Comptes rendus

Confirmation d’un changement dans l’évolution naturelle de l’athérosclérose grâce à l’échographie endovasculaire
Données corroborantes à l’appui du traitement d’association dans l’insuffisance cardiaque

Inhibition directe de la rénine : blocage en amont du système rénine-Angiotensine dans l’hypertension

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Congrès mondial de cardiologie 2006

Barcelone, Espagne / 2-6 septembre 2006

Revu par : Sheldon Tobe, MD, FRCPC

Sunnybrook Health Sciences Centre Président, Groupe de travail sur les recommandations du PECH

Professeur agrégé de médecine University of Toronto Toronto, Ontario

Selon une enquête dont les résultats ont été publiés en 2004 (Wolf-Maier et al. Hypertension 2004;43:10-7), entre les deux tiers et les trois quarts des patients hypertendus au Canada et en Europe n’étaient pas traités, par comparaison à un peu moins de la moitié aux États-Unis. La même enquête a révélé que seulement 17 % des Canadiens traités pour l’hypertension atteignaient la tension artérielle (TA) cible (<140/90 mmHg), contre 29 % aux États-Unis et £10 % en Europe. Ainsi, chez la majorité des patients, les traitements existants ne permettent pas d’atteindre la TA cible, précise le Dr Neil Poulter, professeur titulaire de médecine cardiovasculaire préventive, Imperial College, Londres, Royaume-Uni.

Plusieurs facteurs – liés entre autres aux médecins, aux patients et aux médicaments – expliquent cette situation. L’inertie clinique en est un, surtout quand vient le moment d’instaurer un traitement médicamenteux, puis d’ajouter un ou plusieurs antihypertenseurs au traitement en cours pour atteindre la TA cible. Les médecins doivent le reconnaître et être disposés à prescrire plus d’un antihypertenseur lorsque la TA cible n’est pas atteinte. Une infirmière de recherche ne croirait pas aveuglément, par exemple, qu’un facteur de stress a fait monter la TA du patient ce jour-là et qu’il n’est finalement pas nécessaire d’augmenter la dose ou d’ajouter un médicament avant la visite suivante quelques mois plus tard. Les médecins doivent reconnaître que les infirmières de recherche ont du succès dans la prise en charge des maladies chroniques et s’inspirer de leur expérience pour aider les patients à atteindre leurs chiffres tensionnels cibles.

Inhibition directe de la rénine : une lacune non comblée

Comme l’explique le Dr Morris Brown, professeur titulaire de pharmacologie clinique, University of Cambridge, Royaume-Uni, le système de la rénine joue un rôle central dans la régulation de la TA. Le système de la rénine est activé lorsque l’enzyme – la rénine – est libérée dans le rein par l’appareil juxtaglomérulaire. La rénine catalyse la conversion de l’angiotensinogène en angiotensine I (AI), laquelle est à son tour convertie en angiotensine II (AII) par l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA). L’activité rénine plasmatique (ARP) représente la capacité de la rénine active circulante à convertir l’angiotensinogène en AI (Figure 1).

Les antihypertenseurs qui ciblent le système de la rénine sont les inhibiteurs de l’ECA, les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA) et les bêta-bloquants. Ces derniers suppriment la sécrétion de rénine par leur action sur les nerfs du rein, quoiqu’ils aient surtout pour effet de ralentir la fréquence cardiaque et le débit cardiaque. Les inhibiteurs de l’ECA et les ARA agissent en aval de la rénine et réduisent le degré de stimulation du récepteur AT1; or, la stimulation moindre du récepteur AT1 se traduit par une élévation compensatoire de la libération de rénine et de l’ARP (Figure 1).

Figure 1. Effets des inhibiteurs du système rénine-angiotensine sur le système de la rénine


Les inhibiteurs directs de la rénine (IDR) – qui forment une nouvelle classe dont l’aliskiren est le premier représentant – agissent en bloquant le système de la rénine à son étape limitante, d’où une diminution des taux d’AI et d’AII et de l’ARP. L’association d’un agent de cette nouvelle classe prometteuse qui diminue l’activité rénine avec un autre antihypertenseur devrait donner lieu à une action synergique et ainsi contribuer à l’atteinte de la TA cible.

Profil

Des études de pharmacocinétique ont montré que la demi-vie de l’aliskiren se chiffre à une quarantaine d’heures, ce qui justifie une seule prise par jour, fait valoir le Dr Roland Schmieder, professeur titulaire de médecine, Friedrich-Alexander-Universität, Erlangen, Allemagne. Lors d’une étude de longue haleine, l’effet antihypertenseur de cet agent a persisté pendant une période pouvant atteindre quatre semaines après l’arrêt de son administration.

Bien que la biodisponibilité de l’aliskiren soit assez faible (2,6 %), un tel taux est une percée pour cette classe et suffit tout de même à faire baisser la TA. Le profil pharmacocinétique n’est pas altéré chez les sujets âgés, les diabétiques et les insuffisants rénaux. La recherche indique à ce jour que cet agent ne semble pas interagir avec les médicaments les plus répandus, de sorte que la polypharmacie ne devrait pas nuire à son innocuité. Cette nouvelle classe est intrigante et pourrait avoir des bienfaits qui vont au-delà d’une simple baisse de la TA. L’une de ses propriétés – faire échec à la conversion de rénine inactive en rénine active – pourrait être un avantage important, certaines études ayant établi qu’une ARP élevée est un facteur de risque de l’infarctus du myocarde chez les patients hypertendus.

Les experts au congrès s’entendaient pour dire que l’aliskiren est doté d’un profil de tolérabilité semblable à celui d’un placebo à toutes les doses étudiées et que la fréquence de ses effets indésirables s’apparente à ce que l’on observe sous placebo. Les résultats préliminaires du programme de recherche clinique – dont l’objectif est une évaluation en monothérapie et en association avec d’autres antihypertenseurs – sont donc très encourageants.

Monothérapie

Le Dr Matthew R. Weir, professeur titulaire de médecine, University of Maryland School of Medicine, Baltimore, souligne qu’à ce jour, l’aliskiren a fait l’objet de sept essais cliniques randomisés et à double insu. Ces essais regroupaient plus de 7000 patients présentant une hypertension légère à modérée. Lors de ces essais préliminaires, la posologie variait entre 75 et 600 mg/jour. Le paramètre principal était la variation de la TA diastolique (TAD) moyenne en position assise après six semaines de traitement.

En général, l’effet sur la TA était proportionnel à la dose, mais se stabilisait entre 300 et 600 mg/jour. Après soustraction de l’effet placebo, on a établi que le traitement actif avait permis de réduire la TAD de 7 à 8 mmHg en six semaines au sein de la cohorte globale. Une tendance similaire s’est dégagée pour la TA systolique (TAS); en effet, après soustraction de l’effet placebo, la baisse nette de la TAS oscillait entre 10 et 11 mmHg dans toutes les études sur la monothérapie. Il importe ici de souligner que ni le sexe ni l’âge n’ont fait varier la réponse de la TA. L’aliskiren à 150 et à 300 mg/jour se caractérise par une tolérabilité semblable à celle d’un placebo et par un effet antihypertenseur semblable à celui des ARA, de conclure le Dr Weir (Figure 2).

Figure 2. L’ajout d’un IDR à un autre antihype
pas la tolérabilité

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Traitement d’association

Comme la plupart des patients ont besoin d’au moins deux antihypertenseurs pour atteindre leur TA cible, il est primordial d’évaluer cet agent en association avec d’autres antihypertenseurs.

Les conséquences de l’ajout d’un IDR à l’amlodipine ont été évaluées chez des patients qui n’avaient pas atteint leur TA cible sous l’effet de ce même inhibiteur calcique en monothérapie. Les sujets recevaient l’aliskiren à 150 mg plus l’amlodipine à 5 mg (n=187), l’amlodipine à 5 mg (n=180) ou l’amlodipine à 10 mg (n=178). En tout, 523 sujets ont terminé l’étude.

Comme l’explique le Dr Mark Munger, professeur titulaire de médecine interne et de pharmacologie, University of Utah, Salt Lake City, ce traitement d’association a autorisé une diminution significativement plus marquée de la TAD et de la TAS moyennes comparativement à l’amlodipine à 5 mg en monothérapie et une diminution similaire de la TAD comparativement à l’amlodipine à 10 mg. Il va de soi que l’association des deux agents à des doses plus faibles réduit le risque d’effets indésirables.

Fait digne de mention, un œdème périphérique a été signalé chez 2,1 % des sujets du groupe traitement d’association, 3,4 % de sujets du groupe amlodipine à 5 mg et 11,2 % des sujets du groupe amlodipine à 10 mg. Le profil de tolérabilité de l’association était semblable à celui de l’amlodipine à 5 mg en monothérapie. Nombreux sont ceux qui pensent que les inhibiteurs de l’ECA et les ARA contribuent à faire obstacle à l’œdème souvent associé aux inhibiteurs calciques, et ce serait peut-être le cas aussi pour l’aliskiren.

Tentant d’explorer les conséquences de l’association de l’aliskiren à d’autres inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), le Dr Charles Kilo, professeur titulaire de médecine, de pathologie et d’immunologie, Washington University School of Medicine, St. Louis, Missouri, a constaté que l’aliskiren à 300 mg autorisait une réduction significativement plus marquée de la TAS que le ramipril à 10 mg (14,7 vs 12,0 mmHg, respectivement). Cela dit, l’association des deux agents a permis une réduction supplémentaire et significative de 4,6/2,1 mmHg de la TA moyenne par rapport au ramipril seul, pour une réduction globale de la TA de 16,6/12,8 mmHg. Lors de cette étude, comme on s’y attendait, tous les traitements ont augmenté le taux de rénine par rapport au taux initial, et l’augmentation était significativement plus marquée sous l’effet du traitement d’association. Cependant, comme l’effet de l’IDR sur l’ARP fait contrepoids à celui de l’inhibiteur de l’ECA, il en résulte une diminution globale de l’ARP par rapport aux valeurs initiales.

La capacité de l’IDR de supprimer l’ARP lorsqu’il est associé à un inhibiteur de l’ECA pourrait être cliniquement importante, car la production accrue d’AI par la rénine est associée à l’effet singulier d’échappement découlant des inhibiteurs de l’ECA en monothérapie. Dans cette étude, l’hyperkaliémie (>5,5 mmol/L) était plus fréquente chez les patients qui recevaient l’association, ce qui témoigne d’un blocage plus complet du SRAA que sous l’effet de l’un ou l’autre agent administré seul. Lorsque cette association sera utilisée de façon systématique, la surveillance clinique déjà pratiquée pour les patients recevant un inhibiteur de l’ECA ou un ARA à forte dose ou une association de ces deux classes devrait suffire à déceler et à corriger cet effet.

Le Dr Dominic Sica, professeur titulaire de médecine et de pharmacologie, Medical College of Virginia Commonwealth University, Richmond, a présenté les résultats à 12 mois sur l’innocuité et la tolérabilité de l’aliskiren à 150 et à 300 mg/jour, administré seul ou avec l’hydrochlorothiazide (HCTZ) à Le Dr Dominic Sica, professeur titulaire de médecine et de pharmacologie, Medical College of Virginia Commonwealth University, Richmond, a présenté les résultats à 12 mois sur l’innocuité et la tolérabilité de l’aliskiren à 150 et à 300 mg/jour, administré seul ou avec l’hydrochlorothiazide (HCTZ) à 12,5 ou à 25 mg, ainsi que sur les effets de l’arrêt du traitement. Si la TA cible (<140/90 mmHg) n’était pas atteinte après deux mois de traitement par l’IDR à 150 mg/jour (n=1179) ou à 300 mg/jour (n=776), le médecin avait l’option d’augmenter la dose de l’IDR ou d’ajouter l’HCTZ.

Après 11 mois, la baisse moyenne de la TA, par rapport à la TA initiale, se chiffrait à 17,5/12,4 mmHg dans le groupe 150 mg et à 18,8/13,3 mmHg dans le groupe 300 mg. La surveillance ambulatoire de la TA sur 24 heures – à laquelle on a eu recours dans un sous-groupe de la cohorte – a révélé que la baisse de la TA sous l’effet de l’aliskiren était soutenue et constante du début à la fin du nycthémère.

Effects de l’arrÊt du traitement

Après 11 mois, un sous-groupe des sujets de ce dernier essai a été randomisé de façon à poursuivre la monothérapie par l’IDR ou à recevoir un placebo pendant une phase à double insu de quatre semaines. Les résultats ont mis en évidence la persistance de l’effet après l’arrêt du traitement, la TA ayant remonté graduellement sur une période de quatre semaines sans toutefois revenir à la TA de départ. Pendant cette période, aucun signe d’hypertension rebond n’a été observé dans le groupe placebo.

De l’avis du Dr Sica, cette observation pourrait dénoter un effet durable qui serait bénéfique dans de nombreuses situations.

Au terme de l’essai en ouvert de 11 mois, le Dr James Pool, professeur titulaire de médecine et de pharmacologie, Baylor College of Medicine, Houston, Texas, et ses collaborateurs ont mesuré l’effet de l’interruption du traitement sur l’ARP et les taux de rénine. L’administration prolongée de l’IDR a permis une réduction soutenue comparable de l’ARP, que l’agent ait été administré en monothérapie ou en association avec l’HCTZ. Au terme de l’étude, l’ARP avait chuté, par rapport aux valeurs de départ, de 68 % dans le groupe monothérapie et de 65,4 % dans le groupe traitement d’association. Les taux de rénine – comme on pouvait le prévoir – ont augmenté dans les deux groupes de traitement pendant la phase ouverte. Pendant la phase d’arrêt du traitement de quatre semaines, la diminution de l’ARP s’est maintenue à au moins 50 % sous les valeurs initiales alors que les taux de rénine sont revenus ou presque aux valeurs de départ. L’effet prolongé sur l’ARP semble indiquer que l’aliskiren continue d’inhiber le système de la rénine au-delà de sa demi-vie plasmatique. L’effet bénéfique continu sur la TA et l’ARP à l’arrêt du traitement par l’IDR pourrait avoir son importance dans un contexte clinique où l’observance du traitement est imparfaite et où des doses sont omises.

Protection des organes cibles

Des modèles animaux ont objectivé les effets néphroprotecteurs de l’aliskiren. Des chercheurs ont conçu une double étude fondée sur un modèle de rat transgénique pour cerner les effets d’un IDR ou d’un ARA sur les organes cibles. Ces données – présentées par le Dr Friedrich Luft, professeur titulaire de médecine interne, de néphrologie et d’hypertension, Humboldt-Universität zu Berlin, Allemagne – ont montré que l’albuminurie diminuait sous l’effet de l’aliskiren à faible dose (0,3 mg/kg/jour) ou à forte dose (30 mg/kg/jour) et de l’ARA à forte dose (10 mg/kg/jour). Dans le modèle expérimental, l’IDR aux deux doses et l’ARA à forte dose ont permis de réduire les marqueurs de l’inflammation rénale et de diminuer significativement l’hypertrophie ventriculaire gauche. Sous l’effet de l’IDR à forte dose, par comparaison aux deux doses de valsartan, les chercheurs ont noté une réduction significativement plus marquée de l’épaisseur pariétale du ventricule gauche et de l’indice d’hypertrophie cardiaque.

Selon les résultats de ces expériences, cet agent offre à tout le moins une protection comparable à celle des ARA contre l’atteinte rénale et cardiaque. Les études en cours et futures continueront d’évaluer la protection qu’il confère contre l’atteinte des organes cibles chez l’humain.

Résumé

Chez la majorité des patients hypertendus, on doit associer plusieurs classes d’antihypertenseurs pour atteindre la TA cible. D’ici le jour où il sera possible de déterminer le médicament particulier dont a besoin chaque patient d’après son génome, le succès du traitement reposera largement sur l’utilisation de plusieurs antihypertenseurs et les combinaisons logiquement les plus susceptibles de maximiser la baisse de la TAD et de la TAS. Il a été démontré que l’inhibition du SRA protège le patient contre l’atteinte des organes cibles et qu’elle est souvent privilégiée en première intention en raison de la protection qui en découle. Premier IDR oral, l’aliskiren s’est révélé efficace et bien toléré en monothérapie. Associé à d’autres antihypertenseurs, il a abaissé davantage la TAD et la TAS. Les effets indésirables étaient moindres lorsqu’il était associé à un inhibiteur calcique ou à un inhibiteur de l’ECA. On a aussi démontré qu’il exerce un effet antihypertenseur pendant la totalité du nycthémère et que son effet persiste à l’arrêt du traitement. Un nouvel agent qui intervient à l’étape de l’activation de la rénine pourrait constituer, seul ou en association, un ajout important à l’arsenal actuel d’antihypertenseurs.

Nota : Au moment où le présent article a été mis sous presse, l’aliskiren n’était pas commercialisé au Canada.

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