Comptes rendus

Du nouveau sur les carbapénems : le point sur la sensibilité des espèces du genre Pseudomonas
Traitement antifongique prophylactique chez les patients à risque élevé

Nouvelles données sur la prévention du cancer colorectal chez les patients souffrant d’une maladie inflammatoire de l’intestin

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Le 14e Congrès de la Fédération européenne de gastroentérologie (UEGW)

Berlin, Allemagne / 21-25 octobre 2006

«L’ampleur de la protection conférée par le 5-AAS [acide 5-aminosalicylique] m’a vivement impressionné, la diminution du risque de cancer colorectal [CCR] ayant atteint 80 %», affirme le Dr Michael Kamm, directeur de la médecine, St. Mark’s Hospital, Londres, Royaume-Uni. «Non seulement l’utilisation régulière du 5-AAS a-t-elle diminué le risque de cancer de façon substantielle, mais cette diminution était d’autant plus marquée que l’observance du traitement était bonne. Ce sont là de solides données indirectes et transversales.»

Lors d’une étude réalisée en Suède, le taux de CCR était six fois plus élevé chez les patients qui souffraient d’une colite ulcéreuse (CU) de longue date que chez des témoins appariés au sein de la population générale. Plus la maladie était étendue, plus le risque était élevé. Les auteurs de cette étude estiment que le risque à vie de cancer pourrait atteindre 40 % chez les patients de moins de 15 ans qui souffrent d’une pancolite ulcéreuse et dont le côlon n’est pas réséqué. Lors de cet essai, on a observé une diminution significative du risque de 72 % chez les patients atteints de CU qui avaient reçu le 5-AAS pendant au moins trois mois.

Prévention des mutations

Les agents pharmacologiques pourraient conférer une chimioprotection contre le CCR par l’intermédiaire d’un certain nombre de mécanismes biochimiques et cellulaires, fait valoir le Dr Kamm, mais le 5-AAS est doté de propriétés supplémentaires qui contribueraient étroitement à éviter la chirurgie, notamment la phagocytose de radicaux libres, des effets anti-oxydants, antiprolifératifs et pro-apoptotiques, et la transformation chimique de l’intestin. Tenant de l’hypothèse voulant que la progression des maladies inflammatoires de l’intestin (MII) dépende à la fois de facteurs génétiques et de facteurs immunitaires, il précise que, selon de très récentes données in vitro, le 5-AAS pourrait en fait couper court à certains processus moléculaires qui se soldent par des mutations liées à l’apparition d’un cancer.

De l’avis du Dr Christoph Gasche, professeur agrégé de médecine, École de médecine de Vienne, Autriche, les mutations qui mènent à l’apparition d’un CCR diffèrent de celles de la plupart des tumeurs solides. L’inflammation chronique associée aux MII entraîne des mutations de l’ADN en altérant les mécanismes de réparation de ce dernier, entre autres la réparation des mésappariements, la réparation par excision de bases ainsi que les points de contrôle du cycle cellulaire et le stress oxydatif. Les points de contrôle du cycle cellulaire ont pour rôle de surveiller les voies mutationnelles de la réplication cellulaire et de l’alignement des chromosomes pour assurer l’intégrité de l’ADN de la cellule pendant la division de celle-ci.

Le Dr Gasche a décrit deux événements que son équipe et des collaborateurs de San Diego et de la Caroline du Nord ont identifiés récemment. Ils ont démontré que le 5-AAS active d’abord un point de contrôle du cycle cellulaire pendant la phase de synthèse (phase S), c’est-à-dire lorsque la réplication d’une cellule potentiellement cancéreuse est la plus probable. Il en résulte un ralentissement du renouvellement des cellules et, partant, une réplication plus fidèle de l’ADN. Il se produit alors moins d’erreurs dans le code (diminution de 20 % dans ce cas-ci) durant la réplication, d’où une fréquence moindre de mutations aberrantes et, avec le temps, le ralentissement du développement de la tumeur cancéreuse.

«En ajoutant le 5-AAS aux cellules et en calculant les variations du nombre de mutations, nous avons découvert que, selon le clone, le taux de mutation chutait de 18 % et de 25 % explique le Dr Gasche. Ce n’était pas le cas pour un agent chimiopréventif connu comme l’AAS malgré les similitudes structurelles de ces deux agents. Nous avons donc de bonnes raisons de croire que les effets moléculaires du 5-AAS s’ajoutent à son activité anti-inflammatoire et à sa capacité de phagocyter les radicaux libres. Il va au-delà des mécanismes anti-inflammatoires singuliers d’autres agents en intervenant dans les points de contrôle du cycle de réplication cellulaire, en ralentissant la progression du cycle cellulaire durant la phase S et en améliorant la fidélité de la réplication de l’ADN, conclut-il. Chez les personnes qui souffrent de colite ou sont exposées au risque de MII, l’administration régulière de la mésalazine pourrait prévenir le cancer à long terme.» Prévention de la carcinogenèse consécutive à l’inflammation

D’autres observations récentes issues de la recherche fondamentale ont mené à la théorie actuelle voulant que le 5-AAS participe aussi au contrôle des gènes suppresseurs de tumeur. Bien qu’elle n’ait pas été étudiée dans le contexte du 5-AAS, la répression des gènes suppresseurs de tumeur par méthylation est un autre mécanisme génétique clé que l’on sait associé au CCR en présence d’une MII, explique le Dr Ajay Goel, division de gastro-entérologie, Baylor University Medical Center, Dallas, Texas, États-Unis. Son étude visait à vérifier l’hypothèse voulant que le 5-AAS puisse prévenir la carcinogenèse tributaire de l’inflammation en déméthylant les promoteurs, ce qui permettrait la réexpression des gènes suppresseurs de tumeur réprimés par méthylation.

Le Dr Goel a fait état d’un nouveau mode d’action du 5-AAS grâce auquel l’inhibition de méthyltransférases clés de l’ADN est associée à la déméthylation des gènes dont la transcription est réprimée et qui sont impliqués dans le CCR. La méthylation aberrante des promoteurs de gènes est une altération épigénétique importante dans l’apparition d’un CCR associé aux MII et elle survient tôt dans la progression à étapes multiples de ces néoplasies; par conséquent, la détection de la signature épigénétique de la méthylation des gènes et l’instauration en temps opportun d’un traitement par le 5-AAS pourraient contribuer à éviter le CCR associé aux MII.

Données cumulatives et consensus

Au dire du Dr Axel Dignass, Markus-Krankenhaus, Francfort-sur-le-Main, Allemagne, les cliniciens devront continuer à se fier aux études cas-témoin rétrospectives et aux études de cohorte pour juger du risque de CCR en présence d’une MII. En effet, une étude prospective, randomisée et comparative ne sera probablement jamais possible, car le suivi devrait s’échelonner sur plus de 20 ans. À ce jour, plusieurs études rétrospectives ont mis en évidence une diminution significative du risque de CCR sous l’effet du 5-AAS, mais deux études ont rapporté une diminution non significative.

Cependant, malgré ces essais négatifs, la méta-analyse réalisée par la Clinique Mayo – dont les résultats ont été présentés l’année dernière – a révélé que le 5-AAS exerçait un effet protecteur global important en diminuant le risque relatif approché (odds ratio ou OR) ajusté de cancer et de dysplasie combinés. Après avoir examiné les données de près, il estime qu’aucun autre agent utilisé dans le traitement des MII – qu’il s’agisse d’immunomodulateurs ou de nouveaux agents biologiques – n’offre d’avantages équivalents contre le CCR.

Compte tenu de ces données cumulatives, d’enchaîner le Dr Dignass, les nouvelles lignes directrices européennes – qui ont fait consensus au sein d’un groupe d’experts cette année et qui paraîtront sous peu – préciseront noir sur blanc que la chimioprévention par le 5-AAS pourrait réduire le risque de CCR en présence de CU et devrait donc être envisagée chez tous les patients souffrant de CU.

Optimiser les résultats dans la pratique clinique

De l’avis du Dr Simon Travis, directeur clinique, gastro-entérologie et endoscopie, John Radcliffe Hospital, Oxford, Royaume-Uni, l’efficacité de la chimioprévention du CCR dans la pratique clinique repose sur l’adhésion au traitement par le 5-AAS. Son opinion s’appuie sur une étude menée auprès de 99 patients atteints de CU en rémission (Am J Med 2003;114:39-43). Lors de cette étude, tous les patients qui ont rechuté en moins de six mois avaient pris <80 % de leurs comprimés; 68 % de ceux qui ont rechuté en moins de 12 mois avaient aussi pris <80 % de leurs comprimés vs 26 % de ceux qui en avaient pris au moins 80 %.

«Le message important à transmettre aux patients que l’on voit en clinique est que, s’ils cessent de prendre leurs comprimés, leur risque de rechute est multiplié par un facteur supérieur à cinq, souligne le Dr Travis. Chez les patients qui ont pris <80 % de leur dose prescrite de 5-AAS, l’OR de rechute était de 5,5 (IC à 95 % : 2,3-13,2).»

Des études ont montré que l’observance est inversement proportionnelle à la complexité du traitement médicamenteux et que de longues périodes de traitement pour obtenir et maintenir un effet thérapeutique sont souvent difficiles à supporter, poursuit le Dr Travis. Les patients veulent un traitement simple. Autrement, il n’est pas improbable que <40 % des patients cesseront de prendre leurs comprimés en moins de deux semaines. Une étude dont l’objectif était de comparer une dose unique avec des doses fractionnées de 5-AAS a mis en évidence une nette tendance vers une meilleure observance dans le groupe dose unique sur une période de six mois (90 % vs 76 % dans le groupe doses fractionnées). Des options posologiques simples – y compris des sachets – sont en voie de commercialisation, et divers schémas à monoprise quotidienne sont à l’étude, fait-il remarquer.

Des chercheurs de la University of Chicago ont établi le profil type du patient inobservant : homme non marié occupant un emploi à temps plein et souffrant d’une CU gauche. L’âge, la profession ou le métier, les antécédents familiaux de MII et la durée de la rémission n’étaient pas associés à l’inobservance.

Ainsi, les clés d’une meilleure observance de la chimioprévention par le 5-AAS sont l’empathie vis-à-vis du patient et un schéma posologique à la fois simple et sûr.

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