Comptes rendus

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L’inhibition de l’IL-6 dans la polyarthrite rhumatoïde : une analyse des données récentes

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

ABSTRACTS in PERSPECTIVE fondée sur des communications présentées à la 72e Assemblée annuelle de l’American College of Rheumatology

San Francisco, Californie / 24-29 octobre 2008

Commentaire éditorial :

Louis Bessette, MD, MSc, FRCPC

Professeur titulaire de clinique, Département de médecine, Université Laval Rhumatologue, Centre Hospitalier Universitaire de Québec, pavillon CHULQuébec (Québec)

Depuis 10 ans, les agents biologiques sont d’usage courant dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde (PR). Les résultats d’études comme PREMIER, COMET et BeSt ont montré l’intérêt d’associer d’emblée le méthotrexate (MTX) à un inhibiteur du facteur de nécrose tumorale alpha (TNFa), par opposition à s’en tenir au traitement classique, afin de ralentir significativement la progression de la maladie. Cependant, certains patients ne répondent pas bien au MTX ni aux anti-TNFa ou voient leur réponse s’estomper avec le temps. La possibilité d’avoir à notre disposition un agent qui soit aussi efficace en monothérapie que les traitements d’association pour maîtriser la maladie est donc une option séduisante. L’inhibition de l’interleukine (IL)-6 est un nouveau concept dans le traitement biologique de la PR. Le programme de recherche clinique de phase III au cours duquel on a évalué le tocilizumab, nouvel inhibiteur de l’IL-6, a généré énormément de données que nous allons passer en revue dans le présent numéro.

Début d’action, biomarqueurs et état des articulations

Dans le traitement de la PR, il est souhaitable que les agents administrés soient dotés d’un court délai d’action afin de soulager rapidement les symptômes, voire de stopper la progression de la maladie. Sous la direction du Dr Josef Smolen, professeur titulaire de médecine, École de médecine de l’Université de Vienne, Autriche, une équipe de chercheurs a examiné les données colligées de quatre essais de phase III sur le tocilizumab dans divers schémas et contextes. Le court délai d’action a été similaire dans toutes les études, 17 à 25 % des patients traités par le tocilizumab ayant atteint le critère de réponse ACR 20 dans un délai de deux semaines, comparativement à 7 à 10 % des témoins. Après deux semaines, le score DAS (Disease Activity Score) 28 s’était déjà amélioré chez les patients traités; chez quelques-uns de ces patients, il dénotait une rémission (score <2,6), et le taux de protéine C-réactive (CRP), qui avait chuté sous la limite inférieure normale (LIN) (0,3 mg/dL), est demeuré faible jusqu’au terme de l’étude. Après un à deux mois, le taux de répondeurs ACR 50 et ACR 70 était déjà plus élevé. Après 24 semaines, le taux de rémission telle que définie par le score DAS 28 variait entre 27,5 et 33,6 % selon l’étude et le schéma de traitement.

Il est ressorti d’une étude satellite de l’essai de phase III OPTION dirigée par la Dre Thasia Woodworth, Welwyn, Royaume-Uni, et ses collaborateurs que les taux de biomarqueurs de la dégradation articulaire – notamment le PIIANP (propeptide N-terminal du procollagène de type IIA), l’Helix-II (peptide hélicoïdal du collagène de type II) et les MMP-3 (métalloprotéases matricielles 3) – s’étaient améliorés significativement chez les patients sous tocilizumab. Ces améliorations ont été associées à l’atteinte du critère de réponse ACR 50.

Le Dr Joel Kremer, professeur titulaire de médecine, Albany Medical College, New York, a présenté les données radiographiques à 12 mois de l’essai LITHE de deux ans sur le tocilizumab. L’un des critères d’inclusion était une réponse inappropriée au MTX (mais pas aux anti-TNF). Le traitement par le tocilizumab administré durant 52 semaines a donné lieu à une amélioration continue des signes et des symptômes de la PR, surtout lorsqu’on mesurait les principaux paramètres d’évaluation de la réponse clinique, à savoir la rémission définie par le score DAS 28 ainsi que l’atteinte du critère ACR 50 ou ACR 70. À 52 semaines, la rémission mesurée par le score DAS 28 a été observée chez 47,2 % des patients recevant 8 mg/kg, vs 8 % des témoins (placebo/MTX). Les chercheurs ont par ailleurs observé une diminution significative du score sur l’échelle d’incapacité HAQ-DI (Health Assessment Questionnaire Disability Index) qui s’est maintenue jusqu’à la 52e semaine. Chez les patients recevant la dose de 8 mg/kg, les chercheurs ont noté une inhibition significativement plus marquée de la progression des lésions articulaires structurales, la progression du score de Sharp total ayant diminué de 74 % par rapport au placebo/MTX. Les chercheurs ont aussi observé l’absence de progression des érosions chez 86,8 % des patients, la progression ayant été définie comme la variation du score d’érosion =0 par rapport au score initial, et l’absence de pincement de l’interligne articulaire chez 90,5 % des patients, vs 70 % et 84,5 % des témoins, respectivement.

Réponse insuffisante aux anti-TNFa

L’étude RADIATE a révélé que le tocilizumab pouvait se traduire par un bénéfice thérapeutique significatif chez les patients dont la réponse aux anti-TNF était insuffisante, affirme le Dr Paul Emery, professeur titulaire de rhumatologie, University of Leeds, Royaume-Uni. Cette étude revêt une importance particulière parce qu’elle prouve l’existence de solutions au-delà de l’échec du traitement par un anti-TNF. Une rémission définie par le critère DAS 28 a été obtenue chez 30 % des patients sous 8 mg/kg, vs 1,6 % des témoins, ce qui est bon compte tenu de la sévérité de la maladie chez ces patients. Comme l’a souligné le Dr Emery lors d’un autre exposé, le critère de réponse ACR 20 a été atteint chez la moitié des patients après l’échec d’un anti-TNF (49 %), de deux anti-TNF (50 %), voire de trois anti-TNF (54 %), ce qui n’est pas rien.

L’essai AMBITION, dirigé par le Dr Graeme Jones, professeur titulaire de rhumatologie et d’épidémiologie, University of Tasmania, Australie, et son équipe, avait pour objectif de prouver la non-infériorité du tocilizumab en monothérapie par rapport au MTX. Les résultats ont toutefois été assez robustes pour démontrer sa supériorité sur le MTX selon tous les paramètres d’évaluation de l’efficacité. Comme on s’y attendait vu l’ancienneté moyenne assez brève de la maladie, les taux de répondeurs selon les critères de l’ACR étaient meilleurs que les taux enregistrés dans les essais TOWARD, OPTION et LITHE, 70,6 %, 43,4 % et 28 % des patients ayant atteint les critères de réponse ACR 20, ACR 50 et ACR 70, respectivement (par rapport au MTX seul; augmentation significative dans tous les cas). Le taux de rémission calculé d’après le score DAS 28, qui a atteint 33,6 %, était presque trois fois plus élevé que dans le groupe MTX.

Analyse des effets indésirables

L’innocuité du tocilizumab a été évaluée selon deux points de vue à partir des données colligées de cinq essais de phase III. Le Dr Mark Genovese, professeur agrégé de médecine, Stanford University School of Medicine, Palo Alto, Californie, s’est penché sur les paramètres lipidiques et les biomarqueurs, tandis que le Dr Smolen a étudié l’incidence des effets indésirables.

L’équipe du Dr Genovese a constaté que l’élévation du taux de C-LDL associée au traitement par le tocilizumab se stabilisait après six semaines. Cependant, comme le taux de C-HDL augmentait en parallèle, le ratio est demeuré à peu près inchangé. Chez les patients déjà sous statine, le taux de C-LDL s’est élevé d’environ 7 mg/dL de moins, alors qu’un traitement par une statine amorcé au cours de l’étude s’est traduit, après 24 semaines, par une diminution moyenne du taux de C-LDL de 28,9 mg/dL.

L’augmentation du risque de maladie cardiovasculaire (CV) associée à la PR serait, croit-on, imputable en partie à l’IL-6 et à la CRP. L’analyse a toutefois révélé que l’élévation des taux lipidiques avait pour corollaire une baisse des taux de CRP et d’autres biomarqueurs inflammatoires. Dans le cas de la CRP, le taux est revenu près de la normale et est demeuré faible pendant toute la durée des études. L’effet net de ces changements n’a pas encore été élucidé.

Comme les agents biologiques sont des immunomodulateurs, ils pourraient augmenter le risque d’infection grave. La Dre Elena Fisheleva, Welwyn, Royaume-Uni, a présenté l’analyse de l’innocuité globale après 24 semaines de traitement.

L’incidence des effets indésirables graves était semblable chez les patients sous inhibiteur de l’IL-6 et les témoins. Peu d’infections graves ont été signalées, mais le taux était plus élevé chez les patients sous tocilizumab. Les effets indésirables CV n’ont pas été plus fréquents dans le groupe tocilizumab, et l’incidence des cancers était très faible. Dans le cadre des études de prolongation, cette tendance se maintenait après un an et demi, car aucun nouveau problème d’innocuité n’avait été signalé et les taux d’effets indésirables étaient semblables aux effets rapportés lors de l’étude initiale de six mois. En effet, 15,3 % des patients avaient subi un effet indésirable grave, et les infections venaient au premier rang (5,2 %).

L’analyse des données colligées a permis de cerner plusieurs facteurs de risque chez les patients exposés au tocilizumab pendant une période d’une durée médiane de 1,5 an : âge =65 ans (risque relatif approché [OR] de 1,9), diabète (OR de 2,0), antécédents d’infection (OR de 2,2), et corticothérapie initiale (OR de 1,8).

Il n’est pas rare que les agents biologiques perturbent les taux d’enzymes hépatiques. L’analyse per protocol a mis en évidence 25 abandons au sein de la cohorte de 4098 sujets des essais cliniques sur le tocilizumab en raison d’augmentations des taux d’ALT/AST de >5 fois la limite supérieure normale (LSN). Chez environ 6 % des patients, on a signalé des élévations de >3 fois la LSN, mais ces élévations étaient transitoires et se normalisaient lorsque l’on mettait fin au traitement ou que l’on diminuait la dose. À ce jour, rapportent les chercheurs sous la direction du Dr Kremer, aucune pathologie hépatique n’a été signalée.

Une autre étude présentée par le Dr Genovese a porté sur l’immunogénicité de l’inhibiteur de l’IL-6. Cette analyse a été générée à partir des données de quatre essais de phase III (n=1747). Un petit nombre de patients ont développé des anticorps anti-humains de type humain (HAHA) (n=24) contre le tocilizumab. Les effets indésirables signalés chez ces patients ne différaient pas de ceux de l’ensemble des patients traités. L’incidence la plus élevée de HAHA a été signalée chez les patients qui recevaient la dose de 8 mg/kg en association avec un agent de rémission traditionnel. Cependant, à en juger par les taux de CRP et le score DAS 28, l’inhibiteur de l’IL-6 n’a pas été moins efficace chez ces patients.

Résumé

Le programme complet d’essais cliniques de phase III sur le tocilizumab a révélé que cet inhibiteur de l’IL-6 était une option viable et souhaitable pour les patients dont la réponse au MTX ou aux anti-TNF était insuffisante. Diverses analyses ont permis de constater que cet agent était efficace, qu’il agissait rapidement et que son profil d’innocuité était acceptable. Il faudra toutefois élucider son effet sur les taux lipidiques et le risque CV global à long terme et repérer les patients qui auraient intérêt à recevoir également un traitement par une statine. De plus, comme le tocilizumab est le premier agent biologique à s’être révélé supérieur au MTX, il serait justifié d’approfondir son évaluation en monothérapie.

Nota : Au moment de la mise sous presse, le tocilizumab n’était pas commercialisé au Canada.

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