Comptes rendus

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Évolution des stratégies antiplaquettaires dans les interventions coronariennes percutanées

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

80es Séances scientifiques de l’American Heart Association

Orlando, Floride / 5 novembre, 2007

Compte rendu de :

Jean-François Tanguay, MD, FRCPC

Professeur agrégé de médecine

Division de médecine

Université de Montréal Montréal, Québec

Les cliniciens ne sont pas encore parvenus à s’entendre sur la meilleure stratégie à adopter pour réduire le risque de complications thrombotiques associé à l’intervention coronarienne percutanée (ICP). Des études récentes étayent solidement la prescription de plus fortes doses de clopidogrel aux patients devant subir une ICP. Les principales constatations sont présentées ci-dessous.

• La dose de 900 mg équivaut à celle de 600 mg, laquelle est plus efficace que la dose de 300 mg (von Beckerath et al. Circulation 2005;112[19]:2946-50).

• Une dose de 600 mg diminue le risque d’infarctus du myocarde (IM) périopératoire de manière significative par rapport à une dose de 300 mg (Patti et al. Circulation 2005; 111[16]:2099-106).

• L’activation plaquettaire accrue après la mise en place d’un tuteur coronarien augmente le risque de thrombose subaiguë (Gurbel et al. J Am Coll Cardiol 2005;46[10]: 1827-32).

• Une mauvaise réponse au clopidogrel augmente le risque de thrombose sur tuteur (Buonamici et al. J Am Coll Cardiol 2007;49[24]:2312-7).

Stratégies posologiques : banc d’essai

Le Dr Philippe L’Allier, Institut de cardiologie de Montréal, Québec, et son équipe ont réalisé une étude clinique avec randomisation pour comparer trois stratégies posologiques. La population comprenait 148 patients atteints d’une maladie coronarienne stable et soumis à une coronarographie et à une ICP (au besoin). Les sujets ont été répartis en trois groupes : le groupe A a reçu 300 mg de clopidogrel la veille de l’ICP, puis 75 mg le matin de l’intervention; le groupe B a reçu une dose de 600 mg le matin de l’ICP; et le groupe C, une dose de 600 mg la veille de l’ICP et une autre dose de 600 mg le matin de l’intervention.

Le principal paramètre d’évaluation était le pourcentage d’inhibition de l’agrégation plaquettaire maximale (au moment de l’angiographie par rapport à la valeur de départ), celle-ci correspondant à un taux d’adénosine diphosphate (ADP) de 5 µmol/L ou de 20 µmol/L. Les paramètres secondaires étaient le pourcentage d’inhibition de l’agrégation tardive, le pourcentage d’inhibition de l’agrégation maximale post-ICP par rapport à la valeur de départ, le pourcentage de sujets ne répondant pas au clopidogrel, le paramètre mixte décès, IM et intervention de revascularisation des vaisseaux cibles après 30 jours et, enfin, la survenue de complications hémorragiques majeures et mineures au cours des 30 premiers jours.

Quel que soit le taux d’ADP appliqué, l’inhibition de l’agrégation plaquettaire maximale a été plus marquée dans le groupe C (600 mg + 600 mg), et l’écart était significatif. Si l’agrégation plaquettaire maximale correspond à un taux d’ADP de 5 µmol/L, elle a été inhibée de près de 50 % dans le groupe C par rapport à 30 % environ dans le groupe A (p=0,0002) et à <30 % dans le groupe B (p=0,0001). Si l’on retient plutôt un taux d’ADP de 20 µmol/L, le groupe C obtient une inhibition de >40 %, comparativement à 20 % et à 25 % dans les groupes A et B (p<0,0001).

Des écarts semblables en faveur du groupe C sont ressortis dans les paramètres secondaires, notamment l’inhibition de l’agrégation tardive (p<0,0001 pour toutes les comparaisons) et de l’agrégation post-ICP (de p=0,0005 à p<0,0001). Le nombre de patients résistants au clopidogrel est significativement moindre dans le groupe C (de p=0,002 à p=0,0003). Aucun sujet des groupes A, B et C n’a subi de complications hémorragiques majeures au cours des 30 premiers jours, et l’incidence des hémorragies mineures est comparable dans les trois groupes.

Le Dr L’Allier convient que l’étude n’était pas conçue pour la mise au jour d’écarts significatifs dans la survenue d’événements cliniques. Néanmoins, les données montrent clairement qu’une double dose d’attaque de 600 mg inhibe l’agrégation plaquettaire beaucoup plus efficacement que les deux autres schémas étudiés, et ce, sans augmentation des complications hémorragiques et moyennant un nombre de non-répondeurs nettement moins élevé. Le Dr L’Allier et ses collègues en concluent que la double dose d’attaque de 600 mg devrait constituer la posologie de référence lors des futurs essais cliniques.

Traitement antiplaquettaire bonifié dans l’icp

On a tenté de déterminer, par un examen rétrospectif des données d’un vaste essai clinique, la dose d’attaque optimale de clopidogrel avant une ICP et le meilleur moment pour l’administrer. Les auteurs des lignes directrices de l’AHA/ACC recommandent actuellement l’administration d’une dose de 300 mg au moins six heures avant l’intervention. Cependant, comme le fait remarquer le Dr Herbert Aranow, University of Michigan, Ann Arbor, des doses de clopidogrel supérieures à 300 mg amènent une concentration plasmatique plus élevée du composé ainsi que de son métabolite actif et, partant, une inhibition plaquettaire plus marquée.

Par ailleurs, souligne également le Dr Aranow, on a constaté dans plusieurs essais cliniques modestes avec randomisation que les événements ischémiques ultérieurs à l’ICP étaient moins nombreux chez les sujets traités, avant l’intervention, par une dose d’attaque de clopidogrel de 600 mg que chez ceux qui avaient reçu une dose de 300 mg. Malheureusement, on dispose de peu de données tirées de l’application réelle du traitement pour étudier le lien entre la dose d’attaque et l’issue clinique à court terme.

Le Dr Aranow a présenté les résultats d’une analyse des données relatives à des patients inscrits, en 2004 et 2006, à un registre d’ICP du National Heart, Lung and Blood Institute des États-Unis. Tous ces patients ont reçu 300 mg ou 600 mg de clopidogrel au plus 24 heures avant l’ICP. Ont été soumis à l’analyse 187 patients traités par 300 mg et 202 patients traités par 600 mg. Les paramètres principaux étaient la mortalité toutes causes confondues, l’IM, la reprise de l’intervention de revascularisation et l’épisode d’ischémie coronarienne récidivante.

Selon les données recueillies pendant l’hospitalisation, la dose de 600 mg a réduit de manière significative l’incidence des IM (p=0,003) et des épisodes d’ischémie récidivante (p=0,023) par rapport à la dose de 300 mg. Le taux de complications hémorragiques était comparable dans les deux groupes. Quant aux résultats à 30 jours, ils témoignent d’un avantage significatif pour la dose de 600 mg au chapitre des IM (p=0,002) et du paramètre mixte décès et IM (p=0,007).

On a noté, chez les patients traités par la dose la plus élevée, une tendance vers une faible incidence du paramètre mixte décès et intervention de revascularisation (p=0,087). Le Dr Aranow estime que ces constatations militent en faveur de l’administration d’une dose d’attaque de 600 mg avant l’ICP.

Traitement antiplaquettaire en cas de pose non urgente d’un tuteur

On ne s’entend pas sur la stratégie antiplaquettaire et anticoagulante optimale à appliquer en cas de pose non urgente d’un tuteur coronarien, observe le Dr Paul Gurbel, Sinai Hospital, Baltimore, Maryland. Souvent, le patient ne reçoit que de l’AAS et un anticoagulant.

Le Dr Gurbel a déjà démontré que l’ajout d’une dose d’attaque d’un anti-GP IIb/IIIa à l’association clopidogrel-AAS lors de la mise en place du tuteur se traduisait par une inhibition plaquettaire plus efficace et une nécrose myocardique moindre que l’association clopidogrel-AAS employée seule (Gurbel et al. Circulation 2005;111[9]:1153-9).

Le Dr Gurbel a exposé les résultats d’une étude sur la pose non urgente d’un tuteur chez 200 sujets. Les participants recevaient, outre l’association antiplaquettaire clopidogrel-AAS, un anti-GP IIb/IIIa et du bivalirudin. Les chercheurs avaient comme principal objectif d’évaluer l’effet de ce traitement sur la survenue d’IM périopératoires. Les sujets qui n’avaient jamais pris de clopidogrel ont reçu une dose d’attaque de 600 mg, tandis que ceux qui suivaient déjà un traitement d’entretien à raison de 75 mg/jour n’ont pas reçu de dose d’attaque. Tous les patients ont pris 325 mg d’AAS et reçu du bivalirudin d’abord en bolus de 1 mg/kg, puis à raison de 2,5 mg/kg/h. Après randomisation, une cohorte a reçu de l’eptifibatide et l’autre, aucun autre antiagrégant plaquettaire.

L’ajout d’un anti-GP IIb/IIIa au bivalirudin a donné lieu à une inhibition plaquettaire plus efficace et a affaibli le thrombus fibrino-plaquettaire. Cette étude vient également soutenir l’existence d’un lien, déjà mis en lumière, entre la réactivité des plaquettes et l’infarctus consécutif à la mise en place d’un tuteur. Selon le Dr Gurbel, l’inhibition de la GP IIb/IIIa devrait être réservée aux patients dont la réactivité plaquettaire demeure intense malgré la prise de clopidogrel.

Ajout d’un antiagrégant plaquettaire à un anticoagulant

On ne s’était jamais livré à une évaluation approfondie de l’innocuité du traitement antiplaquettaire AAS-clopidogrel chez le patient sous anticoagulation orale au long cours. La Dre Alaide Chieffo, Hôpital San Raffaele, Milan, Italie, et ses collègues ont étudié la question chez 127 patients qui présentaient 224 lésions coronariennes traitées par ICP et mise en place d’un tuteur. Dans la majorité des cas, soit chez 59 % des patients, le traitement à long terme par la warfarine était motivé par la fibrillation auriculaire.

La durée moyenne de la trithérapie s’établit à 5,6 mois et celle du suivi, à 21 mois. Pendant la trithérapie, 7,1 % des patients ont subi un incident hémorragique, qui a pris la forme d’une complication hémorragique majeure chez 4,7 % d’entre eux. Les deux tiers des saignements importants se sont produits au cours du mois ayant suivi le début du traitement, et la moitié d’entre eux ont provoqué la mort du patient. Le type de tuteur (médicamenté ou métallique non médicamenté) n’a pas influé sur l’incidence des hémorragies majeures et mineures ni sur la mortalité. Cela dit, les interventions de revascularisation des vaisseaux cibles ont été nettement moins fréquentes chez les porteurs d’un tuteur médicamenté (14,1 % vs 28,3 %, p=0,041).

Au terme de cette étude, les chercheurs demeurent incertains quant à la stratégie antiplaquettaire optimale à adopter chez le patient sous anticoagulation orale au long cours devant subir une ICP avec pose d’un tuteur.

Doit-on miser sur la quantité…?

Des chercheurs sud-coréens ont comparé le traitement habituel, soit le clopidogrel à 300 mg associé à l’AAS, et la trithérapie par ajout de cilostazol après la mise en place d’un tuteur médicamenté chez des sujets diabétiques atteints d’une maladie coronarienne. Le cilostazol est un inhibiteur de la phosphodiestérase III qui réduit la prolifération de cellules musculaires lisses et l’hyperplasie de l’intima après la pose d’un tuteur. De plus, cet agent a également réduit l’agrégation plaquettaire et la thrombose sur tuteur après l’insertion d’un tuteur métallique non médicamenté, nous apprend le Dr Young-Hak Kim, Asan Medical Center, Séoul.

La population se compose de 400 patients diabétiques qui, après randomisation, ont reçu soit de l’AAS à 100 mg/jour et du clopidogrel à 75 mg/jour pendant au moins six mois après la mise en place du tuteur, soit cette même bithérapie associée à du cilostazol administré à raison d’une dose de 200 mg immédiatement après l’installation du tuteur, puis d’une posologie d’entretien de 100 mg deux fois par jour pendant six mois. On a administré à tous les patients une dose d’attaque de 300 mg de clopidogrel au moins 24 heures avant la pose du tuteur.

Le paramètre d’évaluation principal était la perte tardive du diamètre intra-tuteur. À ce chapitre, la trithérapie s’est révélée plus efficace que la bithérapie (p=0,025). Par ailleurs, la resténose intra-segment – mais non intra-tuteur – a elle aussi été significativement moins fréquente dans le groupe trithérapie (p=0,033). Les résultats à neuf mois diffèrent sur un plan seulement, à savoir l’intervention de revascularisation des lésions cibles, moins fréquente dans le groupe trithérapie (p=0,034). Selon l’interprétation du Dr Kim, les bienfaits de l’ajout de cilostazol à l’association clopidogrel-AAS pourraient tenir à l’inhibition de l’hyperplasie néointimale.

… ou sur la durée?

Selon une analyse récente des données tirées d’un registre d’ICP, il y a lieu de croire que la poursuite du traitement antiplaquettaire par une thiénopyridine pendant plus de un an pourrait amoindrir le risque de décès et d’IM chez les receveurs d’un tuteur coronarien médicamenté (Eisenstein et al. JAMA 2007;297[2]:159-68). Le Dr Gregg Stone, Cardiovascular Research Foundation, New York, et son équipe se sont livrés à une analyse comparable des données issues des essais TAXUS II-SR, IV et V sur les tuteurs à élution de paclitaxel.

Leur analyse portait sur 2523 patients toujours en vie et exempts d’IM ainsi que de thrombose sur tuteur un an après l’ICP. Ils ont regroupé les patients selon le type de tuteur installé (à élution de paclitaxel ou métallique non médicamenté) et la prise d’une thiénopyridine à un an. Les patients ont ensuite fait l’objet d’un suivi pendant trois autres années.

Les sujets traités par l’AAS et le clopidogrel à un an n’avaient subi aucune thrombose sur tuteur après quatre ans, alors que six événements du genre avaient été recensés chez les sujets qui ne prenaient pas de thiénopyridine (p=0,045). Le taux de décès et d’IM après deux ou quatre ans était comparable, que les sujets aient reçu ou non une thiénopyridine. On a observé une tendance à la baisse du risque d’IM après deux ans chez les receveurs d’un tuteur à élution de paclitaxel traités par le clopidogrel (p=0,08). Cette tendance avait cependant disparu après quatre ans.

Les auteurs ont conclu que la prise d’une thiénopyridine était associée, après un an, à la survenue d’un moins grand nombre de thromboses tardives attribuables au tuteur et que les bienfaits étaient plus marqués chez les porteurs d’un tuteur à élution de paclitaxel. Cependant, les avantages au chapitre des décès ou des IM ne s’étant pas maintenus jusqu’à la quatrième année, il semble qu’en l’absence d’incident, la poursuite systématique du traitement par une thiénopyridine passé la première année ne soit pas étayée à l’heure actuelle.

Résumé

La quête du schéma antiplaquettaire optimal en contexte d’ICP se poursuit. Il ressort clairement des études exposées ici que l’association clopidogrel-AAS occupera une place de choix dans la stratégie optimale de prévention des complications thrombotiques de l’ICP. Par ailleurs, les résultats présentés montrent de manière convaincante que la double dose d’attaque de 600 mg de clopidogrel est plus efficace que la posologie habituelle, soit 300 mg + 75 mg, pour inhiber l’agrégation plaquettaire et prévenir les événements cliniques qui en découlent. Le rôle des anti-GP IIb/IIIa dans l’ICP n’est pas encore précisé, mais ils ont leur utilité, du moins chez certains patients. Quant au rôle des nouveaux traitements tel le cilostazol, il reste à définir. Quoi qu’il en soit, les agents actuels, les stratégies en vigueur et l’optimisme qu’éveillent les nouvelles démarches de prévention des complications thrombotiques chez le patient soumis à une ICP ont de quoi rassurer le clinicien.

D’après la séance verbale :

Antiplatelet Therapy in PCI, tenue le lundi 5 novembre, de 14 h à 17 h, salle W415d (Valencia).

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