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Les troubles du sommeil font partie intégrante du syndrome fibromyalgique

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - Conférence scientifique sur la fibromyalgie et les troubles du sommeil

Portland, Oregon / 2-4 octobre 2008

La prévalence de la fibromyalgie dans la population générale est de 2 à 4 %. Elle augmente avec l’âge, de façon plus marquée après 40 ans, et atteint trois femmes adultes pour un homme, fait remarquer le Dr I. Jon Russell, professeur agrégé de médecine, département d’immunologie clinique, University of Texas Health Science Center, San Antonio. Ainsi, jusqu’à 8 % des femmes âgées de 61 à 70 ans sont touchées par cette maladie.

La fibromyalgie ne se résume pas à la douleur

Selon le Dr Harvey Moldofsky, professeur émérite, faculté de médecine, University of Toronto, Ontario, la fibromyalgie est très loin de se limiter à des douleurs diffuses et à des points sensibles. En 1975 déjà, ce dernier reconnaissait l’existence de symptômes non neuromusculaires tels qu’un sommeil non réparateur, des troubles émotionnels et des anomalies du système nerveux autonome. Lors d’une étude portant sur la privation de sommeil, il a réussi, en réveillant des volontaires sains pendant la phase de sommeil à ondes lentes, à induire une désorganisation de l’activité rythmique cérébrale se traduisant par une alternance d’ondes delta et d’ondes alpha, comme cela se voit chez les patients atteints de «fibrosite» (Moldofsky et al. Psychosom Med 1975;37:341-51). En outre, des symptômes douloureux de fibromyalgie sont observés chez des individus soumis à ce type de privation de sommeil.

Lors d’une étude récente, citée par le Dr Moldofsky, les principaux symptômes rapportés par 2596 patients atteints du syndrome fibromyalgique (SFM) étaient la raideur matinale, la fatigue, un sommeil de mauvaise qualité et la douleur (Bennett et al. BMC Musculoskelet Disord 2007;8:27) et depuis, une étude allemande a confirmé ces résultats (Hauser et al. Schmerz 2008;22(2):176-83). La fréquence des symptômes généraux et des symptômes non musculosquelettiques souligne que la fibromyalgie est bel et bien un syndrome dans lequel la douleur et une architecture anormale du sommeil sont intimement liées. Les résultats d’une étude portant sur 600 patients atteints du SFM en apportent une preuve supplémentaire puisque 96 % des patients ont eu un sommeil de piètre qualité (Bigatti et al. Arth Care Res 2008;59:951-67).

Le Dr Andrew J. Holman, professeur agrégé de clinique en médecine, University of Washington, Seattle, confirme tout à fait les propos du Dr Moldofsky et ajoute que la fibromyalgie est en fait la conséquence d’une inhibition du sommeil réparateur provoquée par une dérégulation du système nerveux autonome. Par ailleurs, le syndrome d’hypermobilité articulaire (SHA), que certains classent parmi les maladies du tissu conjonctif, semble être un facteur de risque de dysautonomie. En effet, dans une étude citée par le Dr Holman, 78 % des patients porteurs d’un SHA présentaient des symptômes de dysautonomie vs 10 % des témoins seulement (Gazit et al. Am J Med 2003;114:33-40).

Le cercle douleur/sommeil

Il est bien connu que les douleurs chroniques et les troubles du sommeil se renforcent mutuellement, note le Dr Maurice M. Ohayon, professeur titulaire de psychiatrie et des sciences du comportement, Stanford University, Californie. Il est particulièrement intéressant de souligner que la privation du sommeil à ondes lentes entraîne à la fois une exacerbation des douleurs musculosquelettiques et une hypersensibilité douloureuse à la pression (Lentz et al. J Rheumatol 1999;26(7):1586-92, Older et al. J Rheumatol 1998;25(6):1180-6, Onen et al. J Sleep Res 2001;10(1):35-42). Les résultats d’une enquête menée en Europe par le Dr Ohayon auprès de 18 980 individus ont révélé que 17,1 % d’entre eux souffraient de douleurs chroniques organiques. Si, dans ce groupe, 46 % des sujets se réveillaient en pleine nuit au moins trois fois par semaine, 77 % d’entre eux attribuant ces réveils à la douleur, ils étaient seulement 8,2 % à se plaindre de réveils nocturnes dans le groupe des sujets exempts de douleurs (Ohayon et al. J Clin Psychiatry 2004;65[suppl 12]:5–9). «Ce n’est pas rien de se réveiller en pleine nuit trois fois par semaine, souligne le Dr Ohayon. Même si le temps de sommeil n’est réduit que d’une heure, cela suffit pour se réveiller le matin en n’étant pas du tout reposé. Tout au long de la journée, ces patients présentent une somnolence, une efficacité moindre et une irritabilité accrue.»

Un trouble dépressif majeur était présent chez 4 % des personnes interrogées et, dans près de la moitié des cas, il était associé à des douleurs organiques chroniques. Selon les résultats d’autres recherches, 67 % des patients insomniaques et 72 % des personnes souffrant d’un trouble mental présenteraient également des douleurs chroniques, conclut le Dr Ohayon.

Le Dr Russell a examiné les fondements neurologiques de la relation entre douleur et privation de sommeil. La nociception est normalement équilibrée par des facteurs pro- et antinociceptifs, explique-t-il. Si un déséquilibre s’installe en faveur de la pronociception, il en résulte une douleur alors que si la balance penche en faveur de l’antinociception, on obtient un engourdissement. De ce point de vue, la douleur pourrait résulter soit d’une pronociception excessive, soit d’un défaut d’antinociception. «En fait, les deux phénomènes coexistent dans la fibromyalgie, soutient le Dr Russell. Sur le plan neurochimique, la pronociception est trop forte et l’antinociception trop faible. On a pu le déterminer en étudiant les concentrations de substances neurochimiques dans le liquide céphalo-rachidien. Par exemple, la concentration de la substance P (SP), neuromodulateur pronociceptif, augmente de manière importante dans le SFM.»

La concentration de la substance P augmente au cours de bien d’autres états qui ont un lien avec le SFM, ajoute le Dr Robert Bennett, professeur titulaire de médecine et de soins infirmiers, Oregon Health Science University, Portland. C’est le cas, par exemple, au cours de certaines dépressions, du syndrome de stress post-traumatique – lors duquel la concentration de la SP s’élève brutalement au moment de l’exposition à un stress voisin du stress initial – et dans l’arthrose de la hanche et du genou. À l’inverse, la concentration de la SP baisse dans les maladies s’accompagnant de douleurs neuropathiques.

Une nouvelle définition

Les examens de neuroimagerie révèlent que le cerveau des patients fibromyalgiques présente des particularités tant sur le plan fonctionnel que structural, mentionne le Dr Patrick B. Wood, médecin-chef, comté d’Orange, Californie (Angler Biomedical Technologies LLC). En effet, alors que les études en IRM apportent la preuve d’un hypertraitement de la douleur (Gracely et al. Arthritis Rheum 2002;46[5]:1333-43), les travaux personnels du Dr Wood, ainsi que ceux d’autres chercheurs, mettent en évidence des modifications de la densité de la substance grise chez ces patients. Grâce à l’exploration en tomographie par émission de positons, le Dr Wood a également démontré que la synthèse de dopamine était diminuée dans le tronc cérébral, le thalamus et le cortex limbique des patients fibromyalgiques et que cette diminution était corrélée avec une augmentation des scores de la douleur sur les échelles visuelles analogiques.

En conséquence, le Dr Wood propose pour le SFM la définition suivante : maladie chronique caractérisée par un traitement somatosensoriel anormal découlant de modifications du système nerveux central (SNC), c’est-à-dire le cerveau et la moelle épinière.

Stratégies de traitement de la fibromyalgie

La prégabaline est un antiépileptique dont l’innocuité et l’efficacité ont été démontrées dans le traitement de la douleur du SFM (Arnold et al. Congrès de l’American Pain Society, 2007). En Europe et au Canada, elle est homologuée uniquement pour le traitement des douleurs neuropathiques d’origine centrale et/ou périphérique, mais aux États-Unis, elle l’est également pour la fibromyalgie, note le Dr Holman. Les résultats d’un essai comparatif avec placebo, regroupant 745 patients fibromyalgiques, ont également révélé que la prégabaline améliorait significativement la qualité du sommeil (Arnold et al. Congrès de l’EULAR, 2007). En outre, poursuit le Dr Russell, son effet thérapeutique apparaît très rapidement puisque l’on observe clairement une diminution marquée de la douleur et une nette amélioration de la qualité du sommeil dès la fin de la première semaine de traitement.

Issue de la classe thérapeutique des antidépresseurs, la duloxétine a également fait la preuve de son efficacité dans le traitement de deux des symptômes majeurs du SFM, la dépression et la douleur, enchaîne le Dr Russell. Lors d’un essai avec placebo portant sur 495 patients, le score HAMD<sub>17</sub> a baissé significativement dès la deuxième semaine de traitement et a chuté d’environ trois points par rapport au score du groupe sous placebo après sept et neuf semaines de traitement (p<u><</u>0,005) (Brannan et al. J Psychiatr Res 2005; 39:161-72). Dans un autre essai regroupant 444 patients fibromyalgiques et comparant deux doses de duloxétine, les scores de douleur – établis à partir du questionnaire BPI – diminuaient sensiblement pour les deux posologies à l’étude (Russell et al. Pain 2008;136([3]:432-44.).

Une étude comparative avec placebo a permis de constater qu’une troisième molécule, l’oxybate de sodium (non homologué dans le SFM), était également très efficace dans la prise en charge de la douleur et des troubles du sommeil des patients fibromyalgiques (Russell et al. Arthritis Rheum 2008, sous presse). L’atténuation de la douleur et l’amélioration de la qualité du sommeil – évaluées respectivement par une échelle visuelle analogique et par le questionnaire Jenkins – ont été comparables pour les deux doses d’oxybate de sodium testées (4,5 g et 6 g). Un sommeil de meilleure qualité était associé à un amoindrissement de la fatigue et de la raideur et à une amélioration de l’indice des points sensibles.

Les trois principaux symptômes de la fibromyalgie sont la douleur (100 %), les troubles du sommeil (70 à 90 %) et la dépression (environ 30 %), rappelle le Dr Russell, et l’on pourrait utiliser la «stratégie de la polypharmacie» pour s’attaquer à cette triade symptomatique. Ainsi, il suggère d’employer la prégabaline ou l’oxybate de sodium contre la douleur et l’insomnie et d’y adjoindre la duloxétine ou le milnacipran si les symptômes dépressifs nécessitent une prise en charge supplémentaire. «Il est intéressant de noter que la prégabaline bloque le signal afférent et donc la pronociception et que, selon le résultat d’études chez l’animal, elle provoque une diminution de la concentration de la SP. La duloxétine, quant à elle, facilite au contraire l’inhibition descendante», conclut-il.

Résumé

Le SFM est une maladie du SNC dans laquelle on observe des altérations à la fois constitutionnelles et fonctionnelles du cerveau. Les symptômes principaux que sont la douleur, le sommeil non réparateur et la dépression se renforcent les uns les autres par l’intermédiaire de voies neurochimiques. Il est donc tout à fait pertinent d’utiliser des molécules qui contrent le fonctionnement anormal de ces voies pour traiter la fibromyalgie.

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