Comptes rendus

Centre hospitalier universitaire de Québec
St. Michael’s Hospital

Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PHYSICIAN PERSPECTIVE - L’heure est au PROTOCOLE - Perspective régionale : Évolution de la pratique découlant de données factuelles

avril 2013

Sous la direction de :

Michel Nguyen, MD, FRCPC
Cardiologie interventionnelle
Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke
Professeur titulaire de médecine
Université de Sherbrooke
Sherbrooke (Québec)

Introduction

Le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) a récemment modifié son protocole de traitement antiplaquettaire oral dans la prise en charge des syndromes coronariens aigus (SCA). La modification de l’algorithme – dont l’objectif est de réduire significativement le risque d’événements cardiovasculaires (CV) majeurs – consiste à remplacer le clopidogrel, en association avec l’AAS (traitement de référence antérieur), par les nouveaux antiplaquettaires. Dans le nouvel algorithme, on précise dans quels cas le prasugrel et le ticagrelor doivent être utilisés pour conférer une meilleure protection contre les événements CV majeurs. À en juger par les résultats des essais cliniques d’envergure qui ont motivé la mise à jour de l’algorithme, les recommandations ouvrent la porte à des gains cliniques découlant d’un effet antiplaquettaire plus marqué, avec conséquemment moins de récidives ischémiques et, dans certains cas, un risque moindre de décès. Ces avantages s’accompagnent d’un risque accru d’hémorragies majeures ou mineures, mais l’augmentation du risque demeure faible et acceptable. Compte tenu de l’importance fondamentale de désactiver les plaquettes pour modifier l’évolution naturelle d’un SCA, il est essentiel d’optimiser le traitement antiplaquettaire pour améliorer le pronostic des SCA. Précisons enfin que le nouveau protocole est compatible avec les dernières recommandations nationales. 

Traitement de référence antérieur :
une amélioration s’imposait

 

Pendant plus de 10 ans, la bithérapie antiplaquettaire clopidogrel + AAS a été la norme dans la prise en charge des SCA, mais le taux d’événements CV chez les patients victimes d’un SCA demeurait assez élevé. Lors de l’essai phare CURE, l’association clopidogrel + AAS a diminué de 20 % le risque d’IM récidivant, d’AVC ou de décès par rapport à l’AAS seul, mais on a tout de même enregistré la survenue d’un de ces événements chez 10 % des sujets sous traitement antiplaquettaire combiné1. Cette étude a été réalisée chez des pastients victimes d’un IM sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI). Lors de l’essai CLARITY-TIMI 28, qui ciblait des patients victimes d’un IM avec sus-décalage du segment ST (STEMI), le risque résiduel de décès, d’AVC ou d’IM s’élevait à 9 % dans le groupe sous clopidogrel + AAS malgré une diminution de 31 % des IM par rapport à l’AAS seul2.

Depuis le jour où ces études ont fait de la bithérapie clopidogrel + AAS le traitement de référence des SCA, deux essais d’envergure sur les SCA ont prouvé qu’un traitement antiplaquettaire plus efficace pouvait réduire davantage le risque CV. Dans l’un de ces essais, le ticagrelor était administré à tous les patients victimes d’un SCA qui se présentaient à l’hôpital, y compris ceux sous clopidogrel avant le début de l’étude3. Dans l’autre essai, le prasugrel était administré à des patients avec un SCA qui n’avaient jamais reçu de clopidogrel et sur le point d’avoir une intervention coronarienne percutanée (ICP) ou admissibles à une intervention « ad hoc » lors de la coronarographie diagnostique.4 Les résultats de ces essais nous ont permis d’obtenir de meilleurs résultats qu’avec le traitement de référence antérieur.

Dans le cadre de l’essai TRITON TIMI-38, 13 608 patients en proie à un SCA admissibles à une ICP, en urgence ou non, ont été randomisés de façon à recevoir soit une dose d’attaque de prasugrel (60 mg) suivie d’une dose d’entretien de prasugrel (10 mg/jour), soit une dose d’attaque de clopidogrel (300 mg) suivie d’une dose d’entretien de clopidogrel (75 mg/jour). Dans les deux groupes, la dose d’attaque était le plus souvent administrée juste avant l’ICP. Les deux groupes ont reçu de l’AAS. Environ 25 % des SCA étaient des STEMI; les autres étaient des NSTEMI.

Par comparaison au clopidogrel, le prasugrel a diminué de 19 % le risque de survenue d’événements combinés (mortalité CV, IM ou AVC : HR 0,81; p<0,001), principalement en raison du nombre moindre d’IM. Sous prasugrel, le risque d’hémorragie majeure a augmenté de 32 % (HR 1,32; p=0,03) et le risque d’hémorragie potentiellement mortelle, de 52 % (HR 1,52; p=0,01), par rapport au clopidogrel. Il n’y avait toutefois aucune différence sur le plan de la mortalité. Les auteurs ont conclu qu’il fallait soupeser la protection accrue contre les récidives ischémiques en regard du risque hémorragique accru, mais des analyses post hoc – avec leurs limites inhérentes – ont permis d’orienter la sélection optimale des candidats. Lors de l’essai TRILOGY-ACS, le prasugrel ne s’est pas révélé supérieur au clopidogrel chez des sujets orientés vers une stratégie conservatrice ou médicale5.

Dans l’essai PLATO, tous les sujets admis à l’hôpital pour un SCA ont été randomisés sans égard à la stratégie de prise en charge envisagée ou au traitement antiplaquettaire qu’ils avaient reçu antérieurement. Ils étaient admis dans l’étude précocement afin de recevoir le traitement antiplaquettaire combiné en amont, conformément aux protocoles et recommandations, tant à l’échelle régionale que nationale, pour les NSTEMI. Le groupe expérimental recevait une dose d’attaque de ticagrelor (180 mg), puis une dose d’entretien de ticagrelor (90 mg 2 fois/jour), tandis que le groupe témoin recevait une dose d’attaque de clopidogrel (300 ou 600 mg), puis une dose d’entretien de clopidogrel (75 mg/jour). Ainsi, les patients qui étaient déjà sous clopidogrel changeaient d’antiplaquettaire ou poursuivaient leur traitement avec le clopidogrel. De plus, il était permis, lors de l’intervention percutanée pour ceux qui avaient reçu une dose d’attaque de 300 mg de clopidogrel, d’administrer une nouvelle dose de charge concordant avec le groupe dans lequel ils avaient été randomisés. Les deux groupes recevaient de l’AAS. Environ 37 % des 18 624 patients randomisés avaient eu un STEMI et les autres, un NSTEMI.

Par rapport au clopidogrel, le ticagrelor a diminué de 16 % le risque de survenue d’un événement compris dans l’objectif primaire composé (décès d’origine vasculaire, IM ou AVC) (HR 0,84; p<0,001). Sur le plan des hémorragies majeures totales, l’écart entre les deux groupes n’était pas statistiquement significatif (11,6 % vs 11,2 %; p=0,43), mais les hémorragies majeures non liées à un pontage aorto-coronarien étaient significativement plus fréquentes (4,5 % vs 3,8 %; p=0,026). Fait unique dans un essai sur des antiplaquettaires, le ticagrelor a été associé à une diminution de 22 % (HR 0,78; valeur nominale de p<0,001) de la mortalité toutes causes confondues (diminution de 21% du risque de décès d’origine vasculaire : HR 0,79; valeur nominale de p<0,001). Le ticagrelor s’est révélé avantageux dans la quasi-totalité des sous-groupes, y compris chez les sujets ayant des antécédents d’ischémie cérébrale transitoire (ICT) ou d’AVC. Cet avantage était indépendant de l’âge, du poids ou de la stratégie de prise en charge (traitement invasif précoce; traitement invasif post-sélection; ou traitement médical/non invasif).

Mise en application des nouvelles données

La mise à jour du protocole de traitement antiplaquettaire chez les patients en proie à un SCA devrait nous permettre d’améliorer les résultats si l’on en juge par les essais PLATO et TRITON-TIMI 38. Si l’administration d’AAS s’impose d’emblée dans tous les SCA, le choix du deuxième antiplaquettaire dépend du diagnostic, de la stratégie d’intervention et du tableau clinique. Plusieurs organismes importants ont actualisé leurs recommandations de traitement antiplaquettaire en cas de SCA à la lumière des résultats des essais PLATO et TRITON-TIMI 38, mais il demeure approprié que les régions et les établissements élaborent leurs propres algorithmes en raison des différences d’une région ou d’un hôpital à l’autre quant aux protocoles établis, préférences thérapeutiques et à l’organisation des services et des soins pour les SCA.

Dans les centres régionaux, y compris le CHUS, les résultats des essais PLATO et TRITON-TIMI 38 peuvent être appliqués directement. Dans les NSTEMI, le ticagrelor est devenu le partenaire idéal de l’AAS dans la bithérapie antiplaquettaire, mais il y a d’importantes exceptions, notamment les patients sous anticoagulant oral ou ayant des antécédents d’hémorragie intracrânienne (Figure 1). Dans les cas où le ticagrelor ne convient pas, le clopidogrel demeure le partenaire idéal de l’AAS. Chez les patients qui reçoivent déjà du clopidogrel mais chez qui le ticagrelor serait approprié selon l’algorithme, le traitement doit être changé.

Figure 1.

Chez les patients victimes d’un STEMI bénéficiant d’une ICP primaire, le prasugrel s’est révélé plus efficace que le clopidogrel en association avec l’AAS dans le cadre d’une stratégie antiplaquettaire, mais le ratio risque:bénéfice variait dans les divers sous-groupes de la population principale, ce qui a donné lieu à d’importantes exceptions et restrictions. Ainsi, par comparaison au prasugrel, non seulement le clopidogrel demeure-t-il le partenaire idéal de l’AAS chez les patients déjà sous anticoagulant oral, les patients ayant des antécédents d’hémorragie intracrânienne ou les patients ayant reçu un fibrinolytique récemment, mais aussi chez les patients de plus de 75 ans, les patients dont le poids est inférieur à 60 kg et les patients ayant des antécédents d’ICT ou d’AVC. Chez ces sujets, les données semblent indiquer que le risque accru d’hémorragie majeure amenuise l’avantage clinique d’une diminution relative des événements CV.

Le ticagrelor, en revanche, est une solution de rechange intéressante au clopidogrel chez les patients en proie à un STEMI qui ne prennent pas d’anticoagulant oral, sans antécédent d’hémorragie intracrânienne et orientés vers une ICP primaire.

Hormis l’allergie au clopidogrel, le champ thérapeutique des nouveaux antiplaquettaires est limité au SCA jusqu’à 12-15 mois après l’événement index. Il n’y a pas d’indication pour l’utilisation des nouveaux agents au long terme dans la maladie coronarienne stable ou pour l’installation élective d’endoprothèse coronarienne où le clopidogrel est toujours recommandé.

Pour la prévention CV, l’AAS à faible dose (80 à 160 mg) est recommandée en monothérapie aussi bien qu’en bithérapie; cette faible dose est particulièrement importante avec les nouveaux antiplaquettaires pour optimiser le bénéfice.

Pertinence du nouvel algorithme dans
les centres régionaux

À en juger par les données objectives voulant que les nouveaux antiplaquettaires puissent améliorer les résultats du traitement d’un SCA, la prise en charge devrait être adaptée, mais cette adaptation n’est pas obligatoire dans son ensemble ou en totalité. Compte tenu des disparités importantes d’une région à l’autre dans la prise en charge d’un SCA – comme la proximité des équipes et infrastructures d’intervention ainsi que le délai écoulé avant la coronarographie  –, principalement imputables à la variabilité des ressources, on doit adapter les recommandations thérapeutiques aux réalités régionales. Les algorithmes de traitement des centres régionaux doivent tenir compte de ces variables. Cela dit, les centres régionaux ne doivent pas pour autant rater l’occasion d’utiliser des schémas antiplaquettaires plus efficaces. Les habitudes de pratique dans les centres régionaux devraient s’appliquer aux hôpitaux communautaires, que le transfert des patients soit monnaie courante ou non. Un traitement précoce en amont permet de maximiser les avantages pour le patient.

Les nouvelles recommandations en vigueur au CHUS reposent sur plusieurs éléments qui ne s’appliquent pas forcément en totalité aux centres communautaires avoisinants. Le protocole et l’algorithme suivi sont cependant compatibles avec les recommandations nationales en vigueur. Cela dit, l’algorithme actualisé repose sur des données concluantes et délimite avec précision les cas où l’association clopidogrel + AAS ne doit plus être considérée comme la norme.

De solides données nous permettent de conclure que le recours à des stratégies plus modernes chez les sujets appropriés améliore les résultats du traitement des SCA et peut même diminuer la mortalité. Dans la prise en charge des SCA, la mise en application de recommandations thérapeutiques a été associée à une amélioration statistiquement significative des résultats. Dans le cadre d’une étude observationnelle qui regroupait 350 centres universitaires et non universitaires, à chaque augmentation de 10 % de l’adhésion aux recommandations factuelles correspondait une diminution relative de 10 % de la mortalité intrahospitalière6.

Conclusion

Les stratégies antiplaquettaires de première intention dans la prise en charge des SCA ont été révisées. Le ticagrelor et le prasugrel, deux nouveaux agents, nous donnent une bonne occasion d’améliorer les résultats par rapport au clopidogrel lorsque l’un de ces agents est associé à l’AAS. Chez les patients victimes d’un NSTEMI ou d’un STEMI, pour autant qu’ils aient été bien sélectionnés, le ticagrelor est plus avantageux que le clopidogrel et peut même réduire la mortalité. Le CHUS a formulé ses recommandations expressément pour permettre à ses médecins de repérer ces occasions dans le cadre d’un algorithme facile à appliquer.

Question et réponse

Q : Que pensez-vous du ratio risque:bénéfice des nouveaux anti-plaquettaires dans le contexte de l’algorithme que l’on a actualisé pour diminuer le risque thrombotique tout en maintenant un taux acceptable d’hémorragies?

R : Le ratio risque:bénéfice du ticagrelor est plus avantageux que celui du prasugrel, l’excédent d’hémorragies étant moins marqué sous ticagrelor. En outre, il y a moins de sous-groupes où le risque hémorragique diminue le bénéfice sous ticagrelor.

Q : Les essais qui ont motivé l’actualisation des recommandations comparaient des antiplaquettaires dans différents sous-groupes de patients. Pourquoi, à votre avis, était-il important de prouver la supériorité du prasugrel ou du ticagrelor sur le clopidogrel dans différents types de SCA (STEMI, NSTEMI et angor instable)? 

R : Le prasugrel et le ticagrelor ont tous deux été étudiés dans différents types de SCA, mais c’est en présence de NSTEMI et de STEMI que les données sont les plus concluantes; il importe de souligner que la physiopathologie, la stratégie de prise en charge et le pronostic de ces deux types de SCA diffèrent. Le ticagrelor est plus avantageux dans la quasi-totalité des sous-groupes, y compris chez les patients ayant des antécédents d’AVC ischémique, les patients orientés vers la stratégie conservatrice et les patients ayant reçu un traitement invasif. Le bénéfice ne varie pas selon l’âge ou le poids du patient. Dans l’essai TRILOGY ACS, en revanche, le prasugrel n’a conféré aucun avantage comparativement au clopidogrel chez des patients traités avec la stratégie conservatrice ou médicale5.

Q : Que pensez-vous des éventuels effets indésirables des nouveaux antiplaquettaires compte tenu des meilleurs résultats qu’ils permettent d’obtenir?

R : C’est principalement le risque hémorragique qui est inquiétant. Cela dit, l’augmentation du risque d’hémorragie non liée au pontage aorto-coronarien est faible, surtout avec le ticagrelor, et la sélection judicieuse des patients contribue à l’optimisation du bénéfice. Les deux autres principaux effets indésirables possibles du ticagrelor sont la dyspnée et la bradyarythmie. La dyspnée est bénigne et se distingue facilement de celle qui résulte de l’insuffisance cardiaque ou d’une décompensation respiratoire associée à la MPOC; s’il est rassuré adéquatement, le patient poursuit généralement son traitement. Dans l’essai PLATO, la bradyarythmie n’a pas donné lieu à des événements cliniquement significatifs. On devrait néanmoins tenir compte du risque de ces effets indésirables dans la sélection et le suivi des patients.

Q : L’algorithme comporte des points de décision qui n’étaient pas présents lorsque tous les patients recevaient du clopidogrel et de l’AAS. Que doit-on faire pour améliorer l’adhésion et les résultats?

R : Le transfert des connaissances pourrait faciliter la mise en application des recommandations.   

 

Références

1. Yusuf et al. Effects of clopidogrel in addition to aspirin in patients with acute coronary syndromes without ST-segment elevation. N Engl J Med 2001;345(7):494-502.

2. Sabatine et al. Addition of clopidogrel to aspirin and fibrinolytic therapy for myocardial infarction with STsegment elevation. N Engl J Med 2005;352(12):1179-89.

3. Wallentin et al. Ticagrelor versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2009;361(11):1045-57.

4. Wiviott et al. Prasugrel versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2007;357(20):2001-15.

5. Roe et al. Prasugrel versus clopidogrel for acute coronary syndromes without revascularization. N Engl J Med 2012;367:1297-309.

6. Peterson et al. Association between hospital process performance and outcomes among patients with acute coronary syndromes. JAMA 2006;295(16):1912-20.



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