Comptes rendus

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Prophylaxie et traitement des thrombo-embolies veineuses : de nouveaux besoins

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Le 13e Congrès de l’Association européenne d’hématologie

Copenhague, Danemark / 12-15 juin 2008

«Les facteurs de risque des thrombo-embolies veineuses (TEV) sont multiples, variés et habituellement cumulatifs», affirme le Dr David Bergqvist, chef de la chirurgie vasculaire, Hôpital universitaire d’Uppsala, Suède. Ce dernier a par ailleurs cité une récente étude épidémiologique portant sur quelque 68 000 patients hospitalisés et ayant démontré que, même si 64 % des patients opérés répondaient aux critères de l’American College of Chest Physicians relatifs au risque de TEV appelant une prophylaxie, seulement 59 % d’entre eux avaient reçu le traitement recommandé.

«En outre, fait-il observer, des données du Global Orthopaedic Registry prospectif révèlent que sept jours après l’intervention, les mesures thromboprophylactiques recommandées n’étaient plus utilisées chez 25 % des patients qui en avaient bénéficié. Or, nous savons que le risque de TEV chez les patients ayant subi une arthroplastie totale de la hanche (ATH) culmine plusieurs semaines après la chirurgie. Nous ignorons l’importance de ce risque chez l’ensemble des patients après leur sortie de l’hôpital, mais il ressort d’une étude qu’une thrombose veineuse profonde (TVP) se déclare chez 25 % des patients au cours du mois suivant leur congé.»

Soulignant la brève hospitalisation généralement associée de nos jours à la chirurgie orthopédique, le Dr Bergqvist précise que certains chirurgiens orthopédistes raccourcissent la durée du traitement prophylactique en conséquence, mais, ajoute-t-il, rien n’indique que la durée devrait être inférieure à une semaine environ. Qui plus est, on possède de plus en plus de données selon lesquelles, dans l’ATH, la prophylaxie devrait durer au moins un mois.

Comme le noeud du problème semble tenir en grande partie aux lacunes des traitements offerts, le Dr Bergqvist abonde dans le sens de la plupart des leaders d’opinion qui estiment que nous avons besoin de nouveaux agents prophylactiques administrés par voie orale pendant une période prolongée. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) ont beau être sûres et efficaces, leur voie d’administration complexe et peu commode nuit au respect des lignes directrices, surtout hors de l’hôpital; en outre, les patients doivent faire l’objet d’une surveillance plaquettaire rigoureuse durant le traitement, et il existe un risque de thrombocytopénie héparinique. Le traitement par la warfarine est associé à une variabilité intra- et inter-individuelle, à de nombreuses interactions alimentaires et médicamenteuses et nécessite une vérification fréquente de la coagulation.

L’anticoagulant idéal devrait pouvoir s’administrer à dose fixe par voie orale, ne pas nécessiter de surveillance, inhiber la thrombine libre ou liée au caillot, et être efficient tout en ayant un profil d’innocuité et de tolérabilité avantageux.

Besoins à combler

Le Dr Ola Dahl, Thrombosis Research Foundation, Londres, Royaume-Uni, fait remarquer qu’un inhibiteur direct de la thrombine (IDT) oral novateur, le dabigatran etexilate à prise uniquotidienne, est efficace dans la prévention primaire des TEV après une chirurgie non urgente de la hanche et du genou et possède un bon profil d’innocuité. La commodité d’un agent oral administré à dose fixe une fois par jour et ne nécessitant pas de surveillance devrait faciliter la thromboprophylaxie, tant en milieu hospitalier qu’extrahospitalier, indique-t-il.

Le Dr Dahl faisait état des résultats des essais cliniques européens dans lesquels on a comparé l’innocuité et l’efficacité de deux doses de dabigatran à celles de 40 mg d’énoxaparine après une ATH et une arthroplastie totale du genou (ATG) dans deux vastes essais de phase III de non-infériorité menés avec randomisation et à double insu. Dans l’essai RE-MODEL, on a évalué la prophylaxie des TEV chez des patients ayant subi une ATG, tandis que dans l’étude RE-NOVATE, on s’est intéressé aux patients ayant subi une ATH.

Dans l’essai RE-MODEL, un traitement de six à 10 jours par le nouvel IDT oral (220 mg ou 150 mg une fois par jour) ne s’est pas révélé inférieur à la dose de 40 mg d’énoxaparine administrée par voie sous-cutanée une fois par jour dans la prévention des TEV après une ATG et a présenté un profil d’innocuité comparable, souligne le Dr Dahl. Dans l’essai RE-NOVATE, un traitement d’une durée médiane de 33 jours par l’IDT a été aussi efficace et sûr qu’un traitement par l’HBPM pour réduire le risque global de TEV et de mortalité toutes causes confondues après une ATH. Les données relatives à la non-infériorité de l’IDT ont affiché une grande significativité statistique, tant pour l’ATH que l’ATG, sans écart entre les groupes; dans l’essai RE-MODEL, on a obtenu les valeurs de p suivantes : p=0,003 pour la dose de 220 mg vs l’énoxaparine et p=0,017 pour la dose de 150 mg; dans l’étude RE-NOVATE : p<0,0001 pour la dose de 220 mg vs l’énoxaparine et p<0,0001 pour la dose de 150 mg.

Il n’y a pas eu d’écart significatif entre les groupes au chapitre des embolies pulmonaires symptomatiques ou de la mortalité globale, ajoute-t-il. En particulier, fait observer le Dr Dahl, la prophylaxie par l’IDT a donné lieu à une faible incidence d’hémorragies majeures chez les patients ayant subi une intervention chirurgicale orthopédique majeure et s’est accompagnée d’une innocuité hépatique et cardiaque favorable.

«Lors du choix d’un traitement thromboprophylactique, il importe de parvenir à un équilibre optimal entre l’efficacité antithrombotique et le risque de complications hémorragiques d’une intervention orthopédique, précise-t-il. L’emploi d’un agent prévenant efficacement les TEV est important, certes, mais pas au prix d’un taux excessif de complications hémorragiques. Outre les saignements, on doit tenir compte d’autres paramètres, comme l’innocuité hépatique et cardiaque de même que la tolérabilité de l’agent, d’où l’importance d’une démarche intégrée.»

«Ces résultats démontrent l’efficacité et l’innocuité du dabigatran à prise uniquotidienne dans la prévention primaire des TEV après une ATH et une ATG non urgentes, de conclure le Dr Dahl. Et rappelons que la commodité d’un agent administré par voie orale à dose fixe en une prise par jour et ne nécessitant pas de surveillance devrait faciliter la prophylaxie, tant en milieu hospitalier qu’extrahospitalier.»

Inhibition directe de la thrombine

Comme le rappelle le Dr Jeffrey Weitz, professeur titulaire de médecine, division d’hématologie et des thrombo-embolies, McMaster University, Hamilton, Ontario, la thrombine joue un rôle crucial dans la coagulation et constitue à ce titre une cible de choix pour un nouvel anticoagulant. Principale composante protéique du thrombus, la thrombine transforme le fibrinogène en fibrine, étape clé de la formation du caillot. Elle n’est pas seulement à l’origine de la fibrinogenèse, mais aussi de la stabilisation de la fibrine par formation de liaisons covalentes sous l’action du facteur XIIIa.

«N’oublions pas non plus que la thrombine est l’agoniste plaquettaire le plus puissant qui soit, de sorte qu’elle active également les plaquettes, qui s’agrègent alors et qui – de concert avec la fibrine produite par la thrombine – forment un caillot insoluble. Nul doute que la thrombine est une bonne cible», dit-il. Du côté des inhibiteurs indirects de la thrombine, les héparines n’inhibent pas la thrombine liée au caillot; par conséquent, elles n’arrivent pas à neutraliser parfaitement la formation du caillot et posent aussi le problème de la thrombocytopénie héparinique. Les antagonistes de la vitamine K ont un effet qui s’installe et s’estompe lentement, interagissent avec beaucoup d’autres médicaments et ont un index thérapeutique étroit.

Comme l’explique le Dr Weitz, les IDT inhibent spécifiquement la thrombine, libre ou liée au caillot, ainsi que la thrombine liée à d’autres surfaces. La régulation négative qui en résulte atténue la thrombogenèse et diminue du coup la coagulation et l’agrégation plaquettaire. «Les IDT évoluent : nous sommes passés des agents parentéraux aux agents oraux, puis au dabigatran, qui ont une demi-vie plus longue permettant une ou deux prises par jour», précise-t-il.

Le dabigatran est un nouvel IDT oral réversible qui interagit avec le site actif de la thrombine libre ou liée au caillot et s’y fixe avec une grande affinité et une grande spécificité. Sa biodisponibilité est d’environ 6,5 %, et 80 % du médicament est excrété sous forme inchangée par le rein. Administré par voie orale, cet agent a une demi-vie de 12 à 17 heures et n’interagit pas avec les aliments. Les enzymes du cytochrome P450 n’interviennent pas dans sa biotransformation, d’où un très faible risque d’interactions médicamenteuses. Une dose fixe de dabigatran produit une réponse anticoagulante hautement prévisible, de sorte qu’il n’y a pas lieu de surveiller la coagulation ou les plaquettes. Chez les patients qui reçoivent ce médicament pendant plus de un an, on ne note aucun signe d’hépatotoxicité.

Le Dr Weitz mentionne que l’IDT fait l’objet d’une évaluation approfondie dans le cadre d’un vaste programme d’essais de phase III réunissant plus de 38 000 patients et portant sur la prévention primaire des TEV en orthopédie et de la maladie thrombo-embolique veineuse aiguë ainsi que sur la prévention secondaire par un traitement prolongé.

La Dre Joanne van Ryn, chercheure, Biberach, Allemagne, a vérifié l’hypothèse voulant que les IDT, les inhibiteurs du facteur Xa et l’énoxaparine puissent inhiber l’agrégation plaquettaire si le stimulus déclenchant l’agrégation se produisait en amont du facteur Xa dans la cascade de la coagulation, par exemple au niveau du facteur tissulaire. Elle a donc mis à l’épreuve le dabigatran, le rivaroxaban (inhibiteur direct du facteur Xa) et l’énoxaparine (HBPM) dans du sang entier humain. Elle a constaté que l’IDT inhibait le plus fortement l’agrégation plaquettaire (CI50 : 35 nM), suivi par le rivaroxaban (312 nM) et l’énoxaparine (13 µM). Elle a conclu que les IDT et les inhibiteurs du facteur Xa pourraient être efficaces non seulement dans les cas de stase ou de thrombose veineuse auxquels la fibrine participe, mais également dans la thrombose artérielle à prédominance plaquettaire.

Résumé

Près de la moitié des patients subissant une intervention chirurgicale orthopédique à risque élevé ne reçoivent pas l’anticoagulothérapie prophylactique recommandée. Les résultats d’essais mettent en lumière la nécessité d’IDT administrés à dose fixe par voie orale qui ne nécessitent pas de surveillance complexe, ne provoquent pas de thrombocytopénie héparinique et inhibent la thrombine, libre ou liée au caillot.

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