Comptes rendus

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« La COVID longue, ce n’est pas nouveau » La grippe a souvent des séquelles à long terme, surtout chez les adultes âgés, disent les chercheurs

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIERES MEDICALES - Conférence annuelle de l’AMMI Canada-CACMID de 2022

Vancouver, C.-B. / 5-8 avril 2022

Vancouver – La grippe a fait un retour partout dans le monde et au Canada vers la fin de 2021, une fois terminés les confinements de 2020-2021. Lors d’un symposium tenu dans le cadre de la Conférence annuelle de l’AMMI Canada-CACMID, des chercheurs ont fait part à l’auditoire d’observations et de données sur la période où la grippe avait « disparu ». Les séquelles non respiratoires de la COVID tels l’IM, l’AVC et la « COVID longue » ne sont pas de nouvelles conséquences d’infections virales, ont rappelé les conférenciers. La grippe a toujours eu des séquelles à long terme potentiellement mortelles, surtout chez les adultes âgés. Les conférenciers ont aussi présenté un tour d’horizon des vaccins antigrippaux pour les adultes âgés et de nouvelles analyses comparatives de leur efficacité.   

Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec

« Nous entendons parler de la COVID longue […] et de séquelles telles que fatigue et dysfonctionnements organiques comme s’il s’agissait de nouveaux phénomènes, mais il est impossible que la COVID soit la première maladie à causer ces séquelles à long terme. De toute évidence, […] d’autres virus ont déjà eu de telles conséquences, affirme la Dre Melissa Andrew, professeure titulaire de médecine (gériatrie), de santé communautaire et d’épidémiologie, Dalhousie University, Nouvelle-Écosse.

Ces remarques de la Dre Andrew sont tirées d’un entretien ayant fait suite à un symposium virtuel de la conférence annuelle de l’AMMI Canada-CACMID tenue à Vancouver du 5 au 8 avril 2022. Le symposium accrédité, préparé en collaboration avec Seqirus – qui n’avait pas voix au chapitre – était intitulé Our Older Adults: How can we Better Protect Them from Influenza and its Devastating Effects?

Nous savons depuis 20 ans que la grippe a de nombreuses complications à long terme, surtout chez les adultes âgés, rappelle la Dre Andrew. « Beaucoup d’études ont porté sur la question au fil des années, et il a été démontré que la grippe est beaucoup plus qu’une infection respiratoire aiguë, poursuit-elle. Elle peut déclencher des événements tels que des épisodes cardiovasculaires et des AVC et peut assurément contribuer au risque de chute et de fracture. »

Dans leur article du New England Journal of Medicine de 2018, Kwong et al. ont constaté qu’au cours des 7 premiers jours suivant la confirmation d’une infection grippale en laboratoire, le risque d’infarctus aigu du myocarde était 6 fois plus élevé que 1 an plus tôt et 1 an après l’infection (N = 364; rapport de taux d’incidence [RTI] 6,05; IC 3,86 à 9,50)1. Leur étude était financée par les Instituts de recherche en santé du Canada.

En 2018, des cliniciens de Providence, Rhode Island, et de la Harvard Medical School ont constaté dans leurs hôpitaux, sur une période de 9 ans, qu’il y avait un lien significatif entre, d’une part, l’augmentation de 0 à 2 du nombre d’hospitalisations par semaine pour un syndrome pseudo-grippal et, d’autre part, l’augmentation de 0,03 à 0,04 (augmentation d’environ 1 point de pourcentage) du nombre moyen d’hospitalisations par semaine pour une fracture de la hanche (N = 9237; RTI global 1,13; IC 1,08 à 1,17)2.

Si 100 adultes âgés sont hospitalisés pour cause de grippe – quelles que soient leur fragilité et leur capacité fonctionnelle au départ –, 12 mourront et 20 présenteront un déficit fonctionnel, précise la Dre Andrew. Dans la moitié de ces cas (9), le déficit fonctionnel sera léger; chez les autres (11), il sera catastrophique et 3 patients aboutiront dans un centre d’hébergement.

« Ce sont toutes d’excellentes raisons de se concentrer d’abord et avant tout sur la prévention de la grippe », poursuit la Dre Andrew.

De nombreuses études font ressortir un lien entre la vaccination antigrippale chez les patients âgés et une diminution des séquelles à long terme. Par exemple, selon une étude de cohorte de Chen et al. réalisée entre 1997 et 2008 à partir de la base de données longitudinales des compagnies d’assurance de Taïwan, la vaccination antigrippale chez les plus de 55 ans atteints d’une maladie rénale chronique a réduit le risque d’hospitalisation pour un syndrome coronarien aigu (SCA) de 65 % (N = 4406; rapport des risques instantanés [RRI] 0,35; p < 0,001)3. Il y avait un lien dose-réponse : le risque d’hospitalisation pour un SCA diminuait significativement parallèlement au nombre de doses de vaccin antigrippal que le patient recevait pendant ladite période, le RRI passant de 0,62 (IC 0,52–0,81) pour l’administration d’une dose à 0,13 (IC 0,09–0,19) pour l’administration de quatre doses ou plus.

« La grippe est l’une des principales causes de complications et d’issues défavorables, et c’est à cela qu’il faut réfléchir, conclut la Dre Andrew, en particulier pour les patients âgés ». 

Quelle est l’efficacité des vaccins antigrippaux
chez les patients âgés?

La réponse immunitaire change avec l’âge et ce changement n’est pas une simple diminution, explique la Dre Andrew. « Le terme "immunosénescence" [ne désigne pas] forcément une diminution de la réponse immunitaire, mais plutôt une dysrégulation. » C’est donc dire que la « réponse humorale ne capte pas totalement l’effet bénéfique des vaccins, surtout chez les personnes âgées ».

En outre, chez les plus de 65 ans, enchaîne la Dre Andrew, les vaccins antigrippaux sont en fait plus efficaces que les données le laissent entendre vu l’impact de la fragilité sur les données d’efficacité. « La personne fragile qui peine à rester autonome et fonctionnelle au quotidien mettra plus de temps à se remettre d’une infection et pourrait ne pas recouvrer son autonomie », dit-elle.

La Dre Andrew a cité une analyse qu’elle a publiée en 2017, selon laquelle la vaccination antigrippale durant la saison 2011–2012 avait été efficace à 45 % pour prévenir l’hospitalisation chez les plus de 65 ans. Or, lorsque la fragilité était prise en compte dans le calcul, le vaccin était efficace à 58 %4. L’efficacité était d’autant plus faible que les patients étaient fragiles.

« Il est super important » d’analyser les données sur l’efficacité vaccinale par la lorgnette de la fragilité, ajoute-t-elle. « Si nous ne tenons pas compte [de la fragilité], nous aurons tendance à sous-estimer l’efficacité et à ne pas bien comprendre tous les avantages de la vaccination », conclut-elle.

« Personne ne devrait dire que les vaccins sont généralement moins efficaces pour les personnes âgées, parce que, dans les faits, la plupart des personnes âgées ne sont pas fragiles – c’est vrai chez seulement le quart environ. Mais nous devons aussi axer le développement des vaccins, les programmes de vaccination et l’amélioration de la couverture vaccinale sur les personnes qui ont le plus besoin de protection, comme les personnes fragiles », précise-t-elle en terminant. 

Retour de la grippe 

Au symposium, la Dre Allison McGeer, professeure titulaire de médecine de laboratoire et de pathologie, Dalla Lana School of Public Health, University of Toronto, a passé en revue la situation grippale actuelle dans le monde et au Canada.

Elle a rappelé à l’auditoire la « contraction » draconienne de la saison grippale de 2019–2020 à l’échelle mondiale qui a découlé en grande partie des mesures de santé publique en période de confinement. Selon le système de surveillance de la grippe de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans l’hémisphère Nord5, la grippe a fait un retour vers la fin de 2021, poursuit la Dre McGeer. Le moment de l’apparition des premiers cas était « assez typique », mais le taux d’incidence était beaucoup plus faible que d’habitude. « Toutes proportions gardées, la même chose s’est produite au Canada ». En avril 2022 (moment de la conférence), le nombre d’isolats grippaux était « radicalement plus faible que d’habitude » (voir Figure 1 [données recueillies au moment de la publication du présent article]6). 

Figure 1.

Vaccins pour les adultes âgés 

La Dre McGeer a récapitulé l’éventail « élargi » des vaccins antigrippaux homologués pour les adultes âgés au Canada : vaccin produit sur culture cellulaire (Flucelvax Quad); vaccin à forte dose (Fluzone Haute Dose); vaccin recombinant (Supemtek); et vaccin contenant l’adjuvant MF59 (Fluad). Bien qu’ils soient tous commercialisés au Canada, il y a de grandes différences entre les provinces quant au remboursement. À titre d’exemple, seul l’Ontario rembourse le vaccin avec adjuvant et aucune des provinces ne rembourse le vaccin recombinant.

Les plus récentes recommandations du Comité consultatif national de l'immunisation (CCNI) sur les vaccins pour adultes âgés datent de 2019. Le CCNI a déclaré que n’importe lequel des vaccins antigrippaux commercialisés pouvait être utilisé, les données probantes étant insuffisantes pour qu’il puisse comparer les vaccins et formuler des recommandations.

Dans l’attente de nouvelles recommandations du CCNI (actualisation en cours), la Dre McGeer a présenté la revue systématique des Centers for Disease Control (CDC) publiée en février dernier7 dont la méthode est semblable à celle du CCNI. Les CDC ont utilisé 49 études, mais l’issue de l’infection grippale était précisée dans seulement la moitié des études environ. « Bref, on ne peut pas parler d’importante revue de littérature », fait remarquer la Dre McGeer.

« La réduction du nombre d’issues défavorables était uniforme dans toutes les études », dit-elle. Huit études ont comparé le vaccin à forte dose et le vaccin avec adjuvant (Tableau 1). Les données rétrospectives n’ont fait ressortir aucune différence entre les deux vaccins; le seul essai comparatif randomisé (ECR) était de petite envergure et n’a objectivé aucune différence statistiquement significative. « Bref, nous avons vraiment besoin de plus de données » pour déterminer lequel du vaccin à forte dose ou du vaccin avec adjuvant devrait être privilégié en clinique, conclut la Dre McGeer. Voir la section Questions et réponses (page 4) pour un commentaire plus détaillé de la Dre McGeer. 

Tableau 1.

La grippe à l’ère de la COVID 

La Dre McGeer s’attend à un tournant dans le domaine des vaccins antigrippaux pour les adultes âgés dans le futur. « La pandémie a perturbé tellement de choses. À partir de l’automne prochain, [nous verrons] beaucoup de changements dans les vaccins antigrippaux que nous administrerons dans les prochaines années. »

La Dre Andrew, quant à elle, rappelle que la pandémie de COVID-19 ne doit pas reléguer la grippe au second plan. « La COVID nous a mobilisés, à juste titre, mais nous ne devons pas oublier d’ajouter le vaccin antigrippal aux vaccins anti-COVID et aux doses de rappel que nous recommandons à nos patients âgés », conclut-elle. 

Conclusions 

La pandémie de COVID-19 a entraîné beaucoup de bouleversements dans le monde de la recherche clinique sur la grippe. En premier lieu, elle a mis en lumière les avantages indéniables des mesures de santé publique dans la lutte contre la grippe et, en deuxième lieu, la nécessité de tenir compte à la fois des séquelles à long terme et de l’infection de courte durée au moment de soupeser les avantages cliniques de la vaccination, surtout chez les adultes âgés. Par ailleurs, la technologie mise à profit dans le développement des vaccins contre la COVID pourrait changer la donne pour les vaccins antigrippaux. Inversement, les experts nous préviennent que la grippe, à plus forte raison chez les adultes âgés, ne doit pas être reléguée aux oubliettes dans le contexte de la pandémie et que les cliniciens doivent continuer à protéger la vie des patients et leur autonomie future grâce à des vaccins appropriés contre la grippe.  

Questions et réponses 

Après son allocution à la conférence annuelle de l’AAMI Canada-CACMID de 2022, la Dre Allison McGeer, professeure titulaire de médecine de laboratoire et de pathologie, Dalla Lana School of Public Health, University of Toronto, a été invitée à répondre aux questions de MedNet sur la grippe, les vaccins et les patients âgés. 

Q : Durant votre allocution, vous avez expliqué comment la saison grippale de 2019–2020 avait été raccourcie en période de confinement. Pourquoi la COVID a-t-elle influé sur les statistiques de la grippe?

Dre McGeer  : Au départ, je pensais que le phénomène était dû au fait que nous avions arrêté de faire des tests de détection de la grippe parce que la COVID prenait toute la place. L’effet a toutefois été radical et s’est produit partout dans le monde […] Certains pourraient arguer que l’activité entourant la COVID y est pour quelque chose, mais il est beaucoup plus probable que l’explication réside dans les mesures sanitaires; la contribution du confinement est indéniable. 

Q : Comment s’explique l’étonnement des experts en santé publique?

Dre McGeer : La modélisation préCOVID donnait à penser que les mesures de santé publique n’auraient pas d’impact substantiel sur l’évolution d’une pandémie grippale […] Or, nous savons maintenant que le port d’un masque, la distanciation physique et le confinement ont un effet réel sur la grippe saisonnière […] Pour ce qui est de la contribution de chacune de ces mesures à la diminution de l’incidence de la grippe, le débat est ouvert. 

Q : En quoi cette information pourra-t-elle nous être utile à l’avenir?

Dre McGeer :  Je dirais qu’à court terme, nous serons probablement beaucoup plus ouverts que par le passé au port systématique d’un masque dans les milieux où les gens vivent en contact étroit; l’« allergie » au masque n’existe pas vraiment dans les centres de soins de longue durée. À mon avis, [en pareil cas], nous essaierons au moins d’imposer le port systématique du masque durant les éclosions d’infections respiratoires. Cela dit, en ce moment, je ne pense pas que les gens aient tellement envie de porter le masque systématiquement pour tenter de prévenir les éclosions. 

Q : Dans son allocution, la Dre Melissa Andrew a insisté sur le fait que la COVID longue n’est pas unique : la grippe peut aussi avoir de graves séquelles à long terme, surtout chez les adultes âgés. À votre avis, l’attention que l’on porte à la COVID longue sera-t-elle utile pour convaincre les patients de se faire vacciner contre la grippe?

Dre McGeer : Je ne sais pas trop quoi penser parce que ça fait 20 ans qu’on le dit. La grippe est tellement « ordinaire » que les gens ont du mal à la prendre au sérieux. [De plus,] le diagnostic de COVID longue n’est pas si répandu chez les patients âgés. Quand ils contractent la grippe, nous nous attendons à ce que certains d’entre eux ne se rétablissent pas […]. Et on se résigne à accepter la situation. 

Q : Maintenant que la grippe est de retour, que souhaitez-vous dire à vos consœurs et confrères au sujet de la grippe chez les adultes âgés?

Dre McGeer : D’abord, que des lacunes demeurent en matière de prévention de la grippe chez les adultes âgés et que nous pourrons combler ces lacunes, probablement avec la prochaine génération de vaccins. Le monde de la vaccination va changer radicalement au cours des trois ou quatre prochaines années. Nous avons de bonnes raisons d’espérer que ces changements nous permettront de beaucoup mieux prévenir la grippe chez les adultes âgés. [Nous sommes] déjà sur la bonne voie, n’est-ce pas? Nous avons des vaccins efficaces pour les adultes âgés. Ensuite, si nous voulons que ce programme ait du succès et puisse prévenir la grippe chez les adultes âgés, nous devons trouver un mécanisme différent afin de payer pour les vaccins […]. En raison de la structure de paiement [actuelle] des vaccins au Canada, il est impossible de mettre sur pied des programmes de vaccination efficaces pour adultes âgés qui soient financés par l’État.

 

Références

1. Kwong JC, Schwartz KL, Campitelli MA et al. Acute myocardial infarction after laboratory-confirmed influenza infection. N Engl J Med 2018; 378:345–353.
2. McConeghy KW, Lee Y, Zullo AR et al. Influenza illness and hip fracture hospitalizations in nursing home residents: Are they related? J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2018; 73:1638–1642.
3. Chen C, Kao P, Wu M et al. Influenza vaccination is associated with lower risk of acute coronary syndrome in elderly patients with chronic kidney disease. Medicine 2016; 95:1–9.
4. Andrew MK, Shinde V, Ye L et al. The importance of frailty in the assessment of influenza vaccine effectiveness against influenza-related hospitalization in elderly people. J Infect Dis 2017; 216:405–414.
5. https://apps.who.int/flumart/Default?Hemisphere=Northern&ReportNo=5
6. https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/maladies-et-affections/surveillance-influenza/2021-2022/semaine-23-5-juin-11-juin-2022.html
7. McGeer A. Données présentées à la conférence annuelle d’AMMI Canada-CACMID de 2022. https://stacks.cdc.gov/view/cdc/114834

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