Comptes rendus

Inhibition de la physiopathologie de la migraine : nouvelles stratégies de traitement
Maîtrise prolongée de la colite ulcéreuse

Face à la charge de morbidité réelle : La vaccination actuelle et future contre le virus du papillome humain est fondée

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Point de vue sur les articles suivants : CMAJ août 2007;177(5):en ligne 1-4 Maclean’s Magazine 27 août 2007, p. 38-42

août 2007

Revue du contenu rédactionnel :

Alex Ferenczy, MD Professeur titulaire de pathologie et d’obstétrique-gynécologie Université McGill et Hôpital général juif - Sir Mortimer B. Davis Montréal, Québec et

Eduardo L. Franco, PhD Directeur, division de l’épidémiologie du cancer Professeur titulaire d’épidémiologie et d’oncologie Université McGill Montréal, Québec

Lippman et al. ont publié un commentaire (CMAJ 1er août 2007;1:177[5]: en ligne 1-4) dans lequel ils soulèvent un certain nombre de questions concernant l’utilisation du vaccin quadrivalent contre le virus du papillome humain (VPH), comme le recommande le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI), appuyé en cela par la Société des obstétriciens-gynécologues du Canada (SOGC) et la Société des gynécologues oncologues du Canada. L’un des points les plus importants est l’incertitude quant à la capacité du vaccin à prévenir la morbidité liée au VPH. La Société canadienne du cancer a aussi applaudi la décision du gouvernement fédéral d’allouer 300 millions de dollars au programme de vaccination anti-VPH; il s’agit là, à son avis, d’un «pas dans la bonne direction» dans la lutte contre le cancer. Les agences de réglementation du Canada et de 80 autres pays ont homologué le vaccin sur la foi des résultats d’essais randomisés et comparatifs avec placebo – le critère le plus strict qui soit – menés chez environ 27 000 sujets dont un sous-groupe de femmes a été suivi pendant au moins 5,3 ans. Sur la base de ces études, le vaccin est actuellement approuvé chez les jeunes femmes de neuf à 26 ans pour la prévention des cancers du col, de la vulve et du vagin ainsi que pour la prévention des lésions précancéreuses de ces régions et des verrues génitales.

On ne doit pas oublier que le vaccin a été homologué en raison de sa capacité à réduire le nombre de lésions liées à l’infection à VPH et non l’incidence de l’infection à VPH persistante. Les principaux résultats des essais FUTURE I (Females United to Unilaterally Reduce Endo/Ectocervical Disease) et FUTURE II sont présentés ci-dessous.

• Selon les données d’efficacité globale de quatre essais cliniques, la vaccination des jeunes femmes est efficace à 96-100 % pour prévenir les lésions précancéreuses cervicales, vulvaires et vaginales ainsi que les verrues génitales imputables aux quatre sous-types vaccinaux.

• Les résultats se sont vérifiés chez les femmes qui, au départ, n’avaient jamais été exposées aux quatre sous-types du VPH et chez les femmes qui n’avaient pas été exposées à au moins l’un de ces sous-types.

• Chez les femmes qui étaient séronégatives et qui ont reçu la totalité des trois doses du vaccin, le vaccin s’est révélé efficace à 100 % pour prévenir les lésions intraépithéliales vaginales, vulvaires, périnéales et périanales ainsi que les verrues génitales causées par les sous-types vaccinaux du VPH. Le vaccin s’est aussi révélé efficace à 100 % pour prévenir les néoplasies intraépithéliales cervicales (CIN) de grade 1 à 3 et les adénocarcinomes in situ imputables aux sous-types vaccinaux du VPH.

• Le vaccin a été efficace à 95 % contre les lésions anogénitales externes et les lésions vaginales, tous grades confondus; efficace à 98 % contre les lésions cervicales, tous grades confondus; et efficace à 91 % contre les lésions vulvaires ou vaginales de grade élevé chez les femmes qui, au départ, n’avaient jamais été exposées aux sous-types vaccinaux, mais dont les résultats de la cytologie vaginale effectuée le jour 1 étaient peut-être anormaux ou qui ont peut-être enfreint le protocole. De plus, il a été efficace à 100 % contre l’adénocarcinome in situ au sein de la même cohorte.

• Même en conditions réelles, chez des femmes qui présentaient peut-être des antécédents d’infection par un sous-type vaccinal du VPH ou de lésions imputables à un sous-type vaccinal du VPH avant la vaccination et qui ont aussi peut-être enfreint le protocole, le vaccin s’est révélé efficace à 73 % contre les lésions anogénitales externes ou vaginales, tous sous-types vaccinaux confondus et tous grades confondus, et efficace à 55 % contre les lésions cervicales, tous grades confondus, sans égard au sous-type du VPH.

• Dans tous ces essais, la réponse immunitaire était soit identique, soit supérieure, à celle des femmes infectées naturellement par le VPH. La dose de rappel administrée après cinq ans a augmenté sensiblement la réponse immunitaire déjà marquée que l’on avait observée à ce moment-là. C’est donc dire que l’immunogénicité du vaccin se maintient pendant au moins cinq ans, ce qui témoigne d’une mémoire immunitaire.

Il importe par ailleurs de souligner que la grande majorité des patientes – plus de 70 % des sujets de la cohorte de ces études – n’avaient jamais été infectées par le VPH au moment de leur admission à l’étude. Les autres patientes avaient déjà été exposées à un ou à plusieurs des quatre sous-types vaccinaux du virus. Dans ce sous-groupe, cependant, la majorité des patientes avaient été exposées à un seul des quatre sous-types, ce qui revient à dire que seulement 0,1 % des femmes sexuellement actives qui ont participé à ces essais cliniques avaient des anticorps anti-VPH neutralisants dirigés contre les quatre sous-types du VPH contenus dans le vaccin quadrivalent.

C’est cette donnée particulière qui a convaincu le CCNI de recommander que les jeunes femmes soient vaccinées non seulement avant le début de leur vie sexuelle, mais aussi après coup, en raison des probabilités remarquablement faibles d’exposition aux quatre sous-types vaccinaux, à tout le moins jusqu’à l’âge de 26 ans. Le CCNI recommande aussi la vaccination même après une cytologie anormale ou d’autres signes d’infection à VPH. On évalue actuellement le vaccin quadrivalent et le vaccin bivalent contre les sous-types 16 et 18 du VPH chez des femmes dont l’âge pourrait atteindre 55 ans, car l’on croit que ces vaccins pourront prévenir l’infection à VPH chez ces femmes également. Même au sein de cette cohorte, on compte plus de femmes n’ayant jamais été exposées aux quatre sous-types du virus que de femmes ayant été exposées à une partie ou à la totalité des quatre sous-types du VPH.

L’hebdomadaire de langue anglaise Maclean’s a fait toute une affaire de l’innocuité éventuelle du vaccin quadrivalent dans un numéro récent (27 août 2007, p. 38-42). Comme nous avons participé activement aux études sur le vaccin et que nous connaissons les détails de son développement et de sa conception, nous sommes en mesure de rassurer les médecins : aucun effet indésirable d’importance n’a été associé au vaccin quadrivalent dans le cadre des études cliniques pivots. Quelques effets transitoires ont été signalés, notamment de la fièvre, des céphalées et une élévation de la tension artérielle; on a aussi rapporté des réactions au point d’injection, ce qui était prévisible, le produit étant injecté par voie intramusculaire.

Cela dit, si l’on tient compte de toutes les femmes qui ont été vaccinées, l’incidence des effets indésirables sévères n’était que de 0,04 %, et aucune des femmes vaccinées n’a manifesté de réaction défavorable majeure qui a nui à son bien-être. On a dénombré quelques décès pendant les essais sur le vaccin, mais aucun n’était attribuable au vaccin. De même, l’incidence des effets indésirables signalés après la commercialisation, y compris les effets sévères, n’est pas plus élevée que ce à quoi l’on pourrait s’attendre chez l’ensemble des sujets vaccinés, et aucun effet indésirable n’a été lié au vaccin en tant que tel.

Il ne fait donc absolument aucun doute dans notre esprit que les données sur la foi desquelles le vaccin quadrivalent a été homologué, tant par l’agence de réglementation canadienne que par les agences d’autres pays, sont d’excellente qualité. On peut donc conclure que le vaccin quadrivalent est immunogène, efficace et sûr.

LE CANCER DU COL N’EST PAS LE SEUL ENJEU

Les auteurs du commentaire publié dans le CMAJ soulignent par ailleurs que seulement 400 femmes environ meurent du cancer du col chaque année au Canada et que ce cancer se classe au 13e rang des causes de mortalité par cancer. Ils soutiennent également que l’incidence du cancer du col et que la mortalité par ce cancer sont en baisse depuis quelques décennies. Par contre, rétorque la SOGC en réponse au commentaire du CMAJ, le cancer du col vient au deuxième rang des cancers les plus fréquents chez les jeunes Canadiennes âgées de 20 à 44 ans, c’est-à-dire à un âge où les femmes sont le plus actives dans la société et où leur présence auprès de leurs enfants et de leur famille est assurément plus indispensable que jamais.

Statistique Canada rapporte qu’en moyenne, 128 Canadiennes meurent chaque année d’un cancer de la vulve ou du vagin. On estime par ailleurs que le nombre annuel de cytologies anormales varie entre 325 000 et 400 000 au Canada et qu’un grand nombre de femmes doivent subir une colposcopie, des biopsies et un traitement. De plus, on estime à 36 000 le nombre de nouveaux cas de verrues génitales par année, ce qui se traduit par quelque 85 000 consultations médicales. Tout médecin qui traite des verrues génitales sait que le traitement doit souvent se prolonger, que les verrues réapparaissent souvent et que les effets psychologiques des verrues génitales – qui affectent surtout les jeunes adultes – peuvent être dévastateurs. Selon les résultats préliminaires d’une étude dans laquelle des investigateurs canadiens évaluent les retombées psychologiques des verrues génitales, ces dernières seraient en fait plus importantes que celles d’une cytologie anormale.

Il y a relativement peu de temps, on a aussi estimé qu’entre 25 % et 30 % des cancers buccaux localisés dans l’appareil aérodigestif supérieur sont causés par le VPH, en particulier le sous-type 16, et que la totalité des papillomes laryngés observés chez les nourrissons – quoique rarement – sont secondaires à l’infection par les sous-types 6 et 11 du VPH. Le traitement de ces excroissances est souvent complexe et peut entraîner une morbidité et une détresse psychologique importantes, tant chez l’enfant que chez le parent.

Les auteurs affirment par ailleurs que la cytologie est un outil de dépistage qui permet de freiner la hausse du taux de mortalité. Au Canada, c’est effectivement le cas chez les femmes les moins susceptibles d’avoir un cancer du col, mais pas chez les femmes les plus vulnérables, notamment les femmes défavorisées, peu scolarisées et marginalisées par la société. Or, c’est chez ces femmes que le nombre de cas de cancer du col est maintenant démesurément élevé, même dans les pays où la cytologie est facilement accessible, ce qui est le cas au Canada et dans de nombreux autres pays. Bien que les taux de cancer du col aient baissé au fil des années, on doit comprendre que parmi tous les cancers, c’est celui qui – avec les cancers de la tête et du cou – est le plus éprouvant pour la patiente et sa famille au moment de l’agonie. Contrairement à ce qu’affirment les auteurs du commentaire publié dans le CMAJ, à savoir que le cancer du col invasif est généralement d’évolution lente, l’évolution naturelle de ce cancer est en fait parmi les plus rapides. L’agonie se caractérise par d’intenses douleurs, comme beaucoup d’entre nous ont pu tristement le constater chez des patientes en phase terminale. C’est probablement la pire forme de mortalité par cancer; le cancer dégage des odeurs nauséabondes, d’atroces douleurs et la perte des fonctions vitales. Le cancer cervical, contrairement à d’autres cancers, enlève à la femme ce qui lui reste de dignité.

Au chapitre des cancers du pénis et de l’anus consécutifs à l’infection par le VPH, il est maintenant établi que l’homme est le vecteur du VPH et qu’il est capable de transmettre le virus non seulement à la femme, mais aussi à un homme avec qui il aurait des relations homosexuelles. À l’heure actuelle, l’incidence du cancer de l’anus chez les hommes gais est à peu près la même que l’incidence du cancer du col chez les femmes qui ne subissent pas de cytologie de dépistage. Chez un homme porteur du VIH, le risque de cancer de l’anus est doublé. Compte tenu de ces données épidémiologiques, il est probable que même une couverture sélective du vaccin contre le VPH qui ciblerait les jeunes hommes gais serait associée à une baisse substantielle de l’incidence des cancers de l’anus et du pénis et des autres cancers liés au VPH chez l’homme.

PRÉVENTION DES LÉSIONS

Les auteurs du commentaire publié dans le CMAJ signalent, avec raison, que la plupart des infections à VPH disparaissent spontanément : en l’espace de deux ans, environ 90 % des infections ont disparu. Pendant cette fenêtre de deux ans, par contre, les personnes infectées demeurent hautement infectieuses. En fait, l’infection à VPH est l’infection transmissible sexuellement (ITS) la plus fréquente entre les âges de 15 et 24 ans. Le VPH est, par exemple, 100 fois plus infectieux que le VIH et peut être aussi infectieux que certaines bactéries à l’origine d’ITS, dont la gonorrhée et l’infection à Chlamydia.

Contrairement à la plupart des autres ITS, l’infection à VPH peut aussi se transmettre par simple contact peau-à-peau, et il ne fait aucun doute que sa transmission continue contribuera à la charge de morbidité globale. Si, en revanche, les recommandations actuelles du CCNI quant à la vaccination contre le VPH étaient mises en pratique, la réduction de la charge de morbidité liée aux lésions secondaires au VPH – et non seulement au cancer du col – pourrait être remarquable. Par exemple, il ressort de diverses estimations que l’on pourrait prévenir jusqu’à 70 % des verrues génitales dans les trois ans qui suivraient la mise sur pied d’un programme de vaccination destiné aux jeunes filles de 12 ans.

Selon l’âge de la vaccination, il faudrait compter une dizaine d’années avant de constater une réduction du nombre de lésions précancéreuses, mais il ne fait aucun doute qu’une large couverture vaccinale se traduirait par une réduction substantielle des lésions anogénitales précancéreuses et de leurs séquelles inévitables. L’apparition d’un test précis de détection de l’ADN du VPH, qui devrait supplanter la cytologie en tant qu’outil de dépistage dans un avenir assez rapproché, pourrait aussi réduire la nécessité d’une cytologie de près de 90 %, ce qui aurait d’énormes retombées sur les coûts du système de santé, entre autres. (La détection et le traitement de ces lésions coûtent déjà environ 500 millions de dollars par année au Canada.)

On observerait des retombées plus immédiates sur l’incidence des lésions précancéreuses si les femmes plus âgées recevaient un vaccin anti-VPH «de rattrapage» comme le recommande le CCNI. La durée de l’immunité et la nécessité subséquente d’un vaccin de rappel suscitent certaines craintes. Cependant, si l’on examine d’autres vaccins sous-unités comme le vaccin contre l’hépatite B, on constate que les sujets vaccinés bénéficient encore d’une protection de près de 100 % 20 ans après la vaccination.

Bien que le suivi de l’administration du vaccin quadrivalent ne remonte qu’à au plus 5,3 ans, la réponse immunitaire se maintient, et il n’est pas inconcevable que les titres d’anticorps anti-VPH protecteurs puissent aussi persister pendant des décennies, voire la vie durant.

RÉSUMÉ

Au dire des auteurs de l’article du CMAJ, on doit poursuivre la recherche avant de mettre sur pied un programme de vaccination de masse contre le VPH. D’autres experts du domaine – qui ont passé les mêmes données en revue – ne partagent pas cet avis, et concluent au contraire que les données actuelles plaident en faveur de la mise en route immédiate de programmes de vaccination anti-VPH préventive. Idéalement, les programmes de vaccination anti-VPH permettraient d’atteindre les personnes qui ont besoin de protection mais qui sont très peu susceptibles de la recevoir. Nous sommes bien sûr d’accord pour dire que l’on doit continuer de surveiller les effets de la vaccination anti-VPH à long terme, mais la couverture universelle du vaccin anti-VPH aurait d’énormes retombées sur la charge de morbidité liée au VPH, le coût du traitement des lésions et les retombées psychologiques de l’infection à VPH chez chaque la personne qui la contracte.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.