Comptes rendus

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Le rôle de la pharmacogénétique dans la prise en charge de l’infection à VIH

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

La 15e Conférence canadienne annuelle sur la recherche sur le VIH/SIDA (CAHR)

Québec, Québec / 25-28 mai 2006

Comme l’explique le Dr Simon Mallal, immunologue clinicien, Royal Perth Hospital, et directeur, Centre for Clinical Immunology and Biomedical Statistics, Murdoch University, Perth, Australie, les polymorphismes de l’hôte infecté par le VIH et du virus lui-même dictent l’évolution de la maladie et la réponse au traitement. «Chaque patient est porteur d’un variant distinct du VIH, note-t-il, et les polymorphismes de l’hôte et de l’agent pathogène interagissent à de multiples niveaux avec le temps.»

Cependant, même dans un organisme donné, certaines protéines sont plus polymorphes que d’autres, ajoute-t-il. Le lymphocyte CD4+, par exemple, ne varie pas d’un hôte à l’autre, mais les molécules HLA (antigène leucocytaire humain) sont très diversifiées. Il est essentiel de comprendre la contribution des polymorphismes au devenir du médicament, car ceux-ci influent sur l’utilisation de certains composés.

Comprendre l’hypersensibilité

L’éfavirenz, inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI), est principalement métabolisé par l’isoenzyme CYP2B6. Le polymorphisme G516T du gène codant pour l’isoenzyme CYP2B6 – qui est plus courant chez les Afro-Américains que chez les Blancs – est maintenant associé à une prédisposition des patients à avoir des concentrations d’éfavirenz plus élevées de même qu’à des effets toxiques sur le système nerveux central plus marqués que la normale. Ce phénomène tient au fait que les concentrations d’éfavirenz mettent plus de temps que la normale à baisser chez les patients porteurs du polymorphisme G516T, ce qui les rend plus vulnérables au risque d’apparition de souches résistantes à l’éfavirenz que les patients non porteurs du polymorphisme G516T. «Le même problème a été soulevé dans le cas de la névirapine», fait valoir le Dr Mallal. Cet INNTI a également tendance à causer une réaction d’hypersensibilité (RHS) chez les patients dont la numération de CD4+ est encore élevée. Dans leur recherche d’un lien entre l’hypersensibilité à la névirapine et les molécules HLA, le Dr Mallal et ses collaborateurs ont observé que l’allèle HLA- DR a tendance à diriger les lymphocytes CD4+ et que les patients porteurs de l’allèle HLA-DR0101 en particulier sont prédisposés à développer une RHS à la névirapine.

Par ailleurs, des recherches menées par le Dr Mallal et la Dre Elizabeth Phillips, BC Centre for Excellence in HIV/AIDS, et professeure agrégée de médecine, University of British Columbia, Vancouver, ont porté sur le rôle d’un allèle spécifique, le HLA-B*5701, en tant que principal facteur déterminant de l’apparition d’une RHS à l’abacavir (ABC), inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse. Comme les médecins le savent, le syndrome d’hypersensibilité à l’ABC peut survenir chez jusqu’à 8 % des patients de race blanche et apparaît généralement dans un délai de quelques semaines après le début du traitement.

«Le point clinique important est que les symptômes en tant que tels et leur intensité évoluent au fil des doses administrées de sorte que l’on doit mettre fin à l’administration du médicament si les symptômes continuent de s’intensifier», affirme le Dr Mallal.

Le processus menant à la RHS se déroule dans l’allèle HLA-B*5701. Après la biotransformation de l’ABC en un métabolite aldéhyde, le métabolite altère chimiquement un peptide qui loge dans la molécule HLA et auquel le système immunitaire réagit avec vigueur. «Il s’agit d’une réaction très sévère qui peut menacer le pronostic vital si le patient ne reconnaît pas la source du problème et continue de prendre l’ABC», prévient le Dr Mallal.

Selon les résultats des essais cliniques sur l’ABC, on a diagnostiqué une RHS chez 2 à 3 % des patients des groupes ne recevant pas l’ABC. Le Dr Mallal fait remarquer que les diagnostics faussement positifs de RHS sont courants et que le traitement peut alors être interrompu prématurément et sans raison valable.

La Dre Phillips a mis au point un test épicutané pour vérifier la réaction du patient à la suite d’une exposition à l’ABC. Si le patient a déjà été exposé à l’ABC et qu’il y est sensibilisé, sa tendance à développer une RHS se manifeste par une réaction locale lors du test épicutané. Ce test épicutané est à la fois sensible et spécifique de la RHS à l’ABC, mais, souligne le Dr Mallal, «il est positif seulement après que le patient a été sensibilisé au médicament, de sorte qu’il peut servir uniquement à améliorer le diagnostic clinique de la RHS».

Résultats du dépistage génétique

En revanche, le dépistage génétique prospectif pourrait servir à prévenir les RHS en identifiant les patients qui devraient ou ne devraient pas recevoir l’ABC. Le Dr Mallal et son équipe ont mis au point et validé pareil test. Dans le cadre d’une étude de cohorte sur le VIH réalisée dans l’Ouest de l’Australie, on a procédé au typage des régions du complexe majeur d’histocompatibilité chez les 200 premiers participants exposés à l’ABC. Une RHS a été identifiée avec certitude chez 18 patients, et l’allèle HLA-B*5701 était présent chez 14 de ces 18 patients, d’où une valeur prédictive positive d’environ 80 %. Par contre, si le test ne révèle pas la présence de l’allèle HLA-B*5701, environ 2 % seulement des patients pourraient tout de même développer une RHS à l’ABC, note le Dr Mallal.

Depuis l’avènement des tests prospectifs de dépistage génétique en Australie, la fréquence des abandons du traitement par l’ABC en raison d’une RHS a chuté, tout comme celle des abandons du même agent toutes causes confondues. Par conséquent, «le diagnostic faussement positif de la RHS – qui était monnaie courante avant l’avènement des tests génétiques – est aussi beaucoup moins fréquent», d’enchaîner le Dr Mallal. Autre fait important, les patients australiens qui subissent un test visant à déceler l’allèle HLA-B*5701 ne sont plus exposés inutilement à l’ABC.

À Brighton, au Royaume-Uni, où le même test de dépistage a été adopté, le taux de RHS était de 6,5 % avant l’adoption du test alors qu’il est maintenant de 0 %. PREDICT-1 (Pharmacogenetic Validation Study), nouvel essai qui se déroule actuellement en Europe et en Australie, a comme objectif premier de réduire l’incidence des RHS diagnostiquées cliniquement et confirmées immunologiquement par le test prospectif de dépistage génétique visant à déceler l’allèle HLA-B*5701.

«Le dépistage génétique peut prévenir les RHS à l’ABC à médiation immunologique et ainsi réduire le taux de diagnostics faussement positifs de RHS, conclut le Dr Mallal. Ce test offre un bon rapport coût-efficacité puisqu’il diminue la morbidité associée aux RHS réelles et les abandons prématurés inutiles du traitement. Cela dit, il ne peut pas remplacer le jugement du clinicien ou la pharmacovigilance, ni servir de justification à un nouvel essai du médicament chez le patient.»

Adoption du test de dépistage génétique au Canada

Au Canada, des médecins de Toronto, de Calgary et de Montréal semblent prêts à adopter le test de dépistage génétique visant à déceler l’allèle HLA-B*5701. À ce jour, environ 120 tests ont été réalisés dans divers centres à l’extérieur de Montréal, et l’allèle HLA-B*5701 a été repéré chez sept patients. Pour l’instant, aucune RHS n’est survenue chez les patients soumis au test. Dans le cadre d’un projet pilote dirigé par le Dr Richard Lalonde, directeur médical, service de l’immunodéficience, Centre SIDA McGill, et professeur agrégé de médecine, division des maladies infectieuses, Université McGill, Montréal, Québec, les chercheurs ont espoir de mieux identifier les facteurs déclenchants des RHS à l’ABC selon la race, le sexe et le système immunitaire.

L’amplification de l’ADN du patient par la réaction en chaîne par polymérase (PCR) servira à déceler la présence ou l’absence de l’allèle HLA-B*5701, et les centres participants devront recevoir la formation nécessaire pour le diagnostic des RHS, la réalisation du test HLA-B*5701 et la vigilance continue des RHS en réponse à l’ABC. «Si nous utilisons ce test, ce sera chez les patients qui n’ont jamais été exposés à l’ABC – et non seulement chez les patients qui n’ont jamais été traités et à qui l’on s’apprête à prescrire l’ABC – et cette donnée sera consignée dans le dossier du patient pour consultation ultérieure», explique le Dr Lalonde. Le laboratoire du Québec où le test visant à déceler l’allèle HLA-B*5701 aura lieu est actuellement submergé de demandes.

Sur les 86 tests réalisés jusqu’ici au Québec, l’allèle HLA-B*5701 a été repéré chez un seul patient, et aucun cas de RHS n’a été identifié chez les patients soumis au test jusqu’ici. Cela dit, poursuit le Dr Lalonde, il est encore très tôt et seulement quelques patients soumis au test ont également reçu l’ABC.

«Nous devons adopter cette technologie pour nous aider dans nos décisions relatives à la prise en charge clinique des patients infectés par le VIH et pour éviter les médicaments dont la toxicité peut être identifiée d’avance», affirme la présidente du symposium, la Dre Anita Rachlis, University of Toronto, Ontario.

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