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Nouvel antipsychotique atypique : vers une maîtrise équilibrée des divers symptômes?

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - 28e Congrès mondial de neuropsychopharmacologie du CINP

Stockholm, Suède / 3-7 juin 2012

Stockholm - Les antipsychotiques atypiques ont toujours eu un avantage de taille sur les agents typiques : ils maîtrisent mieux les symptômes tant positifs que négatifs de la schizophrénie. Dans le trouble bipolaire, les agents atypiques les plus efficaces sont ceux qui traitent à la fois la manie et la dépression, sans exacerber les symptômes de l’une ou de l’autre. Cependant, ces agents n’ayant pas tous le même profil d’affinité ou d’activité au sein des différentes voies empruntées par les neurotransmetteurs, chacun peut exercer des effets différents sur les divers ensembles de symptômes de ces deux troubles mentaux. Ils peuvent également se distinguer les uns des autres par le profil de tolérabilité et le risque d’effets indésirables, notamment le gain pondéral. Divers exposés sur le rôle de l’asénapine – nouvel antipsychotique atypique homologué depuis peu au Canada dans la schizophrénie et les épisodes maniaques ou mixtes associés au trouble bipolaire de type I – ont été présentés au congrès.

La prise en charge des maladies mentales pose une difficulté de taille, à savoir la maîtrise de symptômes différents, souvent opposés. Dans la schizophrénie, par exemple, les neuroleptiques classiques tel l’halopéridol étaient d’une inefficacité notoire contre les symptômes négatifs, tels que l’absence d’affect. Et dans le trouble bipolaire, qui se caractérise par des symptômes à la fois maniaques et dépressifs, la difficulté est peut-être encore plus grande, car un agent efficace contre les symptômes d’un pôle risque d’exacerber ceux de l’autre pôle. La coexistence de symptômes différents est fréquente, d’où l’importance d’un traitement équilibré.

«Si l’on prend en compte les symptômes sous-syndromiques, environ 70 % des patients [bipolaires] ont des symptômes mixtes», souligne la Pre Ana Gonzalez-Pinto, Universidad del País Vasco, Vitoria, Espagne. C’est chez les patients bipolaires traités au moyen d’un antidépresseur à la suite d’un diagnostic erroné de dépression unipolaire que le risque d’exacerber un ensemble de symptômes en traitant l’autre est apparu le plus nettement; en quête d’un traitement mieux équilibré du trouble bipolaire, on s’est tourné vers les agents atypiques.

Aujourd’hui, plusieurs antipsychotiques atypiques sont indiqués dans le trouble bipolaire, mais il y a entre eux des différences appréciables quant aux mécanismes pertinents dans des ensembles de symptômes donnés, d’une part, et aux effets indésirables, d’autre part. On sait que dans la schizophrénie, la maîtrise rapide des symptômes et la réduction du nombre de crises psychotiques ont été associées à de meilleurs résultats à long terme, notamment sur le plan de la capacité de vivre de manière autonome; or, il en irait de même dans le trouble bipolaire : des cycles maniaques et dépressifs fréquents semblent nuire au rétablissement fonctionnel complet, notamment de la fonction cognitive.

«La solution est de traiter tôt dans le processus afin que le patient demeure le plus conscient possible de son état, affirme la Pre Gonzalez-Pinto, car il ne recouvre jamais complètement cette conscience après d’autres épisodes maniaques.»

Mode d’action

L’asénapine a récemment fait son entrée au Canada (où elle est homologuée dans la schizophrénie et le traitement de courte durée des épisodes maniaques ou mixtes associés au trouble bipolaire de type I) et en Europe. Elle a éveillé l’intérêt des congressistes, car elle ouvre la possibilité d’un traitement mieux équilibré d’un éventail de symptômes – par exemple les symptômes négatifs dans la schizophrénie et les symptômes maniaques dans le trouble bipolaire –, que les médicaments actuels ne traitent pas de façon optimale. Grâce à son profil d’activité sur les récepteurs de divers neurotransmetteurs, cet agent pourrait permettre de maîtriser une vaste gamme de symptômes. Ainsi, l’asénapine est un antagoniste des récepteurs 5-HT2A – comme la plupart des antipsychotiques classiques – et un agoniste partiel des récepteurs 5-HT1A.  Il en résulte une libération de dopamine que l’on croit favorable,  tant dans la schizophrénie que la dépression.

«Cette action combinée – agoniste sur les récepteurs 5-HT1a et antagoniste sur les récepteurs 5-HT2a – crée une  synergie faisant en sorte que l’asénapine augmente davantage la concentration de dopamine dans le cortex que les composés qui ciblent une seule catégorie de récepteurs », explique le Dr Frank Tarazi, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts. L’asénapine réalise aussi un antagonisme complet des récepteurs D2; or, le blocage de ces récepteurs demeure la pierre angulaire de l’action des antipsychotiques. En outre, cet agent ayant une forte affinité pour les récepteurs alpha-2 adrénergiques, il augmente la libération de dopamine et de noradrénaline dans le cortex frontal et peut, par le fait même, contribuer à atténuer les déficits cognitifs et les symptômes négatifs de la schizophrénie.

Contrairement à d’autres antipsychotiques atypiques, l’asénapine exerce une régulation positive des récepteurs D1 dans le striatum et pourrait dès lors contrer la régulation positive des récepteurs D2 de cette même région cérébrale, à l’origine des effets indésirables extrapyramidaux. Par ailleurs, aucun autre antipsychotique atypique ne présente une affinité si marquée tant pour les récepteurs 5-HT2C que pour les récepteurs 5-HT7. Ces deux types de récepteurs, qui pourraient participer aux effets favorables des antidépresseurs, constituent de nouvelles cibles.

Épisodes maniaques ou mixtes

Les essais avec placebo ont établi l’efficacité de l’asénapine dans la schizophrénie et le trouble bipolaire, mais lors d’études comparatives récentes, on a exploré l’efficacité de l’asénapine par rapport à celle d’autres agents actifs. Ainsi, dans une série d’études, des patients ont reçu après randomisation une dose variable d’asénapine ou d’olanzapine, ou un placebo. De nouvelles analyses de ces données laissent entrevoir des différences possibles, précise le Pr Heinz Grunze, Newcastle University, Royaume-Uni, qui a fait un exposé sur une de ces études. Dans ces essais, on pouvait abaisser la dose des deux agents actifs s’ils n’étaient pas bien tolérés. Après 3 semaines de traitement, on a dissous le groupe placebo et réparti ces sujets de façon aléatoire dans les groupes sous traitement actif, lequel s’est poursuivi pendant 9 autres semaines.

Au terme de la période initiale de 3 semaines, la baisse du score sur l’Échelle de manie de Young (YMRS, pour Young Mania Rating Scale) était identique dans les deux groupes sous traitement actif, et nettement supérieure aux résultats du groupe placebo. En outre, environ deux fois plus de patients sous traitement actif ont obtenu une rémission pendant ces 3 semaines — «l’obtention d’une rémission clinique chez environ 40 % des sujets en si peu de temps est remarquable», fait observer le Pr Grunze. Au cours des 9 semaines subséquentes, pendant la comparaison directe, l’efficacité de l’asénapine s’est maintenue, et cet agent a amené une amélioration du score YMRS comparable à celle de l’olanzapine; le score a, en effet, diminué d’environ 25 points dans chaque groupe.

Cette amélioration comparable des symptômes maniaques est certes rassurante en ce qui a trait aux nouveaux agents, mais sur le plan des symptômes dépressifs, une analyse post hoc des données tirées d’une prolongation de 40 semaines de cette étude a mis en lumière des différences sur l’Échelle de dépression de Montgomery et Asberg (MADRS, pour Montgomery-Asberg Depression Rating Scale). Près de 100 % des patients sont demeurés en rémission pendant une prolongation de 1 an; cependant, l’analyse post hoc a porté sur des sujets qui avaient des symptômes dépressifs marqués (score MADRS total ≥20) à leur admission à l’étude. Or, dans ce groupe, «on a noté une nette réduction du score MADRS, soit de près de  60 % à 7 jours et de 70 % à 21 jours, écart statistiquement significatif par rapport au groupe placebo et, en l’occurrence, par rapport au groupe olanzapine également, dans lequel on n’a pas observé ce recul marqué des symptômes dépressifs», révèle le Pr Grunze.

Comme l’explique le Pr Jean-Michel Azorin, Université d’Aix-Marseille II, France, des différences d’efficacité sont également apparues dans une analyse post hoc des données groupées de plusieurs essais avec placebo de plan similaire, lors desquels on avait utilisé à la fois de l’asénapine et de l’olanzapine. Cette analyse a porté sur 977 patients ayant reçu, après randomisation, une dose variable d’asénapine (5 à 10 mg), un placebo ou 5 à 20 mg d’olanzapine, puis suivis pendant 3 semaines. Par la suite, 102 de ces sujets ont participé à une prolongation de 9 semaines. Le Pr Azorin fait état de différences d’efficacité entre les deux agents actifs et le placebo à 3 semaines, et entre les deux agents actifs eux-mêmes à 12 semaines.

À 3 semaines, signale le Pr Azorin, la baisse des scores YMRS et MADRS était significative par rapport au groupe placebo (-11,5 et -4,5) dans le groupe asénapine (-15 et -8,2), mais pas dans le groupe olanzapine (-13,3 et -6,5). Au cours des 9 semaines subséquentes, l’effet de l’asénapine sur les symptômes maniaques et dépressifs s’est maintenu, sans écart statistiquement significatif par rapport à l’olanzapine. À 12 semaines, toutefois, l’asénapine était significativement supérieure à l’olanzapine pour l’amélioration du «comportement perturbateur/agressif», de l’«apparence» et de l’«incapacité de ressentir des émotions».

Les antipsychotiques dans la schizophrénie

En ce qui concerne l’emploi de l’asénapine dans la schizophrénie, le Dr Steven Potkin, University of California, Irvine, a présenté les résultats groupés de deux séries d’études de 26 semaines (études initiales et prolongations) réunissant des sujets chez lesquels prédominait une symptomatologie négative persistante. À 26 semaines, on n’avait pas enregistré de différence entre l’asénapine et l’olanzapine quant à la réduction moyenne du score des symptômes négatifs (NSA-16, pour Negative Symptom Assessment-16) (-11,1 vs -11,2). Toutefois, à 30 semaines, l’asénapine affichait une supériorité statistique qui s’est maintenue jusqu’à la 52e semaine (-16,5 vs 13,6 pour l’olanzapine).

Les antipsychotiques entraînent un gain pondéral et des changements métaboliques qui – on en a largement fait état – ont de lourdes répercussions sur la qualité de vie et le risque d’effets indésirables, notamment l’exacerbation du risque cardiovasculaire. Dans les deux études sur la schizophrénie, la variation pondérale moyenne était moindre sous asénapine à 26 semaines (-0,6 kg vs +2,7 kg sous olanzapine; p<0,0001) et à 52 semaines. Les évaluations métaboliques, notamment la variation des lipides sériques ou de la glycémie, se sont également révélées rassurantes. À en juger par ces données sur l’innocuité, «je pense que les médecins trouveront ce médicament utile pour le traitement de la schizophrénie», conclut le Dr Potkin.

Résumé

Les nouveaux antipsychotiques atypiques susceptibles d’agir de manière plus équilibrée sur les voies de neurotransmission suscitent un grand intérêt en raison de la difficulté que pose le traitement d’ensembles de symptômes différents dans la schizophrénie et le trouble bipolaire. Les essais cliniques sur l’asénapine, notamment ceux qu’on a présentés au congrès, sont encourageants. En plus d’avoir des effets étendus et d’exercer une activité favorable par rapport aux agents de comparaison actifs, ce nouvel agent est associé à un risque relativement faible de gain pondéral. Dans son ensemble, le dossier clinique porte à croire que l’asénapine constituera un ajout important à l’arsenal actuel.    

 

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