Comptes rendus

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Nouveaux objectifs d’une maîtrise optimale de la polyarthrite rhumatoïde

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

61e Assemblée annuelle de la Société canadienne de rhumatologie et du 34e Congrès mexicain de rhumatologie

Acapulco, Mexique / 17-21 février 2006

Le pourcentage de patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde (PR) qui parviennent à la rémission varie considérablement selon la définition de l’instrument utilisé, explique la Dre Janet Pope, professeure titulaire de médecine, University of Western Ontario, London. Dans le cadre d’un suivi à long terme de 161 patients atteints de PR, par exemple, seulement 12 % des patients répondaient au critère de rémission ACR70 de l’American College of Rheumatology. Les critères cibles sont atteints seulement 30 % du temps environ, même dans les essais cliniques où les rhumatologues sont d’accord pour adapter le traitement de façon à atteindre le critère cible.

En général, la réponse mesurée selon les critères ACR semble supérieure lorsque les patients reçoivent un traitement d’association, comme le méthotrexate (MTX), un antirhumatismal de fond (DMARD, pour disease-modifying antirheumatic drug), et l’étanercept, inhibiteur du TNF (facteur de nécrose tumorale). Lors de l’essai TEMPO (Trial of Etanercept and Methotrexate with Radiographic Patient Outcomes), 43 % des patients randomisés dans le groupe traitement d’association ont atteint le critère ACR70, par comparaison à seulement 19 % et 24 % des patients randomisés dans les groupes MTX et étanercept en monothérapie, respectivement. Certes, ces pourcentages témoignent de l’efficacité des inhibiteurs du TNF dans le traitement de la PR, mais ils soulignent également le fait que les résultats ne sont pas nécessairement bons chez la totalité des patients qui reçoivent un traitement optimal comme l’association anti-TNF/MTX.

Cette observation a été renforcée par les résultats d’une enquête téléphonique à laquelle participaient 500 patients polyarthritiques qui recevaient divers médicaments. Parmi ceux qui prenaient un agent biologique, 75 % ont rapporté des raideurs quotidiennes, 71 %, des douleurs quotidiennes et 67 %, une fatigue quotidienne, malgré le traitement. «Même les patients qui se portent bien présentent de nombreux symptômes», fait remarquer la Dre Pope. Les résultats de plusieurs bases de données sur la PR, dont la base de données DANBIO nationale du Danemark, ont révélé que l’activité de la maladie demeure modérée à élevée chez 70 % des patients recevant un inhibiteur du TNF et que 30 % des patients abandonnent leur traitement anti-TNF au cours de la première année. Après deux ans, environ les deux tiers des patients inscrits dans une base de données suédoise recevaient toujours leur agent biologique; les taux d’abandon étaient comparables pour l’infliximab et l’adalimumab et légèrement inférieurs pour l’étanercept. Dans leur propre enquête, la Dre Pope et ses collègues ont constaté des taux similaires de persévérance (70 % à un an) et un taux moyen d’amélioration des articulations œdémateuses d’environ 50 %.

«Le plus souvent, les patients cessent de prendre leur inhibiteur du TNF en raison d’une diminution de l’efficacité», fait valoir la Dre Pope. Cela dit, si un patient a obtenu d’emblée une bonne réponse au premier agent anti-TNF, le médecin pourrait envisager de passer à un deuxième agent anti-TNF. Dans les faits, de préciser la Dre Pope, l’essai d’un autre agent de la même classe est parfois une «perte de temps»; en effet, si le patient ne répond pas à l’inhibiteur du TNF administré en première intention, il est improbable qu’il obtienne de bons résultats si on lui donne un autre agent de la même classe. Chez les non-répondeurs aux inhibiteurs du TNF, les autres stratégies que l’on pourrait envisager seraient l’ajout d’un DMARD, l’augmentation de la dose de certains agents biologiques ou le passage à une autre classe d’agents biologiques.

«Ce ne sont pas tous les patients qui répondent d’emblée aux agents biologiques comme les inhibiteurs du TNF ou qui ont une réponse soutenue à long terme, de conclure la Dre Pope, et les stratégies thérapeutiques de rechange permettant d’optimiser la maîtrise de la maladie font cruellement défaut.»

Rôle des lymphocytes B dans la PR

La PR est une maladie très hétérogène dans la mesure où différentes cellules et cytokines sous-tendent les processus destructeurs de la maladie, explique le Dr Boulos Haraoui, professeur agrégé de clinique en médecine, Université de Montréal, Québec. «Lorsqu’un patient reçoit un agent anti-TNF, d’autres voies menant à la destruction des articulations demeurent actives ou pourraient être amplifiées, ce qui perpétue la destruction articulaire». Il a été démontré que l’interleukine-6 (IL-6) et, dans une moindre mesure, l’IL-1, sont des éléments clés de l’atteinte articulaire. «Ainsi, note-t-il, nous avons besoin d’une multitude d’agents ciblant divers facteurs spécifiques [qui sous-tendent la maladie]. Plus nous aurons de nouveaux agents, surtout des agents biologiques qui ciblent des cellules spécifiques, plus nous améliorerons la prise en charge de la PR et augmenterons les probabilités de rémission complète, voire de guérison de la maladie.»

L’une des nouvelles stratégies prometteuses consiste à cibler les lymphocytes B au moyen d’anticorps monoclonaux (AcM) anti-CD20. Comme le souligne le Dr Haraoui, on croyait auparavant que les lymphocytes B ne faisaient que produire les facteurs rhumatoïdes (FR). Or, de nouvelles études semblent indiquer que les lymphocytes B joueraient un rôle beaucoup plus important dans la pathogenèse de la PR. Par exemple, il est établi que les lymphocytes B sécrètent des cytokines pro-inflammatoires, dont le TNF, et que ces cytokines activent à leur tour les macrophages qui, avec le temps, favorisent à la fois l’inflammation et la destruction articulaire.

Les lymphocytes B – qui peuvent aussi présenter des antigènes aux lymphocytes T – jouent un rôle essentiel dans l’activation des lymphocytes T dans la membrane synoviale. Les lymphocytes B produisent également des auto-anticorps, ce qui perpétue l’auto-immunité, explique le Dr Haraoui. Le lymphocyte B émane de la cellule souche initiale et se différencie en plasmocyte mature, mais comme l’antigène CD20 cible n’est exprimé que sur un sous-groupe de lymphocytes B, «[l’AcM anti-CD20] épargne les cellules souches ainsi que les plasmocytes, ces derniers étant les cellules qui combattent l’infection», poursuit-il.

L’AcM détruit les lymphocytes B par différents mécanismes, dont la lyse médiée par le complément, la cytotoxicité à médiation cellulaire par les macrophages et les cellules tueuses naturelles (NK) et l’apoptose, note le Dr Haraoui. Il cible aussi les lymphocytes T en bloquant les cellules présentatrices d’antigènes et l’activation des lymphocytes T, ajoute-t-il.

D’autres modificateurs de la réponse biologique qui agissent par des mécanismes différents ont aussi contribué étroitement à l’évolution de la prise en charge de la PR. De l’avis de plusieurs conférenciers, l’IL-6 ne jouerait pas un rôle dans la pathogenèse de la PR, mais elle active les ostéoclastes, lesquels peuvent entraîner des érosions osseuses et la destruction articulaire. Elle peut aussi activer les lymphocytes B, ce qui donne à penser qu’elle joue probablement un rôle également dans le processus inflammatoire continu. L’abatacept, agent biologique, a été évalué dans le cadre de l’essai AIM (Abatacept in Inadequate Responders to MTX), lequel a été réalisé chez des patients qui n’avaient pas obtenu de réponse appropriée au MTX. Le tocilizumab (aussi appelé MRA), nouvel AcM qui cible l’IL-6, a été testé chez des patients dont la PR était évolutive et dont la réponse au MTX n’était pas complète.

Rôle des auto-anticorps

Une meilleure compréhension de la pathogenèse de la synovite rhumatoïde précoce pourrait favoriser l’évolution du paradigme thérapeutique dans la prise en charge de la PR. En effet, des stratégies spécifiques pourraient permettre de couper court à la persistance, voire à l’apparition de la maladie, si elles sont mises en œuvre au moment opportun. Comme l’ont expliqué plusieurs conférenciers, dont le Dr Henri Ménard, professeur titulaire de médecine, Université McGill, Montréal, les auto-anticorps dirigés contre les épitopes de la peptidyl-citrulline sont à la fois sensibles et spécifiques dans la PR.

Même si plusieurs tests qui détectent les auto-anticorps dirigés contre les peptides citrullinés (anti-CCP) ont échoué «en conditions réelles», la présence de ces auto-anticorps est décelable chez de nombreux patients bien avant que la maladie ne se manifeste cliniquement. Le Dr Javier Cabiedes, département d’immunologie et de rhumatologie, Instituto Nacional de Ciencias Médicas y Nutrición Salvador Zubirán, Mexico, Mexique, et ses collègues ont rapporté au congrès que la présence d’auto-anticorps anti-CPP était corrélée avec une activité plus marquée de la maladie, tant clinique que sérologique, et avec un nombre plus élevé de critères de l’ACR, tout comme la présence de FR (de type IgA) dans une cohorte de patients dont la PR était précoce. On trouve des antigènes citrullinés dans le liquide synovial, mais la synthèse intra-articulaire d’auto-anticorps dirigés contre ces antigènes citrullinés est propre à la PR. Fait intéressant, le Dr Ménard et ses collègues ont récemment démontré que le MTX diminue la réponse globale des auto-anticorps aux antigènes citrullinés, ce qui explique probablement que le MTX joue un rôle aussi important dans le traitement de la PR. La question de savoir si ces auto-anticorps ne sont que des marqueurs de la PR ou s’ils contribuent vraiment à l’inflammation est une question importante à laquelle nous n’avons pas de réponse claire et nette.

Comme l’expliquait le Dr Hani El-Gabalawy, professeur titulaire de médecine et d’immunologie, University of Manitoba, Winnipeg, les travaux expérimentaux sur les modèles animaux donnent à penser que les auto-anticorps dirigés contre une autre protéine, la glucose-6-phosphate isomérase (G6PI), pourraient précipiter l’apparition d’une arthrite pseudo-rhumatoïde destructrice et sévère. Fait intéressant, on peut provoquer l’apparition de cette forme d’arthrite chez des souris ayant des profils génétiques très différents simplement en transférant du sérum contenant des auto-anticorps à la protéine G6PI. «Ces données confirment que les auto-anticorps dirigés contre des antigènes ubiquistes, comme l’anti-G6PI, enzyme qui se trouve dans toutes les cellules, peuvent entraîner directement une arthrite inflammatoire destructrice pour autant que les mécanismes qui sous-tendent l’apparition de l’inflammation soient intacts», expliquait le Dr El-Gabalawy dans une entrevue. Néanmoins, l’extrapolation de ces données animales chez l’humain demeure difficile.

Bien que l’on trouve des auto-anticorps anti-G6PI dans le sang et le liquide articulaire de certains patients polyarthritiques, la présence de ces auto-anticorps n’est pas spécifique de la PR et caractérise plusieurs autres formes d’arthrite. En revanche, la PR chez l’humain est maintenant reconnue pour être associée spécifiquement aux auto-anticorps anti-citrulline, mais il demeure difficile de précipiter l’apparition d’une arthrite destructrice au moyen d’auto-anticorps anti-citrulline dans les modèles animaux. «À mon humble avis, les réponses anti-citrulline initiales qui précèdent l’apparition de la PR clinique sont générées par une perte de tolérance aux antigènes citrullinés extra-articulaires. Les premiers événements qui précipitent l’inflammation articulaire ne sont pas spécifiques et ne sont probablement pas médiés par ces auto-anticorps», affirme le Dr El-Gabalawy.

Lorsque l’inflammation s’installe dans une articulation, de nouveaux antigènes citrullinés s’y trouvent exposés. Compte tenu de la perte de tolérance aux antigènes citrullinés, «la réponse immunitaire aux antigènes synoviaux s’établit et s’amplifie progressivement, d’ajouter le Dr El-Gabalawy. Afin d’obtenir une amplification de la réponse anti-citrulline dans l’articulation, il doit y avoir un processus de “présentation de l’antigène”».

Des expériences ont démontré que le lymphocyte B revêt une importance critique dans l’établissement des structures lymphoïdes secondaires dans la membrane synoviale, où les lymphocytes B eux-mêmes deviennent des cellules présentatrices d’antigènes et où l’on observe une reconnaissance des antigènes citrullinés par les lymphocytes T et B dans la membrane synoviale. Ces structures lymphoïdes secondaires n’apparaissent pas dans la membrane synoviale de tous les patients atteints de PR, note le Dr El-Gabalawy. Par contre, les patients qui ont tendance à manifester ces structures lymphoïdes «seraient vraiment aptes à bénéficier d’une déplétion précoce en lymphocytes B, parce que si l’on pouvait prévenir la formation de ces organes lymphoïdes secondaires, on pourrait essentiellement faire échec à une voie très importante de l’amplification de la persistance qui perpétue la maladie». À son avis, pareille stratégie pourrait être qualifiée de «prévention secondaire».

Si les patients à risque élevé de PR pouvaient être identifiés par la présence d’auto-anticorps, entre autres facteurs génétiques, une stratégie qui contribuerait à rétablir la tolérance pour éviter la réponse aux antigènes citrullinés pourrait tuer la maladie dans l’œuf, de conclure le Dr El-Gabalawy.

Questions et réponses

Les questions et les réponses qui suivent sont tirées d’un entretien avec le Dr Boulos Haraoui, professeur agrégé de clinique en médecine, Université de Montréal, Québec.

Q : Y a-t-il des stratégies que nous pourrions utiliser pour prévenir l’épuisement rapide de l’effet des agents biologiques, comme c’est aussi le cas pour les DMARD et d’autres agents?

R : Nous sommes encore à l’étape où nous apprenons à connaître ces agents et nous constatons un épuisement rapide de l’effet de l’infliximab, par exemple. Pourtant, nous savons que l’association de l’infliximab et d’un DMARD atténue l’apparition d’anticorps contre l’infliximab, et nous savons aussi que ces anticorps sont très spécifiques de la molécule et qu’ils n’interagissent pas avec le rituximab. Le passage d’un agent à l’autre ne compromet donc pas la réponse si le patient produit des anticorps contre une autre molécule spécifique.

Q : Le médecin traitant devrait-il songer à changer de classe d’agents ou à essayer un autre agent anti-TNF s’il constate un échec du traitement anti-TNF chez son patient?

R : Tout dépend de la raison de l’échec. Si l’inhibiteur du TNF échoue d’emblée, autrement dit si le patient n’y a jamais répondu, alors je crois que l’on doit changer de classe de médicaments. Si l’échec est secondaire ou s’il est imputable à la toxicité, on peut songer à un deuxième anti-TNF, car il arrive que l’on obtienne une réponse au deuxième agent. Cela dit, compte tenu de notre expérience grandissante avec les nouveaux agents, nous pouvons maintenant envisager d’autres agents biologiques.

Q : Y a-t-il lieu de mettre fin à l’administration de l’agent biologique chez les patients qui obtiennent une bonne réponse au traitement d’association?

R : Lors de l’étude BeST (Treatment Strategies in Rheumatoid Arthritis), dans laquelle les patients recevaient l’infliximab plus le MTX, l’activité de la maladie demeurait faible après un an chez 50 à 60 % des patients qui avaient cessé de prendre leur agent biologique, mais qui continuaient de recevoir le MTX. Nous devrions probablement amorcer tôt un traitement par ces agents afin d’induire une rémission clinique, après quoi le patient continue de prendre le MTX pour que sa maladie demeure peu active. À long terme, l’utilisation précoce [des agents biologiques] pour maîtriser la maladie et l’utilisation subséquente d’un agent peu coûteux comme le MTX permettront de réaliser des économies.

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