Comptes rendus

Regina Qu’Appelle Health Region
London Health Sciences Centre

Centre de santé et de services sociaux de Chicoutimi

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PERSPECTIVE PROFESSIONNELLE - L’heure est au PROTOCOLE - Point de vue régional sur les preuves et les changements qui en découlent

avril 2013

Sous la direction de :

Tomás Cieza, MD
Cardiologue
Centre de santé et de services sociaux de Chicoutimi
Chicoutimi (Québec)

Pierre Bélisle, MD
Cardiologue
Centre de santé et de services sociaux de Chicoutimi
Chicoutimi (Québec)

Introduction

À la lumière des données générées par de vastes essais phares, le Centre de santé et de services sociaux de Chicoutimi (CSSSC) a récemment modifié son protocole de traitement antiplaquettaire dans la prise en charge des syndromes coronariens aigus (SCA). La modification de l’algorithme – dont l’objectif est de réduire significativement le risque d’événement cardiovasculaire (CV) majeur – consistait à remplacer le clopidogrel (antiplaquettaire de référence antérieur) par les nouveaux antiplaquettaires. Dans le nouvel algorithme, on précise dans quels cas le prasugrel et le ticagrelor doivent être utilisés pour conférer une protection supplémentaire contre les événements CV majeurs. Reposant sur les résultats des essais cliniques d’envergure qui ont motivé la mise à jour de l’algorithme, les recommandations ouvrent la porte à des gains cliniques découlant d’un effet antiplaquettaire plus marqué et, dans certains cas, d’un risque moindre de décès. Ces avantages s’accompagnent d’un risque faible et acceptable d’hémorragie majeure ou mineure. Compte tenu de l’importance fondamentale de désactiver les plaquettes pour modifier l’évolution naturelle d’un SCA, il est essentiel d’optimiser le traitement antiplaquettaire pour améliorer le pronostic des SCA. Précisons enfin que le nouveau protocole est compatible avec la mise à jour des recommandations nationales. 

Traitement de référence antérieur : une amélioration s’imposait

Pendant plus de 10 ans, la bithérapie antiplaquettaire clopidogrel + AAS a été la norme dans la prise en charge des SCA, mais le taux d’événements CV chez les patients ayant subi un SCA demeurait assez élevé. Lors de l’essai phare CURE, la bithérapie clopidogrel + AAS a été associée à un infarctus du myocarde (IM) récidivant, à une occlusion artérielle persistante ou à un décès d’origine CV chez 10 % des sujets même si le recours à la bithérapie a permis de diminuer le risque de 20 % par rapport à l’AAS seul1. Cette étude a été réalisée chez des patients ayant subi un IM sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI). Lors de l’essai CLARITY-TIMI 28, qui ciblait des patients ayant subi un IM avec sus-décalage du segment ST (STEMI), le risque résiduel de décès, d’AVC ou d’IM s’élevait à 9 % dans le groupe clopidogrel + AAS malgré une diminution de 31 % du risque d’événement CV majeur par rapport à l’AAS seul2.

Depuis le jour où ces études ont fait de la bithérapie clopidogrel + AAS le traitement de référence des SCA, deux essais d’envergure sur les SCA ont prouvé qu’un traitement antiplaquettaire plus efficace pouvait réduire davantage le risque CV. Dans l’un de ces essais, le ticagrelor était administré à tous les patients en proie à un SCA qui se présentaient à l’hôpital (sauf pour les patients en post-thrombolyse)3. Dans l’autre essai, le prasugrel était administré à des patients en proie à un SCA qui étaient sur le point d’avoir une intervention coronarienne percutanée (ICP)4. Au vu des résultats de ces essais, le CSSSC a décidé de modifier son protocole antiplaquettaire dans l’espoir d’obtenir de meilleurs résultats qu’avec le traitement de référence antérieur clopidogrel + AAS.

Dans le cadre de l’essai TRITON TIMI-38, 13 608 patients en proie à un SCA qui devaient subir une ICP ont été randomisés de façon à recevoir soit une dose d’attaque de prasugrel (60 mg) suivie d’une dose d’entretien de prasugrel (10 mg/jour), soit une dose d’attaque de clopidogrel (300 mg) suivie d’une dose d’entretien de clopidogrel (75 mg/jour). Les deux groupes recevaient de l’AAS. Environ 25 % des SCA étaient des STEMI; les autres étaient des NSTEMI.

Le traitement a été particulièrement bénéfique chez les sujets de l’essai TRITON TIMI-38 qui avaient subi un STEMI. Les données étayent un bénéfice global, même si, en administrant du prasugrel avant de connaître l’anatomie des coronaires, on augmente le risque hémorragique chez la faible proportion de patients qui auront besoin d’un pontage.

Dans l’essai PLATO, tous les sujets admis à l’hôpital pour un SCA ont été randomisés sans égard à l’intervention qu’ils allaient subir ou au traitement antiplaquettaire qu’ils avaient reçu antérieurement. Le groupe expérimental recevait une dose d’attaque de ticagrelor (180 mg), puis une dose d’entretien de ticagrelor (90 mg 2 fois/jour), tandis que le groupe de comparaison recevait une dose d’attaque de clopidogrel (300 ou 600 mg), puis une dose d’entretien de clopidogrel (75 mg/jour). Les deux groupes recevaient de l’AAS. Environ 37 % des 18 624 patients randomisés avaient eu un STEMI et les autres, un NSTEMI.

Par rapport au clopidogrel, le ticagrelor a diminué de 16 % le risque de survenue d’un événement compris dans le paramètre mixte (décès d’origine vasculaire, IM ou AVC) (HR 0,84; p<0,001). Sur le plan des hémorragies majeures totales, l’écart entre les deux groupes n’a pas atteint le seuil de significativité statistique (11,6 % vs 11,2 %; p=0,43). Fait unique dans un essai sur des antiplaquettaires, le ticagrelor a été associé à une diminution de 16 % (HR 0,84; valeur nominal de p<0,001) de la mortalité toutes causes confondues.

Mise en application des nouvelles données

La mise à jour de l’algorithme de traitement antiplaquettaire chez les patients en proie à un SCA devrait permettre au CSSSC d’améliorer les résultats si l’on en juge par les essais PLATO et TRITON-TIMI 38. Les données auraient justifié notre décision de remplacer le clopidogrel dans tous les types de SCA, mais nous avons privilégié le ticagrelor dans l’angor instable et les NSTEMI et le prasugrel dans les STEMI traités au moyen d’une ICP. Cette démarche, qui s’aligne davantage sur les données, nous permet de nous familiariser avec tous les antiplaquettaires, sans compter que nous pouvons changer d’antiplaquettaire s’il y a des effets indésirables ou si l’un deux n’est pas accessible ou n’est pas remboursé par la province. L’un des avantages du remplacement du clopidogrel par les nouveaux inhibiteurs du P2Y12 est une utilisation moindre des inhibiteurs de la glycoprotéine IIb/IIIa. Ces derniers sont maintenant réservés aux situations de dernier recours. Le bivalirudin est quant à lui utilisé exclusivement ou presque dans les ICP primaires.

L’administration d’AAS s’impose d’emblée devant un SCA; le choix du deuxième antiplaquettaire dépend du diagnostic, de la stratégie d’intervention et des caractéristiques du patient. Plusieurs organismes importants ont actualisé leurs recommandations de traitement antiplaquettaire en cas de SCA à la lumière des résultats des essais PLATO et TRITON-TIMI 38, mais il demeure approprié que les régions et les établissements élaborent leurs propres algorithmes en raison des différences d’une région ou d’un hôpital à l’autre quant à l’organisation des soins pour les SCA.

Dans les centres régionaux, y compris le CSSSC, les résultats de ces essais peuvent être appliqués directement. Dans les NSTEMI, le ticagrelor est devenu le partenaire idéal de l’AAS dans la bithérapie antiplaquettaire, mais il y a d’importantes exceptions, notamment les patients déjà sous anticoagulant ou ayant des antécédents d’hémorragie intracrânienne (Figure 1). Dans les cas où le ticagrelor ne convient pas, le clopidogrel demeure le partenaire idéal de l’AAS. Chez les patients qui reçoivent déjà du clopidogrel mais chez qui le ticagrelor serait approprié selon l’algorithme, le traitement doit être changé.

Figure 1. CSSSC : Algorithme de prise en charge des SCA


Chez les patients en proie à un STEMI qui doivent subir une ICP, le prasugrel s’est révélé plus efficace que le clopidogrel en association avec l’AAS dans le cadre d’une bithérapie antiplaquettaire. C’est pourquoi nous utilisons le prasugrel en angioplastie primaire. Toutefois, le ratio bénéfice:risque variait dans les divers sous-groupes de la population principale, ce qui a donné lieu à d’importantes exceptions et restrictions, notamment: les patients déjà sous anticoagulant, les patients ayant reçu un fibrinolytique récemment, les patients agés de plus de 75 ans, les patients dont le poids est inférieur à 60 kg et les patients ayant des antécédents d’ICT ou d’AVC. Chez ces sujets, les données semblent indiquer que le risque accru d’hémorragie majeure l’emporte sur l’avantage clinique d’une diminution relative des événements CV. Donc selon notre protocole pour le STEMI, lors de contre-indications au prasugrel, nous favorisons le ticagrelor.  

Pertinence du nouvel algorithme
dans les centres régionaux

À en juger par les données objectives voulant que les nouveaux antiplaquettaires puissent améliorer l’issue clinique d’un SCA, la prise en charge devrait être adaptée, mais cette adaptation n’est pas obligatoire. Au CSSSC, nous avons tenté d’élaborer un protocole régional qui soit adapté aux pratiques locales et à la réalité géographique tout en étant compatible avec les recommandations nationales et en demeurant à la fois simple et facile à appliquer. Nous avons donc préconisé un traitement d’association unique adapté à chaque tableau clinique. Cette approche est appropriée compte tenu des disparités importantes d’une région à l’autre dans la prise en charge d’un SCA, principalement imputables à la variabilité des ressources comme la proximité des équipes d’intervention rapide et le délai écoulé avant l’entrée en salle de cathétérisme. Cela dit, les centres régionaux ne doivent rater aucune occasion d’utiliser des schémas antiplaquettaires plus efficaces. Les habitudes de pratique dans les centres régionaux devraient s’appliquer aux hôpitaux communautaires, que le transfert des patients soit monnaie courante ou non.

Les nouvelles recommandations en vigueur au CSSSC reposent sur plusieurs hypothèses qui ne s’appliquent pas forcément aux centres communautaires avoisinants. Par exemple, l’obtention de meilleurs résultats avec le prasugrel chez un patient en proie à un STEMI sur le point de subir une ICP passe forcément par la possibilité de réaliser une ICP. Cela dit, l’algorithme actualisé repose sur des données concluantes et délimite avec précision les cas où l’association clopidogrel + AAS ne doit plus être considérée comme la norme.

De solides données nous permettent de conclure que le recours à des stratégies plus modernes chez les sujets appropriés améliore les résultats du traitement des SCA et peut même diminuer la mortalité. Dans la prise en charge des SCA, la mise en application de recommandations thérapeutiques a été associée à une amélioration statistiquement significative des résultats. Dans le cadre d’une étude d’observation qui regroupait 350 centres universitaires et non universitaires, à chaque augmentation de 10 % de l’adhésion aux recommandations factuelles correspondait une diminution de 10 % de la mortalité intrahospitalière5.

Conclusion

Les stratégies antiplaquettaires de première intention dans la prise en charge des SCA ont été révisées. Le ticagrelor et le prasugrel, deux nouveaux agents, nous donnent une bonne occasion d’améliorer les résultats par rapport au clopidogrel lorsque l’un de ces agents est associé à l’AAS. Chez les patients en proie à un NSTEMI, pour autant qu’ils aient été bien sélectionnés, le ticagrelor est plus avantageux que le clopidogrel et peut même réduire la mortalité. Le CSSSC a formulé ses recommandations expressément pour permettre à ses médecins de repérer ces occasions dans le cadre d’un algorithme facile à appliquer.

Questions et réponses

Q : Que pensez-vous du ratio bénéfice:risque des nouveaux antiplaquettaires dans le contexte de l’algorithme que l’on a actualisé pour diminuer le risque de thrombose tout en maintenant un taux acceptable d’hémorragies?

R : Pour nous, il était important que des essais cliniques avec randomisation aient objectivé ce bénéfice avant que nous songions à changer [le protocole]. Le ratio bénéfice:risque est considéré comme acceptable lorsque les patients sélectionnés peuvent tirer profit du traitement sans que le risque hémorragique s’en trouve accru.

Q : Les essais qui ont motivé l’actualisation des recommandations comparaient des antiplaquettaires dans différents sous-groupes de patients. Pourquoi, à votre avis, était-il important de prouver la supériorité du prasugrel ou du ticagrelor sur le clopidogrel dans différents types de SCA (STEMI, NSTEMI, angor instable, etc.)?

R :  Nous croyons qu’il y a deux raisons. D’abord, comme les nouveaux antiplaquettaires augmentent le risque hémorragique, ils doivent absolument être plus efficaces pour que le bénéfice clinique net soit supérieur. Deuxièmement, nous devons tenir compte du coût par rapport à celui du clopidogrel, qui existe maintenant en version générique.

Q : Que pensez-vous des éventuels effets indésirables des nouveaux antiplaquettaires compte tenu des meilleurs résultats qu’ils permettent d’obtenir?

R : Une fois de plus, nous devons bien sélectionner les patients et éviter les patients à risque élevé de complications.

Q : L’algorithme comporte des points de décision qui n’y étaient pas lorsque tous les patients recevaient du clopidogrel et de l’AAS. Que doit-on faire pour améliorer les résultats?

R :  Il s’agit là d’une bonne question parce que nous devons maintenant collaborer plus étroitement avec nos collègues du service des urgences afin de choisir la meilleure combinaison possible chez chaque patient. Notre protocole a été approuvé pour tous les hôpitaux de la région afin de favoriser la collaboration à tous les niveaux, l’objectif étant d’améliorer les normes de soins pour la population. 

Références

1. Yusuf et al. Effects of clopidogrel in addition to aspirin in patients with acute coronary syndromes without ST-segment elevation. N Engl J Med 2001;345(7):494-502.

2. Sabatine et al. Addition of clopidogrel to aspirin and fibrinolytic therapy for myocardial infarction with ST-segment elevation. N Engl J Med 2005;352(12):1179-89.

3. Wallentin et al. Ticagrelor versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2009;361(11):1045-57.

4. Wiviott et al. Prasugrel versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2007;357(20):2001-15.

5. Peterson et al. Association between hospital process performance and outcomes among patients with acute coronary syndromes. JAMA 2006;295(16):1912-20.



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