Comptes rendus

Axe rein-cœur-cerveau : le point sur l’inhibition du SRA Tour d’horizon de la littérature
Second regard sur les associations d’INTI en traitement de fond

Maladie cardiovasculaire et VIH/SIDA : D:A:D nous livre d’autres résultats

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Le 15e Congrès sur les rétrovirus et les infections opportunistes

Boston, Massachusetts / 3-6 février 2008

Contre toute attente, une analyse – dont l’objectif était de vérifier l’hypothèse voulant que les inhibiteurs nucléosidiques/nucléotidiques de la transcriptase inverse (INTI) de la sous-classe des analogues de la thymidine augmentent le risque de maladie cardiovasculaire (CV) – a révélé que c’était plutôt l’utilisation récente de didanosine (ddI) ou d’abacavir (ABC) qui était associée à une augmentation significative du taux d’infarctus du myocarde (IM) et non celle d’analogues de la thymidine ou de lamivudine (3TC). Plusieurs autres INTI, dont l’emtricitabine et le ténofovir, n’ont pas encore été soumis à la même analyse. Comme il s’agit d’une étude d’observation et que l’on peut en conséquence noter des associations sans qu’il y ait de lien de cause à effet, le risque absolu d’événement et la portée de ces observations ne peuvent pas être déterminés. Les auteurs croient néanmoins que les données sont suffisamment probantes pour justifier leur prise en compte dans les décisions cliniques.

«Seul un essai clinique avec randomisation pourrait objectiver avec certitude un lien entre l’utilisation d’un agent donné et un effet indésirable particulier, comme un IM», fait valoir l’un des investigateurs principaux de l’étude D:A:D (Data Collection of Adverse Effects of Anti-HIV Drugs), le Dr Jens Lundgren, directeur du programme de Copenhague sur l’infection à VIH et professeur titulaire à l’Université de Copenhague, au Danemark. «À notre avis, les données évoquent l’existence d’un lien entre ces deux INTI et le risque CV, mais on doit en soupeser l’importance au vu d’autres facteurs, en particulier l’efficacité du schéma antirétroviral et le risque individuel de maladie CV», précise-t-il.

D:A:D sous un nouvel angle

L’étude D:A:D est une collecte prospective de données cliniques sur 33 347 patients infectés par le VIH suivis dans 212 cliniques qui contribuent à la constitution de 11 cohortes distinctes, notamment pour des études réalisées en Europe, en Australie et aux États-Unis. D’autres données de l’étude D:A:D publiées antérieurement ont été parmi les premières à faire ressortir un lien entre les inhibiteurs de la protéase (IP) et une augmentation du risque CV, observation qui a ensuite été étayée. La nouvelle analyse des données de D:A:D a toutefois mis en évidence un schème de risque complètement différent, ce qui vient brouiller les pistes dans nos efforts pour comprendre les mécanismes en jeu.

«Avec les IP, le risque augmentait progressivement en fonction de la durée du traitement et ne diminuait pas dès l’arrêt du traitement. Dans le cas de ces INTI, le risque semble atteindre un maximum peu de temps après le début du traitement et se normaliser à l’arrêt du traitement», explique le Dr Lundgren. Cette observation inattendue ne concorde avec aucun autre effet connu de ces agents sur les mécanismes qui pourraient sous-tendre l’augmentation du risque d’IM, poursuit-il.

Nouvelle analyse

Dans le cadre de l’étude, qui représente 157 912 années-personnes de suivi, on a recensé 517 IM. L’hypothèse de cette nouvelle analyse voulait que l’exposition à la zidovudine (AZT) ou à la stavudine (d4T) augmente le risque de maladie cardiaque. Cette hypothèse était fondée sur le lien entre ces analogues de la thymidine, d’une part, et les dyslipidémies et la résistance à l’insuline, d’autre part, deux facteurs qui devraient théoriquement augmenter le risque CV. La ddI, le 3TC et l’ABC ont été soumis aux mêmes analyses à titre de comparateurs pour l’évaluation du risque relatif.

On a procédé à une analyse de régression de Poisson pour évaluer les conséquences d’une exposition cumulative, d’une exposition récente (patients encore sous traitement ou ayant mis fin au traitement au cours des six derniers mois) et d’une exposition antérieure (traitement arrêté il y a plus de six mois). L’exposition était évaluée à partir du moment où les patients étaient entrés dans la base de données D:A:D et se terminait avec la survenue d’un IM, la mort ou en février 2007. Le taux d’IM était alors évalué par rapport au taux calculé à l’aide de l’équation de Framingham servant à déterminer le risque de maladie coronarienne sur 10 ans.

Contrairement à l’hypothèse de l’étude, aucun des deux analogues de la thymidine, l’AZT ou la d4T, ni le 3TC n’ont été associés à un excédent d’IM, peu importe que l’on ait évalué l’exposition cumulative, en cours ou passée. Cependant, l’utilisation récente de ddI portait le risque relatif approché (odds ratio ou OR) d’IM à 1,49 (IC à 95 %, 1,14-1,95; p<0,01), alors que l’utilisation récente d’ABC portait l’OR d’IM à 1,90 (IC à 95 %, 1,47-2,45; p<0,01). Dans le modèle qui a donné lieu à ce résultat, ni l’utilisation cumulative ni l’utilisation antérieure n’étaient associées à une majoration du risque. Le risque d’IM associé à l’utilisation récente de ddI et d’ABC se maintenait après prise en compte des dyslipidémies, d’autres facteurs métaboliques, du nombre de cellules CD4+ et du nombre de copies de l’ARN du VIH. Malgré la prise en compte du risque CV, les auteurs soulignent que les populations ayant reçu de l’ABC différaient de celles qui n’en avaient pas reçu.

«Les patients dont l’exposition à l’ABC était récente, comparativement à ceux qui n’y avaient pas été exposés récemment, étaient plus susceptibles d’être de sexe masculin, âgés, diabétiques, hypertendus et dyslipidémiques, ou d’avoir des antécédents familiaux de maladie coronarienne. Par contre, ils étaient moins susceptibles d’être fumeurs ou d’avoir un indice de masse corporelle élevé», rapporte la Dre Caroline A. Sabin, Royal Free Hospital, University College, Londres, Royaume-Uni.

Interprétation des résultats

Lorsque les chercheurs se sont penchés sur ces résultats en tenant compte du risque de maladie coronarienne sur 10 ans calculé à l’aide de l’équation de Framingham, ils ont constaté que l’association des INTI et d’un taux plus élevé d’IM s’observait principalement chez les sujets déjà à risque de maladie CV. Cela était particulièrement vrai pour l’ABC, l’interaction entre le risque théorique de maladie coronarienne sur 10 ans et l’utilisation récente ayant atteint le seuil de signification statistique (p=0,04). Il s’agit là d’un point important lorsqu’on analyse les résultats dans un contexte clinique.

«Si le patient est déjà vulnérable à la maladie coronarienne, la ddI et l’ABC semblent exacerber ce risque», fait remarquer le Dr Lundgren. Cependant, les patients chez qui des facteurs de risque CV sont apparus n’ont pas semblé exposés à un risque accru d’IM s’ils avaient été préalablement exposés à l’ABC. «Les retombées cliniques des résultats présentés dans ce résumé doivent donc aussi tenir compte du risque CV sous-jacent chez chaque patient.»

Le Dr Lundgren a souligné à maintes reprises l’importance de relativiser ces données. Comme les antirétroviraux sauvent des vies, le bénéfice immédiat et absolu d’un schéma efficace pourrait bien l’emporter sur les risques relatifs à long terme. On ne doit pas pour autant fermer les yeux sur les risques à long terme, mais la maîtrise de l’infection à VIH demeure la priorité, indique le Dr Lundgren.

«Compte tenu de l’efficacité des traitements antirétroviraux, les patients vivent maintenant assez longtemps pour faire face aux risques qui augmentent avec l’âge comme la maladie cardiaque. On doit prendre conscience de ces risques à long terme et en tenir compte dans le choix du traitement. Par contre, la maîtrise efficace de l’infection à VIH étant essentielle, on devrait changer de traitement uniquement lorsqu’on dispose d’une solution de rechange probablement aussi efficace et bien tolérée», d’enchaîner le Dr Lundgren. En outre, le risque d’IM est très faible chez les patients qui prennent de l’ABC ou de la ddI. «Chez l’ensemble de ces patients, le risque absolu de crise cardiaque était faible. Plus précisément, le risque global dans le cadre de l’étude se chiffrait à 1,6 % sur cinq ans», rapporte le Dr Lundgren. Cela dit, comme l’usage du tabac double le risque de maladie coronarienne comparativement à la ddI ou à l’ABC, l’arrêt du tabagisme «contribuerait beaucoup plus [que l’arrêt du traitement par la ddI ou l’ABC] à réduire le risque de crise cardiaque ou d’une autre maladie grave».

Même si les Drs Lundgren et Sabin croient tous deux que l’augmentation du risque associée à la ddI et à l’ABC est bel et bien réelle, surtout chez les patients déjà atteints de la maladie coronarienne, l’absence de fondement biologique est une source d’inquiétude. Aucun de ces INTI n’est associé à des anomalies métaboliques, et on n’a jamais signalé d’effets indésirables sur le fonctionnement de la pompe cardiaque ou d’anomalies électriques. C’est la première fois que l’on rapporte un lien entre la ddI, l’ABC et les IM, et on ne fait état d’aucun lien avec des événements autres que l’IM, l’ACV par exemple. Vus sous cet angle, les résultats sont source de confusion.

«Une étude d’observation comme D:A:D qui se limite au suivi des patients ne peut assurément pas établir de lien de cause à effet entre deux éléments», reconnaît le Dr Lundgren. Même s’il estime que les données sont suffisamment robustes pour influer sur les décisions cliniques, il admet que la décision du patient de prendre ces agents ou non devrait être dictée par son risque CV initial et les autres options de traitement disponibles.

Résumé

Il ressort de nouvelles données de l’étude D:A:D que l’exposition récente à la ddI ou à l’ABC augmente le risque de maladie CV par rapport à l’absence d’exposition récente, mais le risque absolu est faible et s’observe principalement chez les patients déjà exposés à un risque élevé de maladie coronarienne. De l’avis des auteurs de cette étude, ces INTI ne constituent peut-être pas un traitement optimal en première intention dans les cas où un patient coronarien peut recevoir d’autres agents efficaces, mais le mécanisme par lequel ces agents augmentent le risque demeure obscur. Il serait utile d’avoir plus de données pour mieux intégrer ces résultats dans la pratique clinique.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.