Comptes rendus

20 ans d’inhibition du complément dans l’HPN : leçons à tirer du passé, espoir pour l’avenir
Faisons le point sur le SHUa : facteurs déclenchants, diagnostic et prise en charge

« La grippe est de retour » : Comprendre et prévenir la grippe dans la foulée de la pandémie de COVID-19

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIERES MEDICALES - OPTIONS XI for the Control of Influenza (ISIRV 2022)

Belfast, Irlande / 26-29 septembre 2022

Belfast – En septembre 2019, lors de sa dernière rencontre trisannuelle intitulée OPTIONS for the Control of Influenza, l’International Society for Influenza and other Respiratory Virus Diseases (ISIRV) ne se doutait même pas de l’existence de la COVID-19, causée par le virus SARS-CoV-2. Trois ans plus tard, OPTIONS XI a été l’occasion fort attendue pour les chercheurs de se rencontrer en présentiel et de discuter des plus récentes recherches sur les virus respiratoires et les moyens à notre disposition pour les prévoir, les prévenir et les maîtriser. De nombreuses communications ont porté sur la biologie du SARS-CoV-2 ainsi que sur l’épidémiologie et la prise en charge de la COVID-19, mais la grippe, sa prévention et sa prise en charge dans l’ombre de la pandémie de COVID-19 étaient les principaux points d’intérêt. Nous ferons ici le point sur la grippe, les vaccins offerts et les nouvelles technologies vaccinales, de même que sur les conseils prodigués en vue de la saison grippale à venir dans l’hémisphère Nord.   

Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec

Lutte contre la grippe

« La grippe est de retour », affirmait le Dr John Paget, Institut néerlandais de recherche sur les services de santé, lors d’un symposium financé par l’industrie durant la conférence OPTIONS XI à Belfast, en Irlande du Nord. « Nous devons nous concentrer à la fois sur la prévention et les mesures de lutte contre la grippe. »

Les taux de grippe ont été anormalement bas durant la saison 2020-2021 partout dans le monde, les pays ayant imposé un confinement et d’autres mesures pour limiter la propagation du SARS-CoV-2. Durant la saison 2021-2022, l’incidence globale a de nouveau augmenté, de nombreux pays ayant aboli les mesures de santé publique, et la population ayant retrouvé une vie sociale plus normale, mais elle est demeurée faible par rapport aux saisons grippales types avant la pandémie (Figure 1). Cependant, même cette saison « plus légère » a eu d’importantes conséquences, explique la Dre Vivien Duan, Centers for Disease Control and Prevention (CDC), États-Unis. « Comparativement aux saisons antérieures à la pandémie, la saison grippale a été assez légère, mais elle s’est prolongée jusqu’à la mi-juin. » La présence de deux pics a contribué à la durée anormalement longue de la saison, dit-elle. « Bien que la saison ait été légère, il y a eu des millions de cas de grippe, des centaines de milliers de visites médicales et d’hospitalisations, et des milliers de décès. »

Figure 1. 

La saison grippale de l’hémisphère Sud – ayant débuté au cours des premiers mois de l’année – nous donne une idée de ce qui nous attend dans l’hémisphère Nord cet automne et cet hiver. « Malgré les faibles taux de virus circulants en 2020 et en 2021, l’hémisphère Sud a connu une très forte réémergence de la saison grippale et des tendances inhabituelles », enchaîne la Pre Teresa Lambe, UK Centre for Clinical Vaccinology and Tropical Medicine. « La saison a démarré en trombe et elle a atteint un pic élevé en très peu de temps. À mes yeux, c’est inquiétant. »

Situation actuelle de la vaccination
 contre la grippe : couverture et opinions

Après le début de la pandémie de COVID-19 (2020-2021), le taux de vaccination antigrippale a été plus élevé la première année qu’au cours des années antérieures; selon une affiche de Van Nguyen et al., il a atteint un maximum sans précédent de 52 % aux États-Unis. L’année suivante, par contre, il a chuté à 45 %, bien en deçà des taux prépandémiques. Advenant une saison grippale intense, les auteurs estiment que cette faible couverture entraînerait plus de 180 000 hospitalisations de courte durée et près de 28 000 séjours à l’unité des soins intensifs, ce qui mettrait une énorme pression sur les ressources du système de santé. De l’avis des auteurs, l’analyse « montre que, dans un scénario de cocirculation, il faut augmenter le taux de vaccination actuel pour améliorer les résultats et éviter la saturation du système hospitalier ».

Le Dr Samir Sinha, directeur de la gériatrie, Mount Sinai and the University Health Network Hospitals, Toronto, et al. ont sondé plus de 1500 adultes du Canada sur leurs intentions et opinions concernant la vaccination. Les taux de vaccination contre le SARS-CoV-2 étaient élevés, mais seulement 48 % des répondants avaient été vaccinés contre la grippe en 2021-2022; les taux étaient plus élevés chez les adultes âgés, mais bien inférieurs à l’objectif national de 80 %. Le Dr Sinha se dit toutefois encouragé par les opinions des répondants. « Malgré le tapage publicitaire des mouvements anti-vaccination et des contestataires, la vaste majorité des Canadiens n’ont pas changé d’avis et pensent toujours que la vaccination est une option raisonnable, dit-il. Dans la majorité des cas où il y a eu changement d’opinion, c’était en faveur de la vaccination; seule une très faible minorité de répondants voyaient la vaccination d’un moins bon œil. La tendance était encore plus prononcée chez les adultes âgés, les personnes les plus susceptibles de bénéficier des vaccins. Ayant constaté que la vaccination contre la COVID-19 était porteuse, peut-être croient-ils davantage aux vertus de la vaccination en général. » Il souligne aussi que la plupart des répondants – surtout les adultes âgés – étaient ouverts à l’idée de recevoir simultanément le vaccin antigrippal et la dose de rappel du vaccin contre la COVID-19; par ailleurs, les adultes âgés étaient aussi plus susceptibles de se faire vacciner contre la grippe s’ils avaient accès à un vaccin d’efficacité rehaussée (à haute dose ou avec adjuvant).

Nouvelles données sur les vaccins actuels –
VII issus de cultures cellulaires

Les vaccins produits sur œuf sont les plus utilisés, mais leur efficacité vaccinale (EV) peut être moindre à cause de « l’adaptation à l’œuf » : le virus adapté à l’humain subit des mutations génétiques lors de la multiplication du virus dans un œuf d’oiseau, ce qui le rend moins antigénique. On a maintenant recours plus souvent à des systèmes de production reposant sur des cultures cellulaires afin d’améliorer l’EV.

Après une revue de publications et d’opinions d’experts sur l’adaptation à l’œuf, le Pr Victor Huber, University of South Dakota, et al. ont conclu qu’aux É.-U. et en Europe, l’EV risquait d’être moindre après les cultures sur œuf. « Le recours à un système de production qui ne repose pas sur des œufs et qui évite l’adaptation à l’œuf devrait être plus répandu vu ses effets positifs sur l’EV contre la grippe et, par conséquent, la diminution du nombre de cas de grippe et des coûts connexes pour le système de santé », concluent-ils.

Dans une affiche, le Dr Mahrukh Imran, CSL Seqirus, et al. ont présenté une comparaison rétrospective des résultats de la vaccination antigrippale chez des adultes de < 65 ans ayant reçu un vaccin quadrivalent inactivé contre l’influenza issu de cultures cellulaires (VII4cc) ou le vaccin équivalent cultivé sur œuf (VII4e) en 2019-2020. Dans tous les groupes d’âge, le VII4cc a été associé à un nombre moindre d’hospitalisations liées à la grippe et à des causes respiratoires ou cardiorespiratoires comparativement au VII4e. De plus, dans le groupe des 50 à 65 ans, le taux d’hospitalisation pour cause d’infarctus du myocarde a été plus faible chez ceux ayant reçu le VII4cc.

Vaccins d’efficacité rehaussée
pour les patients âgés

Pour les adultes âgés, il existe des VII « d’efficacité rehaussée » qui contiennent un adjuvant ou des doses plus élevées d’antigènes de façon à offrir une meilleur immunogénicité. Plusieurs analyses présentées à la conférence OPTIONS XI ont enrichi nos connaissances sur l’efficacité de ces produits dans le monde réel.

Le Dr Mahrukh Imran et al. ont analysé les résultats cardiorespiratoires obtenus chez des adultes âgés qui avaient reçu le vaccin trivalent inactivé contre l’influenza avec adjuvant (VII3-adj), le vaccin trivalent inactivé contre l’influenza à haute dose (VII3-HD) ou des VII4e durant la saison 2019-2020. Globalement, le VII3-adj s’est révélé plus efficace que les autres pour réduire le taux d’événements cardiorespiratoires indésirables, surtout les hospitalisations liées à la grippe. La différence d’EV relative (EVr) était plus marquée pour la comparaison VII3-adj vs VII4e que pour la comparaison VII3-adj vs VII3-HD, ce qui indique que les vaccins d’efficacité rehaussée – quel que soit le mode de rehaussement – pourraient être généralement plus efficaces que les préparations standard dans cette population. (Figure 2)

Figure 2 . 

 

Ces résultats sont étayés par une revue systématique et une méta-analyse du Dr Ian McGovern, CSL Seqirus, et al., ayant montré que le VII3-adj et le VII3-HD étaient d’efficacité similaire pour réduire le risque de visite ambulatoire liée à la grippe (EVr combinée de 8,5 %; IC à 95 % : -3,0 à 18,8) et le risque d’hospitalisation/de visite aux urgences (EVr combinée de 1,2 %; IC à 95 % : -1,3 à 3,8).

Nouvelles technologies et nouvelles cibles

« Le Graal de la recherche est un vaccin universel – contre la grippe saisonnière ou les nouveaux virus à l’origine de pandémies sporadiques – qui n’aura pas besoin d’être actualisé chaque année », affirme la Pre Kanta Subbarao, directrice, Centre collaborateur de l’OMS de référence et de recherche sur la grippe. Plusieurs communications et affiches présentées au congrès ont donné un aperçu de stratégies innovantes pour la création de vaccins offrant une protection élargie ou une efficacité supérieure.

Les vaccins antigrippaux actuels provoquent une réponse immunitaire vis-à-vis du domaine de la tête globulaire de l’hémagglutinine (HA), hautement antigénique mais sujette à une dérive génétique. Le Pr Raul Ortiz de Lejarazu, Centre national de recherche sur la grippe de Valladolid, en Espagne, s’est penché sur une autre cible virale possible pour un vaccin universel : la neuraminidase (NA), glycoprotéine de surface essentielle qui est moins vulnérable que l’HA à la dérive antigénique, mais aussi moins immunogène. Il a décrit comment les vaccins actuels ciblant l’HA provoquent une réponse additionnelle contre la NA; il sera crucial de caractériser cette réponse pour comprendre comment la NA pourrait servir d’antigène dans les préparations vaccinales futures. En terminant, il a précisé que plusieurs vaccins novateurs reposant sur la NA en sont aux premières étapes de leur développement.

Les vaccins à ARNm voient le jour

La pandémie de COVID-19 a marqué la commercialisation du premier vaccin à ARNm. Les auteurs de plusieurs affiches et communications présentées au congrès ont tenté de déterminer comment la technologie de l’ARNm pourrait améliorer les vaccins contre la grippe saisonnière et contre la grippe pandémique.

Le Dr Raffael Nachbagauer, Moderna USA, a présenté l’analyse intermédiaire d’un essai de phase I/II sur un vaccin quadrivalent à ARNm contre la grippe saisonnière (ARNm-1010) qui contient des épitopes de l’HA de deux sous-types de grippe A et de deux lignées de grippe B. Comparativement aux VII4e commercialisés, le vaccin à ARNm a été associé à des titres d’anticorps similaires à 29 jours pour la grippe B et à des titres d’anticorps plus élevés contre les souches de la grippe A. Le vaccin n’a soulevé aucune inquiétude majeure sur le plan de l’innocuité. La préparation d’un essai de phase III sur l’ARNm-1010 est en cours.

La Dre Yingxia Wen, CSL Seqirus, a présenté l’approche de l’entreprise concernant les vaccins à ARNm, laquelle repose sur un ARNm « autoréplicatif » (ARNm-ar) qui code sa propre réplicase et peut rapidement produire des antigènes dans la cellule hôte, ce qui donne lieu à une réponse immunitaire globale plus robuste moyennant un apport moindre d’ARNm. Chez la souris, un vaccin quadrivalent à ARNm-ar exprimant à la fois les antigènes de l’HA et de la NA a donné lieu à une réponse robuste en anticorps neutralisants à activité croisée et à une réponse cellulaire. Chez le furet, il s’est révélé efficace pour protéger contre l’infection grippale dans les voies respiratoires supérieures et inférieures. À en juger par ces résultats précliniques, l’entreprise a l’intention de procéder à un essai clinique de phase I.

Regard sur la saison grippale 2022-2023 et les saisons subséquentes dans l’hémisphère Nord

Des communications ont aussi porté sur la gestion de la prochaine saison grippale dans l’hémisphère Nord. « Nous avons changé d’ère grippale, mais dans les faits, le risque demeure inchangé. À mes yeux, ce sont les adultes âgés et les jeunes enfants qui sont le plus à risque, précise la Pre Teresa Lambe. La vaccination demeure la pierre angulaire de la protection contre la grippe. » Plusieurs présentateurs ont attiré l’attention de l’auditoire sur les nouvelles recommandations de l’Advisory Committee on Immunization Practices (ACIP) des CDC aux États-Unis :

• Chez les adultes de ≥ 65 ans, il faut privilégier l’un des vaccins antigrippaux à haute dose ou avec adjuvant suivants : vaccin quadrivalent inactivé contre l’influenza à haute dose (VII4-HD), vaccin recombinant quadrivalent (VAR4) ou VII4-adj.

• Si aucun de ces trois vaccins n’est accessible au moment de la vaccination, tout autre vaccin convenant à l’âge du patient doit être utilisé.

Lorsqu’on lui a demandé son avis à l’intention des professionnels de la santé (PS) et des patients du Canada, le Dr Samir Sinha a répondu : « Je veux que les PS et le public sachent que les vaccins demeurent la solution la plus efficace pour nous protéger contre les formes sévères de grippe ou de COVID-19. Certes, les gens sont inquiets et moins motivés au vu des rondes successives de vaccination, mais je pense que nous avons de très bonnes raisons de nous faire vacciner à l’approche de la saison grippale qui débute à l’automne 2022. Et nous devrions envisager la coadministration, parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir. » 

Questions et réponses

Questions et réponses tirées d’un entretien avec le Dr Samir Sinha, directeur de la gériatrie, Mount Sinai and the University Health Network Hospitals, à Toronto, en Ontario.

Q : Quels sont les facteurs qui vous ont incité à faire ce sondage?

Dr Sinha : Avant la pandémie, nous nous préoccupions de la couverture des « trois grands vaccins » chez les personnes âgées : grippe, pneumonie et zona. Près de 100 % des enfants reçoivent systématiquement les vaccins recommandés, mais les cibles de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) pour la vaccination des personnes âgées – population très vulnérable pour qui les vaccins seraient fort bénéfiques – contre la grippe et la pneumonie ne sont pas atteintes. Nous voulions savoir pourquoi. Est ensuite arrivée la pandémie de COVID-19, et nous avons vu que les adultes âgés étaient aussi de loin les plus vulnérables. Nous nous sommes demandé si notre belle performance de vaccination contre la COVID-19 pouvait contribuer à améliorer ou à modifier les attitudes à l’égard de la vaccination antigrippale.

Q : Sur quels aspects vous êtes-vous concentrés?

Dr Sinha : Premièrement, nous voulions savoir quelle proportion de nos répondants avaient été vaccinés contre la grippe et la COVID-19 l’année d’avant. Nous les avons ensuite interrogés pour savoir si leurs intentions et opinions concernant la vaccination avaient changé à la lumière de leur vécu. Enfin, nous voulions comprendre différentes options, comme la coadministration [du vaccin antigrippal et de la dose de rappel du vaccin contre la COVID-19] et la possibilité de recevoir un vaccin antigrippal d’efficacité rehaussée.

Q : Y a-t-il des résultats qui vous ont vraiment surpris?

Dr Sinha : Malgré la légère stagnation des dernières années, le nombre de Canadiens qui se font vacciner chaque année est probablement plus élevé que nous le pensions. C’est une bonne nouvelle, mais ça nous a un peu surpris.

Q : À en juger par les résultats de votre sondage, y a-t-il une stratégie qui, à votre avis, pourrait nous aider à améliorer les taux de vaccination antigrippale?

Dr Sinha : Au cours de la dernière année, beaucoup de données probantes solides ont confirmé que le vaccin contre la COVID-19 pouvait être administré en toute sécurité au moment de la vaccination contre la grippe saisonnière. C’est vraiment un point important parce que le début de la saison grippale coïncidera probablement avec le moment idéal pour la dose de rappel annuelle contre la COVID-19; peut-être serait-ce une bonne occasion de donner les deux vaccins simultanément. Lorsque le schéma de vaccination n’est pas pratique – par exemple, s’il doit y avoir un intervalle entre deux vaccins – les gens peuvent opter pour celui qui, à leur avis, les protège contre la maladie la plus dangereuse. La coadministration serait plus pratique et rassurerait tout le monde, car il est maintenant possible de se protéger contre les deux principales maladies mortelles durant la saison des maladies respiratoires (automne- hiver). La majorité des Canadiens sondés – tous âges confondus – et surtout les personnes âgées voyaient la coadministration d’un très bon œil.

Q : À la lumière des résultats de votre sondage, quelles mesures de santé publique aimeriez-vous voir mises en place?

Dr Sinha : Je pense que notre étude fournit aux autorités sanitaires des données probantes plus solides à l’appui du fait que les vaccins antigrippaux d’efficacité rehaussée amélioreraient la couverture vaccinale. La coadministration des doses de rappel du vaccin contre la COVID-19 est probablement une autre mesure qui améliorerait la couverture vaccinale. Si ces mesures sont mises en place, la santé des Canadiens et la stabilité du système de santé seront mieux protégées.

 

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.