Comptes rendus

Anti-CCR5 oraux : analyses récentes de cette nouvelle classe d’antirétroviraux
Les retombées cliniques de l’étude JUPITER

Les progrès du traitement antiplaquettaire

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PERSPECTIVE PROFESSIONNNELLE Point de vue sur des allocutions présentées à la Congrès canadien sur la santé cardiovasculaire

Toronto (Ontario) / 25-29 octobre 2008

Revu par :

Shamir R. Mehta, MD, MSc

Professeur agrégé de médecine, McMaster University

Cardiologue interventionniste, Hamilton Health Sciences, Hamilton (Ontario)

L’activation et l’agrégation des plaquettes jouent un rôle clé dans la formation du thrombus après la rupture d’une plaque athéromateuse. Le traitement antiplaquettaire est l’un des quelques développements majeurs ayant contribué à la diminution de la morbi-mortalité cardiovasculaire (CV) que l’on observe depuis quelques décennies. Aujourd’hui, les agents antiplaquettaires oraux, surtout l’AAS, comptent parmi les médicaments les plus utilisés au monde. Leur usage répandu reflète le principe bien établi que, par rapport à l’absence de traitement ou à un placebo, l’administration d’un agent antiplaquettaire, quel qu’il soit, diminue d’environ 25 % la probabilité de survenue d’un événement CV majeur.

Les agents antiplaquettaires dans les recommandations actuelles

Depuis les années 1980, les recommandations fondées sur des données probantes pour le traitement des syndromes coronariens aigus (SCA) soulignent les bénéfices des agents antiplaquettaires dans la prise en charge à court et à long terme des patients ayant subi un infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST (IM St+) ou encore, un épisode d’angine instable ou un IM sans sus-décalage du segment ST (AI/IM ST-).

Sur la foi d’un examen systématique approfondi et d’une méta-analyse des données du groupe Antithrombotic Trialists’ Collaboration, on recommande fortement d’administrer une dose d’attaque d’AAS suivie d’une dose d’entretien de 75 à 162 mg/jour chez les patients en proie à un SCA. Dans la plupart des cas, ce traitement doit être administré indéfiniment. L’allergie à l’AAS et un risque très élevé d’hémorragie sont les seules contre-indications absolues. On peut utiliser d’autres agents chez les patients intolérants à l’AAS ou ayant besoin d’effets antithrombotiques supplémentaires à court terme (par exemple, pour amplifier l’activité antiplaquettaire pendant l’angiographie ou le traitement invasif) ou d’une protection CV à plus long terme, ou les deux. Le schéma antiplaquettaire choisi dépendra de la situation clinique particulière (nature de l’événement, type de traitement, âge du patient, risque d’hémorragie et facteurs concomitants comme le diabète). Dans le présent article, nous passerons en revue l’utilisation de l’AAS et du clopidogrel ainsi que de nouveaux traitements destinés à des applications cliniques similaires ou en cours d’évaluation à ce chapitre.

Des données considérables militent aussi en faveur de l’utilisation précoce du clopidogrel, agent de la famille des thiénopyridines, dans tous les types de SCA, c’est-à-dire l’AI, l’IM ST+ et l’IM ST-. Si le clopidogrel est une solution de rechange à l’AAS chez les patients hypersensibles ou intolérants à l’AAS, le double traitement antiplaquettaire par l’AAS et le clopidogrel est indiqué chez les patients ayant été victimes d’un SCA. Le fait de cibler deux récepteurs de surface simultanément (thromboxane A2 pour l’AAS et ADP P2Y<sub>12</sub> pour le clopidogrel) donne lieu à un effet antiplaquettaire synergique.

Chez le patient ayant subi un épisode d’AI ou un IM ST-, le clopidogrel est bénéfique, que le patient reçoive uniquement un traitement médicamenteux ou qu’il subisse soit une intervention coronarienne percutanée (ICP), soit un pontage coronarien. Les données à l’appui de l’utilisation du clopidogrel en sus de l’AAS dans ce vaste groupe de patients proviennent en grande partie de l’essai phare CURE (Investigateurs de l’essai CURE. N Engl J Med 2001;345[7]:494-502). Lors de cette étude, qui englobait 12 562 patients, l’association du clopidogrel (300 mg, puis 75 mg/jour) et de l’AAS (75 à 325 mg/jour) a réduit le risque relatif de décès CV, d’IM et d’AVC de 20 % par rapport à l’AAS seul (9,3 % vs 11,4 %; p<0,001), sur une période maximum de un an (neuf mois en moyenne). En fonction du paramètre qui regroupait les décès CV, les IM, les AVC et l’ischémie sévère au cours des 24 heures suivant la randomisation, la réduction du risque relatif a atteint 34 % (p=0,003). L’efficacité du clopidogrel a été confirmée sans égard à la dose d’AAS.

De nombreux essais ont confirmé qu’un traitement préalable par le clopidogrel réduit le risque d’événement CV avant et après une ICP de façon appréciable. Par exemple, l’étude satellite PCI-CURE de l’essai CURE (Mehta et al. Lancet 2001;358[9281]:527-33) a révélé que le prétraitement par le clopidogrel avait réduit, pendant les 30 jours suivant l’intervention, le risque de décès CV, d’IM et d’intervention de revascularisation urgente. Des résultats semblables ont été rapportés au sein de la population ayant subi un IM ST+ lors des essais PCI-CLARITY (Sabatine et al. JAMA 2005;294[10]:1224-32). L’avantage clinique observé chez les patients qui recevaient du clopidogrel en plus de l’AAS et d’autres traitements standard se maintenait à un an. Depuis la randomisation jusqu’à au terme maximum de un an, l’incidence des IM ou des décès CV était 31 % plus faible dans le groupe clopidogrel que dans le groupe placebo (8,8 % vs 12,6 %; p=0,002). Ces données soulignent l’importance d’amorcer sans délai le traitement par le clopidogrel et de le poursuivre pendant une période pouvant atteindre un an.

Lorsqu’il est ajouté à l’AAS, le clopidogrel est également bénéfique chez les patients ayant subi un IM ST+, qu’ils aient reçu un traitement de reperfusion ou non. Les patients de moins de 75 ans doivent généralement recevoir une dose d’attaque de 300 mg. (Sur la foi de nouvelles données, certains médecins administrent maintenant une dose d’attaque de 600 mg, mais on n’a pas encore déterminé la dose optimale hors de tout doute.) Les patients de tout âge devraient recevoir une dose d’entretien de 75 mg/jour pendant au moins deux semaines et jusqu’à un an. Ces recommandations émanent principalement des résultats de l’essai COMMIT (Chen et al. Lancet 2005;366[9497]:1607-21) – lors duquel l’association du clopidogrel et de l’ASA a réduit significativement le risque relatif de mortalité (14 %) ou d’infarctus récidivant (19 %) au cours du mois suivant l’événement de référence – et de l’essai CLARITY (Scirica et al. J Am Coll Cardiol 2006;48[1]:37-42) – lors duquel l’association du clopidogrel et d’un agent thrombolytique a donné lieu à une diminution de 36 % du risque d’occlusion de l’artère responsable de l’infarctus, de décès et d’IM.

Lors de l’essai CURE, le traitement par le clopidogrel a été associé à une augmentation significative du risque d’hémorragie majeure (3,7 % vs 2,7 %; risque relatif de 1,38; p=0,001), mais pas du risque d’hémorragie menaçant le pronostic vital. On peut réduire le risque hémorragique de manière significative en administrant de l’AAS à faible dose (75 à 100 mg) et en évitant d’administrer du clopidogrel pendant plusieurs jours (cinq de préférence) avant le pontage coronarien. Chez les sujets de CURE qui ont subi une ICP, les taux d’hémorragies étaient très semblables d’un groupe à l’autre. De même, l’utilisation du clopidogrel n’a pas semblé augmenter le risque hémorragique chez les sujets des essais CLARITY et COMMIT qui avaient été victimes d’un IM ST+.

Double traitement antiplaquettaire au Canada

Selon les chercheurs qui compilent les données du registre GRACE, l’utilisation du clopidogrel en première intention (c’est-à-dire au cours des premières 24 heures suivant la survenue du SCA) est en hausse depuis quelques années, mais un fossé persiste entre les recommandations factuelles et leur application en conditions réelles. Environ 25 à 30 % des patients admissibles ne reçoivent pas deux agents antiplaquettaires (Yan et al. CCSC 2008, Toronto, résumé 1004). Il est ressorti d’une autre analyse que le traitement par le clopidogrel était surtout administré aux patients ayant reçu un traitement invasif et qu’il était sous-utilisé chez les patients ayant reçu un traitement non invasif; or, si l’on en juge par les résultats de l’essai CURE, ce dernier groupe en bénéficierait probablement (Banihashemi et al. CCSC 2008, Toronto, résumé 1000).

Stratégies d’optimisation de la dose

Bien que les agents antiplaquettaires contemporains aient été associés à des bénéfices cliniques, ils comportent certaines limites, notamment un long délai d’action, la variabilité interindividuelle de l’inhibition de la fonction plaquettaire (c’est-à-dire la réponse et la résistance au traitement) et un effet irréversible. En outre, des événements thrombotiques surviennent bien que les patients suivent le traitement antiplaquettaire qui leur a été recommandé. La recherche actuelle sur les agents antiplaquettaires gravite en grande partie autour de l’optimisation de la dose et du développement d’agents qui s’ajouteront à nos options thérapeutiques. Il est à souhaiter que ces travaux nous permettent d’adapter le traitement à chaque patient et à chaque situation clinique.

Nous avons des données probantes indiquant que le prétraitement (p. ex., administration d’une préparation d’AAS à dissolution rapide avant l’arrivée à l’hôpital et administration précoce du clopidogrel) peut contribuer à compenser le long délai d’action. De nouveaux schémas posologiques pourraient aussi compenser l’inhibition tardive et incomplète de la fonction plaquettaire. Comme on l’a déjà dit, de nouvelles données montrent que l’on peut administrer une dose d’attaque de 600 mg, voire un double bolus de 600 mg de clopidogrel, ainsi qu’une dose d’entretien plus forte. Montalescot et al. ont démontré que l’administration de doses de 600 et 900 mg de clopidogrel se traduisait par une inhibition plus rapide et plus complète de la fonction plaquettaire que la dose de 300 mg (J Am Coll Cardiol 2006;48[5]:931-8). De plus, des chercheurs du Canada ont récemment déterminé que deux doses de 600 mg de clopidogrel administrées à 24 heures d’intervalle donnaient lieu à une inhibition significativement plus marquée de la fonction plaquettaire qu’une dose d’attaque unique (L’Allier et al. J Am Coll Cardiol 2008;51[11]:1066-72). D’autres chercheurs ont montré que, chez des patients en proie à un SCA ayant déjà reçu un traitement prolongé par le clopidogrel, une dose d’attaque de 900 mg est plus efficace qu’une dose moindre pour inhiber l’agrégation plaquettaire et amplifier une réponse insuffisante ou lente au médicament (Collet et al. Circulation 2008;118[12]:1219-22). Une étude pilote récente a aussi permis de constater qu’une dose d’entretien de 150 mg générait une inhibition plus complète de la fonction plaquettaire chez les patients diabétiques dont la réponse à une dose de 75 mg était sous-optimale (Angiolillo et al. Circulation 2007;115[6]:708-16).

Ces doses plus fortes pourraient aussi avoir d’heureuses retombées cliniques. L’étude ARMYDA a révélé que, chez 255 patients subissant une ICP, l’incidence des décès, des IM et des interventions de revascularisation était au-delà de 50 % plus faible sous clopidogrel à 600 mg que sous clopidogrel à 300 mg (Patti et al. Circulation 2005;111[16]:2099-106). L’essai en cours CURRENT-OASIS 7, beaucoup plus vaste, nous éclairera sur les bénéfices cliniques relatifs d’une forte dose de clopidogrel. Dans le cadre de cet essai, environ 20 000 patients en proie à un SCA (y compris un IM ST+) traités de manière invasive seront randomisés de façon à recevoir un schéma fortement dosé (600 mg, puis 150 mg/jour pendant sept jours, puis 75 mg/jour) ou le schéma usuel (300 mg, puis 75 mg/jour). Le paramètre principal d’évaluation de l’efficacité regroupera les décès d’origine CV, les IM et les AVC à 30 jours, et on évaluera également les complications hémorragiques. Le protocole de l’essai prévoit aussi à 30 jours une évaluation de l’issue clinique selon que le patient reçoit une dose >300 ou <100 mg/jour d’AAS, puisque la posologie optimale de l’association AAS/clopidogrel n’a toujours pas été déterminée. Les résultats de l’étude CURRENT-OASIS 7 sont attendus en 2009.

Nouveaux agents

À l’instar du clopidogrel, le prasugrel et l’AZD6140, deux nouveaux agents, ciblent le récepteur plaquettaire P2Y<sub>12</sub>, mais ils se caractérisent par un début d’action plus rapide, une inhibition plus complète de la fonction plaquettaire et une moins grande variabilité interindividuelle de la réponse.

L’efficacité et l’innocuité du clopidogrel et du prasugrel ont fait l’objet d’une première comparaison dans le cadre de l’essai TRITON-TIMI 38 (Wiviott et al. N Engl J Med 2007;357[20]:2001-15), qui réunissait 13 608 victimes d’un SCA à risque modéré ou élevé subissant une ICP. Les agents antiplaquettaires (prasugrel : dose d’attaque de 60 mg, puis 10 mg/jour; clopidogrel : dose d’attaque de 300 mg, puis 75 mg/jour) ont été administrés pendant six à 15 mois. Durant le suivi, l’un des événements constituant le paramètre principal d’évaluation de l’efficacité (décès CV, IM ou AVC) est survenu chez 9,9 % des patients sous prasugrel et 12,1 % des patients sous clopidogrel, ce qui revient à une réduction du risque relatif de 19 % (p<0,001). Dans le groupe prasugrel, on a aussi signalé moins de thromboses sur tuteur et moins d’interventions urgentes de revascularisation des vaisseaux cibles. Par contre, toute médaille ayant son revers, cette plus grande efficacité s’est accompagnée d’une augmentation significative de 32 % du risque d’hémorragie majeure (2,4 % sous prasugrel vs 1,8 % sous clopidogrel; p=0,03) et d’hémorragie potentiellement mortelle (1,4 % vs 0,9, p=0,01), que l’issue ait été fatale ou non.

L’interprétation des résultats de l’essai TRITON-TIMI 38 doit tenir compte de deux facteurs. D’abord, les patients n’ont pas reçu de prétraitement par le clopidogrel, pratique courante au Canada que l’on sait associée, preuves à l’appui, à une diminution d’environ 30 % des événements cliniques importants. Ensuite, le schéma posologique utilisé – dose d’attaque de 300 mg suivie d’une dose d’entretien de 75 mg/jour – pourrait être remplacé par un schéma plus fortement dosé comme on l’a déjà mentionné. En outre, cet essai n’incluait pas de patients recevant un traitement non invasif, de sorte que le rôle éventuel du prasugrel dans cette vaste population de patients demeure inconnu. Enfin, les taux plus élevés d’hémorragies associés au prasugrel (notamment les hémorragies majeures et mineures selon les critères TIMI, les hémorragies mortelles et non mortelles, les hémorragies intracrâniennes chez les patients ayant déjà été victimes d’un AVC et les hémorragies pendant la réalisation d’un pontage) donnent à penser que l’on devra peut-être approfondir l’évaluation de ce nouvel agent, surtout chez les patients dont le risque hémorragique est élevé.

L’essai multinational TRILOGY (Targeted Platelet Inhibition to Clarify the Optimal Strategy to Medically Manage Acute Coronary Syndromes) en cours pourrait apporter quelques éléments de réponse aux questions soulevées par l’essai TRITON-TIMI 38. Il permettra notamment de déterminer lequel du clopidogrel ou du prasugrel administré à long terme (durée médiane prévue du traitement de 18 mois) est cliniquement plus avantageux chez 10 000 patients dont le SCA a été traité uniquement à l’aide de médicaments. Cet essai comparatif mené à double insu avec randomisation évaluera aussi les retombées du clopidogrel et du prasugrel chez des patients recevant déjà du clopidogrel de façon chronique. Pour éviter les complications hémorragiques signalées lors de l’essai TRITON-TIMI 38, on évaluera une dose plus faible de prasugrel (dose d’attaque de 30 mg, suivie d’une dose d’entretien de 5 à 10 mg/jour).

D’autres études encore – en cours ou sur le point de l’être – ont pour objectif d’optimiser les schémas antiplaquettaires actuels et les soins prodigués aux patients en proie à un SCA. Au nombre de ces études figure l’essai d’envergure PLATO, dans le cadre duquel on compare l’AZD6140, antagoniste à action directe et réversible du récepteur P2Y<sub>12</sub>, avec le clopidogrel chez environ 18 000 victimes d’un SCA (IM ST+ y compris). Le cangrelor, antagoniste du récepteur de l’ADP administré par voie intraveineuse, fait l’objet des essais CHAMPION PCI et PLATFORM. Enfin, deux autres études portent sur l’utilisation d’un nouvel antagoniste du récepteur de la thrombine associé à l’AAS, avec ou sans clopidogrel.

Résumé

Certes, nous sommes impatients d’avoir à notre disposition un éventail plus large d’options thérapeutiques, mais nous avons besoin de vastes essais cliniques pour évaluer rigoureusement l’équilibre optimal entre l’efficacité et l’innocuité des agents antiplaquettaires actuels et à venir. Pour l’instant, les cliniciens qui doivent prescrire un schéma antiplaquettaire pour traiter un SCA doivent appliquer les plus récentes recommandations fondées sur des données probantes.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.