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Les systèmes de veille et de sommeil dans la mire : à l’aube d’une nouvelle ère dans le traitement des troubles du sommeil

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - SLEEP 2013 – 27e Assemblée annuelle de l’Associated Professional Sleep Societies

Baltimore, Maryland / 1er-5 juin 2013

Baltimore - L’insomnie est un trouble répandu souvent caractérisé par la comorbidité, la dépression étant l’affection la plus courante. Les difficultés d’endormissement et de maintien du sommeil étaient naguère attribuées à des anomalies du système de sommeil, mais il est maintenant reconnu que l’insomnie est liée à une surexcitation qui fait obstacle au sommeil même dans des conditions propices au sommeil. Plusieurs agents novateurs qui interceptent sélectivement les neurotransmetteurs participant au système de veille se sont révélés très prometteurs à titre d’hypnotiques. En parallèle, les recherches se poursuivent sur une molécule qui pourrait couper court à la somnolence diurne excessive imputable à la narcolepsie et à la maladie de Parkinson. Ces deux agents novateurs annoncent une nouvelle ère dans le traitement des troubles du sommeil. 

Rédactrice principale : Pam Harrison
Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec

Depuis que l’insomnie est classée comme un trouble, nous en comprenons mieux la nature et les mécanismes. «Une mauvaise nuit de sommeil, ça arrive à tout le monde, mais c’est loin d’être de l’insomnie», affirme Thomas Roth, PhD, directeur du Centre de recherche sur les troubles du sommeil, Henry Ford Hospital, et professeur titulaire de psychiatrie, Wayne State University, Detroit, Michigan. La difficulté à dormir n’est qu’un symptôme de l’insomnie parmi d’autres, ajoute-t-il.

Pour qu’un diagnostic d’insomnie soit posé, le sommeil doit être insuffisant malgré un contexte propice au sommeil, et le fonctionnement diurne doit s’en trouver perturbé. «Le manque de sommeil doit aussi être fréquent et chronique», ajoute M. Roth; plus précisément, le sujet doit avoir du mal à dormir au moins 3 jours par semaine et les difficultés doivent durer depuis au moins 1 mois, la durée pouvant toutefois varier selon les critères utilisés. En appliquant les critères du DSM-IV, Roth et ses collaborateurs ont constaté qu’entre 20 et 25 % des membres d’organisations de soins de santé intégrés souffraient d’insomnie (Biological Psychiatry 2011;69[6]:592-600). Il importe ici de souligner que la comorbidité est fréquente en présence d’insomnie, la dépression étant l’affection la plus courante.

Breslau et ses collaborateurs (Biological Psychiatry 1996;39[6]:411-18), par exemple, ont constaté que de jeunes adultes étaient exposés à un risque relatif 4 fois plus élevé de nouvel épisode de dépression majeure au cours des 3,5 années subséquentes s’ils avaient des antécédents d’insomnie au départ. «Nous pensions auparavant que l’insomnie était secondaire à la dépression, affirme M. Roth, mais nous savons maintenant qu’elle est un facteur de risque de dépression et que si les deux sont présentes, l’insomnie est généralement antérieure à la dépression.» Les patients insomniaques sont aussi plus sensibles à la douleur et sont significativement plus à risque d’hypertension; par ailleurs, chez les résidants de centres d’hébergement et de soins de longue durée, l’insomnie est associée à un risque accru de chute, poursuit M. Roth.

«Le cycle sommeil-veille est toujours perçu comme le résultat d’un équilibre entre deux systèmes», dit-il. Auparavant, on partait du principe que les anomalies à l’origine de l’insomnie relevaient du système de sommeil. Les bases neurobiologiques d’un sommeil déficient et de la fatigue diurne chez les insomniaques ont fait l’objet de nombreuses études, dont une, celle de Nofzinger et al. (Am J Psychiatry 2004;161[11]:2126-8), qui a révélé que le métabolisme cérébral du glucose était globalement plus marqué durant le sommeil que durant l’état de veille chez la plupart des insomniaques, comparativement à des témoins en bonne santé.

À en juger par ces observations, les difficultés d’endormissement tiendraient au fait que les mécanismes de l’éveil ne diminuent pas d’intensité durant la transition veille-sommeil, concluent les chercheurs. «On entend souvent les patients insomniaques dire qu’ils ne dorment pas parce qu’ils ne parviennent pas à arrêter leur cerveau, fait valoir le Dr Roth. C’est en fait l’augmentation du métabolisme cérébral qui est en cause : la rumination est secondaire à la biologie. L’activité incessante du cerveau découle de cet effet biologique.»

Insomnie : l’état de veille ciblé

Sur le plan scientifique, donc, il est logique de cibler les systèmes ou neurotransmetteurs responsables de l’état de veille. Les agonistes des récepteurs mélatoninergiques actuellement sur le marché n’induisent pas le sommeil, mais s’ils sont pris assez longtemps d’avance, ils auront un effet soporifique à l’heure du coucher. La piromélatine est un agoniste non spécifique des récepteurs mélatoninergiques qui exerce à la fois des effets chronobiotiques et soporifiques. En parallèle, elle inhibe la stimulation de l’éveil par les neurones à orexine dans l’hypothalamus et semble avoir des propriétés anti-allodyniques supplémentaires. Dans le cadre d’une étude de phase II menée à double insu avec placebo et randomisation dont les résultats ne sont pas encore publiés, la piromélatine à 20 mg et à 50 mg a donné lieu, après 4 semaines de traitement, à une diminution cliniquement significative des retours à l’état de veille après l’entrée dans le sommeil dans un petit groupe de patients insomniaques.

À 50 mg, la même molécule a prolongé le temps de sommeil non paradoxal total et le temps de sommeil total. Elle s’est aussi révélée efficace contre la surexcitation associée à l’insomnie, effet assez particulier qui lui est propre et la distingue des benzodiazépines. Les premiers résultats donnent tout lieu de croire qu’elle est sûre et bien tolérée.

Des études cliniques et génétiques ont montré que l’activité des neurones à orexine favorisait l’état de veille (Lancet 2000;355:39-40). Contrairement aux molécules largement utilisées dans le traitement de l’insomnie qui augmentent l’activité du GABA, principal neurotransmetteur inhibiteur du SNC, les antagonistes des récepteurs à orexine (ARO) agissent sur une connexion neuronale très spécifique localisée dans l’hypothalamus et nulle part ailleurs dans le cerveau. Des études précliniques ont confirmé que la fixation sélective à ces neurones laissait la mémoire et d’autres formes de cognition intactes.

Le suvorexant, premier représentant de la classe des ARO, bloque le signal des orexines qui favorise l’éveil, ce qui facilite la transition vers le sommeil. Une analyse groupée de deux essais de phase III sur deux doses de suvorexant par rapport à un placebo a confirmé l’efficacité de ce nouvel ARO dans l’insomnie primitive (résumé 0553). Les deux essais avaient un plan quasi identique : des patients âgés et des patients plus jeunes ayant reçu un diagnostic d’insomnie d’après les critères du DSM-IV ont été randomisés de façon à recevoir des doses équivalentes de cet ARO sur le plan pharmacocinétique (PK), soit 40 mg ou 20 mg pour les sujets jeunes et 30 mg ou 15 mg pour les sujets âgés. Comme les patients jeunes et âgés avaient été appariés selon leur exposition PK au médicament, les deux groupes d’âge ont été combinés pour cette analyse. Au total, 755 patients ont reçu une forte dose; 494, une faible dose; et 772, un placebo. Au terme des 3 mois de l’essai, le délai d’endormissement avait diminué d’environ 30 minutes chez les patients qui recevaient la forte dose et de 20 à 25 minutes chez ceux qui recevaient la dose plus faible, comparativement à 70-75 minutes (moyenne) au départ. Au terme de l’étude, le temps de sommeil total avait augmenté d’environ 1 heure chez les patients recevant la forte dose et d’environ 50 minutes chez les patients recevant la dose plus faible (au départ, le temps de sommeil total était d’environ 5¼ heures).

On a également présenté au congrès une analyse d’innocuité réalisée à partir des données colligées de trois essais de phase III (résumé 0647) selon laquelle les effets indésirables associés le plus souvent à l’utilisation prolongée du suvorexant à faible et à forte dose étaient la somnolence (7 et 10 %) et la fatigue (2 et 3 %).

À l’autre pôle : le traitement de la somnolence

Le pitolisant, agoniste inverse des récepteurs H3, est une autre molécule novatrice à l’étude qui, elle, a plutôt pour effet de stimuler l’état de veille. Comme l’expliquent John et ses collaborateurs (résumé 737), la narcolepsie est liée à une perte de neurones à hypocrétine (ou orexine). On sait également que l’état de veille se caractérise par une libération d’histamine, et une hypothèse veut que l’histamine favorise l’éveil résultant de l’hypocrétine. Dans un certain nombre d’essais cliniques (Br J Pharmacol 2011;163[4]:713-21), il a été démontré que le pitolisant atténuait la somnolence diurne excessive associée à la narcolepsie. Au terme d’une petite étude pilote menée chez des adolescents qui avaient développé une narcolepsie durant l’enfance, Inocente et al. (Clin Neuropharmacol 2012;35:55-60) ont conclu que le pitolisant pouvait constituer une solution de rechange acceptable pour le traitement de la somnolence réfractaire chez des adolescents narcoleptiques. La même molécule s’est révélée capable de diminuer significativement la somnolence diurne excessive associée à la maladie de Parkinson (MP), et il pourrait y avoir une synergie partielle avec le système dopaminergique puisqu’il a été possible de réduire la dose quotidienne de lévodopa chez des sujets atteints de MP qui recevaient l’agoniste novateur.

Des données indiquent que le système histaminergique stimule l’activité cérébrale, qu’un déficit en histamine entraîne de la somnolence et que les agonistes inverses des récepteurs H3 pourraient constituer un traitement plus spécifique de la somnolence qui améliore simultanément la cognition dans les troubles du cycle veille-sommeil tels que la narcolepsie.

Résumé

Les hypnotiques étant généralement non sélectifs, ils agissent sur le GABA dans de nombreuses régions du cerveau et, par conséquent, sur plusieurs fonctions autres que le sommeil. La découverte de nouveaux neurotransmetteurs intervenant dans le système de veille a permis aux chercheurs de cibler des neurones localisés dans une petite partie du cerveau et ainsi d’intercepter l’état de veille. Des études cliniques ont révélé que ce mécanisme était très efficace pour induire l’endormissement et faire durer le sommeil. Par ailleurs, l’agonisme des voies histaminergiques pourrait favoriser l’éveil et neutraliser la somnolence diurne excessive associée à un certain nombre de troubles.  

D’après des communications présentées à SLEEP 2013, la 27e Assemblée annuelle de l’Associated Professional Sleep Societies, à Baltimore, au Maryland, du 1er au 5 juin 2013.



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