais non avec le statut socioéconomique général7. L’adhésion au traitement est souvent moins optimale lorsque le schéma thérapeutique est compliqué, mais le fait de réduire la fréquence des doses ne résout pas nécessairement le problème12. Le rôle des traits de personnalité soulève des doutes. Même si on avait décelé des associations stables entre l’adhésion au traitement et les caractéristiques sociodémographiques ou les traits de caractère, ces informations permettraient de reconnaître certains groupes «à risque» et ainsi de cibler nos interventions, mais elles n’auraient guère de pertinence pour en définir le type ou le contenu. Le pari à tenir, dans l’élaboration d’interventions pour améliorer l’observance, est de mettre au jour des causes modifiables plutôt que des caractéristiques fixes qui ne le sont pas. En somme, la notion de «patient inobservant» est un mythe : la plupart d’entre nous sommes inobservants à nos heures. Il est donc beaucoup plus juste de considérer l’inobservance comme un comportement variable.

L’inobservance, un comportement variable tantôt volontaire, tantôt involontaire

L’inobservance procède de multiples causes mais peut être divisée en deux classes qui se chevauchent : l’inobservance volontaire ou involontaire (Figure 1). Elle est involontaire lorsque l’intention de prendre le médicament existe, mais est contrecarrée par différents obstacles tels que l’oubli ou une mauvaise compréhension des instructions, des difficultés à s’administrer le traitement ou le simple oubli de se traiter. Elle est intentionnelle ou volontaire lorsque le patient décide de ne pas suivre les recommandations de traitement. Cela nous amène à considérer deux enjeux : les ressources et la motivation. L’inobservance involontaire est liée à des prob
ans le cas de l’inobservance volontaire, il est essentiel d’examiner les processus qui influencent la motivation à commencer et à poursuivre un traitement, telles les croyances et les préférences du patient.

Figure 1. Inobservance du traitement

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Ce modèle simple explique l’efficacité limitée des interventions pour améliorer l’observance qui reposent sur l’information ou l’«éducation».

Pour que l’information reçue modifie le comportement, elle doit concorder avec nos croyances profondes ou bien les changer. Mais, quelles sont les principales croyances qui influencent l’adoption d’un médicament et l’adhésion au traitement? Au cours des 15 dernières années, mes collègues et moi avons étudié cette question. L’un de nos objectifs était de définir un cadre de travail clair qui résumerait les principales croyances ayant une influence, indépendamment du profil clinique, sociodémographique et culturel.

Principales croyances au sujet des médicaments qui influencent l’observance du traitement : le cadre théorique Nécessité/Craintes

Le cadre Nécessité/Craintes (N/C) est un modèle théorique de croyances liées à l’observance expressément axé sur la prise de médicaments13. Il postule que la motivation à entreprendre un traitem
crit et à le poursuivre est influencée par la perception qu’a une personne de la nécessité du médicament pour maintenir sa bonne santé actuelle et future en regard de ses craintes quant aux effets indésirables possibles (Figure 2).

Figure 2. Modèle théorique : Croyances sur les médicaments

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Les études effectuées dans des pathologies très diverses, y compris l’asthme14,15, la néphropathie16,2, la transplantation rénale17, le diabète, le cancer et la maladie coronarienne18, le trouble bipolaire19, l’hypertension20, la dépression21,22, le VIH/SIDA23,24, la polyarthrite rhumatoïde25 et l’hémophilie26, font toutes ressortir un lien entre un faible taux d’adhésion au traitement et la présence d’un doute quant à la nécessité personnelle du médicament et de craintes concernant d’éventuels effets indésirables. Une méta-analyse de plus de 30 études évaluées par des pairs confirme l’utilité du cadre N/C pour opérationnaliser les principales croyances sur les médicaments influençant l’observance pour diverses catégories thérapeutiques, culturelles, sociodémographiques et nationales27.

Origines générales des croyances quant à la nécessité et des craintes

Le doute quant à la nécessité du traitement et la crainte d’effets indésirables possibles sont des déterminants modifiables de l’observance. Toutefois, pour agir sur ces paramètres, il est nécessaire de comprendre leur origine. Les recherches montrent que l’appréciation de la nécessité du traitement et des craintes qu’il inspire découle parfois d’idées fausses concernant la maladie et les bienfaits et risques probables du traitement15,24.

Croyances sur la nécessité des médicaments

Les patients ne suivent pas passivement les conseils thérapeutiques même s’ils proviennent de cliniciens reconnus. La plupart des personnes évaluent plutôt le conseil donné et décident s’il est approprié pour elles, en fonction de leur compréhension de la maladie et du traitement. Or, on a observé que cette étape d’évaluation est souvent le point de départ d’un problème d’adhésion. Pour être convaincu du besoin personnel d’un traitement médicamenteux continu, il faut au préalable percevoir une bonne adéquation entre le problème (maladie ou état) et la solution (médicament).

Les perceptions fondamentales des patients face à la maladie influencent leurs croyances quant à la nécessité du traitement13. La perception des symptômes et les attentes sont des éléments centraux. Avant l’éventuelle survenue d’une affection chronique, notre expérience de l’état de maladie est essentiellement symptomatique et aiguë. Nous savons que nous sommes malades parce que nous éprouvons des symptômes. Nous savons que nous allons mieux quand les symptômes disparaissent. Ces représentations qui font que nous associons symptômes et maladie sont inscrites en nous lorsque nous avons à faire face à une affection chronique. Pour beaucoup de maladies chroniques, la justification médicale du traitement d’entretien repose sur un modèle prophylactique. Les bienfaits du traitement sont souvent silencieux et ne se mesurent qu’à long terme. Cette logique peut aller complètement à l’encontre de notre modèle intuitif basé sur l’équation «pas de symptômes, pas de problème»28. En outre, l’oubli de doses ne se traduit pas nécessairement par une aggravation immédiate des symptômes, ce qui vient renforcer la perception (erronée) selon laquelle une adhésion stricte au traitement n’est peut-être pas nécessaire15. De fait, les gens cessent souvent de prendre leur médicament lorsqu’ils jugent que leur état s’est amélioré. Ces jugements s’appuient souvent sur des perceptions potentiellement trompeuses concernant les symptômes plutôt que sur des marqueurs cliniques objectifs de la sévérité de la maladie24.

Les craintes qu’inspirent les médicaments sont souvent liées à des «idées reçues» sur la nature des substances pharmaceutiques comme modalité thérapeutique29. Les enquêtes sur les croyances générales concernant les médicaments révèlent que beaucoup de gens sont méfiants à l’égard des médicaments et de l’industrie pharmaceutique. Ils ont tendance à mettre tous les médicaments dans le même sac13. Alors que les bienfaits des médicaments sont souvent tenus pour acquis, l’accent est mis sur leurs effets négatifs potentiels. Selon cette vision, les médicaments sont souvent vus comme des substances toxicomanogènes intrinsèquement nuisibles qui sont surutilisées par les médecins et le système de santé29.

Implications pour l’élaboration d’interventions efficaces

Le cadre N/C fournit un modèle pour l’élaboration d’interventions. Les relations systématiquement observées entre l’adhésion au traitement et les croyances sur les médicaments (croyances quant à la nécessité du traitement et craintes) elles-mêmes issues de conceptions erronées de la maladie — et des bienfaits et risques probables du traitement — représentent une plate-forme pour l’élaboration d’interventions éducatives. J’ai pro
aluation individualisée des obstacles perceptuels et pratiques à l’observance qui fait notamment appel au cadre N/C et vise à faciliter l’adhésion éclairée du patient au traitement (Figure 3).

Figure 3. Démarche d’évaluation des obstacles perceptuels et pratiques en vue de faciliter l’adhésion éclairée du patient au traitement

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Les efforts pour soutenir l’observance seront vraisemblablement plus fructueux si l’on tient compte des perceptions et des craintes susceptibles d’entrer en jeu (p. ex., l’influence des croyances du patient quant à la nécessité du traitement sur sa motivation à le commencer et à le poursuivre), de même que des obstacles pratiques à la prise correcte des médicaments (p. ex., limites fonctionnelles ou manque de ressources). En premier lieu, il faut expliquer au patient les raisons pour lesquelles il a besoin du traitement d’une façon compréhensible et en faisant appel au «bon sens». Le cas des chélateurs de phosphate illustre très bien ce point, car un grand nombre de patients ne saisissent pas clairement pourquoi il est important de normaliser leur phosphatémie ou en quoi les chélateurs de phosphate peuvent les aider, comme l’ont démontré Riley et al.30 Il faut aider le patient à voir une correspondance étroite entre le problème (hyperphosphatémie non maîtrisée) et la situation (adhésion au traitement par le chélateur de phosphate), et lui fournir une explication convaincante de la nécessité du maintien du traitement, même lorsqu’il ne soulage pas les symptômes.

En deuxième lieu, le clinicien doit éclaircir les craintes du patient à l’égard du médicament et l’aider à faire un choix de traitement éclairé qui repose sur la compréhension des risques et des avantages éventuels des options s’offrant à lui, plutôt que sur des idées ou des croyances potentiellement erronées au sujet de la maladie et du traitement.

En troisième et dernier lieu, il est important d’évaluer les obstacles pratiques qui pourraient nuire à l’observance et de rendre le schéma de traitement aussi commode et facile à suivre que possible.

Ce processus de soutien à l’adhésion doit être mis en œuvre non seulement au début du traitement mais tout au long du suivi, étant donné que les croyances, l’observance et les besoins en matière de soutien peuvent changer au cours du temps. Bien qu’une telle démarche puisse demander plus de temps à court terme, elle sera probablement payante à long terme en raison des gains obtenus sur les plans de l’issue et de l’efficience. En outre, d’autres membres de l’équipe clinique, en particulier le pharmacien, peuvent contribuer à soutenir l’adhésion, épargnant ainsi le temps du médecin.

Résumé

La non-adhésion fait obstacle à l’optimisation des résultats du traitement de l’IRC. C’est bien sûr un problème de taille, mais on ne doit pas considérer qu’il est du ressort du patient. Il est plutôt le reflet d’une lacune fondamentale dans la prestation des soins, lacune qui découle souvent d’un manque de concertation au moment de la prescription du traitement et du défaut de donner au patient l’aide dont il a besoin par la suite. Le clinicien a le devoir d’aider le patient à prendre des décisions éclairées au sujet de son traitement et à utiliser les médicaments prescrits de façon appropriée afin d’en tirer le maximum. Pour remédier à la non-adhésion, on ne doit pas blâmer le patient, mais bien l’encourager à discuter de l’utilisation de ses médicaments et à communiquer ses doutes ou ses craintes au sujet du traitement. Les efforts déployés pour favoriser l’observance seront d’autant plus efficaces qu’ils seront adaptés aux besoins du patient et qu’ils tiendront compte des facteurs perceptuels (p. ex., les croyances et les préférences) qui influent sur la motivation du patient à amorcer et à poursuivre son traitement et des facteurs pratiques qui influent sur sa capacité à adhérer au traitement sélectionné. Une démarche concertée où interviennent les médecins, les pharmaciens et le personnel infirmier est essentielle non seulement au moment où le traitement est prescrit, mais aussi régulièrement pendant le suivi, car les perceptions, les aptitudes et l’adhésion peuvent changer au cours du temps.

Références :

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