Comptes rendus

Questions contemporaines dans l’insuffisance cardiaque : Recommandations consensuelles de 2006 de la Société canadienne de cardiologie
Inhibition directe de la rénine : blocage en amont du système rénine-Angiotensine dans l’hypertension

Confirmation d’un changement dans l’évolution naturelle de l’athérosclérose grâce à l’échographie endovasculaire

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

55es Séances scientifiques annuelles de l’American College of Cardiology

Atlanta, Géorgie / 11-14 mars 2006

La maladie cardiovasculaire (MCV) a un jour été décrite comme un rétrécissement progressif des artères résultant de l’accumulation de lésions sténosantes et entraînant des épisodes ischémiques qui, avec le temps, aboutissent à une thrombose et à un infarctus du myocarde (IM). Selon cette vision traditionnelle, l’angiographie – qui montre la lumière de l’artère – était largement considérée comme la meilleure méthode pour mesurer l'ampleur de la maladie. L’échographie endovasculaire (IVUS, pour intravascular ultrasound) a bouleversé cette théorie. L’IVUS – qui mesure à la fois la lumière et la paroi artérielle – a démontré que les plaques athéromateuses font saillie dans la lumière dans les tout derniers stades de la maladie. La majeure partie de l’athérosclérose qui aboutit à un événement cardiovasculaire (CV) réside dans la paroi même, ce que l’angiographie ne permet pas de visualiser.

L’athérosclérose, une maladie de la paroi artérielle

«Depuis longtemps, la MCV est considérée comme une maladie de la lumière artérielle, mais c’est en fait une maladie de la paroi vasculaire. La lumière ne change pas vraiment beaucoup au fil du temps. Au contraire, les plaques athéromateuses se répandent dans l’ensemble de l’arbre artériel et, lorsqu’il y a rupture, un événement CV survient rapidement», explique le Dr Steven Nissen, directeur médical, Cleveland Clinic Cardiovascular Coordinating Center, Ohio. Nouveau président désigné de l’American College of Cardiology, le Dr Nissen a été l’un des premiers à préconiser l’IVUS, et ses études ont contribué à une évolution majeure de la conception de l’athérosclérose et à l’utilisation de l’IVUS pour évaluer les effets des traitements antiathéroscléreux.

L’IVUS fournit des coupes transversales de l’artère qui permettent de mesurer la lumière et la paroi artérielle avec précision. Comme le cathéter muni d’un transducteur est acheminé dans l’artère, il prend des clichés à intervalles fixes et reproductibles. Lors d’études exploratoires, cet outil a permis au Dr Nissen de montrer que l’athérosclérose peut progresser énormément sans que l’on voie de changement ou presque dans le diamètre de la lumière (Nissen et al. Circulation 2001;103:604-16). Lorsque des chercheurs d’autres centres ont confirmé que la paroi artérielle était déjà porteuse d’un lourd fardeau de plaques avant de faire saillie dans la lumière, la perception de l’évolution de cette maladie a été bouleversée. Fait digne de mention, les résultats nous ont permis de comprendre pourquoi la majorité des IM surviennent chez des patients qui ne présentent pas de sténose artérielle marquée.

«Au début des années 1990, l’IVUS nous a donné pour la première fois la possibilité de voir et de mesurer les plaques, rappelait le Dr Nissen à l’auditoire. Nous savions déjà à ce moment-là que la plupart des IM ne résultaient pas de la rupture de lésions sténosantes importantes, mais cette découverte nous a surpris. On a constaté que le remodelage de l’artère imputable à l’athérosclérose se faisait presque entièrement dans la paroi vasculaire.»

REVERSAL : l’IVUS montre des changements dans la plaque athéromateuse

Selon les résultats de l’étude REVERSAL (Reversal of Atherosclerosis with Aggressive Lipid Lowering), la maîtrise de la progression des plaques athéromateuses dans la paroi vasculaire pourrait être le facteur qui explique les réductions majeures du nombre d’événements cliniques que l’on a observées dans les essais sur les statines. Dans le cadre de l’étude REVERSAL, on a eu recours à l’IVUS afin de comparer deux statines ayant des puissances différentes pour abaisser le taux de LDL; plus précisément, on souhaitait comparer leurs effets sur l’athérosclérose. Cette étude – dont les résultats ont été publiés dans le Journal of the American Medical Association (Nissen et al. JAMA 2004;291:1071-80) – portait sur 502 patients répartis dans 34 centres et s’échelonnait sur 18 mois. Dans le groupe de patients ayant reçu, après répartition aléatoire, 80 mg d’atorvastatine, le taux moyen de LDL a baissé jusqu’à environ 2,05 mmol/L. Dans le groupe pravastatine à 40 mg, le taux moyen de LDL calculé pendant la période de l’étude est passé à environ 2,85 mmol/L. Dans le groupe atorvastatine, l’IVUS a mis en évidence une réduction légère et non significative de l’épaisseur moyenne des plaques athéromateuses par rapport aux valeurs initiales, alors que, dans le groupe pravastatine, on a observé une progression significative.

«Le schéma plus intensif a ramené la progression de l’athérosclérose à zéro. Ce résultat a soulevé l’enthousiasme des chercheurs. C’était la première fois que l’on prouvait qu’il était possible de stopper la progression de la maladie si les taux de LDL étaient abaissés suffisamment. Cependant, malgré son titre, l’étude n’a pas réussi à montrer que la maladie pouvait régresser», affirme le Dr Nissen.

Les résultats de REVERSAL ont jeté la lumière sur ceux de PROVE-IT/TIMI-22 (Pravastatin or Atorvastatin Evaluation and Infection Therapy – Thrombolysis in Myocardial Infarction 22), lesquels ont été publiés à peu près au même moment (Cannon et al. N Engl J Med 2004;350:1495-504). PROVE-IT visait à comparer les deux mêmes stratégies hypolipidémiantes aux mêmes doses que dans REVERSAL chez 4162 patients hospitalisés pour un syndrome coronarien aigu. L’hypothèse de l’étude voulait que les deux stratégies soient bénéfiques, mais la stratégie hypolipidémiante plus énergique s’est révélée significativement plus efficace pour réduire le nombre d’événements CV. Après deux ans, chez les patients randomisés dans le groupe bénéficiant de la stratégie plus énergique, on a observé une réduction hautement significative de 16 % (p=0,005) du paramètre regroupant la mortalité toutes causes confondues, les IM, les épisodes confirmés d’angor instable nécessitant l’hospitalisation, les interventions de revascularisation et les AVC.

TNT : plus le taux de LDL est faible, meilleurs sont les résultats

La théorie selon laquelle plus le taux de LDL est faible chez les patients à risque élevé, meilleurs sont les résultats, a été étayée par plusieurs essais subséquents, surtout TNT (Treating to New Targets). Cette étude randomisée qui regroupait 10 001 patients a mis en évidence une réduction relative de 22 % du nombre d’événements CV majeurs lorsque le taux de LDL était abaissé en moyenne à 2,0 mmol/L, par comparaison à un taux moyen de 2,6 mmol/L, c’est-à-dire le taux cible recommandé au moment où l’essai a été réalisé (LaRosa et al. N Engl J Med 2005;352:1425-35). Selon les données des études sur les lipides analysées par les Cholesterol Treatment Trialists Collaborators, chaque baisse de 1,0 mmol/L du taux de LDL se traduit par une réduction de 21 % du nombre d’événements vasculaires (Baigent et al. Lancet 2005;366:1267-78). De plus, aucune analyse des données tirées d’études sur les lipides, y compris les données générées par PROVE-IT et TNT, n’a réussi à établir un seuil en deçà duquel la baisse du taux de LDL ne se traduit par aucun bienfait supplémentaire.

L’importance d’abaisser les taux lipidiques a motivé l’étude ASTEROID (A Study to Evaluate the Effect of Rosuvastatin on Intravascular Ultrasound-Derived Coronary Atheroma), qui devait déterminer si un taux de LDL encore plus faible pouvait améliorer l’athérosclérose telle que mesurée par l’IVUS. La possibilité d’une régression réelle des plaques athéromateuses, même sous l’effet d’une baisse maximale des taux lipidiques, soulevait beaucoup de scepticisme, reconnaît le Dr Nissen. L’étude ASTEROID a donc été conçue pour répondre à cette question. Les résultats représentent une percée.

«Au cours de l’étude, un traitement hypolipidémiant très intensif a autorisé une régression hautement significative sur le plan statistique, et celle-ci était étonnamment marquée, indique le Dr Nissen. C’est la première étude à démontrer qu’un agent hypolipidémiant peut réduire les plaques athéromateuses et ce, à un degré substantiel.»

ASTEROID : participation de plusieurs centres

Dans le cadre de l’étude ASTEROID, 507 patients provenant de 53 centres aux États-Unis, au Canada, en Europe et en Australie ont été évalués à l’IVUS avant d’amorcer un schéma à base de rosuvastatine à 40 mg une fois par jour. Tous les patients devaient présenter une sténose de plus de 20 % dans au moins une artère coronaire majeure, mais la sténose du vaisseau cible ne devait pas excéder 50 %. Les patients, qui n’avaient jamais pris de statine (c’est-à-dire, moins de trois mois de traitement par une statine au cours des 12 derniers mois), étaient exclus s’ils avaient déjà subi une intervention de revascularisation dans le vaisseau cible ou un IM.

Au départ, le taux de LDL s’établissait en moyenne à 3,35 mmol/L. En cours de traitement, ce taux a baissé à 1,50 mmol/L en moyenne, ce qui revient à une réduction de 53,2 %. Le taux de HDL est passé en moyenne de 1,1 à 1,3 mmol/L, ce qui représente une augmentation de 14,7 %. L’augmentation du taux de HDL était étonnamment importante pour une étude sur une statine. Ce taux moyen de LDL est le plus faible jamais rapporté dans une étude d’envergure.

Lorsque l’IVUS a été répétée après deux ans, le volume athéromateux avait baissé de 7 à 10 % (p<0,001). La réduction absolue du volume athéromateux dans la totalité de l’artère cible se chiffrait à 12,5 mm3, soit une diminution de 6,8 % (p<0,001). Lorsque les chercheurs ont comparé toutes les mesures faites à l’IVUS à la fin de l’étude avec les mesures initiales, ils ont observé une régression du volume athéromateux dans 63,6 % des cas et une progression dans 36,4 % des cas. Dans le segment de 10 mm le plus atteint de l’artère cible, une régression a été constatée dans 78,1 % des cas et une progression, dans 21,9 % des cas. Les réductions étaient constantes dans tous les sous-groupes prédéterminés (âge inférieur ou supérieur à la médiane, sexe et indice de masse corporelle supérieur ou inférieur à la médiane).

Favoriser la régression en abaissant le taux de LDL

«Lorsque nous avons stratifié les patients en fonction du taux de LDL, on a observé une régression plus marquée chez les patients dont le taux était faible que chez ceux dont le taux était plus élevé, et les différences entre les taux les plus faibles et les taux les plus élevés étaient significatives», rapporte le Dr Nissen. Comme ce fut le cas dans REVERSAL, les chercheurs n’ont pas observé de régression significative lorsque le taux de LDL était supérieur à 1,8 mmol/L, mais la régression était significative lorsque le taux de LDL était inférieur à 1,8 mmol/L.

Le traitement a été bien toléré. Aucun cas de rhabdomyolyse n’a été signalé au cours des deux années de l’évaluation, et des dysfonctions hépatiques sont survenues chez moins de 2 % des patients, taux auquel on s’attendrait au sein d’une population non traitée. Le taux d’effets indésirables ne différait en rien de ce qui avait été rapporté pour d’autres schémas de statines à doses élevées, malgré le taux beaucoup plus faible de LDL atteint dans cette étude, précise le Dr Nissen.

ASTEROID ne comportait pas de groupe témoin, élément qui a été critiqué par les conférenciers qui ont exprimé leur point de vue après la présentation des données, mais le Dr Nissen a rétorqué en disant que l’étude était dotée de puissants contrôles internes qui protégeaient l’intégrité des données. Fait très important, les clichés d’IVUS ont été examinés par des experts qui ignoraient leur séquence; ces experts ne savaient donc pas si les clichés avaient été pris au départ ou après le traitement. Le Dr Nissen a également fait remarquer que plusieurs raisons avaient motivé l’absence d’un groupe témoin, entre autres la crainte qu’un groupe recevant un placebo ou une statine administrée à faible dose soit contraire à l’éthique au sein d’une population de patients dont la maladie coronarienne est établie. Enfin – et c’est là le point le plus important – l’étude avait pour objectif d’évaluer l’effet d’une baisse du taux de LDL sur le volume athéromateux plutôt que de comparer des stratégies de traitement.

L’étude ASTEROID revêt une grande importance parce qu’elle a montré qu’un traitement hypolipidémiant très intensif peut non seulement ralentir l’athérosclérose, mais aussi faire régresser le processus morbide efficacement, estime le Dr Nissen. Cependant, souligne-t-il, nous avons maintenant besoin d’une étude avec paramètres cliniques pour confirmer si la régression se traduit par une baisse de la mortalité et du nombre d’événements CV. En d’autres termes, «cette étude n’a pas montré de variation de la morbidité ou de la mortalité. Nous pensons que ce sera la suite logique, et le moment est venu de recueillir des données cliniques.»

De plus, l’étude n’a pas encore établi de taux de LDL cible. Si les données portent à croire que le taux de LDL devrait être abaissé en deçà des taux cibles actuels, une évaluation préliminaire des données d’ASTEROID n’a pas établi de taux de LDL en deçà duquel on n’observait aucun effet favorable supplémentaire sur le volume athéromateux. Le Dr Nissen estime qu’un taux de 1,3 mmol/L sera supérieur à un taux de 1,5 mmol/L, mais un taux de LDL cible n’est peut-être plus la meilleure façon de conceptualiser la baisse des taux lipidiques. Citant des données montrant qu’un taux de LDL avoisinant 1,0 mmol/L pourrait être le taux physiologique chez l’humain, il affirme qu’«il pourrait être plus important de ramener le taux de LDL au niveau le plus faible possible sans pour autant causer d’effets indésirables graves que de viser un taux cible unique – pour autant, bien sûr, que les statistiques cliniques corroborent les avantages observés dans ASTEROID.»

HDL : la prochaine cible thérapeutique principale?

Après plus de 10 ans d’essais d’envergure montrant les bienfaits d’un traitement énergique de l’hyper-cholestérolémie pour réduire le risque CV, l’histoire du taux de LDL tire à sa fin. La théorie voulant qu’un taux plus faible soit toujours préférable s’est maintenue malgré plusieurs ajustements dans les lignes directrices, mais pour obtenir une protection supplémentaire contre la MCV, il faudra peut-être cibler d’autres sous-fractions lipidiques, surtout les HDL. Selon de nouvelles données issues de TNT, le taux de HDL et le ratio LDL:HDL seraient d’importants facteurs prédictifs indépendants des événements CV. Bien que les principaux résultats de TNT aient mis en évidence une corrélation étroite entre la baisse du taux de LDL et la baisse du nombre d’événements cliniques, le taux de HDL demeure prédictif des événements CV majeurs, peu importe le taux de LDL.

«Le taux de LDL est assurément important, mais il n’explique pas tout», affirme l’auteur principal de cette étude satellite de TNT, le Dr Philip Barter, The Heart Institute, Sydney, Australie. «Je crois que l’augmentation du taux de HDL sera notre prochain cheval de bataille si nous aspirons à réduire le risque CV, et plusieurs études sont en cours pour confirmer ou infirmer cette théorie.»

Lors de l’étude satellite de TNT, les 10 001 patients ont été stratifiés en fonction du taux de HDL et on a comparé les strates en fonction des événements CV. Une corrélation inverse hautement significative a été établie entre le taux de HDL et les événements CV majeurs (p<0,0001). À chaque augmentation de 0,025 mmol/L du taux de HDL correspond une réduction de 2 % du risque relatif d’événement CV. Bien que ces résultats soient compatibles avec ceux des études antérieures, la persistance du taux de HDL comme facteur prédictif du risque CV, même chez les patients ayant un taux de LDL très faible, souligne son potentiel en tant que cible thérapeutique.

Le taux de LDL est non seulement un marqueur bien établi du risque, mais aussi un facteur dont la contribution à la pathogenèse de la MCV a été démontrée. Les données issues de l’IVUS montrant que la baisse du taux de LDL permet non seulement de stopper la progression de l’athérosclérose, mais aussi de la faire régresser, viennent boucler la boucle. En effet, les observations cliniques ont fait place à des données objectives prouvant un effet sur les mécanismes fondamentaux de la maladie.

Résumé

L’IVUS nous a aidés à voir comment l’athérosclérose affecte l’arbre vasculaire au fil du temps et de quelle façon les traitements hypolipidémiants modifient le processus morbide. Bien que les essais sur les statines aient associé la baisse du taux de LDL à d’importantes réductions du nombre d’événements cliniques, l’IVUS a réussi à expliquer les mécanismes qui sous-tendent ce bienfait. Si REVERSAL a démontré qu’un taux de LDL ramené en moyenne à 2,0 mmol/L stoppe la progression de l’athérosclérose, la plus récente étude faisant appel à l’IVUS, ASTEROID, a révélé que la régression est possible sous l’effet d’une baisse encore plus marquée du taux de LDL. Ces données représentent un pas important vers l’identification du taux optimal de LDL qui produirait une réduction concrète du risque CV.

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