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Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - Congrès mondial de néphrologie

Milan, Italie / 22-26 mai 2009

L’espérance de vie d’un patient dialysé se compare à celle d’une femme atteinte d’un cancer de l’ovaire, cancer dont le pronostic est parmi les plus sombres. Des statistiques américaines peut-être encore plus accablantes montrent que l’insuffisance rénale chronique (IRC) de stade 3 ou 4 est 20 fois plus susceptible d’évoluer vers la mort que vers la dialyse.

De l’avis du Dr Geoffrey Block, directeur de la recherche clinique, Denver Nephrology, Colorado, ce phénomène tient en partie au peu d’importance que l’on accorde à la maîtrise de la phosphatémie aux premiers stades de l’IRC. Même si la phosphatémie est un marqueur peu sensible de l’homéostasie du phosphate, «nous devrions aspirer au maintien de la phosphatémie sous le seuil de 1,13 mmol/L [3,5 mg/dL] chez tous les patients sans exception, souligne-t-il, si ardu que ce soit.»

Il est actuellement recommandé d’intervenir lorsque la phosphatémie excède 4,6 mg/dL (1,48 mmol/L), fait remarquer le Dr Block. Une telle recommandation incite toutefois le médecin à l’inaction tant que la dialyse ne point pas à l’horizon. Or, lorsque le médecin commence à s’inquiéter de la phosphatémie, celle-ci est en hausse depuis déjà de nombreuses années. Il est alors beaucoup trop tard, estime le Dr Block, car toute perturbation de l’homéostasie du phosphate joue un rôle clé dans la survenue d’événements cardiovasculaires (CV), trop souvent responsables du décès prématuré des patients atteints d’IRC.

«À mon sens, l’augmentation constante de la phosphatémie qui caractérise les premiers stades de l’IRC pendant des années favorise l’apparition de calcifications vasculaires et leur progression, car à mesure que progresse le déclin de la fonction rénale, des calcifications sont décelées chez une proportion toujours plus élevée de patients», explique le Dr Block.

En fait, même lorsque leur phosphatémie demeure dans les limites de la normale, les patients en prédialyse sont parfois porteurs de calcifications coronariennes sévères.

Dans les modèles animaux de l’IRC, on réussit à prévenir totalement les calcifications diffuses chez les sujets recevant une alimentation à forte teneur en gras en réduisant la phosphatémie à l’aide de n’importe quel chélateur de phosphate, calcique ou non calcique, indique le Dr Block.

Pour l’instant, aucun organisme ne recommande une phosphatémie de 1,13 mmol/L, comme le préconise le Dr Block. Cela dit, il s’agit d’un seuil important au-delà duquel des événements morbides commencent à survenir, comme on le voit systématiquement dans la littérature. Dans une vaste étude qui regroupait environ 4000 patients atteints d’une maladie CV, «on a observé une augmentation statistique du risque CV, tous événements confondus, lorsque la phosphatémie excédait 1,13 mmol/L», poursuit le Dr Block. On a obtenu des résultats «presque identiques» chez des patients en IRC; en effet, dès lors que la phosphatémie excède 1,13 mmol/L, «on voit le même lien [avec les événements morbides] qu’on observait chez les patients dialysés il y a 13 ans, à cette différence près qu’on le voit maintenant chez des patients non dialysés», ajoute-t-il.

Chez de jeunes adultes en bonne santé de la cohorte de Framingham qui ont été suivis pendant 20 ans, des chercheurs ont mis en évidence une augmentation de 50 % du risque d’un premier événement vasculaire lorsque la phosphatémie excédait 1,13 mmol/L, note-t-il. L’analyse rétrospective des données de l’essai ABCD réalisé chez des diabétiques de type 2 a objectivé le même phénomène à partir du même seuil. Comme le fait remarquer le Dr Block, on précise aussi dans les guides de pratique que les patients doivent restreindre leur apport alimentaire de phosphore afin de maîtriser leur phosphatémie. Cependant, enchaîne-t-il, les patients ont aussi besoin de protéines. «Jetez un coup d’oeil sur le lien entre l’apport de protéines et celui de phosphore, et vous verrez qu’il est impossible de maintenir l’apport en phosphore sous le seuil de 800 mg/jour tout en consommant suffisamment de protéines», affirme le Dr Block.

De plus, une étude récente portant sur des patients dialysés a fait état de taux de mortalité plus élevés chez les patients qui consommaient moins de protéines, que leur phosphatémie ait été en hausse ou en baisse. «C’est uniquement chez les patients dont l’apport de protéines avait augmenté et dont la phosphatémie avait baissé qu’on a observé un gain de survie; bref, c’est la conduite à tenir», conclut le Dr Block.

Systèmes intégrés

Le Pr Jorge Cannata-Andía, professeur titulaire de néphrologie, Universidad de Oviedo, Espagne, a décrit l’ampleur de l’interdépendance des systèmes osseux et vasculaire. En l’absence d’IRC, le squelette est la principale réserve de phosphate; en cas d’IRC, la charge phosphatée augmente et les os n’arrivent plus à emmagasiner le phosphate. Les os n’étant plus en mesure de séquestrer le phosphate extracellulaire, «les tissus mous servent de réserve secondaire pour l’excédent, d’où la calcification des tissus vasculaires», explique le Pr Cannata-Andía.

Ce lien a été prouvé au sein de la population générale, des études ayant montré que plus le score de calcifications aortiques était élevé, plus la masse osseuse était faible. Chez des patients atteints d’IRC, la tendance à la hausse des calcifications vasculaires et la tendance à la baisse de la minéralisation osseuse que l’on observe avec l’âge sont exacerbées de manière significative. D’ailleurs, plus le score de calcifications aortiques est élevé dans une étude portant sur des patients dialysés, plus l’activité minérale osseuse est faible. Dans un certain nombre d’études sur l’IRC, une faible minéralisation osseuse a été associée à une augmentation des fractures de fragilisation, comme c’est le cas dans la population générale.

Le système vasculaire est la cible de nombreux promoteurs de la calcification, dont la phosphatémie, précise le Pr Cannata-Andía. Dans un modèle animal dont l’alimentation contenait 50 % plus de phosphore qu’un régime habituel, des chercheurs ont observé une calcification intense de l’aorte après seulement 20 semaines d’alimentation riche en phosphore. Des études épidémiologiques portant sur des patients atteints d’IRC ont aussi montré systématiquement que la phosphatémie participait de très près aux calcifications vasculaires et à la mortalité. Une baisse de la phosphatémie peut donc diminuer le risque de calcifications vasculaires, voire augmenter l’espérance de vie, estime le professeur.

À ce jour, on n’a observé aucune différence significative entre les chélateurs calciques et les chélateurs non calciques quant au taux de mortalité. Cependant, dans leur analyse de sous-groupes de l’essai DCOR (Dialysis Clinical Outcomes Revisited), les chercheurs ont constaté une diminution de 22 % de la mortalité toutes causes confondues chez des patients de 65 ans ou plus qui recevaient du sevelamer plutôt qu’un chélateur calcique. De même, selon une analyse du sous-groupe des patients de 65 ans ou plus qui participaient à une autre étude comparative, le carbonate de lanthane a été associé à une réduction de 31 % des taux de mortalité, toutes causes confondues, par rapport au traitement usuel après une moyenne d’environ deux ans.

«Beaucoup de données épidémiologiques ont établi un lien entre l’hyperphosphatémie et une hausse de la mortalité. Une maîtrise efficace de la phosphatémie, surtout si elle est obtenue à l’aide de chélateurs de phosphate non calciques, pourrait réduire le risque de calcifications vasculaires, voire améliorer l’issue clinique des patients atteints d’IRC», conclut l’auteure principale, Rosamund Wilson, PhD, Spica Consultants Ltd., Marlborough, Royaume-Uni.

Bilan phosphaté

Comme le souligne le Dr Edward Ross, professeur agrégé de médecine, University of Florida, Gainesville, les estimations du bilan phosphaté chez les patients dialysés indiquent un surplus net d’environ 360 mg de phosphore par jour pour un patient de 70 kg, «et c’est ce phosphore que nous devons éliminer à l’aide du chélateur», fait-il remarquer. Il y a fort à parier qu’un patient plus lourd aurait un apport alimentaire de phosphore plus élevé et que, en conséquence, la quantité d’ions libres serait plus élevée.

Si l’on compare les deux chélateurs de phosphate non calciques sur le plan chimique, la capacité à fixer des ions phosphate efficacement en fonction du pH ambiant «passe généralement inaperçue».

Comme l’explique le Dr Ross, le sevelamer – dont la capacité de liaison est optimale à un pH de 7 – a une affinité plutôt faible pour les ions phosphate dans l’estomac et la partie haute de l’intestin grêle, le pH y étant faible. Le carbonate de lanthane, en revanche, se fixe aux ions phosphate sans égard au pH. Il pourrait s’agir là d’un avantage cliniquement très important du fait que les additifs phosphatés alimentaires sont absorbés précocement, lorsque le pH est susceptible d’être faible. Les seuls additifs comptent pour plus de 500 mg de phosphore par jour – bref, autant que le régime hypoprotidique prescrit. «Les chélateurs qui ont besoin d’un pH élevé seraient donc moins efficaces», dit-il. Comme on l’a fait remarquer au congrès, le sevelamer gagne aussi en efficacité dans un milieu à pH élevé. Là encore, c’est une donnée pertinente pour les patients dont l’acidité gastrique est faible ou nulle en raison des médicaments qu’ils prennent, ajoute-t-il.

La stabilité est une autre propriété chimique qui peut influer sur l’efficacité clinique. Bien que le sevelamer abaisse le taux de C-LDL, ce qui est souhaitable, il doit pour ce faire se fixer par compétition aux acides biliaires, ce qui peut nuire à sa capacité à se lier aux ions phosphate. La liaison du carbonate de lanthane aux ions phosphate étant au contraire très solide, on n’observe aucune liaison compétitive.

Bien qu’un chélateur de phosphate soit doté d’une forte affinité pour les ions phosphate et qu’il soit très stable, «s’il exerce une faible activité, le nombre de comprimés à avaler sera tellement élevé que le patient faillira à son traitement et que la phosphatémie ne sera pas maîtrisée, fait remarquer le Dr Ross. Des chercheurs présents au congrès se sont penchés sur l’activité des chélateurs de phosphate dans des modèles animaux en se servant du taux d’excrétion urinaire du phosphate comme paramètre (plus le chélateur de phosphate est puissant, moins le phosphate est excrété dans les urines). L’administration de doses équivalentes de trois chélateurs élémentaires a montré que le taux d’excrétion urinaire du phosphate atteignait un maximum avec le sevelamer; venaient ensuite un chélateur calcique, puis le carbonate de lanthane, qui était associé à une phosphaturie quasiment nulle.

Résultats d’une étude

Dans le cadre d’une étude clinique, des patients dont la phosphatémie était d’au moins 6,0 mg/dL (1,94 mmol/L) au départ et la calcémie d’au moins 8,4 mg/dL (2,1 mmol/L) ont été randomisés de façon à recevoir du carbonate de lanthane ou du sevelamer pendant quatre semaines, après quoi ils recevaient l’autre chélateur pendant quatre autres semaines. Il importe ici de souligner qu’il s’agissait d’une étude portant sur des doses fixes, précise le Dr Ross. La première semaine, les patients recevaient la dose initiale usuelle de l’un ou l’autre chélateur, soit 2250 mg de carbonate de lanthane et 4800 mg de sevelamer. Les trois autres semaines, ils recevaient 3000 mg de carbonate de lanthane ou 6400 mg de sevelamer.

Les résultats «les plus pertinents sur le plan clinique» concernent les patients qui avaient reçu chacun des chélateurs pendant la totalité des quatre semaines. Selon cette analyse, la phosphatémie avait baissé de 0,50 mg/dL (0,16 mmol/L) de plus au terme du traitement par le carbonate de lanthane qu’au terme du traitement par le sevelamer, et cet écart était statistiquement significatif (p=0,007). De même, l’analyse des cas observés au sein de la population qu’on avait l’intention de traiter a objectivé une diminution de la phosphatémie de 0,41 mg/dL (0,13 mmol/L) sous carbonate de lanthane (p=0,028) (pour les cas observés au sein de cette population, nous disposions de toutes les données compilées lors de chaque évaluation).

Seule l’analyse avec report en aval de la dernière observation (RADO) n’a pas fait ressortir d’écart statistique entre les deux traitements. En vertu de cette analyse, la dernière valeur de la phosphatémie consignée au moment de l’abandon du traitement était utilisée comme valeur de fin d’étude, même si la dose n’avait pas été portée au maximum prévu, souligne le Dr Ross. D’après cette analyse avec RADO, la réduction de la phosphatémie était tout de même plus marquée sous carbonate de lanthane (>0,29 mg/dL [0,09 mmol/L]) que sous sevelamer, mais l’écart n’a pas atteint le seuil de significativité statistique (Figure 1).

Figure 1. Variation de la phosphatémie entre le début et la fin du traitement


«La baisse de la phosphatémie était plus marquée sous carbonate de lanthane lors de chaque évaluation, et on a observé un écart statistiquement significatif au terme de la première semaine, sous l’effet de la dose plus faible, de même qu’au terme de la quatrième semaine, sous l’effet de la dose maximale», ajoute le Dr Ross. La baisse de la phosphatémie a été plus rapide sous carbonate de lanthane que sous sevelamer et s’est maintenue au fil des quatre semaines de traitement.

De la troisième à la quatrième semaine, par contre, la phosphatémie s’est mise à augmenter sous sevelamer, ce qui signifie que la dose fixe de 6400 mg/jour ne permettait pas de maîtriser la phosphatémie de façon optimale (Figure 2).

Figure 2. Variation de la phosphatémie entre le début et la fin de chacune des 4 sem
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Les effets indésirables des deux chélateurs étaient très comparables, fait remarquer le Dr Ross. Même si une diminution supplémentaire de 0,5 mg/dL de la phosphatémie – comme celle qu’on obtient sous carbonate de lanthane par rapport au sevelamer – semble avoir peu d’intérêt clinique, de nombreuses études soulignent la pertinence clinique d’une diminution ou d’une augmentation de 0,5 mg/dL de la phosphatémie et montrent même que de petites différences comme celle-là peuvent se traduire par une diminution ou une augmentation du risque relatif de décès.

«Les différences observées dans cette étude entre les deux produits quant à la phosphatémie sont significatives non seulement sur le plan statistique, mais aussi sur le plan clinique», conclut le Dr Ross.

Questions et réponses

Les questions et réponses qui suivent sont tirées de discussions avec le Dr Geoffrey Block, directeur de la recherche clinique, Denver Nephrology, Colorado, et le Dr Edward Ross, professeur agrégé de médecine, University of Florida, Gainesville.

Q : À votre avis, les chélateurs de phosphate influeront-ils davantage sur la mortalité que les analogues de la vitamine D?

Dr Block : Je pense qu’il est prématuré d’affirmer que la vitamine D modifie l’issue clinique. Cela dit, est-ce que je pense que la maîtrise de la phosphatémie aura plus d’impact sur l’issue clinique? Absolument!

Q : Dans l’essai sur le sevelamer et le carbonate de lanthane, les patients n’ont pas atteint le seuil optimal de 1,13 mmol/L que préconise le Dr Block. Comment ce seuil peut-il être atteint?

Dr Ross : Ce n’était pas un objectif de l’étude. En étudiant la capacité d’un chélateur de près, on a une meilleure idée de la dose requise et du nombre de comprimés à administrer pour abaisser la phosphatémie jusqu’au niveau souhaité. Ces deux chélateurs sont généralement utilisés à des doses beaucoup plus fortes que dans cette étude.

Dr Block : Je précise que mon commentaire au sujet de la phosphatémie cible de 1,13 mmol/L ne concernait que l’IRC de stade 3 ou 4. Cela dit, je pense que ce taux cible convient à tout le monde. Si nous aspirons à maîtriser la phosphatémie chez un patient dialysé, le nombre de séances de dialyse doit augmenter. C’est à n’en pas douter la meilleure façon de maîtriser la phosphatémie. L’étiquette sur la valeur nutritionnelle des aliments devrait par ailleurs préciser la quantité de phosphore dans les aliments. À l’heure actuelle, tous les aliments sont additionnés de phosphore, mais le patient ne pourra jamais maîtriser sa phosphatémie à moins de connaître son apport alimentaire de phosphore. Q : Les différences chimiques entre les deux chélateurs expliquent-elles la perte de maîtrise de la phosphatémie que vous avez observée au terme des quatre semaines?

Dr Ross : Non, je ne pense pas qu’elles soient responsables des effets tardifs. En toute honnêteté, je pense qu’il pourrait s’agir d’une simple anomalie statistique, mais il faudra élucider la chose. À mon avis, c’est plutôt le profil chimique du sevelamer qui pourrait expliquer la variabilité plus marquée des liaisons aux ions phosphate. Cela dit, j’utilise les deux médicaments et je trouve rassurant de savoir qu’un médicament sûr et au moins aussi efficace que celui que nous utilisons déjà s’est ajouté à notre arsenal thérapeutique.

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