Comptes rendus

Soins standard dans le traitement de la LMC : coup d’œil sur la mise à jour des recommandations
Une cible thérapeutique pertinente dans le traitement de l’hypertrophie bénigne de la prostate

De plus en plus d’options dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

10e Assemblée biennale de la Société canadienne de greffe de cellules souches hématopoïétiques (CBMTG)

Edmonton, Alberta / 21-24 avril 2006

La mise au point d’un traitement qui cible l’anomalie dans le domaine kinase de bcr-abl entraînant l’apparition de la leucémie myéloïde chronique (LMC) a considérablement amélioré le pronostic de cette maladie. Aujourd’hui, les patients atteints de LMC en phase chronique (PC) qui reçoivent l’imatinib en première intention et chez qui on observe une bonne réponse précoce au traitement peuvent s’attendre à d’excellents résultats pendant 54 mois, probablement même plus longtemps, si l’on en juge par les résultats à long terme de l’étude initiale IRIS (International Randomized Trial of Interferon vs. STI571). En effet, à 54 mois, parmi les patients qui avaient reçu l’imatinib en première intention lors de l’étude IRIS, 98 % avaient une réponse hématologique complète (RHC) et 92 %, une réponse cytogénétique majeure (RCyM). De plus, toujours à 54 mois, 86 % des patients ayant reçu l’imatinib en première intention avaient une réponse cytogénétique complète (RCyC).

Néanmoins, il arrive que la maladie devienne résistante à l’imatinib, surtout aux stades avancés, souligne Nicholas Donato, PhD, professeur agrégé de médecine, département de thérapeutique expérimentale, M.D. Anderson Cancer Center, Houston, Texas.

Lorsque la résistance apparaît, la réponse au traitement peut disparaître même lorsque la dose d’imatinib est portée à 600 ou 800 mg/jour. Une fois la réponse perdue, la maladie peut progresser assez rapidement à la phase accélérée (PA) ou à la crise blastique (CB). En fait, environ les trois quarts des patients atteints de LMC en PA et 95 % des patients en CB sont résistants à l’imatinib. Comme l’explique le Dr Donato, la résistance acquise – qui survient chez 40 à 80 % des patients atteints de LMC – découle habituellement de mutations au niveau du domaine kinase de bcr-abl, mais il semble aussi y avoir des mécanismes indépendants de bcr-abl qui sous-tendent la résistance en partie, l’un d’eux étant l’activation de la voie des src-kinases.

Comme l’imatinib se fixe seulement à la conformation inactive de bcr-abl, «une mutation qui survient dans le domaine kinase de bcr-abl perturbe la capacité de la kinase à interagir avec l’imatinib», explique le Dr Donato. La surexpression du gène bcr-abl pourrait aussi être associée à la résistance, mais cela se produit chez au plus 10 % des patients. Comme le signale le Dr Donato, les mutations dans le domaine kinase de bcr-abl peuvent conférer des degrés variables de résistance à l’imatinib et, chez certains patients, l’augmentation de la dose d’imatinib pourrait permettre de surmonter la résistance, pour autant que celle-ci ne soit pas imputable à la mutation T315I.

Exploration des mutations dans le domaine kinase

La recherche en cours au M.D. Anderson Cancer Center cible des mécanismes de la résistance autres que bcr-abl, surtout les mécanismes médiés par l’activation de la voie des src-kinases. Ces mécanismes pourraient soit être indépendants des mécanismes de résistance médiés par bcr-abl, soit simplement amplifier la résistance causée par des mutations dans le domaine kinase de bcr-abl.

L’une des mutations clés sur lesquelles le groupe du M.D. Anderson Cancer Center se concentre sur la Lyn kinase de la famille src qui est insensible à l’imatinib. Tant Lyn que Hck, autre kinase de la famille src, sont activées par bcr-abl dans les cellules leucémiques et servent probablement de médiateurs essentiels à la transduction et à la transformation du signal de bcr-abl. Dans les cellules résistantes à l’imatinib, le Dr Donato et ses collaborateurs ont démontré que la Lyn kinase est surexprimée et que cette surexpression n’est pas dépendante de bcr-abl ni régulée par celui-ci. Cela semble indiquer qu’une régulation indépendante de la voie des src-kinases pourrait contribuer à l’apparition d’une résistance à l’imatinib. Une série d’études entreprises par les chercheurs de Houston ont révélé que l’imatinib pouvait tout de même réduire l’activation du domaine kinase de bcr-abl mais pas celle de la voie des src-kinases dans les échantillons provenant de patients dont la maladie était devenue réfractaire à l’imatinib.

En revanche, le dasatinib, double inhibiteur de l’activité kinase de bcr-abl et des src-kinases, a bloqué l’activation de bcr-abl et des src-kinases exprimées dans les cellules leucémiques, et cette action était corrélée avec la réponse clinique au dasatinib. Le Dr Donato et ses collaborateurs ont ainsi observé que le dasatinib est en mesure de surmonter la résistance conférée par l’activation de la voie des src-kinases. Par conséquent, si l’on en juge par les inhibiteurs de deux ou de multiples kinases qui ciblent Lyn et d’autres kinases de la famille src, il semble que l’inhibition de multiples kinases puisse contrecarrer la résistance à l’imatinib, estime le Dr Donato.

En tant qu’inhibiteur multi-kinases, le dasatinib se fixe à la fois aux conformations inactive et active de bcr-abl. «Il est aussi 325 fois plus puissant pour inhiber l’activité kinase de bcr-abl que l’imatinib et est actif contre tous les mutants bcr-abl testés, la seule exception étant la mutation T315I», ajoute-t-il. À la lumière des résultats de l’étude de phase I que le Dr Donato a passés en revue, les investigateurs ont conclu que le dasatinib se caractérisait par une «efficacité significative» à toutes les phases de la LMC chez les patients résistants ou intolérants à l’imatinib et que ces réponses se maintenaient après 19 mois chez les patients atteints de LMC en PC et après 13 mois chez les patients atteints de LMC en PA. «La réponse se maintenait également dans un sous-groupe de patients atteints de LMC en CB myéloïde qui présentaient tous les types de mutations, sauf T315I», indique le Dr Donato.

Une «efficacité significative» a de nouveau été observée lorsque le dasatinib était utilisé dans la leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) à chromosome Philadelphie (Ph+). Fait important, «on a noté très peu de tolérance croisée entre l’imatinib et le dasatinib», rapporte le Dr Donato, ce qui sous-entend que les inhibiteurs de src/abl à cibles multiples pourraient être fort prometteurs chez les patients atteints de LMC qui deviennent résistants ou intolérants à l’imatinib.

L’AMN 107 (nilotinib) est un autre nouvel inhibiteur du domaine kinase de bcr-abl; s’il est dérivé de l’imatinib, il semble néanmoins plus puissant que ce dernier. Comme l’imatinib, le nilotinib se fixe à la conformation inactive de bcr-abl mais est environ 20 fois plus puissant que l’imatinib et inhibe l’activité kinase de la plupart des mutants bcr-abl, exception faite de T315I. Lors d’une étude de phase I, diverses stratégies posologiques ont été évaluées chez des patients atteints de LMC résistante à l’imatinib, peu importe la phase de la maladie, ainsi que chez des patients atteints de LAL Ph+ en rechute ou devenue réfractaire. Les objectifs de l’étude étaient de déterminer l’innocuité, l’activité biologique et le profil pharmacocinétique du nilotinib, précise le Dr Donato. Les chercheurs voulaient également déterminer la dose maximale tolérée du nouvel agent, qui se définissait comme la dose à laquelle au moins 33 % des effets toxiques de classe 3 ou 4 apparaissaient après le premier cycle de traitement.

Les résultats cités par le Dr Donato et présentés par le Dr Hagop Kantarjian, chef, département de leucémie, M.D. Anderson Cancer Center, au congrès de l’American Society of Hematology (ASH) en décembre 2005 ont montré que les taux de réponse au nilotinib étaient généralement élevés, sauf dans les cas de LAL Ph+, où la réponse était médiocre. Là encore, on a observé des réponses chez des patients porteurs de mutations connues de bcr-abl et le traitement a été généralement bien toléré; la dose maximale tolérée était de 400 mg b.i.d. selon les données d’efficacité, d’innocuité et de pharmacocinétique.

Données à l’appui

Le Dr Pierre Laneuville, directeur de la division d’hématologie de l’Hôpital Royal Victoria, et professeur agrégé de médecine, Université McGill, Montréal, Québec, a fait un survol des données publiées sur le dasatinib dans la LMC et la LAL Ph+. Huit essais ont été réalisés ou viendront à échéance sous peu, et les résultats des essais plus récents devraient être présentés cette année aux congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) et de l’ASH.

L’étude CA180001 réunissait des patients atteints de LMC à toutes les phases (PC, PA, CB myéloïde ou lymphoïde) et des patients atteints de LAL Ph+, lesquels étaient tous résistants ou intolérants à l’imatinib. Le paramètre principal de l’étude était le taux de RHC, et les doses de dasatinib administrées variaient entre 15 et 180 mg une ou deux fois par jour dans la LMC en PC, alors que la dose quotidienne totale variait entre 70 et 240 mg (c.-à-d., 35 mg à 120 mg b.i.d.) dans les stades avancés. Voici un résumé des résultats de l’étude dont une mise à jour a été faite au congrès de l’ASH de l’année dernière et que le Dr Laneuville a passés en revue.

Tableau 1. Taux de réponse dans l’étude CA180001


Là encore, on a observé des réponses cytogénétiques chez des patients qui présentaient un large éventail de mutations de bcr-abl, ainsi que chez des patients qui n’avaient eu qu’une réponse cytogénétique minime ou nulle à l’imatinib. Des signes de toxicité réversibles de classe 3 ou 4 ont été signalés dans tous les groupes de patients, surtout ceux dont la maladie était avancée. Les taux d’hématotoxicité sont présentés dans le Tableau 2. Il importe toutefois de noter qu’une myélosuppression de classe 3 ou 4 était déjà présente avant le début du traitement par le dasatinib chez les deux tiers des patients dont la maladie était avancée.

Tableau 2. Taux de myélosuppres
dans l’étude CA180001

<img204|center>

Cinq patients souffrant de LMC en PC et dix patients souffrant de LMC avancée ont développé un épanchement pleural de classe 1 à 4. Comme l’expliquait le Dr Laneuville à l’auditoire, l’épanchement pleural a pu être traité sans que l’on ait à mettre fin au traitement, et aucun patient n’a abandonné le traitement pour cause de toxicité. Au nombre des autres effets indésirables non hématologiques figuraient les symptômes gastro-intestinaux (diarrhée, nausées, vomissements) et l’œdème.

Les réponses se sont avérées durables, tant chez les patients dont la LMC était en PC (19 mois) que chez ceux dont la LMC était en PA (13 mois) de même que chez les patients d’un sous-groupe en CB myéloïde; par contre, la réponse des patients en CB lymphoïde ou souffrant de LAL Ph+ a été de courte durée. Comme le note également le Dr Laneuville, les réponses au dasatinib étaient corrélées avec le génotype de bcr-abl avant l’instauration du traitement.

Essais en cours

Le programme de phase II START (SRC/ABL Tyrosine Kinase Inhibition Activity: Research Trials of Dasatinib) regroupe quatre études que le Dr Laneuville a décrites, dont CA180005, CA180006, CA180013 et CA180015. La dose de dasatinib évaluée dans chacune de ces études a été fixée à 70 mg b.i.d. Les populations étudiées dans le cadre de ces essais, sauf CA180013, se composent en majeure partie de cas avancés. Lors de l’essai CA180013, précise-t-il, 31 % des patients dont la LMC en PC était résistante à l’imatinib ont obtenu une RCyM et 22 %, une RCyC. (Les taux de réponse sont beaucoup plus élevés chez les patients intolérants à l’imatinib.)

Lors de l’essai CA180005, 31 % des patients souffrant de LMC en PA ont obtenu une RCyM et 21 %, une RCyC. Lors de l’essai CA180006, 30 % des patients résistants dont la LMC était en CB myéloïde ont obtenu une RCyM et 27 % ont également obtenu une RCyC. Lors de l’essai CA180015, le taux de RCyM a atteint 50 % chez les patients souffrant de LMC en CB lymphoïde et 58 % chez les patients souffrant de LAL Ph+. La survie sans progression des patients atteints de LMC en PC était aussi impressionnante, 86 % des patients recevant toujours le dasatinib; seulement trois patients sont morts au cours du suivi de 10 mois.

Comme l’explique le Dr Laneuville, la proportion de répondeurs augmente avec le temps, de sorte que plus de la moitié des patients en PA randomisés dans l’étude CA180005 avaient atteint une réponse hématologique majeure (RHM) après cinq mois de traitement. «Chez les patients en PA, les réponses sont aussi durables», précise-t-il, une seule réponse au dasatinib ayant été perdue sur un total de 63 patients qui avaient atteint une RHM.

Après 10 mois de suivi, la LMC en PA avait progressé chez seulement 15 patients sur 107 parmi ceux qui étaient traités dans le cadre de CA180005. Le délai d’obtention d’une RCyM et d’une RHM chez les patients en CB myéloïde (CA180006) était semblable à celui des patients en PA (CA180005), soit quatre à cinq mois après le début du traitement par le dasatinib. Après huit mois de suivi, aucun des sujets de l’étude sur la CB myéloïde qui avaient répondu au dasatinib n’avait perdu sa réponse, mais la maladie avait progressé à 10 mois chez 35 des 74 patients de cette cohorte particulière.

Lors de l’étude CA180015 qui portait sur des patients en CB lymphoïde ou souffrant de LAL Ph+, environ 60 % avaient répondu au dasatinib après environ 60 jours. Vingt et un des 42 patients en CB lymphoïde ont obtenu une RCyM, tout comme 21 des 36 patients atteints de LAL Ph+. Cela dit, les taux de survie sans progression ont chuté de façon remarquable dans les deux cohortes, de sorte que, entre quatre et six mois, la maladie avait progressé chez plus de la moitié des patients. Le profil d’hématotoxicité observé dans l’étude de phase I a de nouveau été observé dans les études de phase II, et l’incidence des épanchements pleuraux de classe 3 ou 4 variait entre un minimum de 2 % et un maximum de 11 %.

Comme l’indique le Dr Laneuville, la dose moyenne administrée aux patients souffrant de LMC en PC était de 119 mg/jour alors que la dose visée était de 140 mg/jour. Une dose moyenne comparable a été administrée aux sujets de l’essai sur la CB myéloïde. Dans l’étude sur la LMC en PA ainsi que dans l’essai sur la CB lymphoïde et la LAL Ph+, la dose quotidienne moyenne administrée était très voisine ou identique à la dose visée. Cela dit, 49 % des patients en PC ont eu besoin d’une réduction de la dose à un moment ou l’autre de l’étude, tout comme 30 % des patients en PA, 96 % des patients en CB myéloïde, 14 % des patients en CB lymphoïde et 28 % des patients souffrant de LAL Ph+. Le traitement n’a dû être abandonné que chez une minorité de patients durant les quatre essais. «Le dasatinib induit des réponses hématologiques et cytogénétiques significatives chez les patients résistants ou intolérants à l’imatinib à toutes les phases de la LMC. La réponse est durable chez la quasi-totalité des patients en PC et en PA ainsi que chez les patients en CB myéloïde qui atteignent un RHM», de conclure le Dr Laneuville.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.