Comptes rendus

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Pharmacogénétique : individualiser le traitement du patient atteint du SIDA

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Le 11e Congrès européen sur le SIDA

Madrid, Espagne / 24-27 octobre 2007

Actuellement, l’objectif du traitement de l’infection par le VIH est de réaliser une suppression virale soutenue, et le degré de succès dépend de facteurs qui appartiennent à la fois au virus et à l’hôte. Les facteurs viraux comprennent la sensibilité du virus, la charge virale et le sous-type viral. Dans le cas de l’hôte, «l’adhésion au traitement prime sans contredit sur tous les autres», affirme le Pr Jean-Michel Molina, chef, division des maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Saint-Louis, Université Paris 7, France. Les autres facteurs propres à l’hôte comprennent les interactions médicamenteuses, les affections sous-jacentes et les facteurs pharmacogénétiques. La pharmacogénétique pourrait vraisemblablement aider à prévoir la toxicité telle que l’hyperbilirubinémie associée à l’atazanavir, l’hypersensibilité à la névirapine et la neurotoxicité associée à l’éfavirenz, mais l’application éventuelle la plus prometteuse pour l’heure – et celle qui est la mieux étayée – concerne la prédiction des réactions d’hypersensibilité à l’abacavir (ABC).

Dépistage de l’allèle HLA-B*5701

Les réactions d’hypersensibilité à l’ABC se manifestent généralement par de la fièvre et une éruption cutanée. Le délai médian d’apparition est de 11 jours et 93 % des réactions deviennent manifestes en moins de six semaines (Hetherington et al. Clin Ther 2001;23[10]:1603-14). «Les réactions d’hypersensibilité sont souvent surdiagnostiquées si l’on en juge par les données provenant des essais cliniques», de signaler le Pr Molina. C’est ainsi que, dans les études à l’insu, elles ont été signalées chez 6,5 % des patients sous ABC, comparativement à 4,5 % des patients des groupes témoins.

Les éléments qui nous ont mis sur la piste d’une composante immunologique étaient l’apparition différée de la réaction, sa résolution rapide après le retrait du médicament et sa réapparition après une nouvelle exposition. Dans le cadre d’une étude australienne rétrospective, Mallal et al. (Lancet 2002;359[9308]:727-32) ont identifié l’allèle HLA-B*5701 comme le principal marqueur HLA du risque de réaction d’hypersensibilité. Plusieurs études attestent l’intérêt éventuel du dépistage de ce marqueur, dont une réalisée en France dans laquelle le nombre d’abandons du traitement a chuté en deçà de 1 % après l’introduction d’un dépistage prospectif. «Pour qu’un test de dépistage modifie la pratique clinique du médecin traitant, il doit avoir une valeur prédictive positive élevée, une excellente sensibilité et une valeur prédictive négative élevée», précise le Pr Molina. Dans les études rétrospectives, lorsque les réactions d’hypersensibilité à médiation immunitaire étaient confirmées par un test épicutané (EPT), la sensibilité pouvait atteindre 94 %; néanmoins, «nous avons encore besoin d’essais cliniques comparatifs randomisés et dotés d’une puissance suffisante pour démontrer l’utilité clinique du dépistage génétique», estime le Pr Molina. C’est pour cette raison que l’étude PREDICT-1 a été conçue.

Bénéfice associé au dépistage de l’allèle HLA-B*5701 : études PREDICT-1 et SHAPE

Suivant le plan de l’étude PREDICT-1, 1956 patients recrutés principalement en Europe qui n’avaient jamais été exposés à l’ABC ont été randomisés dans un groupe soumis à un dépistage prospectif de l’allèle HLA-B*5701 ou dans un groupe témoin (soumis à un dépistage rétrospectif). L’âge moyen des patients était de 42 ans et les caractéristiques démographiques de départ étaient homogènes. Dans le groupe soumis à un dépistage prospectif, 5,6 % des patients étaient positifs pour l’allèle HLA-B*5701 et n’ont pas reçu d’ABC. Fait important, ni le patient ni l’investigateur ne savaient si un dépistage prospectif avait été effectué. «Un protocole de ce genre est plus susceptible de produire un résultat conservateur qu’un protocole en mode ouvert», commente le Pr Molina. Les deux paramètres d’évaluation principaux étaient l’incidence des réactions d’hypersensibilité diagnostiquées cliniquement et celle des EPT positifs.

Dans le groupe témoin, 66 patients sur 847 patients (7,8 %) ont présenté une réaction d’hypersensibilité présumée d’après les signes cliniques contre 27 patients sur 803 (3,4 %) dans le groupe du dépistage prospectif. Des réactions d’hypersensibilité confirmées par l’EPT ont été recensées chez 23 patients sur 842 (2,7 %) dans le groupe témoin — lesquels étaient tous positifs pour l’allèle HLA-B*5701; aucun cas n’a été signalé dans le groupe du dépistage prospectif. Comme le conclut le Pr Molina, «le dépistage prospectif de l’allèle HLA-B*5701 permet au médecin d’éviter d’exposer les patients qui en sont porteurs à un risque élevé de réaction d’hypersensibilité à l’ABC, et, d’autre part, d’utiliser l’ABC sans crainte chez les patients qui sont négatifs pour l’allèle et ne courent donc qu’un très faible risque». Cela dit, insiste-t-il, la vigilance clinique demeure essentielle.

On a également mesuré l’utilisation des ressources en soins de santé, qui était un paramètre d’évaluation secondaire. D’après cette analyse, 21 % des patients du groupe témoin ont signalé l’utilisation non prévue de soins de tous ordres, comparativement à 16 % dans le groupe du dépistage prospectif (p=0,008). Un autre objectif secondaire était d’évaluer la concordance de trois technologies différentes utilisées pour le typage HLA. Une concordance parfaite ayant été constatée, la généralisation du test de dépistage de l’allèle HLA-B*5701 devrait être facilitée.

L’effectif de PREDICT-1 se composait principalement de sujets de race blanche (chez qui la prévalence de l’allèle HLA-B*5701 est la plus élevée), de sorte qu’on ne savait pas si le bénéfice découlant du dépistage de l’allèle HLA-B*5701 s’appliquait à d’autres races. Dans l’étude SHAPE, qui a été menée chez des Blancs et des Noirs, on a comparé rétrospectivement des patients ayant présenté une réaction d’hypersensibilité à l’ABC confirmée par un EPT et soumis à un dépistage de l’allèle HLA-B*5701 avec des témoins n’ayant présenté aucune manifestation d’hypersensibilité. Chez les Noirs, aucun cas de réaction d’hypersensibilité confirmée par l’EPT n’a été identifié parmi les sujets négatifs pour l’allèle HLA-B*5701, et la sensibilité était de 1,0, tant chez les Blancs (intervalle de confiance à 95 % [IC], 0,92-1,0) que chez les Noirs (IC à 95 %, 0,48-1,0). Selon le Pr Molina, ces résultats font la preuve que «le dépistage HLA en vue de réduire le nombre de réactions d’hypersensibilité peut s’étendre aux deux races».

Rôle des réactions d’hypersensibilité dans l’étude BICOMBO

L’étude BICOMBO a été la première à comparer les schémas ténofovir plus emtricitabine et ABC plus lamivudine. Au total, 335 patients ayant une charge virale £200 copies/mL ont été randomisés de façon à passer d’un traitement antiviral hautement actif (HAART) à base de lamivudine à l’un de ces deux schémas. Le paramètre d’évaluation principal était la proportion de patients de la population en intention de traiter chez qui le traitement avait échoué. Les abandons du traitement étaient considérés comme des échecs. Selon l’analyse du sous-groupe des patients n’ayant jamais été exposés au ténofovir ou à l’ABC (n=265), analyse qui a fait l’objet d’une communication par affiche au congrès, le groupe qui est passé au schéma ABC plus lamivudine n’a pas atteint le critère de non-infériorité par rapport au groupe ténofovir plus emtricitabine, ce qui concorde avec l’analyse principale. Les auteurs font cependant remarquer que la différence tenait principalement aux abandons du traitement dans le groupe ABC plus lamivudine en raison de réactions d’hypersensibilité à l’ABC présumées. Lorsqu’on lui demande si le dépistage HLA-B*5701 aurait pu influencer ces résultats, le Dr José Gatell, Hospital Clinic, Barcelone, et président, European AIDS Clinical Society (EACS), déclare : «Le test de dépistage de l’allèle HLA-B*5701 ne représentait pas une norme de soins lorsque ces patients ont été recrutés, et, par conséquent, il n’a pas été fait. Est-ce que la réalisation d’un tel test aurait évité les différences observées dans cette étude? La réponse est probablement oui». D’ailleurs, le test rétrospectif a révélé que six des neuf patients qui ont abandonné le traitement pour cette raison étaient positifs pour l’allèle HLA-B*5701.

Traitement à long terme

D’une manière générale, la toxicité d’un antirétroviral peut être immédiate et s’observer à court terme — auquel cas, elle est habituellement assez facile à prévoir et à traiter — ou survenir à long terme et avoir des conséquences telles qu’une lipodystrophie, des neuropathies, des troubles cardiovasculaires (CV), une néphrotoxicité et une diminution de la densité minérale osseuse. Depuis la toute première homologation du produit dans le traitement de l’infection au VIH en 1999, l’exposition aux composés renfermant de l’ABC est estimée à plus de un million d’années-patients. Lors d’études sur son utilisation à long terme, l’ABC n’a pas entraîné d’insulinorésistance, de diabète ou d’ostéopénie. Avec le vieillissement des patients, l’importance de la néphrotoxicité va s’accentuer. «L’ABC est le seul inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse qu’on peut utiliser sans modifier la dose ni craindre d’effets toxiques», signale le Dr Estéban Martínez, Hospital Clinic, Barcelone. Le risque CV iatrogène est peut-être l’un des plus préoccupants dans une perspective à long terme. Lors de l’étude ABCDE, 4 % des patients traités par l’ABC prenaient des hypolipidémiants comparativement à 17 % des patients traités par la stavudine (Podzamczer et al. J Acquir Immune Defic Syndr 2007;44[2]:139-47).

Résumé

De nombreuses études donnent à penser que les effets indésirables possibles à long terme tels que la lipodystrophie, les neuropathies et la maladie CV peuvent être traités. Les résultats de l’étude PREDICT-1 confirment l’utilité du dépistage de l’allèle HLA-B*5701 pour réduire substantiellement le risque de réaction d’hypersensibilité à l’ABC. Ce test pharmacogénétique représente un progrès vers une plus grande individualisation du traitement, répondant du même coup au besoin de mettre en balance le risque de réaction d’hypersensibilité à court terme et le risque de toxicité à long terme.

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