Comptes rendus

Progrès dans l’analyse du tropisme et répercussions sur le traitement antirétroviral
Prophylaxie et traitement des thrombo-embolies veineuses : de nouveaux besoins

ONTARGET : un essai phare aux retombées cliniques immédiates

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Point de vue sur les communications présentées à la 57e Séance scientifique de l’American College of Cardiology

Chicago, Illinois / 29 mars-1er avril 2008

Commentaire éditorial :

J. Malcolm O. Arnold, MD, FRCP, FRCPC, FACC

Division de cardiologie London Health Sciences Centre London (Ontario)

Professeur titulaire de médecine Division de cardiologie/ Physiologie et pharmacologie University of Western Ontario London (Ontario)

PLAN DE L’ESSAI ONTARGET

L’essai ONTARGET a été conçu pour vérifier l’hypothèse voulant que le telmisartan, antagoniste des récepteurs de l’angiotensine (ARA), soit aussi efficace que le ramipril, inhibiteur de l’ECA (IECA), pour prévenir les événements cardiovasculaires (CV) chez les patients exposés à un risque élevé. L’essai avait aussi pour objectif de déterminer si l’association des deux agents était plus efficace que le ramipril seul. Le paramètre principal mixte se définissait comme le décès d’origine CV, l’infarctus du myocarde (IM), l’AVC, ou l’hospitalisation pour cause d’insuffisance cardiaque. Les critères d’admissibilité étaient un âge égal ou supérieur à 55 ans et la présence d’une maladie coronarienne, vasculaire périphérique ou vasculaire cérébrale, ou d’un diabète avec atteinte d’un organe cible. Après une période préliminaire à simple insu, les patients étaient randomisés de façon à recevoir la dose usuelle de telmisartan (80 mg une fois par jour) ou de ramipril (10 mg une fois par jour) ou l’association de ces deux agents (aux mêmes doses). Les traitements attribués aléatoirement s’ajoutaient aux agents que les patients recevaient déjà : un antiplaquettaire chez environ 80 % des patients; une statine chez environ 60 % des patients; un bêta-bloquant chez environ 55 % des patients; et un inhibiteur calcique chez environ 30 % des patients.

Au terme du suivi d’une durée médiane de 56 mois, l’un des événements du paramètre principal était survenu chez 16,7 % des 8542 patients du groupe ARA à 80 mg, 16,5 % des 8576 patients du groupe IECA à 10 mg et 16,3 % des 8502 patients du groupe association. On n’a pas noté d’écart significatif ni de tendance vers un écart entre ces proportions. Il y avait toutefois de petites différences dans la tension artérielle (TA) moyenne. Comparativement au ramipril seul, l’association a autorisé une baisse supplémentaire moyenne de la TA de 2,4/1,4 mmHg et le telmisartan, une baisse supplémentaire moyenne de 0,9/0,6 mmHg. Cela dit, la réduction du taux d’événements demeurait comparable après prise en compte de l’effet éventuel de ces écarts tensionnels.

Le taux d’effets indésirables est l’élément qui différenciait le plus les groupes de traitement. L’association – qui a été le traitement le moins bien toléré – a donné lieu à un taux plus élevé d’effets indésirables, notamment un taux d’abandon plus élevé par rapport au ramipril (29,3 % vs 24,5 %; p<0,001). Le telmisartan a été mieux toléré que le ramipril; on a notamment enregistré un taux plus faible de toux (1,1 % vs 4,2 %; p<0,001) et d’oedème de Quincke (0,1 % vs 0,3 %; p=0,01). Bien que les symptômes d’hypotension aient été plus courants dans le groupe telmisartan (2,7 % vs 1,7 %; p<0,001), les effets indésirables graves, peu importe le type, étaient rares dans tous les groupes.

Les données de l’essai ONTARGET viennent compléter celles de l’essai phare HOPE (Heart Outcomes Prevention Evaluation), dans lequel le ramipril a été associé à une baisse de 22 % (p<0,001) du paramètre mixte – décès d’origine CV, IM ou AVC – par rapport au placebo (N Engl J Med 2000;342:142-3). Le bénéfice associé au ramipril – une TA abaissée de 3/3 mmHg en moyenne au terme de l’étude HOPE, par rapport à la TA initiale, et de 3/1 mmHg en moyenne au terme de l’étude, par rapport à la TA du groupe placebo – a été attribué en grande partie à l’inhibition du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), qui est régulé à la hausse chez les patients souffrant d’une maladie CV et qui alimente plusieurs processus pathogènes dans les tissus vasculaires et cardiaques. L’essai ONTARGET a été conçu pour déterminer si un ARA, qui bloque aussi les effets de la régulation à la hausse du SRAA, pouvait apporter un bénéfice comparable à celui qu’avait autorisé l’IECA dans l’étude HOPE (Tableau 1).

Tableau 1. Comparaison des paramètres d’évaluation des essais ONTARGET et HOPE*


AUTRES ÉTUDES SUR LES MALADIES CV

ONTARGET est à ce jour le plus vaste essai clinique sur un ARA. On comprend mieux sa pertinence dans le contexte des autres études ayant fait date en démontrant que les inhibiteurs du SRAA confèrent une protection contre certaines pathologies des organes cibles indépendamment de la baisse tensionnelle. La protection contre l’IM aigu associée aux IECA a d’abord été mise en évidence lors d’essais comme SAVE (Survival and Ventricular Enlargement), qui a associé l’IECA à une baisse de 19 % (p=0,019) de la mortalité totale par rapport au placebo, et AIRE (Acute Infarction Ramipril Efficacy), qui a associé l’IECA à une réduction de 27 % (p=0,002) de la mortalité totale par rapport au placebo. Lorsqu’on a comparé un ARA à un IECA dans le cadre de l’essai VALIANT (Valsartan in Acute Myocardial Infarction Trial), les deux agents ont conféré une protection relative comparable contre les événements CV. Au chapitre de l’insuffisance cardiaque, les études SOLVD (Studies of Left Ventricular Dysfunction) ont objectivé une réduction de 16 % (p=0,0036) de la mortalité totale sous l’effet de l’IECA, par rapport au placebo. Dans le cadre de l’essai V-HeFT II (Vasodilator-Heart Failure Trial), on a observé une réduction de 25 % (p=0,016) de la mortalité totale sous l’effet de l’IECA par rapport à l’association hydralazine-dinitrate d’isosorbide. Lorsqu’on a comparé un ARA et un IECA dans le traitement de l’insuffisance cardiaque lors d’études comme Val-HeFT (Valsartan Heart Failure Trial) et CHARM (Candesartan in Heart Failure: Assessment of Reduction in Mortality and Morbidity), la protection relative contre les événements CV ou d’autres événements ne différait pas de manière significative. L’essai ONTARGET confirme maintenant que le telmisartan offre une protection comparable à celle qu’a conférée l’IECA chez les sujets de l’essai HOPE qui étaient exposés à un risque élevé.

Suivant le plan initial de l’essai ONTARGET, l’hypothèse de non-infériorité devait être confirmée par des analyses statistiques prédéfinies qui autoriseraient un intervalle de confiance suffisant pour que l’on puisse conclure que le telmisartan à 80 mg offre une efficacité comparable à l’efficacité démontrée du ramipril à 10 mg. Même si on analyse les données en fonction de diverses caractéristiques des patients comme la TA initiale, l’âge, la présence ou l’absence de diabète, le sexe, ou le score de risque calculé dans HOPE, l’avantage du telmisartan par rapport au ramipril demeure bien à l’intérieur des intervalles de confiance correspondant à un effet comparable (Figure 1).

L’absence d’un bénéfice supplémentaire associé à la double inhibition du SRAA est décevante. L’IECA et l’ARA inhibent tous deux les effets du SRAA régulé à la hausse, mais comme ils sont dotés de modes d’action distincts, il paraissait logique que leur association se traduise par des bénéfices additifs. Alors que l’IECA bloque l’une des voies de la synthèse de l’angiotensine (l’hormone médiée par le SRAA qui est la plus étroitement liée à l’hypertension, à l’hypertrophie vasculaire et au remodelage cardiaque), l’ARA bloque l’angiotensine au niveau de son récepteur. Chaque type de molécule pourrait en outre exercer des effets bénéfiques en empruntant d’autres voies, notamment en stimulant des facteurs qui favorisent la vasodilatation. Chez les patients à risque élevé de l’essai ONTARGET, aucune donnée n’a permis de conclure que la double inhibition s’était traduite par une protection supplémentaire par rapport à l’un ou l’autre agent administré seul. Cependant, il est très possible que la double inhibition du SRAA se traduise par un bénéfice supplémentaire dans certains sous-groupes, comme les insuffisants cardiaques ou les diabétiques présentant une néphropathie. Les études satellites de l’essai ONTARGET pourraient nous apporter des éléments d’information sur le rôle de cette double inhibition du SRAA dans ces indications.

Figure 1. Mar
de l’essai ONTARGET

<img1834|center>

EFFET DE CLASSE ET MÉDECINE FACTUELLE

L’éventualité d’un effet de classe conforme aux résultats de l’essai ONTARGET demeure difficile à déterminer. Bien que, stricto sensu, la médecine factuelle repose sur le principe que l’on doit utiliser le même médicament à la même dose que le médicament et la dose dont l’efficacité a été prouvée lors des essais comparatifs, plusieurs essais portant sur divers représentants de chaque classe d’inhibiteurs du SRAA ont objectivé des bénéfices de même ordre dans diverses indications. Cela dit, ces agents se distinguent par des différences potentiellement importantes dans les paramètres pharmacocinétiques et le mode d’action. L’une des caractéristiques les plus notables du telmisartan est sa demi-vie d’environ 24 heures, qui est à peu près deux fois plus longue que celle de l’irbesartan et jusqu’à quatre fois plus longue que celle du valsartan ou du losartan.

Dans le cas d’un agent qui s’administre une fois par jour, le matin, la durée de la demi-vie pourrait avoir des retombées particulièrement importantes sur la protection contre le pic tensionnel du petit matin et le risque d’événement clinique. Lors d’un essai comparatif antérieur intitulé PRISMA (Prospective Randomized Investigation of the Safety and Efficacy of Micardis vs. Ramipril Using Ambulatory BP Monitoring), l’écart entre le telmisartan et le ramipril quant à la baisse tensionnelle a été particulièrement prononcé le matin (Lacourcière et al. Am J Hypertens 2006;19:104-12). Dans le cadre de cet essai, 812 adultes atteints d’une hypertension légère ou modérée (TA initiale moyenne de 148/93 mmHg) ont été randomisés de façon à recevoir 80 mg de telmisartan ou 10 mg de ramipril pendant 14 semaines. Dans l’ensemble, l’ARA a donné lieu à des réductions significativement plus marquées de la TA que l’IECA (TA systolique moyenne abaissée de 14,1 mmHg vs 11,0 mmHg [p<0,0001]; TA diastolique moyenne abaissée de 9,6 mmHg vs 7,2 mmHg [p<0,0001], respectivement), mais l’ampleur du pic tensionnel matinal a diminué de 4,9 mmHg de plus sous l’effet du telmisartan que du ramipril dans le groupe des patients dont le pic tensionnel du petit matin était le plus élevé (baisse de la TA systolique de 12,7 mmHg vs 7,8 mmHg; p=0,0004).

Sur le plan des résultats cliniquement importants, les comparaisons directes entre ARA demeurent limitées, mais les différences – outre la demi-vie – sont notamment une affinité relative pour le récepteur AT1 et les effets hors du SRAA, comme les actions sur les récepteurs nucléaires (Benson et al. Hypertension 2004;43:1-10). Des études comparatives seraient nécessaires pour que l’on puisse évaluer les retombées de ces différences sur la protection des organes cibles, si retombées il y a.

PROFIL DE TOLÉRABILITÉ

Il importe de souligner que le telmisartan s’est distingué par sa tolérabilité supérieure malgré le plan de l’essai ONTARGET qui était conçu pour aplanir les différences. En effet, une fois confirmée l’admissibilité des patients à l’essai ONTARGET, ceux-ci participaient à une phase préliminaire à simple insu de trois semaines pendant laquelle on vérifiait la tolérabilité des médicaments à l’étude, ce qui permettait de cerner les patients intolérants à l’IECA. Malgré cet aspect du plan de l’étude, le telmisartan a été associé à un nombre moindre d’abandons (p=0,02) et à une tolérabilité légèrement supérieure. Il s’agit là d’une observation cliniquement pertinente, l’observance à long terme étant essentielle aux bienfaits du traitement. Après deux ans, la proportion de patients recevant la dose complète du médicament attribué se chiffrait à 81,7 % dans le groupe ramipril et à 88,6 % dans le groupe telmisartan. À l’extérieur du cadre d’un essai clinique où le suivi est régulier, on s’attendrait à des taux d’observance plus faibles dans les deux groupes et à une probabilité plus élevée d’observance médiocre du traitement chez les patients aux prises avec des effets indésirables. Pour les patients qui reçoivent déjà un IECA et qui le tolèrent bien, l’essai ONTARGET n’apporte aucun argument qui puisse motiver un changement. Pour les patients chez qui on démarre le traitement, le choix entre le telmisartan et le ramipril devrait être dicté par la tolérabilité et le coût.

En raison de la taille de l’essai ONTARGET, il est possible – et il demeurera possible – de faire des comparaisons entre le telmisartan et le ramipril pour un vaste éventail de paramètres et pour la détermination de bénéfices relatifs dans certains sous-groupes importants. Par exemple, il semble que les résultats permettront une fois pour toutes de trancher l’affirmation controversée selon laquelle les ARA pourraient accroître le risque d’IM. Lorsque l’un ou l’autre des événements formant le paramètre principal mixte – y compris les IM – était évalué séparément, la protection relative associée au telmisartan ne différait pas de la protection associée à l’IECA. De même, au chapitre de la protection relative contre les paramètres secondaires prévus au protocole (intervention de revascularisation, aggravation ou apparition d’une angine, nouveau diagnostic de diabète, insuffisance cardiaque, apparition d’une fibrillation auriculaire, ou dysfonction rénale), on n’a observé aucune différence significative quant aux effets relatifs de l’ARA et de l’IECA. Comme d’autres essais d’envergure, ONTARGET générera au cours des prochaines années une multitude de données qui pourraient mettre en lumière des différences cliniquement importantes entre l’ARA, l’IECA ou leur association.

UNE CLASSE, PLUSIEURS PROFILS

La contribution des résultats de l’essai ONTARGET à la notion de bénéfices indépendants de la baisse tensionnelle pourrait être importante aux premiers stades de la maladie. Bien que les essais sur les inhibiteurs du SRAA aient porté en grande partie sur la prévention secondaire, de plus en plus de données montrent que des médicaments d’égale efficacité antihypertensive n’offrent pas la même protection contre les risques cliniques. L’essai LIFE (Losartan Intervention For Endpoint reduction) a permis de constater que l’ARA offrait une plus grande protection contre les événements CV qu’un bêta-bloquant au sein d’une population présentant une hypertrophie ventriculaire gauche sans antécédents d’IM. Lors de l’essai ASCOT (Anglo-Scandinavian Clinical Outcomes Trial), l’association d’un inhibiteur calcique et d’un IECA s’est révélée plus efficace que l’association d’un bêta-bloquant et d’un diurétique pour la prévention primaire d’événements. Certes, on a déjà reformulé les principales lignes directrices afin de reconnaître que des agents abaissant la TA de façon comparable ne sont pas nécessairement interchangeables dans certaines populations à risque. Il serait toutefois pertinent de préciser que l’inhibition du SRAA – qui contribue à prévenir la progression de la maladie avancée – pourrait inhiber les mêmes mécanismes à l’origine des pathologies vasculaires au début de la maladie.

Lorsqu’il est question de protection de certains organes cibles, la dose est une variable indépendante du profil pharmacocinétique qui pourrait être l’un des principaux facteurs déterminants du bénéfice. Bien que l’importance relative d’une régulation systémique à la hausse et d’une régulation tissulaire à la hausse du SRAA demeure controversée, il est logique d’avancer que le remodelage cardiaque, l’hypertrophie vasculaire, la protéinurie et d’autres signes d’atteinte tissulaire des organes cibles sont au moins en partie causés par la régulation à la hausse du SRAA au niveau tissulaire. Lors de l’essai ELITE II (deuxième essai Evaluation of Losartan in the Elderly), on n’a pas réussi à montrer que le losartan n’était pas inférieur au captopril, et d’aucuns avancent que cet échec est imputable à la dose insuffisante de l’ARA, qui ne permettait peut-être pas d’inhiber le SRAA dans les organes cibles. Il importe ici de souligner que l’effet comparable du telmisartan et du ramipril observé dans l’essai ONTARGET a été obtenu à l’aide des doses usuelles et approuvées de chaque agent.

RÉSUMÉ

Les résultats de l’essai ONTARGET comblent un besoin d’information important quant à l’effet relatif des inhibiteurs du SRAA. Cet essai montre que le telmisartan, un ARA, et le ramipril, un IECA, sont appropriés comme traitement de première intention pour réduire le risque d’événement clinique chez les patients exposés à un risque élevé. Il confirme également que la double inhibition du SRAA ne peut pas être systématiquement recommandée pour réduire le risque. Bien que les trois traitements à l’étude aient conféré une protection comparable contre les événements cliniques, l’ARA est l’agent qui a été le mieux toléré. Certes, d’autres facteurs à considérer dans le choix du médicament pourraient être importants, dont le coût, mais la tolérabilité est un élément critique dans le cas d’un traitement qui doit être administré à vie. Cette vaste étude a des retombées immédiates sur le choix du traitement.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.